La dentisterie équine : historique et légalité des activités - Pratique Vétérinaire Equine n° 160 du 01/10/2008
Pratique Vétérinaire Equine n° 160 du 01/10/2008

Article de synthèse

Auteur(s) : Pierre Chuit*, Catherine Roy**, Michel Martin-Sisteron***

Fonctions :
*Cabinet vétérinaire, Case postale 107
1297 Founex, Suisse

**La Tourtelle, 13400 Aubagne
***12, place des Arènes, 60300 Senlis

Préoccupation pour l’homme depuis l’Antiquité, la dentisterie équine a évolué parallèlement à l’utilisation du cheval. Depuis une trentaine d’années, l’intérêt des vétérinaires pour cette discipline renaît.

Le renne, en raison de sa sociabilité et des ressources qu’il peut fournir (travail, peau, lait et chair), a été, selon W. Belitz, le premier animal domestiqué dès la fin de l’âge de la pierre (6 000 à 4 000 av. J.-C.) [3]. Avec celui-ci, le cheval a été le premier compagnon de l’homme. Après des millénaires encore, les hommes ont appris à cultiver la terre, et se sont entourés de divers autres animaux : le bœuf des tourbières, la chèvre, le mouton à cornes, le porc des marais et le chien.

De l’Antiquité au xviiie siècle

Les premiers écrits sur les rudiments de l’art dentaire proviennent vraisemblablement des Hittites qui entretenaient une excellente cavalerie. Un document datant de 1 360 av. J.-C donne des renseignements sur l’alimentation et le dressage des chevaux d’attelage [23]. L’entraînement rapporté est rude : il dure 169 jours. Le cheval doit effectuer, dès le début, de 10 à 18 kilomètres au galop de course, et, au 107e jour, de 70 à 84 kilomètres [21].

Aristote, dans des écrits datant de 350 av. J.-C., étudie surtout l’anatomie comparée [5]. Peter Fahrenkrug mentionne les ouvrages de Ibn al Awan au xiie siècle, de Hassan Ibn al Ahnaf (1209), et le Kamel es Sanaateïn connu sous le nom de Naceri de Abu Bekr ibn Bedr (1293-1340) [14, 25]. Ceux-ci portent sur les traitements des gencives enflammées, les onguents pour traiter les périodontites, et exposent les techniques de nivellement et d’extraction dentaire. En 1245, Jordanus Ruffus publie un traité, La Maréchalerie, ouvrage imposant réparti en trois ou quatre volumes selon le gré des copistes.

Au xive siècle, Laurentius Rusius, dans son ouvrage La Marescalcia (1340), étudie, entre autres, les mors et les moyens pouvant résoudre tout vice de bouche que pourrait présenter un cheval. Il existe 17 éditions de ses manuscrits en latin et 4 en sicilien dont une première en 1486.

En 1556, le Trattato dell’imbrigliare, maneggiare et ferrare cavalli (traité de la manière de bien embrider, manier et ferrer les chevaux) de Cesare Fiaschi est publié.

Au xviiie siècle, la première école vétérinaire du monde est ouverte à Lyon par Claude Bourgelat, écuyer du roi Louis XV, en 1762, suivie de celle d’Alfort en 1765.

Dans une édition datée de 1691 et intitulée Le Parfait Maréchal, le sieur de Solleysel, écuyer du roi, parle de la bouche, du lampas ou febve (fève), du ticq, des surdents et de la bouche blessée ou entamée du cheval dégoûté : « Le Parfait Maréchal qui enseigne à connoître la beauté, la bonté et les défauts des chevaux, les signes et les causes des maladies, les moyens de les prévenir, leur guérison, le bon ou mauvais usage de la purgation et de la saignée. La manière de les conserver dans les voyages, de les nourrir, et de les panser selon l’ordre. La ferrure sur les desseins des fers, qui rétabliront les méchants pieds, et conserveront les bons. Ensemble, un traité du Haras pour élever de beaux et bons poulains, et les préceptes pour bien emboucher les chevaux ; avec les figures nécessaires » [12].

