Subluxations et luxations du doigt : diagnostic, pronostic et prise en charge conservatrice - Pratique Vétérinaire Equine n° 0214 du 30/06/2022
Pratique Vétérinaire Equine n° 0214 du 30/06/2022

Pathologie locomotrice

DOSSIER

Auteur(s) : Charlotte PAINDAVEINE, *, Michael SCHRAMME (dipECVS, dipACVS)**

Fonctions :
*Clinéquine de VetAgro Sup, campus vétérinaire de Lyon, 1 avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile
**Conflit d’intérêts
***Aucun

La suspicion clinique est confirmée à l’imagerie, le plus souvent grâce à un examen radiographique. L’immobilisation rapide et complète de l’articulation est fondamentale pour améliorer le pronostic sportif et vital du cheval.

La subluxation d’une articulation est définie comme la perte partielle de contact entre deux surfaces articulaires (la congruence), parfois intermittente. La luxation, quant à elle, est une perte totale de contact entre les deux surfaces articulaires [4, 9]. Les subluxations et les luxations sont majoritairement le résultat d’un traumatisme caractérisé par la perte d’intégrité d’un ligament collatéral [4, 7]. Ces lésions peuvent être la conséquence directe d’exercices à grande vitesse, mais aussi survenir chez un cheval au pré. Ces incidents peuvent donc affecter des chevaux de n’importe quelle race et dans toutes les disciplines.

Il existe plusieurs types de subluxations et de luxations selon les directions dans lesquelles les os se déplacent les uns par rapport aux autres. Dans le cas des subluxations et des luxations du pied, du paturon et du boulet, il s’agit d’un déplacement des phalanges, du métacarpe ou du métatarse par rapport à leurs alignements physiologiques initiaux. Ces alignements physiologiques sont modifiés dans un plan frontal ou sagittal (figure). Les déplacements des phalanges, du métacarpe ou du métatarse peuvent être accompagnés de lésions capsulo-ligamentaires, tendineuses ou ostéocartilagineuses. La précocité du traitement et l’efficacité de l’immobilisation mise en place au niveau de l’articulation atteinte ont une influence sur les pronostics sportif et vital du cheval (tableau 1).

Subluxations et luxations de l’articulation interphalangienne distale

L’articulation interphalangienne distale (AIPD) joue un rôle majeur dans le fonctionnement du pied. Des modifications dans l’angulation et dans les mouvements de l’AIPD permettent au pied de s’adapter notamment à des changements de terrain, des déséquilibres au niveau du pied et aux mouvements dans différentes directions [5]. Une étude a évalué que le degré de flexion/extension de l’AIPD lors d’une foulée au trot s’élève à 47 +/- 4° en moyenne, et que c’est donc une articulation à haute amplitude de mouvement [5].

Les cas de subluxation et de luxation de l’AIPD sont rares et peu décrits dans les données publiées. En effet, la boîte cornée est rigide et diminue donc le déplacement des structures qu’elle renferme (phalange distale, os naviculaire). Les lésions de subluxation et de luxation de l’AIPD se produisent généralement par rapport au plan frontal (photo 1). Les (sub)luxations palmaires de l’AIPD sont les plus communes et se réfèrent à la position de la phalange moyenne relative à la position de la phalange distale [3]. Elles sont habituellement le résultat d’une rupture partielle ou complète du tendon fléchisseur profond du doigt (TFPD), généralement secondaire à une plaie pénétrante au niveau de la gaine digitale, en particulier sur l’aspect palmaire ou plantaire du creux du paturon. Une plaie pénétrante au niveau de la surface solaire du pied (due à un clou de rue par exemple) peut également entraîner une rupture du TFPD. La rupture de ce tendon peut être consécutive à une lacération aiguë ou la conséquence d’une nécrose progressive du tendon à la suite d’une infection secondaire à la plaie. Une rupture du TFPD peut aussi se manifester comme une complication de la névrectomie digitale distale, surtout lorsque le TFPD est déjà compromis avant l’intervention chirurgicale : le fait d’appliquer une charge de travail normal sur un tendon déjà lésé, en l’absence de sensation de douleur et donc de boiterie, peut conduire à une élongation excessive puis à une rupture du tendon (photo 2) [8]. Certains facteurs de risque prédisposent à cette complication, comme l’existence d’adhérences entre le TFPD et la bourse naviculaire ou l’os naviculaire, ou encore la présence de larges lésions ou minéralisations dans le TFPD. Cependant, d’autres causes sont également décrites, parmi lesquelles une rupture congénitale des tendons extenseurs communs du doigt, des infections de l’AIPD menant à une thrombose vasculaire et à une nécrose de la capsule articulaire, une lésion de la capsule articulaire et une entorse articulaire sévère [7].

