PODOLOGIE
Dossier
Pied
Auteur(s) : Laurent NIZOU*, Cécile NIZOU**
Fonctions :
*maréchal-ferrant
(meilleur ouvrier de France)
**maréchal-ferrant
La Forge du Part
route de Saint Laurent
18100 Vierzon
Le pied de l’âne est plus petit, plus droit et sa tournure diffère de celle du cheval, il est donc essentiel d’en tenir compte lors du parage ou d’une éventuelle ferrure. La corne peut être atteinte par plusieurs types de lésions.
L’âne joue toujours un rôle prépondérant dans les pays en voie de développement où il est utilisé comme animal de travail et de transport. En France aussi, l’âne a participé à de nombreux travaux dans différents secteurs, notamment dans l’agriculture jusqu’à la modernisation de celle-ci avec le plan Marshall. Aujourd’hui, s’il est encore utilisé pour le travail (maraîchage, par exemple), il est surtout détenu comme animal de loisir. Il peut être monté, attelé ou bâté, ce qui offre de nombreuses possibilités d’activités, dont certaines surprenantes comme l’endurance, le Trec, le concours complet ou le saut d’obstacles.
Bien qu’il ait la réputation d’être un animal rustique, ses pieds ne peuvent pas rester sans soins. La visite régulière d’un maréchal-ferrant s’impose, afin de lui garantir un pied sain et fonctionnel pour son bien-être et pour une meilleure utilisation (encadré).
Du point de vue anatomique, sa structure interne est quasi similaire à celle du pied du cheval : le nombre de feuillets de corne est de 350 chez l’âne et de 550 chez le cheval. Les particularités se situent notamment au niveau de la structure externe et du fonctionnement. Le pied de l’âne a une forme de U ou de lyre car les talons ressortent. Le pied est étroit et il est plus long que large. La pince est très arrondie, il n’existe quasiment pas de mamelle. Les quartiers sont droits, le sabot semble aplati sur les côtés (photo 1). La muraille est verticale. Vue de profil, la paroi en pince forme un angle qui peut aller jusqu’à 60° pour les pieds antérieurs et plus de 65° pour les postérieurs [1, 5, 9].
Le sabot de l’âne est pourvu d’une corne plus dure et plus résistante. Elle est très hydratée, épaisse, mais peu dense et possède une structure tubulaire particulière. La microstructure de la corne du sabot montre un complexe tubulaire incurvé dont la densité diminue de façon graduelle de l’extérieur vers l’intérieur, alors que chez le cheval, la diminution de densité se fait en escalier.
Ainsi, le pied de l’âne est plus déformable que celui du cheval et la kératine plus solide. Cette solidité est également liée au gradient hydrique qu’elle contient [7]. L’épaisseur de la paroi ne diminue pas vers les talons, mais reste constante sur tout le pourtour du pied. La sole est creuse et plus épaisse que chez le cheval. Les talons sont hauts. Les barres sont presque “verticales”. La différence entre le pied antérieur et le pied postérieur de l’âne n’est pas aussi marquée que chez le cheval. La tournure du postérieur est légèrement plus pointue en quartier.
L’âne travaille à allures lentes, le pas et le trot étant ses allures de prédilection. Il a une démarche frappée car l’amorti est moindre que chez le cheval. En effet, les talons ne s’ouvrent quasiment pas lors du poser du pied, donc ne permettent pas au sabot de s’évaser à chaque foulée. La fourchette entre peu en contact avec le sol et joue moins son rôle “d’amortisseur” [1].
L’âne est réputé pour avoir le pied sûr, ce qui lui permet d’être bien stable sur ses appuis et de rester en équilibre sur des sols accidentés. Pour cela, ses pieds doivent être sains et en bon état pour arpenter les chemins sans complications et en toute sécurité. Tout comme celui du cheval, le sabot pousse en permanence dans le sens de la hauteur, d’environ 1 cm par mois (selon les saisons, le climat, l’âge, la nourriture, etc.). S’il vit sous un climat sec, dans une pâture suffisamment accidentée, dure et caillouteuse, l’âne use naturellement cette corne. En revanche, stationné dans un pré humide et herbeux, qui favorise la pousse sans activer l’usure, il convient d’effectuer un parage régulier pour enlever l’excédent de corne, rectifier l’aplomb et garder un “beau” pied.
