Quand la recherche fait appel à l’expérimentation animale - Pratique Vétérinaire Equine n° 225 du 01/04/2025
Pratique Vétérinaire Equine n° 225 du 01/04/2025

MÉDECINE FACTUELLE - ÉTHIQUE

Cahier scientifique

Médecine factuelle

Auteur(s) : Jean-Michel VANDEWEERD*, Anne VERMEYLEN**

Fonctions :
*(DipECVS)
**Namur Research Institute
for Life Sciences (Narilis)
Université de Namur
61 rue de Bruxelles
5000 Namur (Belgique)

L’expérimentation sur les animaux est strictement encadrée par une directive européenne et soumise à une évaluation éthique. Cet article présente le cadre législatif et les données d’utilisation des équidés en 2022.

L’injection d’un anesthésique local en périphérie d’un nerf du système périphérique est couramment pratiquée en médecine équine (photo 1). Les blocs nerveux sont utilisés dans le cadre du diagnostic (pour déterminer l’origine d’une boiterie par exemple), de l’analgésie (traitement d’une douleur) et de l’anesthésie (lors d’une intervention diagnostique ou chirurgicale douloureuse). Une synthèse des connaissances sur le sujet pourrait être utile et sera publiée dans l’avenir. Un parcours rapide des titres dans la base de données bibliographique PubMed fait apparaître différentes modalités d’étude, dont l’expérimentation. L’objet de cet article est d’éclairer le lecteur sur cette modalité de la recherche et son cadre légal européen.

UTILISATION DE MODÈLES

Les publications de Pratique vétérinaire équine (PVE) relatives à la médecine factuelle, et aux notions d’épidémiologie clinique sur lesquelles elle repose, ont montré que le niveau de preuve scientifique dépend de l’existence de biais dans les études. Ces divers paramètres qui peuvent influencer les résultats de façon systématique sont moins présents en recherche interventionnelle qu’en recherche observationnelle. Dans un essai clinique, la sélection des individus, la précision des mesures et l’absence de facteurs de confusion peuvent être mieux garanties. Dans ce cas, un groupe recevant la procédure expérimentale est comparé à un autre recevant une procédure de référence. Les deux groupes sont respectivement qualifiés d’expérimental et de contrôle (ou témoin). En principe, s’il existe des différences de résultats entre les groupes, elles sont logiquement liées à la procédure puisque les autres facteurs de fluctuation concomitants sont contrôlés de manière analogue dans les deux lots. Il est toutefois montré, par exemple, que la sélection d’animaux au même stade d’une maladie ou d’une lésion reste difficile, ou que l’évaluation de certains paramètres tels que la douleur est imparfaite [7, 8]. Même un essai clinique peut comporter des biais. Afin de standardiser au mieux les conditions de l’expérience, la recherche scientifique utilise parfois des modèles. Les études ex vivo utilisent des organes provenant de cadavres d’animaux euthanasiés pour des raisons humanitaires, morts naturellement, abattus dans un abattoir ou euthanasiés pour la réalisation de l’expérience et la collection d’organes. Il est possible aussi d’utiliser des modèles in vivo pour lesquels des tests sont réalisés chez des animaux sains ou des animaux chez lesquels une maladie ou des lésions ont été induites. Étude observationnelle, essai clinique sur animaux malades, étude ex vivo, expérimentation in vivo sur animaux sains et expérimentation in vivo sur des modèles induits sont les modalités d’expérience rencontrées lorsqu’une synthèse sur les blocs nerveux est menée via PubMed.

