Suivi gynécologique : information et consentement - Pratique Vétérinaire Equine n° 0213 du 11/03/2022
Pratique Vétérinaire Equine n° 0213 du 11/03/2022

FICHE JURIDIQUE

CAHIER PRATIQUE

Fiche juridique

Auteur(s) : Philippe Lassalas

Fonctions : Vétérinaire expert près la cour d’appel de VersaillesExpert agréé par la Cour de cassation49, avenue du Général Leclerc78120 Rambouillet

Des obligations de moyens et d’information s’imposent au praticien. Au début de la saison de reproduction, un courriel peut être envoyé aux éleveurs afin de recueillir leur consentement éclairé pour le suivi des juments.

Le début de la saison gynécologique est la période idéale pour informer les éleveurs du risque de lacération inhérent à la palpation et à l’examen échographique par voie transrectale. Cette information n’est pas optionnelle : il s’agit d’une obligation consacrée par une jurisprudence qui date de 1992 et par le Code rural et de la pêche maritime [1]. Si les jeunes praticiens ont été formés à leurs obligations professionnelles, certains plus expérimentés, qui exercent depuis plusieurs dizaines d’années, rechignent encore à matérialiser cette information par un document écrit.

Il existe de multiples moyens pour satisfaire à cette obligation, notamment grâce aux supports mis en place par l’Association vétérinaire équine française (Avef), alors que les notions d’information et de consentement sont de plus en plus présentes au sein de notre société. Les lacérations rectales sont une source fréquente de mise en cause de la responsabilité civile professionnelle des vétérinaires équins. Elles peuvent intervenir chez tous les types de juments mais, en pratique, sont majoritairement observées chez celles de race pur-sang arabe, de petite taille ou chez les ponettes, les jeunes sortant de l’entraînement et les poulinières âgées.

Obligation de moyens

Quasiment tous les actes médicaux ou chirurgicaux comportent des risques : c’est parce que le vétérinaire est obligé de prendre ces risques pour exercer son métier qu’il n’est tenu qu’à une obligation de moyens en matière de soins et d’investigations nécessaires à l’établissement du diagnostic. Cette simple obligation de moyens protège le praticien, car elle implique qu’il incombera au client du vétérinaire d’apporter la preuve d’une faute de celui-ci au cours de l’acte litigieux. Si le praticien a respecté les règles de bonnes pratiques en la matière, en mettant en œuvre des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science médicale vétérinaire, aucune faute ne sera retenue à son encontre, même en cas de lacération rectale concomitante à son examen (photo).

Obligation d’information

La contrepartie de l’obligation de moyens, qui protège le praticien car il doit prendre des risques pour exercer son métier, est une obligation particulière d’information sur les risques encourus. Cette obligation d’information s’impose au praticien vis-à-vis de son client et il ne s’agit plus d’une simple obligation de moyens, mais d’une obligation de résultat. Autrement dit, il appartient au vétérinaire d’apporter la preuve de l’information qu’il a délivrée à son client. Certaines décisions de jurisprudence considèrent que cette information est due même envers un éleveur professionnel, lequel n’est pas nécessairement compétent sur le plan médical (encadré). La preuve de l’information délivrée peut être rapportée par tous moyens : il peut s’agir, par exemple, d’un témoignage de l’information délivrée oralement ou de l’aveu même de l’éleveur. Cependant, le meilleur moyen pour le vétérinaire équin de rapporter la preuve de l’information qu’il a délivrée à son client au sujet du risque de lacération rectale inhérent à la palpation et à l’examen échographique par voie transrectale consiste à lui remettre un document écrit. Une fois informé, l’éleveur pourra alors donner son consentement qui, du fait de cette information préalable, sera “éclairé”.