Un œil d’expert n’est pas nécessaire pour se rendre compte de la longueur excessive du sabot. Ceux de l’âne poussent surtout vers l’avant, en pince. La corne ne casse pas, le talon s’enroule rapidement, le pied se vrille et se déforme. Les ânes ont alors des pieds comme des babouches, longs, pointus et recourbés, qui les rendent infirmes. D’une manière générale, l’âne est plus souvent atteint par les déformations du sabot que le cheval, d’où l’importance d’un parage régulier. Les sabots des ânes sont souvent compromis par de plus ou moins graves erreurs commises par des pareurs peu ou pas assez compétents, voire par des professionnels trop pressés ou irrités par le comportement peu coopératif de l’animal [10]. La fréquence du parage dépend, comme pour les chevaux, de plusieurs facteurs (type de terrain, travail effectué, nourriture, âge, etc.), mais une intervention tous les 3 ou 4 mois est souhaitable, 3 mois étant l’intervalle idéal. Parer un âne n’est pas plus “difficile” que de parer un cheval, il convient juste de respecter la spécificité de son pied et de tenir compte des éventuelles malformations du sabot ou du membre.
Le parage commence par la sole qui est nettoyée en enlevant l’excès de corne pour lui rendre son aspect creux. Le maréchal-ferrant ne doit pas la laisser plate ou bombée afin que l’âne marche sur sa paroi et non sur la sole. La fourchette doit ensuite être taillée légèrement. L’excédent de corne est retiré et le maréchal-ferrant travaille sur la longueur de la pince. Il est impératif de vérifier la bonne qualité de la ligne blanche (recherche d’une nécrose) et de bien évaluer le pied pour détecter d’éventuelles lésions. Le maréchal s’occupe ensuite de redonner à la paroi son axe de la ligne blanche en rectifiant les éventuels évasements à la râpe (photos 2a à 2c).
Un pied très long, dit en babouche, constitue un sujet d’inquiétude pour le maréchal-ferrant (photos 3a et 3b). Le pied doit alors être paré par étapes, en attaquant d’abord la paroi puis en coupant l’excédent de corne en pince, tout en veillant à ne pas atteindre les parties vivantes (photos 4a et 4b). Ensuite, le parage peut être effectué de façon habituelle. Après ce premier parage, il convient de prévoir plusieurs interventions rapprochées (tous les 2 mois au maximum) pour effectuer à chaque fois des rectifications de la paroi afin d’essayer de retrouver un pied anatomiquement correct (photo 5). Les outils utilisés sont les mêmes que pour le parage d’un cheval et il est possible de se servir aussi de la meuleuse (avec le disque abrasif spécifique pour la maréchalerie) pour rectifier la pariétale si l’âne n’est pas craintif. Si la paroi est très dure et/ou en cas de longueur excessive de la corne, l’utilisation d’un rogne-pied bien affûté et d’une mailloche est indispensable. Le maréchal doit faire attention à ne pas blesser l’animal avec des outils, comme la râpe, qui sont parfois peu adaptés à ses petits pieds et à leur forme [3, 6, 11].
Les ânes peuvent présenter des déviations d’aplombs congénitales ou acquises. Physiologiquement, les aplombs sont particuliers et il est nécessaire d’en tenir compte lors du parage ou du ferrage. L’âne est souvent serré devant, mais aussi derrière. De nombreux ânes présentent des pieds panards (photos 6a à 6c). La morphologie du pied de l’âne le prédispose à l’encastelure. Le maréchal-ferrant doit respecter la hauteur du talon spécifique chez cet animal. Les talons ne doivent pas être laissés trop hauts lors du parage. Si l’âne est ferré, le maréchal doit bien ouvrir les fers en talon lors de l’ajustage [1].
Les pieds de l’âne sont plus exposés à certaines maladies liées à l’altération de la corne que ceux du cheval. L’étiologie est souvent multifactorielle, avec des facteurs génétiques ou alimentaires, un stress mécanique, une mauvaise maréchalerie et des conditions environnementales défavorables (saleté et humidité). Les conditions d’hébergement de l’âne (pâture humide, sols traités avec de l’engrais, litière sale, etc.) peuvent être responsables des affections de la boîte cornée ou constituer un facteur aggravant [6]. Si le suivi régulier du maréchal-ferrant permet d’entretenir correctement le sabot, il permet également de détecter d’éventuelles atteintes.
Le propriétaire d’un âne doit procéder au même entretien des pieds que pour un cheval (curer, graisser, soigner la fourchette, administrer de la biotine en cas de mauvaise qualité de la corne) et lui offrir autant que possible un environnement sec et propre. Pour y parvenir, l’âne doit être éduqué par son propriétaire, qui doit lui apprendre à rester à l’attache, à être manipulé et à donner ses pieds. Cela va en outre faciliter l’intervention du maréchal-ferrant ou du vétérinaire. Les affections du pied sont semblables à celles du cheval et se traitent de la même façon. Seuls les points “spécifiques” à l’âne sont précisés ci-après.