En ce qui concerne le plan sagittal du membre, la stabilité est assurée par les ligaments collatéraux. La rupture traumatique ou une desmite sévère d’un de ces ligaments entraînent une (sub)luxation latérale ou médiale. Les desmites semblent affecter plus fréquemment le ligament collatéral médial des membres antérieurs [6].

Diagnostic clinique et par l’imagerie

Un cheval atteint d’une (sub)luxation de l’AIPD présente une boiterie visible au pas. La déformation externe au niveau de l’AIPD n’est pas toujours observable et varie selon l’étiologie. Une luxation palmaire de l’AIPD due à une rupture du TFPD est généralement associée à une boiterie sévère avec suppression d’appui (même en cas de névrectomie), un gonflement important des tissus mous et une élévation en pince du pied. Lors d’un déplacement latéral ou médial de la phalange moyenne relatif à la phalange distale, la boiterie est sévère dans les cas aigus, et modérée à sévère dans les cas chroniques selon le degré d’arthrose consécutive présente. Un gonflement en regard du ligament collatéral lésé est parfois observé, ainsi qu’une distension synoviale de l’articulation interphalangienne distale.

Les examens complémentaires d’imagerie permettent d’établir un diagnostic précis et d’évaluer la présence de lésions concomitantes importantes pour émettre un pronostic et envisager un plan thérapeutique. La radiographie permet de détecter facilement une luxation articulaire permanente. Plusieurs vues radiographiques sont cependant nécessaires pour exclure des lésions associées comme des fractures, qui affecteraient le pronostic vital et sportif [4, 9]. S’il s’agit d’une subluxation ou d’une luxation intermittente, le diagnostic radiographique peut être plus complexe à établir.

Les clichés sont à réaliser avec le cheval à l’appui sur le membre affecté puis à comparer avec ceux du membre controlatéral. La vue latéro-médiale est la plus adaptée pour diagnostiquer une subluxation dorsale ou palmaire/plantaire de l’AIPD, alors que la vue dorso-palmaire met en évidence une subluxation latérale ou médiale. L’espace articulaire apparaît augmenté de façon asymétrique en cas de subluxation. Des radiographies “en contrainte” peuvent appuyer le diagnostic et permettre d’évaluer l’intégrité des tissus mous périarticulaires tels que les ligaments collatéraux, afin de mettre en évidence un élargissement asymétrique de l’espace articulaire. Ces clichés sont réalisés avec le membre du cheval au soutien et une force appliquée sur l’articulation dans une direction latéro-médiale ou dorso-palmaire pour déterminer si les segments osseux se positionnent de manière anormale les uns par rapport aux autres [4, 9]. Une autre technique consiste à laisser seulement la moitié de la surface solaire du pied en appui et d’évaluer si l’espace articulaire s’ouvre davantage du côté qui n’est pas à l’appui.