En pratique

Un modèle de document(1), rédigé conjointement avec la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), est à la disposition des praticiens. Au début de la saison gynécologique, il est pratique de demander à la secrétaire du cabinet ou de la clinique d’adresser un courriel aux éleveurs en leur rappelant cette obligation à laquelle le vétérinaire est tenu, en joignant le document personnalisé et en demandant de le retourner signé. L’objet de l’e-mail sera en outre précisé : « Envoi du document d’information et de recueil de votre consentement éclairé pour le suivi gynécologique de vos juments ». Ce simple courriel, envoyé avec une demande d’avis de réception et dont le praticien s’adresse une copie, est adressé non seulement aux propriétaires des juments, mais également aux haras où le suivi gynécologique sera mis en œuvre. Il est ensuite archivé, pour conserver la preuve des démarches accomplies par le praticien pour satisfaire à son obligation d’information.

En cas de survenue d’une lacération rectale, la responsabilité du vétérinaire est appréciée à trois niveaux :

  • information préalable et recueil du consentement éclairé ;
    acte proprement dit à l’origine de la lacération ;
    prise en charge de la lacération.

Les règles de bonnes pratiques en matière de suivi gynécologique consistent à examiner la jument dans une barre de contention, à éviter les actes inutiles et potentiellement dangereux (tels qu’un diagnostic de gestation par échographie trop précoce par rapport à la saillie), à tenir compte de l’attitude de la jument, à recourir à la sédation en l’absence d’autres possibilités pour la rassurer ou obtenir sa coopération (personne présente à la tête, congénère à proximité, pli de peau, etc.), à utiliser abondamment un gel lubrifiant, à arrêter les investigations lorsque la jument “pousse”. En présence de sang sur le gant de fouille et si la jument présente des signes d’inconfort ou de la fièvre à la suite de la lacération, une surveillance doit être mise en place, ainsi que des investigations complémentaires pour tenter d’évaluer le grade de la lacération, au besoin en référant l’animal dans une structure chirurgicale [2].

Jurisprudence relative à une gestation gémellaire

Alors qu’il intervenait dans un haras où il effectuait le suivi gynécologique des juments, un vétérinaire a été condamné en première instance pour ne pas avoir informé directement le propriétaire d’une jument d’une double ovulation qui a secondairement abouti à une gestation gémellaire et à un avortement. Le praticien a fait appel de cette décision, mais le jugement a été confirmé par la cour d’appel de Nancy, dans un arrêt en date du 9 juin 2011, motivé comme suit :

  • dans la mesure où le praticien facturait directement son intervention auprès du propriétaire de la jument, les obligations professionnelles du vétérinaire relatives au suivi de l’animal s’inscrivaient dans une relation contractuelle avec le propriétaire du cheval, et non dans une relation contractuelle avec le haras ;
    le vétérinaire a une obligation de conseil et d’information envers son client, inhérente aux relations contractuelles de ce type ;
    le diagnostic de double ovulation et de gestation, réalisé conformément aux données acquises de la science, aurait dû conduire le praticien, en vertu de son devoir de conseil et d’information, d’une part à alerter le propriétaire de la jument sur le risque de gémellité, et d’autre part à lui recommander de faire procéder à un examen échographique complémentaire entre le 25e et le 35e jour suivant la fécondation ;
    le vétérinaire ne conteste pas n’avoir pas procédé à cette double information ;
    par conséquent, il sera déclaré responsable du préjudice ainsi causé à son client ;
    le préjudice est évalué en tenant compte d’une part des frais exposés en vain, « cette vaine gestation s’étant traduite par une année de vie de la jument sans profit économique pour son propriétaire », et d’autre part de la perte de chance de gains lors de la vente d’un poulain qui n’a pas pu être réalisée.

Références

1. Code rural et de la pêche maritime. Article R242-48, en vigueur depuis le 16 mars 2015. Sous-paragraphe II : Devoirs envers les clients. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000030361105/

2. Mespoulhès-Rivière C, Lassalas P. Les lacérations rectales chez le cheval : conduite à tenir, implications juridiques et pronostic. Prat. Vét. Equine. 2014;184:28-37.

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