Risques encourus par l’utilisateur d’un médicament vétérinaire destiné aux chevaux - Pratique Vétérinaire Equine n° 223 du 01/10/2024
Pratique Vétérinaire Equine n° 223 du 01/10/2024

Cahier pratique

Fiche thérapeutique

Auteur(s) : Sandrine ROUGIER*, Sylviane LAURENTIE**

Fonctions :
*Anses-ANMV 14 rue Claude Bourgelat CS 70611 35306 Fougères Cedex

Les risques associés à l’administration de médicaments aux équidés sont bien souvent sous-estimés, notamment par les détenteurs. Le vétérinaire doit veiller à ce que ces derniers soient correctement informés.

La France compte plus d’un million de chevaux et, à l’instar de ce qui est observé chez les autres espèces, le risque d’exposition humaine à des médicaments vétérinaires destinés aux équidés ne doit pas être négligé. Les détenteurs de chevaux se chargent en effet souvent eux-mêmes de dispenser les traitements prescrits lors de la consultation vétérinaire. Cette pratique les expose, ainsi que ceux qui se trouvent à proximité, à des produits dont ils n’ont que peu ou pas de connaissance préalable, ce qui peut avoir des conséquences sur leur santé. Or, le vétérinaire prescripteur reste seul responsable des soins délégués [1].

EXPOSITIONS ACCIDENTELLES

La base de pharmacovigilance vétérinaire française recense 2 833 cas d’affection humaine, dont 130 (4,6 %) consécutifs à l’utilisation d’un médicament destiné à un équidé. Les expositions accidentelles sont largement majoritaires (91 % des dossiers). Or, parmi celles-ci, seules 9 ont concerné un professionnel de santé animale. Le risque pour le détenteur d’équidés apparaît donc bien plus important que pour les vétérinaires, ces derniers étant indéniablement mieux formés aux mesures préventives.

Ingestions

La majorité des expositions accidentelles dans la filière équine concernent des ingestions (63 cas recensés). La confusion entre un médicament équin et celui destiné à l’humain est courante, même si les présentations en comprimés, forme galénique la plus à risque pour cela, sont rares pour cette espèce. Prascend® est ainsi le principal médicament impliqué (31 cas). En France, 10 cas, principalement chez des adultes, concernent un comprimé caché dans un fruit, du pain, ou dissous dans un liquide, stocké puis ingéré par un tiers (photo) [3]. Il en est de même pour certains antiparasitaires externes tels que Butox® 50 pour mille ou Sebacyl® 50 %, dilués et stockés dans des bouteilles mal ou pas identifiées. Des ingestions accidentelles de pâtes vermifuges sont également répertoriées, chez les enfants après la manipulation de la seringue (pleine ou usagée) et chez les adultes lors du débouchonnage de la seringue à la bouche.

Injections

Comme le cheval est un animal de grande taille, deux opérateurs sont souvent présents lors d’une injection, l’un assurant la contention pendant que l’autre injecte le médicament. Un risque existe donc pour chacun d’eux. Parmi les 15 cas d’injection accidentelle rapportés en France, seuls 6 ont concerné des vétérinaires. Un mouvement brusque de l’animal ou le décapuchonnage de l’aiguille sont à l’origine de l’injection accidentelle, souvent au niveau des mains ou des doigts. Les produits injectables équins peuvent aussi être confondus avec un médicament humain. Les vaccins pour chevaux sont les principaux concernés, car ils sont parfois conservés au réfrigérateur à côté des médicaments injectables destinés à l’humain.

Expositions cutanées et muqueuses

Les mains de l’utilisateur sont particulièrement exposées aux préparations liquides et/ou aux médicaments à usage externe (antiparasitaires, altrénogest) [2]. L’absence de gants, leur déchirure ou leur retrait peu précautionneux sont les principales causes de contact accidentel entre la peau de l’utilisateur et le médicament. Le risque de projection (sur le visage, les avant-bras, etc.) et d’inhalation semble surtout concerner les détenteurs d’équidés. La promiscuité avec l’animal lors du soin et la présence de vent lors de l’administration à l’extérieur augmentent ce risque. Les poudres orales (anti-inflammatoires) et les médicaments sous la forme liquide (antiparasitaires, altrénogest, anti-inflammatoires stéroïdiens) sont majoritairement impliqués dans ces cas, ainsi que les vermifuges lors de projection. Enfin, un contact rapproché avec l’animal qui vient d’être traité, avec un antiparasitaire notamment, peut entraîner des irritations cutanées (4 cas recensés). Le risque de confusion n’épargne pas les médicaments topiques puisqu’un cas de confusion entre une pommade humaine et un vermifuge équin est rapporté.