L’EXEMPLE DES MODALITÉS D’ÉTUDE DES BLOCS NERVEUX

L’introduction des mots clés « nerve, blocks, horses » dans la base de données PubMed met en évidence 254 publications. À la lecture des titres, 132 études ne traitent pas d’injection périnerveuse ou de l’espèce équine. Parmi les 122 références bibliographiques relatives aux blocs nerveux, la première date de 1956 [4]. Le premier résumé disponible dans la base de données remonte à 1986. La publication rapporte alors que l’interprétation de l’analgésie diagnostique n’est pas simple [2]. Un article de synthèse en 1990 indique que le succès de la technique nécessite une solide connaissance anatomique, une technique adéquate et une interprétation précise. L’auteur souligne l’utilité des études sur pièces (ex vivo) pour préciser l’anatomie et la technique [6]. Le premier résumé d’une étude ex vivo est daté de 1989 ; les auteurs ont comparé différentes techniques d’injection des nerfs palmaires dans la région proximale du canon [3]. Dans une étude sur les blocs nerveux, un modèle in vivo (tendinite induite à la collagénase) est décrit pour la première fois en 1992 [5]. Depuis cette époque, de nombreuses publications ont vu le jour. Pour les 122 références, certains résumés sont absents (n = 10). À la lecture des résumés disponibles, la question de recherche ne porte pas toujours sur les blocs nerveux (n = 5). Certains articles concernent l’injection de molécules autres qu’un anesthésique local, telles que la kétamine (n = 3), Sarracenia purpurea (n = 3), le fentanyl (n = 1) ou l’administration d’anesthésique pour étudier la fonction de nerfs crâniens (hypoglosse, glossopharyngé, vague, n = 7). Parmi les 93 études éligibles, il est possible de dénombrer des descriptions de cas et des études rétrospectives (n = 12) ainsi que des synthèses (n = 3). Trente études sont menées ex vivo (n = 30), dont 8 suivies d’un essai sur un lot restreint de chevaux vivants. Huit essais cliniques sont effectués sur des chevaux malades (n = 8). Vingt-quatre expérimentations sont réalisées sur des animaux sains (n = 24) et 16 sur des modèles induits (n = 16). Ces études sont réalisées sur trois continents.

LE CADRE EUROPÉEN DE L’EXPÉRIMENTATION ANIMALE

La directive 2010/63/UE du Parlement et du Conseil européens du 22 septembre 2010, relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, encadre la recherche expérimentale. Elle s’applique notamment aux vertébrés non humains lorsqu’ils sont utilisés ou destinés à être utilisés dans des procédures ou lorsqu’ils sont élevés spécifiquement pour que leurs organes ou tissus soient prélevés à des fins scientifiques. Selon la directive, le terme « procédure » désigne toute utilisation invasive ou non d’un animal à des fins expérimentales, à d’autres fins scientifiques dont les résultats sont connus ou inconnus ou à des fins éducatives, susceptible de causer à cet animal une douleur, une souffrance, une angoisse ou des dommages durables équivalents ou supérieurs à ceux causés par l’introduction d’une aiguille selon les bonnes pratiques vétérinaires. Cela inclut toute intervention destinée ou de nature à aboutir à la naissance ou à l’éclosion d’un animal ou à la création ou la conservation d’une lignée d’animaux génétiquement modifiés dans l’une de ces conditions, mais exclut la mise à mort d’animaux à la seule fin d’utiliser leurs tissus. Les essais cliniques et expérimentations in vivo chez des chevaux entrent dans le cadre des directives européennes, dès lors que le désagrément est au moins équivalent à celui d’une injection.

Des différences légères existent entre les pays européens dans le processus d’analyse, d’acceptation et de contrôle des projets ­d’expérimentation. En France, les projets utilisant des animaux à des fins scientifiques doivent être autorisés au préalable par le ministère de la Recherche, après avoir été soumis à l’avis d’un comité d’éthique(1) enregistré auprès de ce ministère. Dans d’autres pays, ce sont des commissions internes qui donnent l’autorisation sous le contrôle indirect de l’État. Dans le cas des études post-mortem, la directive ne s’applique qu’aux animaux élevés (par un organisme agréé) pour la recherche. C’est le cas des rongeurs, des chiens, des chats, des singes et des poissons. En revanche, ce n’est pas le cas pour les chevaux et les ­animaux de ferme, pour lesquels il n’existe pas d’élevage spécifique pour la recherche. Pour les études post-mortem réalisées chez les chevaux et les ânes, les commissions éthiques ne sont concernées que par la vérification des méthodes d’euthanasie. Le respect de la règle des 3 R (remplacement, réduction, raffinement) doit notamment se traduire par une réduction des animaux utilisés à des fins scientifiques, enseignement compris. Afin de respecter cette règle, le législateur européen a volontairement été restrictif quant à l’utilisation d’animaux à des fins éducatives : ceux-ci ne peuvent être utilisés que pour l’enseignement supérieur ou la formation professionnelle ou technique conduisant à des métiers de l’expérimentation animale. Autrement dit, les procédures utilisant des vertébrés, même morts, sont réservées au seul domaine de l’enseignement supérieur et de l’enseignement professionnel et technique spécialisé, à condition toutefois que cela soit justifié par l’absence de méthodes pédagogiques alternatives équivalentes. Les différents travaux pratiques mis en œuvre dans l’enseignement supérieur doivent ainsi évoluer vers des méthodes alternatives sans utilisation d’animaux dès que cela est envisageable.