Le xixe siècle

À l’école vétérinaire de Hanovre (1805), le professeur Havemann préconise que toute dent fistuleuse doit être extraite, et développe la technique du repoussement pour chasser la dent incriminée. J.H. Friedrich Günther (1794-1858) et son fils Karl W. Günther (1822-1888) ont également été des pionniers en chirurgie dentaire. À eux deux, ils ont conçu de nombreux instruments qui portent leurs noms : pas-d’âne, davier, etc. Le professeur Frick, de l’école vétérinaire de Hanovre puis de Berlin, crée en 1889 son davier à mors ajustables et aux manches pouvant être maintenus bloqués par un pas de vis avec un support de pièce amovible. À la fin du xixe siècle doit être mentionné le livre de MM. Armand Goubaux et Gustave Barrier, professeurs à l’École vétérinaire d’Alfort, intitulé De l’extérieur du cheval [15]. Dans la seconde édition de 1890, une grande partie est consacrée à la dentition, à l’âge et aux irrégularités dentaires. Elle comporte de splendides dessins de Nicolet.

En 1895 à Chicago, Hermann Haussmann crée son célèbre pas-d’âne, perfectionné six ans plus tard par J. Gordon McPherson de Toronto (photo 1). Les améliorations portent sur les plaques dentaires interchangeables. Ce pas-d’âne, mille fois copié, est encore le plus utilisé de nos jours. Toujours en Amérique du Nord, à l’université de Purdue à Lafayette, le professeur T.D. Hinebauch édite un important ouvrage Veterinary Dental Surgery. Il consacre, avec la collaboration du Dr Sayre, un chapitre à la technique des poses d’amalgames et de guttas-perchas sur des incisives et des prémolaires carieuses [16].

En 1906, Animal Dentistry and Diseases of the Mouth de Louis A. Merillat, professeur de chirurgie vétérinaire au collège vétérinaire de Chicago, paraît aux éditions Alexander Eger. Il englobe toute l’odonto-stomatologie, tous animaux confondus, tout en étant particulièrement axé sur la dentisterie équine [24].

Il convient de mentionner également la bible en deux volumes de Pierre-Juste Cadiot et Jean Almy, tous deux professeurs à Maisons-Alfort. Dans leur troisième édition de 1923, Traité de thérapeutique chirurgicale des animaux domestiques, ils abordent les affections dentaires sur 26 pages [6].

Le dernier travail (750 pages et plus de 1 000 photographies) publié sur la dentisterie est l’ouvrage Variations of the Teeth of Animals par l’Anglais Frank Colyer en 1936 [10].

Époque de désintérêt

Vient la période de la Seconde Guerre mondiale et de l’après-guerre, qui fait place à la mécanisation et condamne les régiments de cavalerie des grandes armées, dont seules restent les formations du train. À la ville comme à la campagne, petit à petit disparaissent les livraisons hippomobiles. À Genève, les derniers attelages de Sauvin Schmidt et de Natural Lecoultre datent d’environ 1950, et, à Berne, les dernières livraisons de Kehrli-Oeler, probablement de 1968-1970. Seuls subsistent les attelages des grandes brasseries, mais à titre folklorique. Le cheval utilitaire fait place au cheval de sport et de loisirs avec d’autres prérogatives. Au nivellement des dents, à l’arasement des pointes et autres techniques servant à améliorer la mastication vient s’ajouter le confort de la bouche.

Erwin Becker, grand précurseur de la dentisterie moderne durant la Seconde Guerre mondiale, a fait diminuer la ration journalière des 2,5 à 2,75 millions d’équidés que comptait l’armée allemande de 0,5 à 1 kg d’avoine par jour [20]. De 1926 à 1968, il a énormément contribué à l’essor de la dentisterie équine, tout d’abord dans la clinique privée de son oncle Helmar Dun à Sarstedt (Allemagne) jusqu’au début de la guerre, puis au Veterinary Hospital à Berlin dont il a été nommé directeur en 1947 (photo 2). Pendant l’été 1943, depuis les célèbres studios de Babelberg, il sort le film Einmal im Jahr pour promouvoir sa meule dentaire électrique Equodent (photos 3a et 3b). Ce film en noir et blanc de 35 minutes exprime, avec pédagogie et une belle mise en scène, l’état surprenant de la dentisterie à cette époque.