Dans tous les cas de (sub)luxation, un examen échographique des tissus mous de la partie distale du paturon est indiqué afin de visualiser un épaississement, une lésion ou un déplacement dorsal d’un ligament collatéral ou du TFPD qui en indiquent la rupture [4]. D’autre part, dans certains cas de subluxation de l’AIPD, les lésions au niveau des ligaments collatéraux et la perte de contact au niveau des surfaces articulaires ne peuvent être mises en évidence que lors d’un examen d’imagerie par résonance magnétique, car les deux tiers distaux de ces ligaments se situent distalement au bourrelet coronaire (photos 3a à 3c).

Traitement conservateur et pronostic

Puisque l’AIPD est une articulation à haute amplitude de mouvement, il n’est pas possible qu’elle retrouve une fonction normale après une (sub)luxation. L’objectif du traitement est donc d’assurer un niveau de stabilité articulaire offrant un confort acceptable au cheval pour une retraite au pré.

La prise en charge immédiate des subluxations de l’AIPD dues à une rupture du TFPD est primordiale et consiste en une immobilisation de l’articulation. Ces lésions peuvent être traitées par la mise en place d’un plâtre englobant le pied en flexion et le paturon pendant 4 à 6 semaines. La solution alternative à ce traitement est la pose d’une ferrure orthopédique mettant l’AIPD en flexion avec une talonnette de 12°. Après le premier mois avec un plâtre ou une ferrure orthopédique dotée d’une élévation des talons de 12°, le traitement se poursuit par l’application de fers orthopédiques permettant une réduction progressive de l’élévation des talons de 3° chaque mois. Ainsi, les talons sont élevés de 9° lors du deuxième mois, de 6° lors du troisième mois, et de 3° lors du quatrième mois. Après 4 mois, le fer orthopédique peut être remplacé par un fer plat avec des extensions palmaires/plantaires, tel qu’un fer en œuf ou un fer à queue de poisson, afin de garder le pied à plat sur le sol et de limiter l’élévation de la pince lors de la phase d’appui, dans l’espoir que le tissu fibreux de cicatrisation du TFPD fournisse une stabilité articulaire suffisante. Dans les cas où le traitement conservateur n’offre pas un confort convenable au cheval pour une retraite au pré, une arthrodèse chirurgicale, avec un montage comportant une plaque et deux vis transarticulaires, peut être réalisée(1).

Lors d’une subluxation latérale ou médiale aiguë, le traitement est le même, avec la mise en place d’un plâtre à plat pendant 6 semaines et du repos strict au box pendant 3 mois. En revanche, une instabilité chronique entraîne souvent une arthrose sévère avec une douleur persistante, qui peut être maîtrisée seulement avec une arthrodèse chirurgicale.

Le pronostic lors de (sub)luxation de l’AIPD ne permet pas un retour à l’activité sportive et reste réservé pour une survie confortable. Le pronostic vital avec une traitement conservateur est plutôt bon pour les luxations dans le plan sagittal, tandis qu’il est plus réservé pour celles dans le plan frontal car la gestion conservatrice est plus difficile.

Subluxations et luxations de l’articulation interphalangienne proximale

Contrairement à l’AIPD, l’amplitude de mouvement de l’articulation interphalangienne proximale (AIPP) est faible, avec une moyenne de flexion/extension lors d’une foulée au trot qui s’élève à 14 +/- 4° seulement [5]. Les subluxations et les luxations de l’AIPP se produisent, de même, dans plusieurs plans : en direction dorso-palmaire/plantaire par rapport au plan frontal et en direction latéro-médiale par rapport au plan sagittal. Les termes “dorsal, palmaire/plantaire, médial et latéral” font référence à la position anormale de la phalange proximale relative à la position de la phalange moyenne [3].

