Chirurgie
DOSSIER
Auteur(s) : Raymond PUJOL* (dipECVS)*, Céline MESPOULHÈS-RIVIÈRE** (PhD, dipECVS)**
Fonctions :
** Clinique équine de Provence
**715 chemin des Fourches
***13760 Saint-Cannat
****** Centre hospitalier universitaire vétérinaire des équidés,
*****École nationale vétérinaire d'Alfort
******7 avenue du Général de Gaulle
*******94700 Maisons-Alfort
Sur le terrain, le praticien doit assurer une bonne analgésie et organiser le transport en clinique de façon adaptée. Une intervention chirurgicale est envisageable dans des cas spécifiques.
Les fractures du bassin sont variées et classées selon l’os atteint (tuber coxae, aile de l’ilium, corps de l’ilium, ischium, pubis ou acetabulum). Les signes cliniques des fractures du bassin peuvent être d’intensité marquée (boiterie sévère, décubitus, hémorragies, etc.), mais une amélioration clinique rapide est parfois observée. Il est donc recommandé de tenter un traitement et de ne pas prendre de décision hâtive d’euthanasie, en dehors des cas où la configuration de la fracture exclut toute cicatrisation possible (comminution sévère articulaire) ou pour des raisons financières [8]. Cet article présente la prise en charge et la gestion en clinique d’un cas compliqué.
Le traitement des fractures de bassin, presque exclusivement conservateur, passe par la gestion de la douleur à la suite du traumatisme, une immobilisation au box et du nursing, voire une période d’hospitalisation dans un harnais pour limiter l’instabilité(1) [8]. Le traitement chirurgical est parfois envisagé, en particulier pour retirer des fragments lors de fractures ouvertes ou des séquestres lors de cas chroniques. Une réduction, avec la mise en place de fixateurs internes, peut être envisagée dans certaines configurations de fracture, surtout chez les poulains.
Certaines fractures aiguës du bassin engendrent un inconfort marqué, pouvant aller jusqu’à un décubitus chez un cheval incapable de se lever. Devant un tableau clinique laissant suspecter une fracture compliquée du bassin, le cheval doit être référé dans une clinique spécialisée afin de mettre en place des soins intensifs. Hormis une fracture de tuber coxae ou une fracture simple et non déplacée, toute autre suspicion de fracture du bassin peut être considérée comme compliquée.
Le vétérinaire peut investiguer la fracture sur le terrain au préalable, notamment via une palpation et une échographie transrectales, ainsi qu’une échographie du bassin par voie externe, l’objectif étant d’évaluer l’os atteint, le degré de déplacement, d’instabilité et de comminution, et les lésions des tissus mous environnants. L’intérêt dans l’urgence est d’exclure une fracture du corps de l’ilium afin de déterminer le risque lié au transport jusqu’à la clinique [9]. En effet, dans certains cas, un vaisseau majeur (souvent l’artère iliaque interne) peut être lacéré par le trait de fracture, déclenchant un saignement intense associé à un hémopéritoine ou à un hématome au niveau de la cuisse susceptible d’entraîner la mort du cheval (photo 1) [8]. Ainsi, lors d’une suspicion de fracture compliquée du bassin, il est recommandé de réduire au minimum les déplacements du cheval, y compris en empêchant qu’il se couche, afin de limiter le risque de lacération de vaisseaux.
Le cheval peut être sédaté à l’aide de détomidine (à la dose de 0,01 mg/kg) ou de romifidine (à raison de 0,02 mg/kg), associée ou non à du butorphanol (à la dose de 0,01 mg/kg). En parallèle, un traitement analgésique est administré pour contrôler la douleur durant la période aiguë (anti-inflammatoires non stéroïdiens, opioïdes). En cas de choc hypovolémique identifié dû à une hémorragie importante, une transfusion peut être indiquée avant le transport du cheval.