Les ânes sont souvent atteints de fourmilière, une affection caractérisée par la présence d’une matière grise ou blanche friable à la jonction entre la sole et la paroi. Le maréchal-ferrant doit être très vigilant à chaque parage pour la détecter précocement car, par rapport au cheval, elle se propage à grande vitesse si elle n’est pas traitée immédiatement. Les lésions peuvent s’étendre de façon très importante sur la circonférence du sabot et progresser en direction proximale vers la bande coronaire, souvent sans provoquer de boiterie. Dans les cas graves, des poches profondes d’où s’écoule un liquide noir et nauséabond peuvent être à l’origine d’une sensibilité à la pince à sonder et affecter la démarche. Les épisodes répétés de fourbure affaiblissent la jonction entre la sole et la paroi, ce qui constitue une voie d’accès idéale pour les champignons kératolytiques et les bactéries [6]. Une fois la fourmilière repérée, la paroi qui est décollée de la ligne blanche doit être enlevée pour stopper la propagation des micro-organismes qui évoluent en condition d’anaérobie (photos 7a à 7c).
L’abcès de pied est l’origine de boiterie aiguë la plus commune chez l’âne. Lors de l’emploi d’une pince à sonder pour le détecter, il convient de tenir compte du fait que le test est bien moins probant que chez le cheval. D’une part parce que l’âne est moins réactif à la douleur, donc lors de la pression avec la pince, il retire peu son pied, voire pas du tout. Et d’autre part parce que la sole est plus épaisse que chez le cheval. Par conséquent, le pus a tendance à se déplacer dorsalement sous la paroi du sabot et à remonter en couronne. Une fois l’abcès repéré, il convient de l’ouvrir, de bien le nettoyer et de le désinfecter [2]. Les soins sont parfois compliqués à mettre en œuvre pour certains propriétaires si l’âne n’est pas coopératif. Pour limiter, voire éviter ces soins, il est possible de poser un fer avec une plaque et un cataplasme (par exemple, Magic Cushion) ou de réaliser un pansement “durable” avec une bande cohésive ou une bande avec de la résine de type Equicast ou Hoofcast (photos 8a et 8b).
Si autrefois l’âne pouvait souffrir de fourbure de travail, aujourd’hui la principale cause est métabolique (notamment âne âgé et obèse). Lors d’une crise de fourbure, les signes cliniques sont discrets et passent souvent inaperçus des propriétaires : l’état général ne semble pas atteint, mais l’âne se déplace peu et reste souvent couché. Le report de poids sur les talons est moins flagrant que chez le cheval [8]. Cependant, l’affection étant douloureuse, le vétérinaire et le maréchal-ferrant doivent intervenir conjointement afin de le soulager de façon efficace et rapide. Le maréchal peut réaliser un parage adapté et mettre en place une ferrure orthopédique, une plaque, du silicone de soutien selon la gravité de la fourbure. Dans les cas de fourbure chronique, l’aspect extérieur du sabot peut être trompeur. L’évaluation de la dépression autour de la bande coronaire est compliquée par la position anatomique physiologique de P3, plus distale dans la capsule du sabot. Les signes cliniques de douleur sont souvent absents jusqu’à ce que des modifications anatomiques graves se produisent. L’examen radiographique constitue alors une étape essentielle dans la démarche diagnostique, permettant d’observer des changements typiques tels qu’un remodelage ou un repli de la pointe de P3, une déminéralisation du bord distal de P3, et un déplacement distal de P3 dans la capsule du sabot (photos 9a et 9b) [6]. Des séquelles permanentes sont possibles, rendant l’âne inapte au travail, voire à la reproduction en raison d’une démarche difficile. De plus, la ligne blanche étant abîmée, elle constitue une porte d’entrée prédisposant au développement d’abcès à répétition ou d’une fourmilière. Dans ces cas de figure, l’application d’un fer limite cette complication puisque la ligne blanche est protégée [6, 8].
Il s’agit d’une pododermatite du bourrelet, donc localisée au niveau de la couronne, anciennement appelée “le mal d’âne” (photo 10). La cause de son apparition n’est pas élucidée et sa guérison est très difficile. Il convient d’éviter tout traumatisme pouvant exacerber l’inflammation.
Il s’agit d’une pododermatite chronique hypertrophique, relativement rare chez les ânes. La collaboration avec le vétérinaire est indispensable pour essayer d’enrayer et de soigner cette maladie (photo 11).
Même si la corne est très dure et permet souvent à l’âne de travailler pieds nus, ferrer un âne est nécessaire dans certains cas, notamment pour les animaux qui se déplacent sur des terrains abrasifs, afin d’éviter une usure prématurée de la corne. De plus, lors de certaines affections, la ferrure est recommandée pour soulager la douleur, améliorer la locomotion et permettre une guérison plus rapide et efficace. Il est possible de ferrer un âne à chaud ou à froid, selon l’habitude de chaque animal. Il n’existe pas de fers spécifiques chez les fournisseurs. Il convient soit de les forger à partir d’un lopin, soit de transformer des fers mécaniques (photos 12a à 12c).