Les subluxations de l’AIPP ne sont pas fréquentes [3, 9]. Cependant, dans un rapport, elles sont à l’origine de 21 % des cas nécessitant une arthrodèse de l’AIPP [3]. La majorité des (sub)luxations de l’AIPP sont le résultat d’une entorse traumatique sévère ou d’une hyperextension de l’articulation accompagnée d’une perte d’intégrité ligamentaire, tendineuse ou osseuse. Les tissus mous atteints sont le plus souvent les ligaments collatéraux, les ligaments sésamoïdiens, le scutum moyen, le ligament suspenseur du boulet et les branches du tendon fléchisseur superficiel du doigt [3, 4, 9]. En effet, un relâchement de l’appareil suspenseur du boulet peut entraîner une subluxation dorsale de l’AIPP due au manque de tension dans les brides du ligament suspenseur du boulet qui stabilisent l’AIPP dorsalement. Typiquement, les trotteurs ou les galopeurs atteints de desmites progressives, sévères et chroniques du ligament suspenseur du boulet sont les plus à risque [9].

Une forme de subluxation dorsale liée au développement peut être observée chez les jeunes chevaux et poneys (jusqu’à 5 ans), principalement au niveau des membres postérieurs [3, 4, 9]. Ce type de subluxation est secondaire à des déformations en flexion et d’autres affections du développement de l’appareil locomoteur comme les contractures des tendons fléchisseurs chez les poulains à croissance rapide [3]. La subluxation peut se présenter bilatéralement [4]. Une subluxation dorsale de l’AIPP est rapportée chez 3 chevaux âgés de 5 mois à 4 ans, due à une contracture modérée du TFPD sans contraction compensatoire du tendon fléchisseur superficiel du doigt [9]. Lorsque les membres pelviens sont atteints, l’affection est généralement associée à une conformation, c’est-à-dire avec les angles des jarrets et des grassets plus droits (chevaux droit-jointés) [3]. Une forme idiopathique et intermittente de subluxation dorsale de l’AIPP existe également. Elle est observée à la suite d’un appui réduit sur le membre, dû à une affection touchant une autre zone de ce même membre.

Une (sub)luxation palmaire ou plantaire est le résultat d’une perte complète des tissus mous palmaires ou plantaires supportant l’AIPP (rupture d’une et de plusieurs structures conjointement). Les fractures bilatérales des éminences palmaires/plantaires de la phalange moyenne entraînent également une perte de l’alignement articulaire [3]. Les subluxations palmaires ou plantaires peuvent aussi être observées chez les poulains qui présentent une laxité des tendons fléchisseurs et dont l’activité n’est pas restreinte, ou chez ceux qui sautent d’une hauteur excessive et abîment les structures du support palmaire/plantaire [3]. Les subluxations et luxations latérales et médiales sont souvent la conséquence d’un traumatisme sévère à l’origine de lésions de la capsule articulaire et des ligaments collatéraux, par exemple chez un cheval qui se coince le pied dans une grille ou un piège, se débat et tombe, ou un cheval qui présente une lacération associée à une rupture des ligaments collatéraux.

Diagnostic clinique et par l’imagerie

De manière générale, les boiteries associées aux subluxations de l’AIPP sont moins sévères que celles liées à des fractures [1]. Dans le cas d’une (sub)luxation dorsale à la suite d’un traumatisme, la boiterie est tout de même marquée et la déformation dorsale externe de l’AIPP évidente. À l’observation, un malalignement pathologique entre les phalanges proximale et moyenne est visible au niveau du gonflement dorsal. Si la (sub)luxation de l’AIPP persiste, la déformation dorsale du paturon sera permanente. L’articulation peut être fléchie indépendamment du boulet [9].

Un cheval souffrant d’une subluxation dorsale de forme idiopathique peut sembler normal au repos. Cependant, dans certains cas, la zone correspondante au contour dorsal de l’AIPP (dans la région dorsale du paturon) apparaît gonflée quand le membre est regardé de profil [3, 4, 9]. Lors du mouvement, la boiterie est absente ou légère [3, 9]. Un déplacement anormal dorsal de la partie distale de la phalange proximale peut survenir de façon intermittente au pas et disparaître lorsque le cheval prend appui sur le membre atteint. Aux allures supérieures, aucune anomalie n’est habituellement observée. À la palpation, un son typique de “clic” accompagne parfois la réduction de l’AIPP chez les chevaux présentant une subluxation dorsale de forme idiopathique [3].