LES CHIFFRES D’UTILISATION DES ÉQUIDÉS POUR L’EXPÉRIMENTATION EN EUROPE

La communauté européenne met les statistiques de l’expérimentation animale à disposition de la société(2). Les chiffres consultables les plus récents sont ceux de 2022. Dans l’Europe des Vingt-Sept, 5 098 chevaux et ânes ont été utilisés, soit 0,06 % de tous les animaux d’expérience utilisés sur cette période (tableau 1). Les objectifs d’utilisation sont nombreux : 1,21 % pour l’acquisition, le maintien et l’amélioration de compétences professionnelles ; 1,77 % pour la protection de l’environnement dans l’intérêt de la santé ou du bien-être des animaux ou des humains ; 5,90 % pour des activités de production ou des obligations réglementaires ; 3,24 % pour la préservation de l’espèce ; 6,38 % pour l’enseignement ; 17,44 % pour la recherche fondamentale ; 62,63 % pour la recherche translationnelle et appliquée. En France, 61,42 % des animaux sont classés dans la catégorie de la recherche fondamentale et 33,84 % dans celle de la recherche appliquée.

TRANSPARENCE

Les modèles animaux restent considérés par certains comme essentiels pour élaborer des thérapies innovantes et demeurent une étape légale obligatoire pour évaluer l’efficacité et la toxicité des traitements potentiels afin d’en garantir la sécurité avant les essais cliniques. C’est aussi un sujet qui fait polémique dans la société. En 2023, la Commission européenne a réaffirmé cette nécessité, notamment en réponse aux initiatives citoyennes demandant la fin de l’expérimentation animale, tout en adoptant une résolution qui fixe les « plans et mesures visant à accélérer le passage à une innovation sans recours aux animaux dans la recherche, les essais réglementaires et l’enseignement ». Pour atteindre cet objectif ambitieux, il s’agit, sans abaisser le niveau de protection de la santé humaine et de l’environnement, de mieux financer le développement des méthodes de réduction, raffinement et remplacement (règle des 3 R) et d’imposer des contraintes réglementaires accrues sur l’expérimentation animale. De nombreuses institutions de recherche sont signataires d’un accord de transparence sur la recherche animale, fondé sur des recommandations de l’European Animal Research Association (EARA), et s’engagent à communiquer de manière ouverte sur l’expérimentation animale afin d’informer le grand public sur le rôle des tests sur les animaux pour l’amélioration de la santé, sur les préoccupations liées au bien-être animal et la prise en compte de celui-ci dans la recherche, et sur les efforts réalisés pour minimiser leur utilisation et développer de meilleures solutions alternatives.