Le fer antérieur est étroit, il est caractérisé par une pince un peu plus rectiligne et des branches droites. Les éponges ressortent légèrement et doivent suivre l’axe des talons (photos 13a et 13b). Le relevé en pince est fortement conseillé, car il améliore l’amplitude de la foulée et facilite le départ du pied grâce à un effet de rolling, rendant ainsi la locomotion de l’animal plus confortable (photo 14). Il convient de laisser suffisamment de garniture sur le fer, sans excès toutefois, comme cela se faisait autrefois lorsque l’âne convoyait des charges lourdes sur des terrains accidentés. En effet, la garniture ainsi que la couverture du fer permettaient d’avoir une surface d’appui plus importante, donc une meilleure répartition des charges lors du poser du pied, davantage de stabilité afin d’éviter les chutes, les entorses du boulet, etc. [5]. Traditionnellement, le fer d’âne, lorsqu’il est forgé, est juste étampé et n’a pas de pinçon. Néanmoins, tout est envisageable. Il est également possible de forger les fers dans un lopin concave, de mettre des crampons, des cônes au tungstène selon la discipline pratiquée, ou si besoin des plaques, du silicone. Le brochage des clous doit se faire avec précaution. Il est rendu délicat par la corne dure mais peu dense et par la verticalité de la paroi. Les clous ne doivent être ni trop gros ni trop nombreux. Les difficultés de la ferrure découlent de la conformation particulière du pied. Il convient de bien respecter l’aplomb et d’ajuster le fer pour suivre la tournure du pied. Le principal défaut du maréchal “novice” est de ferrer l’âne comme un cheval, de mettre une tournure ronde alors que le pied ne l’est pas et d’adapter le pied au fer plutôt que le fer au pied.
Dans certains cas pathologiques, des fers orthopédiques, semblables à ceux destinés au cheval, peuvent être posés (fer à l’envers, fer branche couverte, etc.). Il est également possible d’appliquer des fers pour préserver la ligne blanche dégradée par une fourbure, solidifier le pied atteint d’une fourmilière ou le protéger lors d’un abcès, favoriser la pousse de la corne en limitant l’usure [4].
L’âne n’est pas un petit cheval. Il convient de connaître sa spécificité d’espèce et de respecter ses particularités anatomiques. L’âne a des pieds en forme de lyre, plus petits, plus droits et plus solides que ceux du cheval. Cependant, ils sont davantage exposés aux affections consécutives à l’altération de la corne. Un parage régulier se révèle par conséquent nécessaire pour prévenir l’apparition de ces atteintes et pour garantir des pieds sains et fonctionnels.
Aucun
Prendre en charge un âne peut paraître facile, surtout avec l’habitude de manipuler des chevaux ou des poneys. Néanmoins, l’âne n’est pas toujours docile ni coopératif, notamment lorsqu’il est « sauvage ». Il doit être attaché solidement avec un licol résistant, très court, à un mur ou à un arbre, afin d’éviter qu’il puisse se tourner dans tous les sens. L’âne doit être éduqué pour se tenir tranquille à l’attache, se laisser manipuler et donner ses pieds correctement. En présence de plusieurs ânes dans le pré, il convient de tous les attraper et de les attacher pendant la durée de l’intervention afin qu’ils soient rassurés par la présence des congénères, mais pas trop proches non plus. Il convient en outre de choisir un endroit dégagé et plat.
Le praticien doit adopter une approche prudente. Même s’il paraît plus petit et moins fort qu’un cheval, il convient de ne pas sous-estimer l’âne, car il peut décocher des coups de pied secs, rapides et orientés, voire mordre. L’âne est très réactif et malin.
Il peut se servir d’un postérieur pour taper lors du parage d’un antérieur. Lorsqu’un pied est tenu en l’air, l’âne se balance parfois fortement d’avant en arrière, se cabre ou s’assoit parce qu’il ne se sent pas en sécurité lorsqu’il n’a pas les 4 pieds posés au sol. Il est alors recommandé de lui demander de donner le pied calmement, de lui prendre délicatement en lui laissant le temps de trouver son équilibre tout en le maintenant fermement jusqu’à ce qu’il se calme, puis de se placer avec le corps appuyé contre lui.
Une attention particulière est recommandée si l’âne est entier. En effet, l’âne entier est territorial, c’est-à-dire qu’il défend son territoire. Il convient donc de l’attraper avec prudence et de le sortir de son champ, “son” territoire. L’âne attaque notamment en mordant son agresseur. Dans certaines conditions, il est indispensable de recourir à des méthodes de contention, comme tenir une oreille, mettre en place un tord-nez ou faire appel à un vétérinaire pour sédater l’animal.