FICHE PRATIQUE
CAHIER PRATIQUE
Fiche pratique
Auteur(s) : Amandine LEFEBVRE, Ilaria MARANO
Fonctions :
*Clinique équine ENV de Toulouse, université de Toulouse 23, chemin des Chapelles 31300 Toulouse
**Conflit d’intérêts
***Aucun
Le repérage échographique du site de ponction est conseillé sans être indispensable. La procédure peut ensuite être mise en œuvre selon deux techniques.
La paracentèse abdominale est un examen complémentaire qui consiste à prélever du liquide péritonéal en vue de son analyse macroscopique, cytologique, biochimique et bactériologique. Elle est le plus souvent réalisée en cas d’épisodes de coliques aigus. Cependant, elle se révèle intéressante même lors de syndromes abdominaux chroniques [4]. Cet examen est facilement pratiqué sur le terrain.
Lors d’une affection abdominale, l’examen clinique, l’auscultation abdominale et la palpation transrectale ne sont pas toujours suffisants pour établir un diagnostic précis [4]. L’examen échographique par les voies transabdominale et transrectale ne permet pas l’exploration complète et détaillée des organes. La paracentèse abdominale est alors indiquée dans le cas où une évaluation plus approfondie de la cavité abdominale est requise. En effet, des lésions intra-abdominales entraînent souvent des modifications cytologiques et biochimiques du liquide péritonéal. La paracentèse peut donc aider à établir le diagnostic ou fournir des indications quant au pronostic et au traitement à mettre en place [3]. Les indications incluent des épisodes de coliques aiguës ou chroniques, une fièvre récurrente, un amaigrissement chronique, une diarrhée aiguë ou chronique et une ascite [4, 7].
La paracentèse abdominale n’est praticable qu’en présence d’une quantité suffisante de liquide dans l’abdomen. Cependant, il est généralement possible d’en obtenir des échantillons, même chez les chevaux sains [1]. Cet acte est déconseillé chez les juments gravides, chez les chevaux présentant une large impaction du côlon ou si une décision d’intervention chirurgicale s’impose sans nécessiter de plus amples éléments diagnostiques ou pronostiques [2].
Le matériel nécessaire inclut les instruments pour la contention du cheval, la désinfection de la peau, la mise en place d’une canule ou d’une aiguille et la récolte du liquide (encadré et photo 1). Le cheval est immobilisé à l’aide d’une contention chimique (par exemple avec de la détomidine à la dose de 0,01 mg/kg et du butorphanol à raison de 0,02 mg/kg) et/ou physique (tord-nez), idéalement en position debout et dans un travail afin d’éviter qu’il se déplace latéralement. La zone de ponction est repérée : elle se situe entre le sternum et l’ombilic, en regard de la partie la plus déclive de l’abdomen, légèrement à droite de la ligne blanche pour limiter les risques de traumatisme splénique [4]. Un contrôle échographique permet un repérage plus précis de la zone où se trouve le plus de liquide péritonéal (photo 2). Une zone plus étendue (environ 15 x 15 cm) doit être tondue, nettoyée et désinfectée stérilement [2].
L’opérateur, équipé de gants chirurgicaux stériles, se place debout à côté du membre antérieur droit, face à la queue du cheval, le buste penché vers l’avant [7]. Si le cheval est en décubitus latéral, le clinicien se place derrière son dos et rejoint la zone en passant au-dessus de l’abdomen. Il doit veiller à se protéger d’éventuels coups de pied pendant toute la durée de la procédure. La ponction est réalisée soit à l’aiguille, soit à la canule mousse.
