Qu’est-ce qu’une fièvre chez le cheval et comment y faire face ? - Pratique Vétérinaire Equine n° 0215 du 09/09/2022
Pratique Vétérinaire Equine n° 0215 du 09/09/2022

FICHE INTRODUCTION

DOSSIER

Auteur(s) : Jean-Luc CADORÉ* *, Coralie LUPO****

Fonctions :
**Université de Lyon, VetAgro Sup, campus vétérinaire de Lyon
**Pôle équin
***69280 Marcy-l’Étoile
****** Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe)
*****2 rue Nelson Mandela
******14280 Saint-Contest

Bien que parfois bénigne et autorésolutive, la fièvre doit alerter l’entourage du cheval. Selon le contexte épidémiologique et clinique, une prise en charge plus ou moins rapide doit être envisagée. Elle inclut des mesures limitant une éventuelle contagiosité.

La fièvre (ou syndrome fébrile) définit une augmentation de la température corporelle accompagnée d’un abattement, d’une anorexie, d’une tachycardie et d’une tachypnée (photo 1). Elle est due à un dérèglement du thermostat hypothalamique, lequel est engendré par des substances pyrétogènes exogènes (toxines bactériennes notamment) et/ou endogènes (libérées par de nombreux types cellulaires intervenant lors de processus inflammatoires). Il s’agit d’une réponse de défense de l’organisme qui relève de la réaction inflammatoire vis-à-vis de certains agents pathogènes. Elle s’oppose à la simple hyperthermie entraînée par une dysrégulation des mécanismes périphériques de perte et/ou de production de chaleur, indépendamment de la commande hypothalamique (coup de chaleur, tumeurs du système nerveux, hypermétabolisme, éclampsie, convulsions).

Peu de termes, dans le vocabulaire médical, peuvent recevoir autant de qualificatifs : la fièvre, en particulier en médecine humaine, est gratifiée de plus d’une centaine d’entre eux, parmi lesquels les plus utilisés en médecine vétérinaire sont : “isolée”, c’est-à-dire qu’aucun symptôme n’est noté en dehors de ceux du syndrome fébrile ; “associée”, en présence d’autres signes cliniques ; “autorésolutive”, lorsqu’elle disparaît sans intervention thérapeutique ; “chronique”, car évoluant depuis plusieurs semaines ; “récurrente”, donc caractérisée par des accès de fièvre à répétition ; “rémittente”, définie par des variations toujours au-dessus de la valeur usuelle maximale de température corporelle ; “d’origine indéterminée”, quand aucune cause n’est identifiée malgré toutes les investigations réalisées.

Une fièvre isolée correspond donc bien à un syndrome puisqu’il s’agit d’une entité pathologique sans identité étiologique et cette situation, souvent observée par le vétérinaire comme seul motif de consultation, est finalement assez souvent rencontrée en pratique courante.

Mécanismes d’apparition

Le thermostat hypothalamique fonctionne de façon simple : il détermine l’homéothermie. Son élévation provoquée par une stimulation engendre une sensation de froid de l’organisme et explique les signes cardinaux observés chez l’homme, dominés par les frissons qui sont censés produire de la chaleur pour se réchauffer. L’évolution des symptômes correspond à l’augmentation de la température imposée par le thermostat (effervescence), puis au maintien de cette augmentation (plateau), enfin au retour à la normale de la valeur imposée par le thermostat (défervescence) [2].

L’intervalle physiologique de température chez le cheval se situe entre 37,2 et 38,3 °C [3]. Chez le poulain nouveau-né (6 premiers mois de vie), la température physiologique peut atteindre 38,9 °C sans que cela soit considéré comme une hyperthermie.

