FICHE THÉRAPEUTIQUE
CAHIER PRATIQUE
Fiche thérapeutique
Auteur(s) : Claire SCICLUNA
Fonctions :
*Clinique du Plessis
**60300 Chamant
***Conflit d’intérêts
****Aucun
En matière de cellules souches, des idées reçues et des incompréhensions circulent encore. Des réponses simples s’imposent pour ce traitement innovant.
Depuis toujours, le cheval est l’objet de recherches cliniques et d’innovations thérapeutiques, notamment au profit de l’appareil locomoteur. Les cellules souches sont sans nul doute l’un des traitements innovants du moment chez le cheval, pour la médecine régénérative des affections ostéoarticulaires (encadré) [4, 6]. Deux médicaments à base de cellules souches mésenchymateuses (CSM) ont obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne (Arti-Cell Forte® et HorStem®) et un laboratoire est labellisé BPF (“bonnes pratiques de fabrication”) pour la fourniture de cellules néonatales thérapeutiques (Vetbiobank) [4, 9].
Face à l’essor des nouveaux traitements, l’engouement ou la réticence vis-à-vis de l’innovation ne doit pas prendre le pas sur le bien-fondé de la prescription, basée sur le diagnostic vétérinaire, la connaissance du mode d’action et le respect du protocole du produit à utiliser.
Il n’existe pas pour le moment de méthode standard pour la production des cellules souches, même si Revatis y travaille. La reproductibilité parfaite des lots est impossible, mais différentes étapes de fabrication sont incontournables :
- prélèvement des cellules à partir de tissus d’origine diverse (moelle osseuse, cordon ombilical, tissu, sang périphérique, tissu adipeux) autologue ou allogénique [3, 5, 8] ;
- culture in vitro pour l’amplification et l’obtention d’une quantité suffisante de cellules ;
- récolte en vue de l’administration au receveur.
L’idée reçue selon laquelle les cellules souches régénèrent le cartilage par un effet de type “greffe” persiste dans les esprits et suggère que les CSM, une fois injectées, agiraient par une action locale sur le tissu cible en y adhérant, se spécialisant selon son type et régénérant les zones lésées par une multiplication locale. La réalité démontrée par les études les plus récentes est tout autre, puisque l’adhésion cellulaire des CSM in situ n’est que de 2 % et leur différenciation in vivo encore inférieure [12]. Le mécanisme d’action réside dans la capacité des CSM à interagir avec les cellules locales et à exercer l’immunomodulation de la réaction locale.
Après l’intégration et l’activation par l’environnement inflammatoire (présence des cytokines IL1, IL6, et du facteur de nécrose tumorale TNFα), elles ont une activité paracrine anti-inflammatoire, via la sécrétion de facteurs et de médiateurs à effet anti-inflammatoire in situ sur les cellules voisines. La sécrétion de prostaglandine E2 (PGE2) est le facteur clé qui entraîne l’inhibition des lymphocytes, ainsi que de multiples effets sur les macrophages, sur les synoviocytes et sur les chondrocytes, et induit par conséquent une diminution de la production des cytokines pro-inflammatoires et une stimulation de celles anti-inflammatoires (figure).
L’action décrite de “régénération” est le résultat du retour à l’équilibre du rapport destruction/production du cartilage et de l’arrêt de l’auto-entretien du phénomène dégénératif qui fait progresser la maladie arthrosique. L’effet sur les ténocytes lors de tendinite n’est pas décrit pour le moment. Quelle que soit la situation clinique, les CSM ne sont efficaces qu’après leur activation, laquelle ne se produit que dans un environnement inflammatoire.
Les études préliminaires sur les CSM démontrent leur intérêt et leur efficacité lors d’affections ostéoarticulaires et de lésions méniscales ou ligamentaires intra-articulaires [7]. À ce jour, les indications de l’AMM concernent l’utilisation intra-articulaire pour le traitement de l’arthrose (tableau). Les résultats thérapeutiques sur la dégénérescence articulaire montrent une réduction nette de la boiterie chez le cheval traité après 8 jours et pendant plusieurs mois [14]. De plus, l’intérêt de l’utilisation des CSM après une arthroscopie ou associée à l’acide hyaluronique est démontré [7].
Les études sur la capacité de réparation tendineuse manquent souvent de standardisation pour en valider l’efficacité (diversité des types de lésions, manque de groupe témoin) [11]. Cependant, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a récemment rendu un avis positif pour l’octroi d’une AMM à RenuTend® comme médicament à base de CSM à visée ténogénique [1].
Qualité, efficacité et innocuité ont été validées pour les produits avec AMM. La qualité est assurée par les fabricants labellisés BPF. Les CSM devant être administrées en nombre suffisant (15 millions) et vivantes, le respect du mode de stockage et des délais d’administration préconisés par le fabricant est primordial. Les CSM injectées ne persistent pas dans l’organisme plus de quelques semaines, mais leur action peut s’exercer et s’entretenir sur plusieurs mois (une répétition des injections n’est pas intéressante tant qu’une amélioration est notée).