Par la suite, en raison de la mécanisation et surtout du manque de temps des vétérinaires alors en sous-effectif, la dentisterie est délaissée jusqu’au jour où des vétérinaires anglais et américains recommencent à la promouvoir et publient des textes.

Après des études à Bristol, Gordon J. Baker (né sur l’île de Wight), alors lecteur à la chaire de chirurgie vétérinaire de l’université de Glasgow en Écosse, a été un des premiers à reparler de dentisterie (photo 4) [1]. Il a peut-être aussi été le premier à émettre une opinion sur l’agressivité de la dent de loup pour la commissure des lèvres sous l’effet des aciers des embouchures. Ce point de a été beaucoup discuté dans les années 1970 à 1980, pour être enfin admis presque à l’unanimité de nos jours.

Époque de la Renaissance

Baker signe un chapitre dans Veterinary Dentistry de Colin E. Harvey, publié en 1985 [2]. Ensuite vient s’ajouter le livre Odonto-stomatologie vétérinaire de MM. Pierre d’Autheville et Éric Barrairon [11]. Hormis ces publications majeures, les affections dentaires sont également évoquées dans les livres de chirurgie vétérinaire. En 1952, le professeur Alfred Leuthold (Berne 1933-1971) consacre 15 pages sur les affections dentaires des animaux dans son Spezielle Veterinär-Chirurgie (photo 5) [22, 26]. Comme à son habitude, il a un style très concis, et ses quelques pages cernent parfaitement la discipline et les besoins. Autre exemple, le Handbuch der Pferdekrankheiten für Wissenschaft und Praxis par Olof Dietz et Ekkerhard Wiesner [13]. En 1965 sort la première édition du Catcott (c’est ainsi qu’était nommé le livre de référence Equine Medicine and Surgery), dans lequel une vingtaine de pages sont consacrées à l’art dentaire et à sa chirurgie [7].

Mais ce qui est étonnant, c’est qu’avec de tels ouvrages, de telles personnalités, un tel savoir et un cursus de formation dans le cadre des études vétérinaires, la dentisterie échappe partiellement aux vétérinaires. Est-ce par mépris de râper, de limer des dents, par laxisme à l’époque à l’égard des maréchaux-ferrants, que la porte s’est entrouverte et que des observateurs bricoleurs non vétérinaires se sont engouffrés dans la brèche.

De nos jours

Toute personne peut s’acheter un pas-d’âne, des râpes, des daviers et des élévateurs, et s’établir comme technicien dentaire équin. Le marché est, tous pays confondus, envahi par des techniciens dentaires équins dont les compétences et les références sont difficiles à contrôler. Lors d’un arrêt du 25 avril 1986 de la cour d’appel de Poitiers, il avait été conseillé de les appeler “limeurs de dents” [9].

• L’Américain Dale Jeffrey a été l’un des premiers à ouvrir Outre-Atlantique une école de dentisterie et à publier des ouvrages sur le sujet [19]. Né en 1941 dans le Nebraska, il travaille en dentisterie et l’enseigne depuis une vingtaine d’années lorsqu’il s’installe en 1994 à Glenns Ferry, dans l’Idaho, et ouvre son école qu’il dénomme “académie”. Depuis, après s’être donné le titre de “Certified Master Equine Dentist”, il a créé et copié des instruments pour établir sa gamme d’instruments dentaires (photos 6 et 7). Le catalogue de ses instruments est visible sur son site Internet(1). Depuis 1999, son “académie” publie un journal, Horse Dentistry et Bitting Journal [17]. Pour Tom Allen, vétérinaire pratiquant excluvivement la dentisterie équine à Patterson, Missouri, Jeffrey a fortement influencé l’art dentaire, à tel point qu’il a été prié de quitter son Nebraska natal pour l’Idaho : « La résurrection de pratique de la dentisterie équine aux États-Unis a été introduite par des non-vétérinaires, le plus notable étant M. Dale Jeffrey, au Nebraska au milieu des années 1980. Il était assez intrépide pour enfreindre la loi afin d’offrir une vie plus confortable aux chevaux en promulguant les soins dentaires que les vétérinaires boudaient ou ignoraient.