Le mécanisme à l’origine de la fièvre est la production de pyrétogènes. Il s’agit de petits polypeptides comme l’interleukine 1 et 6 (IL-1, IL-6), le tumor necrosis factor (TNF) et l’interféron (IFN), produits en réponse à différentes molécules, parmi lesquelles les agents infectieux ou les toxines. Ces pyrétogènes vont entrer en contact avec la seule partie du système nerveux central qui est dépourvue de barrière hémato-encéphalique (organum vasculosum de la lamina terminalis de l’hypothalamus). Au moment de cette rencontre, des prostaglandines E2 sont produites, induisant une augmentation de la “valeur seuil” hypothalamique. C’est pour cette raison que les animaux atteints de fièvre présentent des frissons, puisque tous les mécanismes utiles à la conservation de la chaleur sont activés, en réponse à l’augmentation de la valeur seuil. De la même façon, tous les mécanismes utiles à la dissipation de la chaleur seront activés seulement si la température va au-delà de la nouvelle valeur seuil (figure) [4].

Le plus souvent, la fièvre ne dépasse pas 40,5 °C car l’organisme est capable de produire des antipyrogènes, tels que l’IL-10 et les glucocorticoïdes endogènes, alors que l’hyperthermie atteint des températures corporelles variant entre 40,5 et 43 °C.

Reconnaissance d’un syndrome fébrile

Reconnue ou suspectée en première intention par le détenteur du cheval, cette élévation de la température corporelle est d’abord confirmée par une première prise de température rectale, puis à nouveau au cours des 2 heures qui suivent, tout en notant les éventuelles manifestations cliniques qui l’accompagnent. Sollicité par téléphone, le vétérinaire ou son secrétariat doit indiquer de récupérer des urines dans la mesure du possible et de surveiller l’état d’hydratation, tout en assurant un abreuvement correct. Aucune mesure de refroidissement, en l’absence de situation pouvant évoquer un coup de chaleur, ne doit être prise dans l’attente de la consultation. La première consultation vétérinaire devra statuer sur la nature de ce syndrome fébrile : s’agit-il d’un syndrome isolé sans aucun autre signe clinique ? L’état général et le contexte épidémiologique permettent-ils de respecter cette hyperthermie, en laissant à penser qu’elle peut être autorésolutive ? À l’inverse, tout peut porter à croire qu’il s’agit de la première expression d’une maladie systémique : actuelle épizootie de maladies respiratoires virales ou contexte épidémiologique et géographique justifiant soit une suspicion de maladie due à des agents pathogènes sanguins (susceptible d’être corroborée par une première analyse d’urine en faveur de signes d’hémolyse), soit une suspicion de complications à la suite d’une infection streptococcique antérieure.

Le praticien doit absolument tenir compte du contexte épidémiologique et du mode de vie du cheval. Il existe de nombreuses maladies à l’origine d’un syndrome fébrile dans l’espèce équine : les maladies infectieuses respiratoires virales et bactériennes, les maladies induites par des hémopathogènes, les infections localisées intracavitaires, articulaires ou cutanées, les maladies immunologiques et les néoplasies bien que plus rares que chez les carnivores domestiques (tableau). Ainsi, même devant un épisode isolé, il est important d’évoquer une fièvre des transports ou le début d’un accès clinique d’anémie infectieuse.

La suspicion de maladies respiratoires virales majeures ou bactériennes doit être évoquée dès l’observation d’un seul syndrome fébrile chez un cheval, dans un effectif ou dans un centre d’entraînement, justifiant la recherche des organismes pathogènes responsables par des méthodes d’amplification moléculaire (analyse par polymerase chain reaction, PCR) tout en réalisant un prélèvement de sang qui servira de référence pour d’éventuels tests sérologiques ultérieurs. Dans les zones géographiques où les vecteurs des organismes hémopathogènes sont présents, lors d’un syndrome fébrile isolé chez un cheval vivant seul ou non, la suspicion de babésiose, de theilériose ou d’anaplasmose peut être émise. L’évolution doit être surveillée via une courbe de température, l’observation de symptômes spécifiques, la réalisation d’une analyse d’urine, d’une numération formule sanguine (NFS) et d’une mesure de la concentration de la protéine sérique amyloïde A (SAA) ou du fibrinogène.