La première technique est moins invasive, plus rapide et peut être mise en œuvre sans anesthésie locale, mais le risque d’entérocentèse involontaire est plus important [2]. L’aiguille est passée stérilement par un assistant ou, en l’absence de ce dernier, est gardée stérile par le praticien. La zone à ponctionner ne doit pas présenter de vaisseaux visibles, afin d’éviter une contamination par du sang. L’aiguille est positionnée perpendiculairement à la surface à ponctionner, puis avancée doucement à travers la peau et la paroi abdominale où la résistance est plus importante (photo 3). Une fois la peau traversée, l’aiguille est avancée avec précaution progressivement de 1 à 2 mm plusieurs fois, avec un mouvement rotatoire entre le pouce et l’index. Il peut arriver que du liquide ne soit pas obtenu à chaque tentative. Le cas échéant, la première aiguille peut être laissée en place et la procédure est alors répétée avec l’insertion d’une deuxième aiguille, à une distance d’environ 1 à 2 cm par rapport au premier site (photo 4). Un écoulement de liquide peut avoir lieu en provenance de la première aiguille lors de la ponction avec la deuxième en raison d’une diminution de la pression intra-abdominale [2].
Pour la ponction à la canule, une anesthésie locale est réalisée via l’injection sous-cutanée de 3 à 4 ml de lidocaïne au niveau du site d’incision. La peau et les tissus sous-cutanés sont ensuite incisés à l’aide d’une lame de scalpel n° 15. Une compresse stérile est passée autour de la canule mousse afin d’éviter les contaminations du prélèvement par du sang provenant de l’incision. La canule est insérée à travers l’incision sous-cutanée et avancée d’une poussée progressive vers la cavité abdominale [7].
Pour les deux techniques, un assistant se tient prêt, du côté gauche du cheval si possible, à récupérer le liquide péritonéal en plaçant les tubes EDTA et secs ouverts, sous l’aiguille ou la canule, sans venir en contact avec ces dernières (photo 5) [2, 4]. L’aiguille ou la canule sont ensuite retirées. Une légère compression est réalisée à l’aide de compresses imbibées de povidone iodée en solution et tenues en place par une bande cohésive passée autour de l’abdomen du cheval. La cicatrisation se fait par seconde intention pour les deux techniques.
Chez certains chevaux, il est parfois impossible de récupérer du liquide péritonéal, surtout si la quantité visualisée à l’examen échographique est minime [4].
Pour le praticien qui ne dispose pas d’un accès immédiat à un laboratoire, la simple évaluation du volume, de la turbidité, de la couleur, de l’odeur, de la consistance et de la teneur en substances étrangères (fibrine, etc.) de l’échantillon peut aider à distinguer les différents types d’épanchements (tableau). Le volume total de liquide péritonéal chez les chevaux en bonne santé est généralement compris entre 100 et 300 ml, dont moins de 10 ml (généralement 3 à 5 ml) peuvent être facilement prélevés [1]. Un transsudat ne se distingue d’un liquide péritonéal normal que par la présence d’un volume augmenté de liquide dans l’abdomen, ou lors de la paracentèse. La quantité prélevée n’est cependant pas un critère diagnostique fiable, car la paracentèse chez des chevaux malades qui présentent des processus effusifs peut produire de petits volumes de liquide.
Le prélèvement est normalement translucide, de couleur jaunâtre. Un changement de cet aspect correspond à une augmentation de la cellularité du liquide [6]. Il convient de différencier les modifications de couleur pathologiques des iatrogènes. La contamination sanguine est généralement identifiée pendant le prélèvement par un échantillon qui commence par être sanglant puis s’éclaircit, ou qui commence par être clair et devient sanglant pendant la procédure. En revanche, un échantillon de couleur ambre ou rouge sang homogène suggère la présence d’un hémopéritoine ou d’une lésion intrapéritonéale telle qu’un infarctus intestinal, une invagination, un volvulus, un étranglement ou une incarcération.