Maintenant que les vétérinaires ont finalement saisi l’importance de bons soins dentaires pour nos équidés, ils commencent à prendre goût à la dentisterie et à s’y former.

Mais la plus grande entrave, pour la disponibilité de soins dentaires pour les équidés, a été les attaques virulentes des organisations vétérinaires dans beaucoup d’États, prétendant que seuls les vétérinaires étaient capables d’offrir des soins dentaires aux équidés. Après s’être réfugié dans l’Idaho, chassé de sa terre natale, il a ouvert son école de dentisterie à Glenns Ferry. Certes nos collègues vétérinaires inventent et découvrent de bonnes techniques, de bonnes procédures […], tandis que les praticiens dentaires équins non vétérinaires font les soins quotidiens. Comme ils ont dû se cacher durant les dernières décennies, ils ont quand même eu la chance de se former, pour la grande majorité, aux soins dentaires ordinaires.

Attendu que ce n’est pas une science de haut niveau, mais plutôt un art accompagné d’un bon tour de main, et que les avantages de la dentisterie sont portés aux oreilles des propriétaires d’équidés, la demande grandira, mais les vétérinaires essayent ici de juguler l’accès des non-vétérinaires, ce qui est malheureux pour le cheval. » [T. Allen, DMV, USA, juillet 2008].

Laisser croire à une volonté de “protectionnisme” de la branche professionnelle vétérinaire pour limiter l’accès à des non-vétérinaires est un raccourci simpliste : c’est bien la garantie de la qualité de services due au propriétaire du cheval, la prise en compte de sa sécurité et le respect du bien-être du cheval qui sont au cœur du débat. Seul le vétérinaire, en effet, peut disposer de la panoplie des traitements, des médicaments, et surtout des analgésiques, tranquillisants et anesthésiants. Il est en effet :

– l’ayant droit de la pharmacie vétérinaire ;

– soumis à une obligation légale de traçabilité des médicaments ;

– acteur de la pharmacovigilance donc de la déclaration des effets secondaires ou de l’inactivité des médicaments ;

– acteur de l’élimination des produits périmés ou non utilisés pour limiter la diffusion de résidus dans l’environnement et éventuellement dans la filière viande chevaline.

Dans l’introduction de son livre Horse Dentistry, the Theory and Practice of Equine Dental Maintenance, Dale Jeffrey a souligné la pauvreté de l’enseignement de l’art dentaire : « What has been taught from 1920-1980 about equine dental maintenance has been pathetic » [18].

Par la suite, des écoles privées délivrant des certificats de techniciens plus ou moins reconnus se sont développées. Quoi qu’il en soit, c’est aux autorités compétentes qu’il appartient de reconnaître ou non la profession de technicien dentaire équin.

• Aux États-unis, et à notre connaissance, il semble qu’il existe trois écoles ouvertes aux non-vétérinaires, l’une à Purcellville en Virginie(2), celle de Dale Jeffrey, à Glenns Ferry dans l’Idaho(3) et la Midwest Equine Dental Academy(4).

• En Australie, existe l’école de Thornhill à Gunnedah New South Wales(5). Dans les années 1980, Peter Borgdorff a ouvert une petite école(6), sous le nom de Australian Equine Dental Practice ou Equine Dental Care, à Balwyn North près de Melbourne. Lui-même non-vétérinaire, il ne forme que cinq techniciens dentaires équins par an.

• En Russie comme au Japon, les vétérinaires équins sont demandeurs de cours pour perfectionner leur formation initiale. D’après le docteur Jean-Yves Gauchot, président de la commission de dentisterie de l’Association vétérinaire équine française (Avef(7)), qui s’est rendu sur place au printemps 2003, il n’existe à ce propos aucune structure. Au Japon, les écuries de courses font venir des techniciens des États-Unis.