Certains auteurs déconseillent le transfert en clinique d’un cheval présentant une fracture complète du corps de l’ilium en raison du risque de saignement incoercible [9]. Dans tous les cas, les fractures du bassin ne peuvent pas être immobilisées et il est déconseillé de mettre une attelle, quelle qu’elle soit, car cela pourrait majorer la gêne du cheval lors de son déplacement, alourdir le membre postérieur atteint et augmenter l’effet de levier sur la région proximale [6]. En pratique, il faut éviter que le cheval se couche pendant le déplacement, favoriser un moyen de transport équipé d’un pont arrière et d’un pont avant permettant un déchargement sans faire reculer l’animal, et rouler le plus doucement possible [1]. Il existe également des ambulances spécialisées en France (Horse Emergency, par exemple) qui se chargent de déplacer le cheval soutenu dans un harnais (photo 2). L’utilité de ce type de transport est démontrée en cas de fracture du bassin [2]. Une sédation pendant le transport peut être indiquée, selon le protocole précédemment décrit.
Dans certaines configurations de fractures du bassin, un traitement chirurgical est indiqué. Néanmoins, il manque de vastes études sur le sujet, car dans les données publiées, seuls quelques cas sont rapportés.
Les fractures fermées du tuber coxae sont généralement traitées de manière conservatrice, alors qu’un traitement chirurgical peut être indiqué en cas de fracture ouverte et comminutive. L’intervention consiste en un débridement de la fracture et un retrait des fragments sous sédanalgésie sur un cheval debout. Dans une étude incluant 29 cas de fracture du tuber coxae, seulement 2 ont nécessité un traitement chirurgical [3]. Une suture en trois plans est ensuite réalisée avec la mise en place d’éventuels points de tension par-dessus la plaie suturée pour limiter le risque de déhiscence. Dans certaines configurations de fractures fermées, le fragment du tuber coxae qui est toujours déplacé ventralement peut être irrégulier et traumatique pour la peau. Un retrait du fragment ou une amputation du bord osseux traumatique sont alors effectués dans un second temps, à l’aide d’une scie oscillante [7].
La majorité des fractures de l’ilium sont traitées de manière conservatrice (photo 3). L’abord chirurgical consistant à stabiliser la fracture par une fixation interne est indiqué pour des cas d’instabilité importante, avec des abouts qui font protrusion axialement et risquent de lacérer l’artère iliaque interne, ou qui diminuent le diamètre du canal pelvien chez des juments destinées à la reproduction [4]. Néanmoins, aucun cas de traitement chirurgical n’est rapporté chez le cheval adulte et la réduction par une fixation interne ne s’est montrée efficace que chez le poulain [8]. Cette réduction consiste en la pose de deux plaques verrouillées, ou locking compression plates (LCP), pour fixer les abouts de l’ilium [4]. Une réduction anatomique parfaite n’est pas nécessaire pour avoir un succès chirurgical dans les cas de fracture non articulaire [8]. En revanche, une attention particulière doit être portée lors du forage des trous des vis à travers l’ilium, car il existe un risque de ponction du rectum ou de lésion des artères iliaques [4]. Le traitement chirurgical des fractures du bassin chez les poulains est réservé aux cas qui présentent un déplacement marqué et pour lesquels une carrière athlétique est souhaitée [8].
Concernant les fractures acétabulaires, bien qu’une approche chirurgicale soit possible chez les poulains ou les chevaux miniatures, aucun cas de succès chirurgical par reconstruction n’est rapporté à notre connaissance [8]. Le traitement de ce type de fracture est donc conservateur, à l’exception du retrait de fragments articulaires par arthroscopie de l’articulation coxo-fémorale [4]. Cette intervention est réalisée sous anesthésie générale en décubitus latéral et l’arthroscope est inséré entre les portions craniale et caudale du grand trochanter, 2 cm proximalement au trochanter palpable (au niveau de la fosse intertrochantérique) [5]. Cette approche permet une visualisation des récessus cranial et caudal et, selon la localisation des fragments, une porte instrumentale peut être effectuée cranialement ou caudalement au grand trochanter. Chez les chevaux de plus de 400 kg, l’utilisation d’un arthroscope de taille adaptée (supérieure à celle des arthroscopes classiquement utilisés pour les autres articulations) est nécessaire pour accéder à l’articulation [5]. Ce type d’intervention est complexe et demande du temps, avec un succès chirurgical incertain lié au risque d’instabilité articulaire [5].