LE CAS DES ENFANTS

Bien que non-utilisateurs de médicaments vétérinaires en tant que tels, les enfants sont concernés par des cas de pharmacovigilance, même dans la filière équine. La base de données recense ainsi 18 cas chez des enfants, dont la moyenne d’âge est de 4,4 ans (2 à 13 ans). En raison du comportement exploratoire des très jeunes, les ingestions accidentelles sont les plus communément décrites (15 cas) et incriminent prioritairement Prascend® (10 cas). Un comprimé retrouvé à même le sol ou à portée de main en est la principale cause, mais parfois l’exposition se fait via le dispositif qui a permis l’administration du médicament (seringue notamment), non correctement nettoyé ou éliminé. La confusion entre les médicaments, par les parents cette fois-ci, ne les épargne pas non plus. Enfin, l’exposition par contact rapproché de l’enfant avec son animal, phénomène bien connu avec les espèces de compagnie, se révèle plus rare avec les chevaux, mais au moins 1 cas de réaction chez l’enfant est recensé, lié à un contact avec un poney traité préalablement avec un antiparasitaire externe.

PRÉVENIR AVANT TOUT

En 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses-ANMV) a diffusé différents supports de prévention en lien avec les médicaments destinés aux animaux de compagnie (1). Tous ces conseils restent applicables à la filière équine, même si quelques spécificités doivent être gardées en mémoire. Avant toute prescription, il est nécessaire de s’enquérir des éventuelles difficultés que risque de rencontrer la personne qui assurera les soins. La forme galénique doit ainsi être adaptée ou des passages réguliers du vétérinaire peuvent être proposés lorsque les soins sont difficiles à assurer pour le propriétaire. Conditions de vie du cheval, comportement et expérience de la personne en charge des soins sont à évaluer précisément. Une fois la prescription établie, il est nécessaire de bien former le détenteur aux actes et aux mesures préventives selon le médicament prescrit. Pour les formes orales, la prescription s’accompagnera d’un rappel des bonnes pratiques de conservation : les médicaments doivent être rangés dans leur emballage d’origine, regroupés au même endroit mais à l’écart de tout médicament humain, hors de la portée des enfants et dans des placards fermés à clé, particulièrement dans les centres équestres. Il convient d’informer les propriétaires sur les risques inhérents à une préparation du traitement à distance de son administration, notamment du délai entre la préparation et l’administration, de la quantité à préparer et de l’identification claire du traitement une fois prêt. Les médicaments conservés au réfrigérateur seront placés dans un endroit isolé et réservé de celui-ci, et correctement étiquetés. Les liquides sont à stocker dans un contenant évitant toute confusion (pas de bouteille en plastique réutilisée). Les médicaments injectables humains devront être clairement séparés des vaccins des équidés (boîte spécifique). Le port de gants, souples et résistants à la perforation par une aiguille, à la fois pour la personne tenant le cheval que pour celle effectuant l’injection, reste la meilleure mesure préventive pour toute injection. Le port de gants est aussi à envisager lors de la manipulation de tout médicament, quelle que soit sa forme galénique, le risque de passage de la barrière cutanée ne devant pas être négligé. Enfin, porter des lunettes de protection se révèle également efficace contre toute projection accidentelle dans les yeux. L’administration d’un médicament à un équidé peut en outre engendrer des mouvements incontrôlés de l’animal, potentiellement responsables d’un accident corporel pour l’utilisateur. Ces événements, rarement rapportés, font malgré tout partie du champ de la pharmacovigilance vétérinaire. Administrer un médicament à un équidé nécessite donc de bonnes connaissances de l’animal, des compétences et surtout de l’expérience. Des formations réalisées par les vétérinaires directement au sein des écuries sont en pleine expansion. Ce mouvement, initié par la British Equine Veterinary Association via de courtes vidéos (« Don’t break your vet ») et relayé notamment par l’Inrae et VetAgro Sup (formations au medical training), permet l’habituation des chevaux aux soins et aux procédures vétérinaires. Enfin, les mesures d’hygiène (un seau par cheval, isolement de l’équidé au moment de l’administration, nettoyage des mains après chaque traitement) restent primordiales.

Références

  • 1. Code de la santé publique (CSP), article L5143-4.
  • 2. Moriceau MA, Rougier S, Laurentie S. Utilisez les produits à base d’altrenogest avec précaution. Réussir Porc. 2019;272:30-31.
  • 3. Rougier S, Begon E, Demay F et coll. Prascend pour chevaux : alerte sur des cas d’ingestion humaine accidentelle. Dépêche Vét. 2021;1563:8.

Conflit d’intérêts

Aucun

Cette rubrique est réalisée en partenariat avec la commission Thérapeutique de l’Association vétérinaire équine française.