• En Europe, il semble exister quatre écoles de statuts divers : l’École européenne de dentisterie équine en Belgique à Eghezée, celle de Brighton(8) et celle du Hartpury College, toutes deux en Grande-Bretagne, et l’école Helicon aux Pays-Bas. D’autres apprentissages sont délivrés par des “formateurs” privés sous forme de compagnonnage. Ces formations sont très diverses, tant sur les modalités, la durée, ou le contenu.

• En Grande-Bretagne, la British Equine Veterinary Association (Beva) (notamment le professeur Paddy M. Dixon de la faculté vétérinaire d’Édimbourg, photo 8) avait pris en main la formation des techniciens dentaires pour équidés pour pouvoir encadrer la qualité de cette formation qui a été accréditée. Selon une dernière liste, ils seraient une quarantaine à porter le titre de Equine Dental Technician (EDT). Ce terme est la dénomination reconnue en Grande-Bretagne et aux États-Unis pour désigner une personne non vétérinaire formée en dentisterie équine.

Un amendement du département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires agricoles (DEFRA) et du Royal College of Veterinary Surgeons devait autoriser les interventions décrites dans la deuxième catégorie à être réalisées par des techniciens dentaires qui ont réussi l’examen commun de la British Equine Veterinary Association (BEVA) et de la Veterinary Dental Association (BVDA).

Or, nombre des ces interventions exigent une parfaite tranquillisation.

La prescription, la délivrance et l’utilisation de divers médicaments (antibiotiques, anti-inflammatoires, analgésiques et tranquillisants) sont soumises à une traçabilité accrue avec des ayants-droits restreints [8].

La troisième catégorie d’actes et d’interventions est réservée aux vétérinaires.

Réglementairement au Royaume-Uni les techniciens dentaires ne peuvent donc seuls qu’effectuer des actes de catégorie 1.

Cet époque marque également l’apparition d’associations professionnelles, avec à leur tête l’International Association of Equine Dentistry(9), qui regroupent aussi bien les techniciens dentaires équins que les vétérinaires pratiquant la dentisterie.

• En Europe, plusieurs associations de techniciens dentaires existent, notamment :

– la British Association of Equine Dental Technicians (BAEDT)(10) ;

– l’Association européenne des dentistes équins (AEDE) ;

– l’Association européenne des praticiens dentaires équins (AEPDE)(11);

Par ailleurs, d’autres associations regroupent des vétérinaires pratiquant la dentisterie et des techniciens dentaires :

– l’International Association of Equine Dentistry ;

– l’Internationale Gesellschaft zur Funktionsverbesserung der Pferdezähne(12).

• L’enseignement a pu paraître discret par rapport à l’ensemble des matières enseignées dans les facultés et les écoles, excepté aux États-Unis quelques “Colleges of Veterinary Medicine”, dont celui du Texas A et M University à College Station dans le Colorado où enseigne Leon Scrutchfield, qui offre un enseignement approfondi réservé aux vétérinaires.

• En Suisse, en 1971, à la faculté de médecine vétérinaire bernoise, une section dentisterie a été spécialement créée pour les petits animaux par le professeur Hugo Triadan, médecin dentiste [4]. Il a laissé pour les équidés la numérotation des dents, qui fait foi de nos jours et empêche toutes confusions dues aux différentes dénominations anatomiques(13).

Récemment, en octobre 2007, l’université vétérinaire d’Edinburgh a introduit une formation avancée avec délivrance d’un certificat d’études approfondies pour les vétérinaires selon trois modules :

– anatomie et physiologie dentaire équine ;

– soins dentaires équins, diagnostic et traitement ;

– chirurgie dentaire équine.

Évolution en France

En France, face à la multiplication des “dentistes équins” dans les années 1980, la profession vétérinaire a trouvé l’impulsion nécessaire pour reprendre les choses en main.

Passionnés par cette discipline, nous avons acquis un laparoscope droit avec une ouverture à 45° qui permet d’effectuer des clichés photographiques.