L’échantillonnage par inadvertance du contenu gastro-intestinal a un aspect anormal, avec une décoloration vert-brun [1]. Un épanchement abdominal dû à une fuite et/ou à une rupture gastro-intestinale aiguë peut avoir un aspect similaire, si une forte réponse inflammatoire ne s’est pas encore produite [3]. Les observations cliniques permettent de confirmer une rupture dans de tels cas. Un aspect macroscopique blanc opaque est caractéristique d’un chylopéritoine, une affection rare chez le cheval causée par une torsion de côlon ou une déchirure lymphatique due à la présence d’adhérences intra-abdominales [1].
La concentration en protéines mesurée sur le terrain à l’aide d’un réfractomètre est physiologiquement inférieure à 25 g/l [3]. Une concentration accrue de protéines indique une perméabilité vasculaire augmentée, généralement due à des médiateurs inflammatoires [1]. Les lactates permettent de détecter une éventuelle hypoxie consécutive à une ischémie ou à un infarctus intestinal. La concentration de lactates dans le liquide péritonéal est normalement inférieure à 1 mmol/l. Elle est plus sensible que la concentration en lactates sanguins pour prédire la nécessité d’une intervention chirurgicale et le pronostic vital, mais les résultats sont toujours à corréler avec les données cliniques et les autres paramètres de laboratoire [1]. Des lactatomètres portables sont en outre disponibles. La concentration de glucose et le pH du liquide péritonéal peuvent aussi être mesurés sur le terrain. Les deux paramètres sont significativement plus faibles chez les chevaux atteints de péritonite septique. Une valeur de pH inférieure à 7,3 et une différence de concentration de glucose entre le sérum et le liquide péritonéal supérieure à 50 mg/dl sont les valeurs seuils pour diagnostiquer une péritonite septique [1, 9].
Des analyses supplémentaires peuvent être réalisées. Une numération formule permet d’obtenir des informations plus précises sur la nature de l’échantillon. Le liquide péritonéal sain ne contient pas d’hématies. Leur présence, lorsqu’elle n’est pas attribuée à une contamination sanguine iatrogène, suggère l’existence de lésions endothéliales ou d’une hémorragie. Le nombre total de cellules nucléées est inférieur à 5 000/µl en l’absence d’inflammation [1].
Le prélèvement peut aussi être envoyé au laboratoire pour effectuer des analyses cytologique et bactériologique. Le liquide péritonéal normal ne contient pas d’agents pathogènes. La présence d’une population mixte de bactéries est indicative d’une rupture intestinale, alors qu’un seul type de bactéries peut indiquer une péritonite primaire. Si une péritonite septique est suspectée, une culture aérobie et anaérobie, ainsi qu’un antibiogramme, sont cruciaux afin de pouvoir sélectionner l’antibiotique le plus approprié à administrer [6]. Des modifications morphologiques des neutrophiles, des cellules mésothéliales et des macrophages peuvent être identifiées lors d’inflammation. Les lymphocytes sont généralement présents en faible nombre, petits et bien différenciés. Une augmentation du nombre de lymphocytes ou l’observation de grands lymphocytes réactifs sont associées à des conditions inflammatoires chroniques, à des épanchements chyleux ou à des hémopathies lymphoïdes. Des cellules néoplasiques peuvent s’exfolier dans le liquide péritonéal et être visualisées à l’examen microscopique (photo 6) [1]. Les éosinophiles ne sont généralement pas présents dans le liquide péritonéal des chevaux en bonne santé. L’inflammation éosinophilique est souvent associée à une migration parasitaire, bien que d’autres causes soient décrites (entérite éosinophile, lymphome).
Les autres paramètres mesurables sont :
- la créatinine : une concentration dans le liquide péritonéal supérieure à deux fois celle en créatinine sérique permet d’établir le diagnostic d’uropéritoine (plus fréquent chez les poulains) [2] ;
- les triglycérides : une concentration dans le liquide péritonéal supérieure à la concentration sérique signe un chylopéritoine ;
- les protéines totales : un dosage par automate donne une mesure plus précise que celle au réfractomètre ;
- le fibrinogène : une concentration supérieure à 200 mg/dl est fortement indicative d’une péritonite septique [1, 8] ;
- la procalcitonine : une concentration au-delà de 281,7 pg/ml oriente le diagnostic vers une lésion intestinale étranglée lors de coliques [5].