Pour de nombreuses maladies infectieuses systémiques, le syndrome fébrile correspond à l’incubation. En aucun cas le praticien ne doit avancer une hypothèse sans réelle démonstration de la relation de causalité. Face à un résultat positif d’identification de telle ou telle parasitose ou infection bactérienne via un diagnostic moléculaire ou sérologique, son raisonnement doit tenir compte du fait que des chevaux infectés par certains agents pathogènes persistants, mais asymptomatiques, peuvent présenter un syndrome de fièvre induit par d’autres agents pathogènes parmi une longue liste bien identifiée dans l’espèce équine.

Prise en charge initiale

  • Si dans un premier temps aucune prise en charge thérapeutique causale n’est instaurée, le vétérinaire devra toujours demander, sur une période à déterminer suivant l’évolution de la symptomatologie, la réalisation d’une courbe de température selon un rythme lui aussi dépendant du contexte clinique et du degré d’inquiétude concernant la gravité de l’affection suspectée (encadré). Les options du praticien sollicité pour un syndrome fébrile sont :
    - d’en déterminer l’origine dans la mesure du possible ;
    - de choisir de ne rien faire pour respecter l’évolution spontanée qui peut être bénéfique ;
    - de n’instaurer qu’un traitement symptomatique pour soulager l’animal en sachant néanmoins que cela peut rendre plus difficile la reconnaissance de signes nécessitant d’aller plus loin dans la démarche diagnostique ;
    - de mettre en place un traitement causal de façon probabiliste en fonction du contexte, face à une forte suspicion d’affection, tout en veillant à ne pas proposer une antibiothérapie déraisonnable [1, 6].

Le traitement de refroidissement

Au vu du mécanisme pathogénique, un traitement de refroidissement externe est formellement contre-indiqué. Le centre de thermorégulation “programmé à la hausse” à la suite de l’action des pyrogènes est à l’origine de la mise en place de mécanisme d’augmentation de la température corporelle. Un traitement de refroidissement externe entraînerait donc une réaction de l’organisme qui chercherait à maintenir cette température élevée, donc une consommation accrue d’énergie, délétère pour l’animal. La seule exception est la détection d’une température supérieure à 41,5 °C mettant la survie en jeu. Le refroidissement (douches) est alors réalisé sur une courte période et avec modération.

Anti-inflammatoires non stéroïdiens

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont le traitement symptomatique de la fièvre le plus souvent employé : ils permettent le retour à une thermorégulation normale, sans agir sur la production de substances pyrétogènes. En inhibant les enzymes cyclooxygénases, donc la production de prostaglandines E2 entre autres, ils induisent leur effet antipyrétique. L’établissement d’un diagnostic est conseillé avant l’administration d’AINS et, dans tous les cas, le choix de la molécule à utiliser doit être raisonné, car certains peuvent masquer les symptômes, ralentir le diagnostic, reporter la mise en place du traitement causal et fausser le suivi. Comme la fièvre ne met pas la vie de l’animal en danger à court terme, il est généralement possible de prendre le temps d’établir le diagnostic.

Le traitement causal

Le traitement de la fièvre doit être, dans l’idéal, un traitement causal qui dépend de l’affection suspectée ou reconnue. La proposition d’un traitement spécifique anti-infectieux doit être réfléchie et justifiée en fonction notamment des données cliniques, des examens complémentaires, du contexte épidémiologique en général, de la connaissance de l’existence de cas de maladie par les réseaux d’épidémiosurveillance. Dans les cas d’une fièvre d’origine inflammatoire non infectieuse possiblement immunologique, l’utilisation de corticoïdes est indiquée, de façon variable selon l’organe ou le système atteint. Parfois, le traitement est chirurgical (foyer infectieux, néoplasie).