Les chevaux atteints d’une (sub)luxation palmaire/plantaire présentent une boiterie très marquée lors de la phase aiguë allant jusqu’à la suppression d’appui. Cette boiterie peut persister avec le temps au pas. La face dorsale du paturon apparaît concave plutôt que droite. Dans les cas chroniques, les glomes peuvent descendre en contact avec le sol et une hyperextension excessive du paturon, avec descente du boulet, est observée lorsque le cheval marche [3].

Les signes cliniques associés à une luxation médiale ou latérale de l’AIPP due à une déchirure d’un ligament collatéral sont évidents. Les chevaux affectés sont, la plupart du temps, en suppression d’appui ou nettement boiteux au pas. Un gonflement du paturon et une déformation du membre peuvent être notés [3, 4, 9]. Une rotation manuelle ou un mouvement médial/latéral des phalanges permettent d’identifier l’instabilité et de déceler la douleur [3, 9].

Comme pour l’AIPD, l’examen radiographique, avec au moins quatre vues orthogonales, est fondamental pour le diagnostic des subluxations et des luxations de l’AIPD, mais aussi pour identifier d’éventuelles fractures dans le cadre d’une lésion traumatique. Dans le cas des subluxations chroniques, des signes d’ostéoarthrose s’installent autour de l’AIPP : des ostéophytes et des lésions osseuses peuvent être observés au niveau des enthèses des ligaments sésamoïdiens droits ou des ligaments palmaires de l’AIPP, au niveau des phalanges proximales et moyennes. La mise en contrainte de l’articulation se révèle nécessaire pour identifier l’instabilité dans certains cas. Un examen échographique est également utile pour évaluer l’intégrité des tissus mous, mais peut être délicat lors d’œdème important concomitant.

Traitement conservateur et pronostic

L’objectif du traitement des (sub)luxations de l’AIPP est le retour à la fonction athlétique puisqu’il s’agit d’une articulation à faible amplitude de mouvement. Dès lors, le maintien du mouvement complet de l’AIPP n’est pas nécessaire pour recouvrer une fonction normale du membre.

Le traitement de choix pour toute forme de (sub)luxation traumatique de cette articulation est une arthrodèse chirurgicale. Un traitement conservateur avec coaptation externe, à l’aide d’une résine ou d’une attelle de type Kimzey, peut être tenté chez les chevaux adultes lors d’une prise en charge rapide (tableau 2). Cette coaptation externe est réalisée sur un animal tranquillisé ou sous anesthésie générale après la réduction de la (sub)luxation. Néanmoins, l’instabilité de l’AIPP rend difficile le réalignement des phalanges (photos 4a et 4b). Par conséquent, le membre atteint reste très douloureux dans une résine et il existe des risques importants d’escarre et de fourbure du membre controlatéral. L’instabilité articulaire entraîne en outre une ostéoarthrose secondaire responsable d’une boiterie persistante [3]. Le traitement conservateur est donc rarement choisi puisqu’il ne permet pas, ou rarement, d’obtenir un confort acceptable pour le cheval, ni un retour à la normale de l’articulation. Cependant, lorsqu’il est mis en place sans complications, il est possible d’envisager une retraite au pré pour le cheval. Lors de cas chroniques de (sub)luxation, la fibrose de l’AIPP malalignée peut rendre l’intervention de réalignement impossible. La décision d’un traitement chirurgical par arthrodèse doit donc être prise rapidement pour éviter ces complications [3].