Une synovite aiguë et une boiterie, en relation avec un épanchement et une douleur articulaires, sont fréquemment rapportés. Bien que ces effets indésirables régressent spontanément en quelques jours, l’injection concomitante par voie systémique d’un anti-inflammatoire non stéroïdien, ou mieux d’un corticoïde, permet de les prévenir sans altérer l’efficacité des CSM [14]. En revanche, l’administration intra-articulaire concomitante de corticoïdes n’a aucun intérêt.
Les risques infectieux existent, comme pour tout médicament injectable : le respect des conditions de stockage et d’administration s’impose. L’utilisation de produits avec AMM est la plus sécurisée en termes de responsabilité civile professionnelle.
Au vu des connaissances actuelles, avant l’utilisation d’un produit à base de CSM chez un cheval, il convient de vérifier systématiquement :
- la présence ou non d’une AMM, les conditions d’obtention, la chaîne de fabrication, les critères de qualité́ infectiologique et le mécanismes d’action ;
- la nature (autologue ou allogénique), la viabilité, la quantité de cellules, les voies d’administration et les doses ;
- les indications et les espèces cibles ;
- les effets secondaires connus et/ou à surveiller ;
- la praticité de l’approvisionnement, du stockage ou de la conservation et du conditionnement, la disponibilité du produit ;
- le coût ;
- le niveau de preuve d’efficacité (publications et/ou dossier d’AMM) [4].
Une cellule souche est une cellule indifférenciée à la fois capable de se multiplier et de s’auto-régénérer, ainsi que de générer des cellules spécialisées par la différenciation cellulaire.
Une cellule stromale mésenchymateuse est une cellule souche spécialisée, multipotente, à différenciation orientée vers le mésoderme (mésenchyme), qui peut évoluer en chondrocyte (cartilage), en ostéocyte (os), en myocyte (muscle), en ténocyte (tendon) ou en cellule sanguine (sang).
1. Agence européenne des médicaments (EMA). RenuTend: Tenogenic primed equine allogeneic peripheral blood-derived mesenchymal
stem cells. EMA summary of opinion. 2022. https://www.ema.europa.eu/en/documents/smop-initial/cvmp-summary-positive-opinion-renutend_en.pdf
2. Babu GS, Badrish Y, Oswal VM et coll. Immunomodulatory actions of mesenchymal stromal cells (MSCs) in osteoarthritis of the knee. Osteology. 2021;1(4):209-224.
3. Berg L, Koch T, Heerkens T et coll. Chondrogenic potential of mesenchymal stromal cells derived from equine bone marrow and umbilical cord blood. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2009;22(5):363-370.
4. Boullier S, Cadoré JL, Carnat-Gautier P. Utilisation rationnelle et scientifique des cellules stromales mésenchymateuses chez le cheval. 2020:6p.
https://www.anses.fr/fr/system/files/Cellules%20stromales%20m%C3%A9senchymateuses%20cheval.pdf
5. Caplan H, Olson SD, Kumar A et coll. Mesenchymal stromal cell therapeutic delivery: translational challenges to clinical application. Front. Immunol. 2019;10:1645.
6. Cousty M. Actualités sur l’utilisation des cellules souches mésenchymateuses en thérapeutique articulaire chez le cheval. Prat. Vet. Equine 2013;(179):42-46.
7. Frisbie DD. Stem cells. In: Joint Disease in the Horse. Eds McIlwraith WC, Frisbie DD, Kawcak CE, van Weeren PR. 2nd ed. W.B. Saunders. 2016:236-242.
8. Jimenez-Puerta GJ, Marchal JA, López-Ruiz E et coll. Role of mesenchymal stromal cells as therapeutic agents: potential mechanisms of action and implications in their clinical use. J. Clin. Med. 2020;9(2):445.
9. Maddens S, Viguier E, Cadoré JL. Les cellules stromales mésenchymateuses : 2001-2018. État des lieux d’une innovation thérapeutique en santé publique et point de vue de l’industriel. Bull. Acad. Vét. France. 2018:171-173.
10. Noronha NC, Mizukami A, Caliári-Oliveira C et coll. Priming approaches to improve the efficacy of mesenchymal stromal cell-based therapies. Stem Cell Res. Ther. 2019;10:131.
11. Platonova S, Korovina D, Viktorova E et coll. Equine tendinopathy therapy using mesenchymal stem cells. Knowledge E. 2021:doi:10.18502/kls.v0i0.8987.
12. Pradera Munoz A. Efficacy and safety study of allogenic equine umbilical cord derived mesenchymal stem cells for the treatment of clinical symptomatology associated with mild to moderate degenerative joint disease (osteoarthritis) in horses under field conditions. Thèse de médecine, Madrid. 2019:114p.
13. Sanchez-Castro EE, Pajuelo-Reyes C, Tejedo R et coll. Mesenchymal stromal cell-based therapies as promising treatments for muscle regeneration after snakebite envenoming. Front. Immunol. 2021;11:609961.
14. Scicluna C. Retour d’expérience de l’utilisation des CSM de cordon ombilical chez le cheval. Dans : Proceeding formation CSM Equ’Institut, Paris. 2021.
15. Zachar L, Bačenková D, Rosocha J. Activation, homing, and role of the mesenchymal stem cells in the inflammatory environment. J. Inflamm. Res. 2016;9:231-240.