En 1990, le groupement technique vétérinaire (GTV) Rhône-Alpes, ayant été informé de la richesse de cette iconographie, nous a demandé de préparer un cours de dentisterie pour ses adhérents dans les écuries du laboratoire Rhône-Mérieux dans la Drôme. Puis, en mars 1991, le docteur Guy Camy, alors président du Geros (Groupe d’études et de recherches en odontostomatologie vétérinaire) nous a offert la possibilité de présenter la dentisterie à l’occasion d’un cours optionnel de dentisterie à l’ENV de Toulouse. Ces démarches ont permis de revaloriser l’enseignement complémentaire de la dentisterie dans les écoles vétérinaires. Dès 1995, cet enseignement est proposé à l’ENV de Nantes, puis en 1996 à l’ENV d’Alfort et plus récemment en 2002 à l’ENV de Lyon.

Parallèlement, en novembre 1994, la commission équine de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) organise également des formations permettant la mise à jour des connaissances en dentisterie équine des vétérinaires. Ces cours théoriques, riches en iconographie et accompagnés de travaux pratiques, réunissent habituellement entre 10 et 15 vétérinaires issus de toutes les spécialités. La commission de dentisterie de l’Association vétérinaire équine française (Avef) a pris le relais, et sous la houlette du président actuel, le docteur Jean-Yves Gauchot, son site Internet affiche plus de 400 vétérinaires répartis sur l’ensemble du territoire national, disposés à donner des soins dentaires aux équidés et à accepter des cas référés. Plus de 650 praticiens ont suivi ces cours en France et en Belgique par l’intermédiaire de Formavet(14). En Suisse, cette possibilité est accordée aux écoles d’officiers vétérinaires.

Interrogations actuelles sur l’acte vétérinaire

La fédération vétérinaire européenne (FVE), qui représente 41 organisations vétérinaires au sein de 36 pays dont les 27 pays de l’Union Européenne, et plus de 200 000 vétérinaires, a adopté en juin 2008 la définition de l’acte vétérinaire : “a. all material or intellectual interventions that have as their objective to diagnose, treat, or prevent mental or physical disease, injury, pain, or defect in an animal, or to determine the health and welfare status of an animal or group of animals, particularly its physiological status ; including the prescription of veterinary medicines ;

b. all interventions that cause or have the potential to cause pain ;

c. all invasive interventions ;

d. all veterinary interventions, including food or feed chain activities, affecting public health ;

e. veterinary certification relating to any of the above.”

En France, en Italie, en Suède, en Belgique, les plaintes des autorités compétentes et des organisations professionnelles à l’encontre des techniciens dentaires se multiplient pour exercice illégal de la médecine vétérinaire, non-respect du bien-être animal et/ou utilisation frauduleuse de médicaments.

La prise en compte du bien-être animal, soulignée dans la révision du Code terrestre 2008 de l’OIE, intégrée dans les plans santé animale et bien-être animal de la Commission Européenne, témoins d’une attente sociétale, explique certainement la prudence des autorités compétentes en matière de délégation d’acte.

Parallèlement en Grande-Bretagne, selon la Beva, la classification révisée fin 2008 des soins dentaires pourrait comporter trois catégories (encadré).

La loi anglaise sur la dentisterie équine spécifie clairement qu'un technicien dentaire équin non vétérinaire ne peut pratiquer que les actes et interventions listés dans la première catégorie.

Toute autre activité, même sous supervision directe et continue d’un vétérinaire, est donc illégale pour des non-vétérinaires. Le vétérinaire participant à ces pratiques serait lui aussi dans l’illégalité. Un amendement du département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires agricoles (Defra) et du Royal College or Veterinary Surgeons, en discussion depuis 2002, devait autoriser les interventions décrites dans la deuxième catégorie aux techniciens dentaires qui ont réussi l’examen validé par le Defra. Mais, cet amendement n’a pas été validé.