Concernant les subluxations dorsales intermittentes idiopathiques sans boiterie apparente, un traitement conservateur peut être mis en place et se montre souvent efficace car la subluxation est un phénomène secondaire à un autre trouble locomoteur. Les chevaux avec une conformation droite bilatérale des membres postérieurs affectés par une subluxation dorsale répondent relativement bien à une prise en charge incluant des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens, un parage, et un programme de convalescence avec un exercice contrôlé [3]. Ces subluxations se résolvent lorsque le cheval travaille et se muscle. Dans les cas de subluxations associées à une tension excessive du TFPD chez les jeunes chevaux, une résection du chef médial du TFPD peut être réalisée [3]. De manière générale, le pronostic pour une survie confortable est sombre avec un traitement conservateur. Le pronostic pour un retour à l’activité sportive est bon lors du traitement chirurgical par arthrodèse, sauf en présence d’une desmite chronique du ligament suspenseur du boulet.

Subluxations et luxations de l’articulation métacarpophalangienne ou métatarsophalangienne

Similairement à l’AIPD, l’articulation métacarpophalangienne/métatarsophalangienne (McP/MtP) est une articulation à haute amplitude de mouvement. Sa stabilité est assurée par les ligaments collatéraux, chacun composé d’une portion superficielle, qui prend son origine au niveau de la fosse épicondylaire du troisième os métacarpien ou métatarsien (MC III ou MT III) et s’étend distalement jusqu’à la phalange proximale, et d’une portion profonde, qui prend son origine au même endroit mais s’étend disto-palmairement ou disto-plantairement jusqu’à l’insertion sur l’éminence palmaire ou plantaire de la phalange proximale [1]. Les subluxations et les luxations de cette articulation peuvent se produire en direction latéro-médiale par rapport au plan sagittal et dorso-palmaire par rapport au plan frontal.

Les (sub)luxations latérales ou médiales de l’articulation McP ou MtP sont occasionnelles et peuvent affecter les chevaux de toute race et de tout âge [3, 9]. Elles sont habituellement associées à une desmite chronique ou à une entorse traumatique sévère avec la rupture d’un ligament collatéral (médial ou latéral) [3, 9]. Ces luxations sont parfois accompagnées d’une fracture d’avulsion à l’origine ou à l’insertion de ces ligaments (fractures articulaires du condyle ou de l’éminence palmaire/plantaire) ou au niveau de la capsule articulaire [3]. Ces lésions surviennent fréquemment lorsque le cheval se coince le pied entre deux objets fixes ou marche dans un trou, au moment où il essaie de se libérer. Elles sont aussi rapportées lors d’une activité à grande vitesse (course, concours complet, rodéo) ou après une collision avec un objet [3]. Les luxations ouvertes sont également associées aux accidents de van [1].

Diagnostic clinique et par l’imagerie

Les signes cliniques sont marqués et permettent de différencier ce genre de lésions d’une fracture : lors de la palpation du boulet, l’articulation peut être réduite et reluxée sans évoquer le même degré de douleur ou les crépitations associés aux fractures. Le plus fréquemment, le gonflement induit est moins marqué et plus localisé. Bien que les structures vasculaires ne soient souvent pas atteintes, la manipulation doit être délicate, particulièrement dans le cas de luxations ouvertes [3].

Une déformation angulaire de type varus (déviation latérale du troisième métacarpe/métatarse et médiale du pied) ou de type valgus (déviation médiale du troisième métacarpe/métatarse et latérale du pied) est régulièrement présente (photos 5a et 5b) [3]. Occasionnellement, la luxation se réduit spontanément et les seules preuves de sa présence sont la boiterie, l’instabilité articulaire et le gonflement dans la région du ligament collatéral lésé. Si la luxation est réduite immédiatement après la blessure, certains chevaux sont seulement faiblement boiteux et peuvent même apparaître sains au pas [3]. L’articulation peut de nouveau se luxer à n’importe quel moment si elle n’est pas stabilisée, jusqu’à ce que le gonflement et la douleur la protègent [3]. Cependant, même avec une boiterie très marquée, l’articulation apparaît parfois normalement alignée lors de la phase d’appui. L’instabilité peut alors seulement être détectée lors de la manipulation de l’articulation en contrainte avec le membre au soutien [9]. Typiquement, l’articulation se reluxe lorsque le boulet est fléchi et mis en abduction du côté de la lésion [3]. Comme pour les deux autres articulations, les examens d’imagerie, notamment la radiographie et l’échographie, permettent d’établir le diagnostic.