Une ostectomie de la tête fémorale peut aussi être une solution en cas de fracture acétabulaire ou de la tête du fémur, afin de traiter ou de prévenir l’apparition d’une arthrose coxo-fémorale douloureuse. Elle est assortie d’un pronostic favorable pour la vie au pré chez les poneys pesant moins de 100 kg, en particulier s’ils sont âgés de moins de 12 mois [4]. Comme cela est rapporté dans certaines publications et d’après l’expérience des auteurs, cette option thérapeutique peut être envisagée chez des poneys de taille supérieure (jusqu’à 150-160 kg) et il est recommandé de la présenter aux propriétaires.
Lorsque l’os est contaminé, par exemple en cas de fracture ouverte, d’une lacération retardée de la peau ou d’un autre milieu contaminé (vagin, rectum), il est possible d’observer l’apparition d’un séquestre, c’est-à-dire d’un fragment osseux nécrotique, détaché d’une portion d’os saine. Le retrait de ce séquestre via un débridement local peut être indiqué une fois la fracture consolidée, généralement après plusieurs mois de traitement [7]. Du matériel imprégné d’antibiotique (polyméthylméthacrylate ou PMMA, plâtre de Paris) peut aussi être utilisé localement pour augmenter la concentration locale en antibiotique. Le PMMA et le plâtre de Paris affichent une bonne biocompatibilité. Leur différence réside dans le fait que le plâtre de Paris est résorbable, alors que le PMMA ne l’est pas et libère des antibiotiques sur une durée plus longue. Ces cas de contamination peuvent être complexes à résoudre, en raison de l’abord parfois difficile des séquestres lorsqu’ils sont localisés très en profondeur (encadré).
La gestion sur le terrain de cas compliqués de fracture de bassin passe par une prise en charge de la douleur et une investigation de la configuration de la fracture, afin de pouvoir référer et déplacer le cheval dans les meilleures conditions. L’hospitalisation dans une clinique équipée d’un système de harnais, visant à empêcher le cheval de se coucher pendant la formation du cal osseux, est fortement recommandée. Bien que le traitement soit essentiellement médical, une intervention chirurgicale est indiquée dans certains cas. Elle a pour objectif soit de stabiliser la fracture avec des implants, notamment chez le poulain, soit de retirer des fragments lors d’une fracture aiguë ouverte ou des séquestres en cas de lésion chronique.
Encadré
Un cas de fracture de l’ischium droit chez une jument âgée de 16 ans a été suivi par les auteurs en 2020 (photos 4 à 9).
Diagnostic
La lésion initiale est une fracture ouverte, comminutive et déplacée de la tubérosité et de l’arcade ischiatiques à droite, d’origine traumatique, associée à une lacération vaginale. Le diagnostic est établi via une palpation vaginale, une échographie de l’ischium par les voies externe et transrectale, et un examen radiographique.
Traitement
Un débridement chirurgical de la fracture est pratiqué, permettant le retrait de plusieurs fragments osseux. Un orifice de drainage déclive est réalisé et des soins de la plaie vaginale sont effectués, permettant une cicatrisation par seconde intention de la lacération. La jument reçoit initialement un traitement anti-inflammatoire par voie intraveineuse à base de flunixine méglumine (à la dose de 1,1 mg/kg deux fois par jour), puis un relais est pris par voie orale avec de la phénylbutazone (initialement à raison de 2,2 mg/kg deux fois par jour, puis à dose dégressive durant 3 semaines). Un traitement conservateur, incluant l’immobilisation de la jument à l’aide d’un hamac, est instauré durant 2 mois. Une antibiothérapie (triméthoprime-sulfamide par voie orale, à la dose de 5 mg/kg de triméthoprime deux fois par jour) est mise en place, puis stoppée en raison de l’existence d’une infection due à des bactéries multirésistantes (Escherichia coli et Staphylococcus aureus), ce qui motive la prise de mesures de gestion spécifiques (isolement). La plaie évolue favorablement et à la sortie d’hospitalisation les consignes comprennent une surveillance et l’attache au box debout pendant encore 1 mois, ainsi que des soins locaux de la plaie à l’aide de miel.