Niveaux d’alerte

  • Il est possible de proposer différents niveaux d’alerte par rapport à la prise en charge et/ou à l’évocation diagnostique sur le plan épidémiologique :
    - alerte rouge : possibles maladies infectieuses très contagieuses, maladies dues à des hémopathogènes dont l’évolution peut être grave, maladies infectieuses causées par des dangers sanitaires, infections localisées notamment intracavitaires, organiques ou de l’appareil locomoteur. Dans ces cas, leur évocation diagnostique est indispensable et la prise en charge doit être immédiate ;
    - alerte orange : affections immunologiques, inflammatoires non immunologiques et non infectieuses, processus néoplasiques. Pour ces affections, la prise en charge n’est pas forcément immédiate ;
    - alerte verte : fièvres autorésolutives, bien que récidivantes dans certains cas.

Conclusion

Lorsqu’il est appelé pour un cheval présentant de la fièvre, le praticien doit s’assurer qu’aucun événement extérieur n’explique l’augmentation de la température corporelle. Si l’animal est stable et pas dans un état critique, il est parfois préférable de respecter la fièvre car celle-ci représente un mécanisme de défense naturelle, notamment lors de phénomènes infectieux. La décision de la traiter ou non doit être réfléchie selon l’état clinique du cheval. La liste des hypothèses étiologiques de nature infectieuse (virales, bactériennes générales ou localisées, parasitaires dont les hémopathogènes sanguins) doit toujours tenir compte du contexte épidémiologique et du mode de vie du cheval concerné. Ainsi, le choix des investigations biologiques et leur interprétation sont à raisonner sur la base d’une véritable relation de causalité entre les résultats obtenus et les signes cliniques observés dans un contexte particulier. Les mesures mises en œuvre dépendent des suspicions émises. Néanmoins, si un cas se manifeste au sein d’un effectif, il convient de toujours le considérer comme le premier d’une maladie potentiellement contagieuse, pouvant même constituer un véritable danger sanitaire, pour limiter une éventuelle épizootie.

Encadré

Mesures à mettre en place en cas de fièvre isolée

Selon le contexte épidémiologique et clinique, son expérience et ses habitudes, le praticien veillera à :

  • - isoler le cheval de façon optimale pour l’observer et limiter la possible contagiosité ;

  • - respecter si possible la fièvre et l’observer notamment en réalisant une courbe de température (deux prises par jour) ;

  • - instaurer un traitement symptomatique avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens ;

  • - rechercher des agents pathogènes classiques responsables de maladies respiratoires hyperthermisantes ;

  • - ne pas négliger l’hypothèse d’une affection due à un hémopathogène selon l’environnement et la répartition géographique des vecteurs (prélèvements sanguins pour réaliser un examen de frottis, recherche moléculaire de l’agent pathogène ou mesure du titre en anticorps en fonction des antécédents) [4] ;

  • - envisager, ne serait-ce que pour éliminer ces hypothèses, l’anémie infectieuse, la fièvre de West Nile, les fièvres induites par les transports et/ou des situations de stress [4].

Références

1. Chadufaux C, Valon F, Cadoré JL. Attitude du praticien face à une hyperthermie : résultats d’une enquête épidémiologique. Nouveau Prat. Vét. Équine. 2010;6:31-34.

2. Desjardins I, Cadoré JL. Étiologie et pathogénie de l’altération de la température corporelle chez le cheval. Prat. Vét. Équine. 2004;36:7-12.

3. Hines MT. Clinical approach to commonly encountered problems. In: Equine Internal Medicine. Reed SM, Bayly WM, Sellon DC. 2018:232-310. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7158300/#b0010

4. Klein BG. Thermoregulation. In: Cunningam’s Textbook of Veterinary Physiology. 5th ed. Elsevier, St. Louis, Missouri. 2013:559-568.

5. Mair TS, Taylor FG, Pinsent PJ. Fever of unknown origin in the horse: a review of 63 cases. Equine Vet. J. 1989;21(4):260-265.

6. Tenedos S, Cadoré JL. Conduite à tenir face à une fièvre d’évolution chronique apparemment isolée chez le cheval adulte. Nouveau Prat. Vét. Équine. 2010;6:6-14.

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