Traitement conservateur et pronostic

Le traitement conservateur des luxations simples fermées de l’articulation McP/MtP peut être remarquablement efficace en restaurant sa fonction normale. Un réalignement de l’articulation et une stabilisation par coaptation externe sont primordiaux pour permettre au ligament collatéral atteint de cicatriser par la formation d’un tissu fibreux. Après la réduction de la luxation, l’alignement axial du membre peut être maintenu grâce à un plâtre ou une résine jusqu’à la guérison. Il est préférable de réduire la luxation et de mettre en place la résine sous anesthésie générale et en décubitus latéral [1, 3]. La réduction de la luxation est en principe facile et le plâtre est ensuite appliqué de façon à inclure le pied et à s’étendre sous le carpe ou le tarse. Le plâtre est maintenu en place pendant 6 semaines avec un repos strict au box. Après son retrait, un bandage de support avec attelle et un exercice très limité au pas sont recommandés pendant 6 semaines supplémentaires. Une stabilisation immédiate de l’articulation permet parfois une cicatrisation sans ou avec le développement minimal d’une ostéoarthrose. À défaut de celle-ci, la luxation évolue le plus souvent vers une ostéoarthrose et une boiterie persistante sévère [3].

Les luxations aiguës ouvertes peuvent également être traitées de manière efficace. Cependant, un débridement des tissus articulaires contaminés et nécrotiques doit être réalisé avant l’immobilisation. L’articulation est lavée et des antibiotiques comme l’amikacine ou la gentamicine sont introduits dans la cavité synoviale si besoin. Il est également recommandé de réaliser des perfusions intraveineuses locorégionales avec des antibiotiques appropriés [3]. Si l’articulation est peu contaminée et qu’elle est traitée rapidement, une suture avec apposition des tissus mous est recommandée. Un plâtre est ensuite mis en place et retiré 4 à 7 jours plus tard pour réexaminer la plaie, et la décision concernant le type de cicatrisation (première ou deuxième intention) est prise selon l’aspect de la lacération. Le plâtre est nécessaire pour un temps minimal de 6 semaines et le cheval doit rester au repos complet au box. Un traitement médical à base d’antibiotiques à large spectre et d’anti-inflammatoires est également entrepris [3].

Une publication décrit le suivi de 10 chevaux présentés pour des luxations ouvertes : 7 d’entre eux ont pu être utilisés pour l’élevage et 1 était non boiteux au travail monté [10]. Cependant, le pronostic reste réservé jusqu’au constat que l’infection de l’articulation et l’ostéoarthrose dues au traumatisme n’ont pas entraîné de complications. Le pronostic sur le long terme pour ce genre de cas dépend du traumatisme initial. Un examen radiographique pratiqué 3 ou 4 mois après l’atteinte peut être nécessaire pour affiner le pronostic [2, 3, 10].

Les cas de blessures chroniques et/ou graves, comme une rupture traumatique de l’appareil suspenseur du boulet, une luxation associée à une fracture extensive ou le développement d’une ostéoarthrose sévère en regard de l’articulation, devraient être traités chirurgicalement avec une arthrodèse du boulet [3]. Pour tout type de (sub)luxations de l’articulation McP ou MtP, le pronostic athlétique est réservé à nul. En revanche, celui associé aux luxations simples du boulet est bon pour une mise à la reproduction.