Il resterait donc, si la profession de technicien dentaire équin devait être reconnue en Europe, à inventer les relations entre les vétérinaires et ces techniciens, dans le respect du bien-être des équidés et de la qualité des services rendus à leurs propriétaires. C’est ainsi qu’en Grande-Bretagne, si les techniciens dentaires devaient être autorisés à pratiquer certains actes de la catégorie 2, la Beva propose que les conditions préalables suivantes soient strictement respectées :

– le technicien dentaire a suivi la formation approuvée par le Defra concernant la catégorie 2, est membre de l’association BAEDT et respecte les objectifs éthiques et légaux de la profession ;

– le vétérinaire approuve l’intervention du technicien dentaire pour la procédure en question ;

– le technicien dentaire n’effectue que les procédures des catégories 1 et 2 autorisées ;

– le technicien dentaire travaille sous la direction et si nécessaire sous la supervision du vétérinaire ;

– le technicien dentaire adresse un rapport professionnel des actes de la catégorie 2 exécutés sur les chevaux dont le vétérinaire assure le suivi ;

– le vétérinaire a informé son assurance en responsabilité professionnelle de cette collaboration de techniciens dentaires.

La Beva recommande par ailleurs à ses vétérinaires adhérents :

– de connaître les catégories révisées des soins dentaires et les limitations des activités des techniciens dentaires ;

– d’encourager les techniciens dentaires à leur formuler directement, et non via les clients, leur demande d’acte de sédation en estimant le temps requis pour les soins prévus ;

– de discuter des procédures envisagées avant de programmer la visite ;

– d’informer le client des dispositions légales, concernant les rôles respectifs du vétérinaire et du technicien ;

– de rester présent autant que de besoin pendant l’intervention et d’effectuer un examen de la bouche du cheval avant et après intervention.

L’engouement pour la dentisterie est reflété par la messagerie du site Internet de l’Equine Clinical Network, de l’université de Washington(17), où la discussion est intense et parfois rude. Depuis quelques années, les instruments dentaires refont leur apparition dans les expositions commerciales des séminaires et des congrès vétérinaires. Leur richesse et leur variété augmentent d’année en année, avec des nouveautés, certes, mais également beaucoup de copies d’anciens instruments longtemps oubliés. Bientôt le choix sera aussi varié, mis à part les appareils motorisés, qu’au début du xxe siècle. Par ailleurs, l’enseignement de la dentisterie équine est entériné dans les écoles vétérinaires françaises et développé de façon plus approfondie au Royaume-Uni. Les vétérinaires, dûment formés par leur cursus peuvent, avec leurs instruments performants et chez des animaux tranquillisés, conformément à la législation sur la pharmacie vétérinaire, intervenir efficacement dans le respect du bien-être et de la santé des animaux, de la protection de l’environnement et du consommateur. Ne pouvant avoir recours lui même à une sédation du cheval et à des traitements complémentaires comme des antibiotiques et des analgésiques, le technicien dentaire équin ne pourrait exercer sa profession que de manière manuelle, non motorisée et non invasive. Toute autre activité, si elle lui était autorisée, devrait faire au minimum l’objet d’une concertation préalable avec le vétérinaire traitant. La même personne peut pratiquer des soins dentaires.

Éléments à retenir

→Les soucis de bouche ont fait partie des premières observations des hommes qui ont domestiqué les chevaux. Les premiers soins dentaires ont été décrits 1360 ans av. J.-C.

→Au début du xixe siècle commence une phase de créativité en instrumentation et en techniques dentaires. Elle va se prolonger jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

→Vers les années 1975 à 1980, l’intérêt des vétérinaires renaît, stimulés par des non-vétérinaires “dentistes équins”.

→Tout récemment, l’enseignement de la dentisterie équine a été remis au goût du jour dans les facultés et les écoles.

→Le respect de la législation de la pharmacie vétérinaire, du bien-être et de la santé animale, de la protection de l’environnement et du consommateur implique une révision des actes des soins dentaires éventuellement délégués aux techniciens dentaires équins.