Suivi
La jument est représentée 7 semaines plus tard en raison de la réouverture de l’orifice de drainage déclive créé initialement. La présence d’un séquestre osseux est suspectée par le vétérinaire traitant. Les examens d’imagerie démontrent l’évolution favorable de la fracture médiale de la tubérosité ischiatique droite. En revanche, un hématome en cours de résorption, avec une zone linéaire hyperéchogène entourée d’une zone anéchogène qui se prolonge 5 à 8 cm distalement, est identifié à l’échographie. Cette image est compatible avec la présence d’un séquestre osseux ou d’un corps étranger, situé en regard du site de fracture de l’arcade ischiatique droite et probablement à l’origine du trajet fistulaire visualisé.
Après un repérage échographique, le trajet fistulaire paravaginal ainsi qu’un fragment osseux et des débris nécrotiques sont retirés chirurgicalement par dissection autour de la fistule, à travers les muscles semi-membraneux et semi-tendineux, jusqu’au contact de l’ischium. Un implant résorbable (plâtre de Paris imprégné de gentamicine à la dose de 20 mg/g) est placé au contact de l’os, avant la fermeture de la plaie en quatre plans et la réalisation d’un orifice de drainage déclive. Un nouvel examen bactériologique permet d’identifier Staphylococcus aureus toujours multirésistant, et Streptococcus equi zooepidemicus sensible à l’association triméthoprime-sulfamide. Une antibiothérapie à base de ces deux molécules est alors mise en place durant 3 semaines par voie orale.
La plaie évolue favorablement par la suite, les propriétaires rapportant à 6 mois une excellente récupération fonctionnelle, avec cependant la persistance d’une petite fistule déclive.
Références
1. Fürst AE. Emergency treatment and transportation of equine fracture patients. In: Equine Surgery, 4th ed. Elsevier. 2012:1015‑1025.
2. Fürst AE, Keller R, Kummer M et coll. Evaluation of a new full-body animal rescue and transportation sling in horses: 181 horses (1998-2006). J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2008;18(6):619-625.
3. Dabareiner RM, Cole RC. Fractures of the tuber coxa of the ilium in horses: 29 cases (1996-2007). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2009;234(10):1303-1307.
4. Ducharme NG, Nixon AJ. Fractures of the pelvis. In: Equine Fracture Repair, 2nd ed. Wiley-Blackwell. 2020:723‑733.
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6. Mudge MC, Bramlage LR. Field fracture management. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2007;23(1):117-133.
7. Pilsworth RC, Ramzan PHL. Fractures of the pelvis. In: Fractures in the Horse. Wiley-Blackwell. 2022:697-714.
8. Richardson DW, Ortved KF. Femur and pelvis. In: Equine Surgery. Eds. Auer JA, Stick JA, Kümmerle JM and Prange T. 5th ed. Elsevier. 2018:1777‑1789.
9. Wright IM. Racecourse fracture management. Part 3: Emergency care of specific fractures. Equine Vet. Educ. 2017;29(9):500-515.
Résumé
Selon l’os atteint, les fractures du bassin peuvent présenter un risque vital pour le cheval traumatisé, notamment en cas de lacération d’un vaisseau majeur de la filière pelvienne. Un diagnostic précoce associé à une prise en charge adéquate sur le terrain permet de limiter ce risque. Des systèmes de harnais peuvent être utilisés, lors du transport et à l’écurie ou en clinique. La plupart des fractures sont à traiter de façon conservatrice, avec une immobilisation prolongée et l’administration d’anti-inflammatoires et d’analgésiques. Pour certains cas, une intervention chirurgicale est requise, en particulier lorsque le retrait de fragments osseux ou le débridement de séquestres est nécessaire. Rarement, des techniques spécifiques (fixation interne, exérèse de la tête fémorale) peuvent être envisagées.
Mots clés
Fracture, bassin, harnais, chirurgie, séquestre, cheval.
Summary
Pelvic fractures can be life-threatening for the traumatised horse, depending on the bone involved, especially if a major vessel in the pelvic gut is lacerated. Early diagnosis combined with appropriate management in the field can limit this risk. Sling systems can be used, both during transport and at the stable or the clinic. Most fractures should be treated conservatively, with prolonged immobilisation and the administration of anti-inflammatory and analgesic drugs. Surgery is required in some cases, particularly when removal of bone fragments or debridement of sequestration is necessary. Rarely, specific techniques, such as internal fixation or femoral head removal, may be considered.
Keywords
Fracture, pelvis, harness, surgery, sequestration, horse.