ÉVALUATION DES PROJETS DE RECHERCHE PAR LES COMMISSIONS ÉTHIQUES

Le fonctionnement des commissions éthiques est transparent. D’une manière générale, les commissions envisagent divers critères. C’est le cas par exemple de la commission éthique de l’université belge de Namur, qui a signé l’accord de transparence. De nombreuses informations administratives ou légales sont demandées concernant les responsables du projet, le personnel impliqué, leurs formations légales respectives, les laboratoires agréés dans lesquels les études seront menées, les animaux utilisés (espèce, lignée, fournisseur, statut génétique, âge, sexe, poids) et les mesures de sécurité relatives au personnel. Les auteurs du projet de recherche doivent dans un premier temps résumer les connaissances actuelles disponibles dans les données publiées (état des lieux, état de l’art) afin de justifier la pertinence de la question de recherche posée, sur les plans scientifique, social, socio-économique, éducationnel ou environnemental. Puis ils doivent présenter de façon schématique l’étude qui sera menée (démarche expérimentale : matériel et méthodes) afin que les membres de la commission, qui ont des domaines d’expertise divers, perçoivent d’emblée le cours de l’expérimentation. Ensuite, ils doivent justifier le choix du modèle animal, notamment par des références scientifiques. Pour l’expérience envisagée, existe-t-il une ou des méthodes alternatives (sans recours aux animaux) dont la fiabilité est au moins équivalente ? Si oui, il est nécessaire de justifier pourquoi cette méthode alternative n’est pas utilisée. Il s’agit aussi de lister les sources d’information qui ont été consultées pour identifier les méthodes de substitution éventuelles. Des informations sont également demandées quant à l’endroit où auront lieu les expériences (nom du laboratoire, numéro d’agrément, localisation précise des différents locaux). Il convient de décrire les efforts pour améliorer le bien-être au quotidien et les types d’enrichissement choisis (moyens utilisés pour améliorer le confort et le bien-être de l’animal). Il s’ensuit une section très détaillée visant à décrire l’expérimentation (tableau 2 et photo 2).

CONCLUSION

La recherche scientifique en médecine équine utilise l’expérimentation animale. Elle est encadrée par une directive européenne. Les commissions d’éthique évaluent les projets préalablement. Le lecteur de publications portant sur des expérimentations sur l’âne et le cheval, pour en évaluer la qualité, les abordera avec le même esprit critique et s’interrogera sur les critères développés dans les articles de médecine factuelle proposés par PVE. Les auteurs des publications devraient idéalement faire référence à l’acceptation du protocole par une commission d’éthique, démontrer par le contenu de leur article qu’ils ont en effet évalué et assuré le bien-être des animaux à chacune des étapes expérimentales et utilisé le nombre adéquat d’animaux pour la question de recherche posée.

Références

  • 1. De Meeûs C, Buczinski S, Vandeweerd JM et coll. Considérer la taille de l’échantillon : pourquoi et comment ? Prat. Vét. Équine. 2016;192 (48):50-54.
  • 2. Dyson S. Problems associated with the interpretation of the results of regional and intra-articular anaesthesia in the horse. Vet. Rec. 1986;118 (15):419-422.
  • 3. Ford TS, Ross MW, Orsini PG. A comparison of methods for proximal palmar metacarpal analgesia in horses. Vet. Surg. 1989;18 (2):146-150.
  • 4. Getty R, Sowa JA, Lundvall RI. Local anesthesia and applied anatomy as related to nerve blocks in horses. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1956;128 (12):583-587.
  • 5. Keg PR, van den Belt AJ, Merkens HW et coll. The effect of regional nerve blocks on the lameness caused by collagenase induced tendonitis in the midmetacarpal region of the horse: a study using gait analysis, and ultrasonography to determine tendon healing. Zentralbl. Veterinarmed. A. 1992;39 (5):349-364.
  • 6. Schmotzer WB, Timm KI. Local anesthetic techniques for diagnosis of lameness. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 1990;6 (3):705-728.
  • 7. Vandeweerd JM. Traitement du mélanome : mener une approche critique des publications. Prat. Vét. Équine. 2023;218 (55):59-63.
  • 8. Vandeweerd JM. Stratégies pour une analgésie postopératoire lors de castration chez le cheval. Prat. Vét. Équine. 2024;221 (56):58-65.

Conflit d’intérêts

Aucun

ÉLÉMENTS À RETENIR

• Des études sur les chevaux et les ânes sont menées sur le mode expérimental, ex vivo ou in vivo.

• L’expérimentation animale est encadrée par un décret de l’Union européenne et les projets sont soumis à l’approbation de commissions éthiques.

• Les commissions veillent notamment à ce que le bien-être animal soit respecté à chacune des étapes de l’étude et que le nombre adéquat d’animaux soit utilisé.