Encadré : Actes et interventions qui peuvent être pratiqués par les non-vétérinaires au Royaume-Uni

La catégorie 1 Equine Dental Procedures(15) comprend :

– l’examen des dents ;

– le nivellement dentaire (excluant l’usage d’instruments motorisés) ;

– la suppression de pointes acérées d’émail et de petites excroissances dentaires (moins que 5 mm de haut et n’impliquant pas plus de la moitié de la surface occlusale) à l’aide de râpes manuelles ;

– l’avulsion manuelle (à l’aide des doigts) de prémolaires de lait meubles (coiffes) ;

– l’enlèvement du tartre, qui recouvre la gencive.

Une deuxième série a été récemment déclarée comme des interventions avancées. Bien qu’elles soient toujours du ressort de la chirurgie vétérinaire, un amendement du département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires agricoles (Defra) et du Royal College of Veterinary Surgeons autorise les interventions décrites dans cette catégorie à être réalisées par des techniciens dentaires qui ont réussi l’examen commun de la British Equine Veterinary Association et de la Veterinary Dental Association (BVDA).

La catégorie 2 Equine Dental Procedures comporte :

– l’extraction de dents mobiles, y compris les incisives et les molaires, les prémolaires lactéales et les dents atteintes de lésions de périodontite avancée. Cependant, les dents qui ont été déstabilisées lors d’un traumatisme requièrent l’intervention du vétérinaire ;

– l’extraction de dents de loup bien en place à croissance achevée ;

– la suppression de larges excroissances (plus de 5 mm de haut et comprenant plus de 50 % de la surface occlusale) et des excroissances de plus de 5 mm de la dent dans son ensemble ;

– les techniques demandant l’usage de coupe-dents, de rabots odontriteurs et d’instruments motorisés, râpes comprises ;

– le traitement de dents fracturées et de dents malades ;

– l’extraction de fragments dentaires et le râpage des dents cassées et de leurs voisines.

Nombre de ces interventions exigent une parfaite tranquillisation. Tous les ordres vétérinaires, toutes les lois sanitaires ou vétérinaires tolèrent le métier de technicien dentiste équin, mais ne lui reconnaissent pas le droit d’administrer des médicaments et encore moins des tranquillisants(16). En Grande-Bretagne, le niveler les dents à l’aide d’une râpe ou d’une fraise à moteur nécessite l’intervention d’un vétérinaire pour tranquilliser le cheval, (responsabilité envers la suite des événements et les médications complémentaires : antibiotiques, anti-inflammatoires, analgésiques, etc.).

La catégorie Equine Dental Procedures est réservée aux vétérinaires et comprend :

– toute intervention qui nécessite une incision (à l’exception de l’élévation de la gencive afin d’avulser une dent sous contrôle vétérinaire) ;

– l’extraction dentaire par la technique du repoussement, de la buccotomie ;

– les traitements endodontiques (traitements radiculaires) ;

– l’orthodontie (traitement des défauts d’occlusion dentaires : bec de perroquet, mâchoire de bouledogue, etc.).

En savoir plus

– BEVA - Revision of Guidelines to Establish Effective Working Relationships with Equine Dental Technicians (EDTs). 2008.

– FVE. Acte vétérinaire. Mai 2008.

– OIE. Terrestrial Animal Health Code. 2008.

Référence

  • 1 - Baker Gordon J. Médecine et chirurgie du cheval (Equine Medicine and Surgery). Éd. Vigot frères, Paris. 1974 : 891-920.
  • 2 - Baker Gordon J. Veterinary Dentistry, sous la direction de Harvey Colin E. Ed. Saunders, Philadelphia. 1985 : 203-234.
  • 3 - Belitz W. Wiederkaüer und ihre Krankheiten im Altertum. Veterinärhistorichen. Jahrbuch, 3, 1927, p. I. Note extraite de l’Histoire illustrée de la médecine vétérinaire. Leclainché É. Éd. Albin-Michel. 1955 ; 1 : 26.
  • 4 - Berger M, Heiniger S, Stich H, Schawalder P. Tiere beim Zahnarzt. Unipress, Bern, Heft. 2000 : 106.
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  • 25 - Perron M. Le Naceri, la perfection des deux arts, ou traité complet d’hippologie et hippiatrie arabe. Traduit de l’arabe d’Abu Bekr Ibn Bedr, Paris. 1859.
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