Les complications sont rares, mais peuvent être graves.
Occasionnellement, lors de distension abdominale due à l’augmentation du liquide intestinal ou à un tympanisme, l’aiguille peut ponctionner ou lacérer une anse intestinale. Dans ce cas, le prélèvement est trouble, brun, et a une odeur caractéristique. Il convient de retirer l’aiguille et de réitérer la ponction sur un site éloigné, en optant de préférence pour la technique à la canule ou en changeant l’aiguille. Cependant, en cas de lacération trop importante, il existe un risque de rupture et de péritonite secondaire à l’origine d’une dégradation de l’état général avec de la fièvre, un abattement, une endotoxémie et des signes de coliques [4, 8].
La rate peut être accidentellement endommagée. Dans ce cas, un écoulement de sang épais et de couleur foncée est observé par l’aiguille. Une ponction splénique entraîne un certain degré d’hémopéritoine, généralement sans danger pour l’animal. Les prélèvements sur d’autres sites sont alors contaminés par du sang [2, 4]. Il convient de reporter la paracentèse.
Un œdème local ou un abcès sous-cutané sont parfois observés à la suite de la paracentèse. Il convient de les surveiller, mais leur résolution est souvent spontanée [4].
D’après [2].
- tord-nez et/ou sédatifs ;
- tondeuse avec une lame fine (n° 4) ;
- compresses imbibées de povidone iodée ou de chlorhexidine (savon et solution) ;
- compresses imbibées d’alcool ;
- gants stériles ;
- tubes EDTA et secs ;
- quelques compresses pour réaliser un bandage temporaire avec de la povidone iodée en solution et un rouleau de bande cohésive.
- 3 à 4 ml de lidocaïne dans une seringue de 5 ml avec une aiguille de 23 ou 25 G ;
- lame de bistouri n° 5 ;
- canule mousse stérile.
- aiguilles de 18 ou 20 G et de 40 ou 70 mm de long.
1. Conrado FO, Beatty SSK. Fluid analysis in the equine patient: cerebrospinal, synovial, and peritoneal fluids. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2021;36(1):e1-e28.
2. Corley K, Stephen J. Abdominocentisis. In: The Equine Hospital Manual. Wiley-Blackwell. 2008:16-18.
3. Deniau V, Couroucé-Malblanc A, Rossignol F. Intérêts et limites de l’examen péritonéal lors de coliques aiguës chez le cheval. Nouveau Prat. Vét. Équin. 2010;6(3):47-50.
4. Deniau V, Couroucé-Malblanc A, Rossignol F. La paracentèse abdominale. Prat. Vét. Équine. 2009;162:67-70.
5. Kilcoyne I, Nieto JE, Dechant JE. Diagnostic value of plasma and peritoneal fluid procalcitonin concentrations in horses with strangulating intestinal lesions. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2020;256(8):927-933.
6. Nieto J. Peritoneal fluid. In: Interpretation of Equine Laboratory Diagnostics. Eds. Pusterla N, Higgins J. Wiley-Blackwell. 2017:357-362.
7. Radcliffe RM, Hill JA, Liu SY et coll. Abdominocentesis techniques in horses. J. Vet. Emerg. Crit. Care (San Antonio). 2022;32(S1):72-80.
8. Radcliffe RM, Liu SY, Cook VL et coll. Interpreting abdominal fluid in colic horses: understanding and applying peritoneal fluid evidence. J. Vet. Emerg. Crit. Care (San Antonio). 2022;32(S1):81-96.
9. Van Hoogmoed L, Rodger LD, Spier SJ et coll. Evaluation of peritoneal fluid pH, glucose concentration, and lactate dehydrogenase activity for detection of septic peritonitis in horses. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1999;214(7):1032-1036.