Une dégénérescence articulaire est une séquelle inévitable couplée à une boiterie. Le développement d’une ostéoarthrose de l’AIPP a également été observée, présumée secondaire au traumatisme à l’origine de la luxation du boulet. Certains chevaux peuvent toutefois être utilisés pour le loisir ou l’élevage [4].

Conclusion

Il est important qu’une subluxation ou une luxation des articulations AIPD, AIPP et McP/MtP soit envisagée dans le diagnostic différentiel chez les chevaux qui présentent un gonflement, une boiterie, ou une déformation à l’extrémité distale du membre. L’anamnèse et les signes cliniques permettent de restreindre la liste des affections potentielles et les examens d’imagerie, en particulier la radiographie, confirment le plus souvent les suspicions de (sub)luxation. Une prise en charge rapide du cheval, avec une immobilisation complète de l’articulation, est nécessaire pour améliorer le pronostic sportif et vital. Selon le cas, le praticien devra opter pour un traitement médical ou chirurgical.

Références

1. Auer J, Stick J, Kümmerle J et coll. Equine Surgery, 5th ed. Elsevier. 2019:1576-1610.

2. Balaam TM, Miller S. Severe open metacarpophalangeal joint luxation in a mule foal. Equine Vet. Educ. 2007;19:528-531.

3. Baxter G. Adams and Stashak’s Lameness in Horses, 6th edition. Wiley-Blackwell. 2011:568-616.

4. Butler J, Colles C, Dyson S et coll. Clinical Radiology of the Horse, 4th ed. Wiley-Blackwell. 2017:91-204.

5. Clayton H, Sha D, Stick J et coll. 3D kinematics of the interphalangeal joints in the forelimb of walking and trotting horses. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2007;20:1-7.

6. Dyson SJ, Murray R, Schramme M et coll. Collateral desmitis of the distal interphalangeal joint in 18 horses (2001-2002). Equine Vet. J. 2004;36(2):160-166.

7. Farrow CS. Veterinary Diagnostic Imaging - The Horse. Elsevier, Missouri. 2006:46-109.

8. Leise BS. Complications of surgery of the equine foot. In: Complications in Equine Surgery. Eds Rubio-Martinez LM, Hendrickson DA. Wiley-Blackwell. 2021:667-682.

9. Ross M, Dyson S. Diagnostic and Management of Lameness in The Horse, 2nd ed. Elsevier. 2011:177-1232.

10. Yovich J, Turner A, Stashak T et coll. Luxation of the metacarpophalangeal and metatarsophalangeal joints in horses. Equine Vet. J. 1987;19:295-298.

Résumé

Les subluxations et les luxations du pied, du paturon et du boulet ne sont pas fréquentes. Elles peuvent cependant affecter les chevaux de toutes races indépendamment de leur discipline ou activité, en raison de leur étiologie variée. Les subluxations et les luxations des articulations peuvent se produire dans différents plans : en direction médiale ou latérale par rapport au plan sagittal, et en direction dorsale ou palmaire/plantaire par rapport au plan frontal. Le pronostic et le traitement dépendent des dommages associés.

Mots clés

Luxation, articulation interphalangienne proximale, articulation interphalangienne distale, articulation métacarpophalangienne, articulation métatarsophalangienne, cheval

Summary

Diagnosis, prognosis and conservative management of digital subluxations and luxations

Subluxations and luxations of the foot, pastern and fetlock are not common. Horses of all breeds regardless of discipline or activity can be affected, because of the varied aetiology of the condition. Subluxations and luxations of the joints can occur in different planes, that is, medial or lateral to the sagittal plane, and dorsal or palmar/plantar to the frontal plane. The prognosis and treatment depend on the associated damage.

Keywords

Luxation, distal interphalangeal joint, proximal interphalangeal joint, metacarpo/metatarso-phalangeal joint, horse.

  • (1) Voir l’article “Gestion chirurgicale des subluxations et des luxations du doigt par arthrodèse : indications, principes et pronostic” dans ce même dossier.
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