Prise en charge d’un cas d’hydramnios chez une jument pur-sang arabe - Pratique Vétérinaire Equine n° 0213 du 11/03/2022
Pratique Vétérinaire Equine n° 0213 du 11/03/2022

Cas clinique court : Reproduction

CAHIER PRATIQUE

Cas clinique court

Auteur(s) : Charlotte DEGIEN

Fonctions :
*Cabinet vétérinaire des Cigognes,rue de la Loire,44360 Cordemais
**Conflit d’intérêts : Aucun

La prise en charge d’une gestation à haut risque peut aboutir à une issue favorable pour la jument. Le recueil du consentement éclairé est toujours important, d’autant plus lorsque le propriétaire n’adhère pas à la démarche clinique recommandée.

Une jument multipare pur-sang arabe âgée de 11 ans, gestante de 273 jours, est présentée en consultation pour une baisse de forme et une distension abdominale anormale en forme de poire (photo 1). La jument a été saillie l’année précédente par un étalon arabe en monte en main. Le dernier poulain est né sans anomalie et n’a été sevré qu’à l’âge de 9 mois, soit 10 jours avant la consultation. La jument se déplace de moins en moins bien, avec une fatigabilité marquée. Le risque de rupture du tendon prépubien n’est pas négligeable.

Diagnostic

La numération formule sanguine révèle une leucocytose discrète et un hématocrite à 41,1 %. À la palpation transrectale, l’utérus est extrêmement dilaté et le fœtus non palpable. À l’échographie transrectale, les liquides fœtaux, en quantité augmentée, sont abondamment chargés d’images échogènes de type flammèches et “travées”. L’épaisseur combinée de l’utérus et du placenta (Ecup) étant inférieure à 8 mm, l’hypothèse d’une placentite ascendante est écartée (photo 2). À l’échographie transabdominale, le fœtus est vivant, mais présente une bradycardie à 60 battements par minute, signe de souffrance fœtale. La présence de liquides fœtaux en quantité augmentée est confirmée, avec des images anormales de type “travées” échogènes qui forment des logettes parfois superposées aux parties osseuses du poulain, conduisant au diagnostic d’hydropisie des enveloppes fœtales (photo 3). Il est difficile de distinguer précisément le compartiment allantoïde de l’amnios. Néanmoins, une hyperéchogénicité des fluides amniotiques observés permet de suspecter un hydramnios.

Traitement

La jument est hospitalisée et un traitement préventif à base de triméthoprime-sulfadiazine et d’altrenogest per os est mis en place. La gestation étant considérée comme à haut risque, un consentement éclairé est recueilli : le risque de rupture du tendon prépubien est spécifié, avec l’engagement du pronostic reproducteur, voire vital, de la jument, les chances de survie du poulain étant très faibles. Donnant la priorité au poulain, le propriétaire insiste pour que la gestation soit menée à terme. Ni l’induction d’un avortement ni une césarienne ne sont envisageables. Une surveillance accrue est mise en place.

Suivi

La jument est suivie jusqu’à 288 jours de gestation, quand le poulinage commence. Elle est alors assistée, un cathéter intraveineux est posé pour assurer le remplissage volémique. L’expulsion du fœtus se déroule sans difficulté. La délivrance se complète dans un bref délai. Le placenta est très gros, mais de couleur normale, sans signe de placentite. L’amnios est épaissi (jusqu’à 1 cm) et fibreux (photo 4). Les liquides fœtaux représentent a minima 50 litres en plus de la quantité habituelle, d’après l’expérience de l’auteur.

La jument développe un état de choc hypovolémique postpoulinage. La fréquence cardiaque reste à 120 battements par minute 2 heures après la mise bas et des blocs atrio-ventriculaires sont audibles à l’auscultation. La jument présente des trémulations musculaires, une hyperventilation et des muqueuses congestives. Des soins intensifs sont mis en place pendant 36 heures, avec la perfusion de solutés hypertoniques puis de Ringer lactate et l’administration d’analgésiques et d’anti-inflammatoires (perfusion lente de lidocaïne, flunixine, métamizole et dexaméthasone).

Le poulain est petit mais normal morphologiquement, excepté pour une hyperextension du doigt antérieur droit. Atteint du syndrome du poulain faible, il ne réagit pas aux stimuli. Comme la vie de la jument est désormais prioritaire pour le propriétaire et que le poulain, très prématuré, est peu viable, ce dernier est euthanasié pour des raisons éthiques. Le lendemain, l’involution utérine chez la jument est en cours. La semaine suivante, la jument est rendue à son propriétaire et remise au pré. Elle est vendue comme poulinière quelques mois plus tard.

Discussion

L’hydramnios et l’hydroallantoïde sont deux affections rares qui consistent en une accumulation excessive de liquide amniotique ou allantoïdien. L’étiologie et la physiopathologie de cette hydropisie des enveloppes fœtales restent mal comprises et le fœtus n’est généralement pas viable. L’hydramnios étant souvent associé à des malformations fœtales, une autopsie complète du poulain est indiquée [3]. La détection de Leptospira spp. dans les membranes fœtales étant également rapportée en cas d’hydropisie, une sérologie maternelle ainsi qu’une recherche par polymerase chain reaction (PCR) sur les organes du poulain et les annexes fœtales sont indiquées [2]. Vu l’urgence des soins à apporter, ni le placenta ni l’amnios n’ont été pesés une fois la délivrance complétée. Cependant, l’observation morphologique a suffi, dans ce cas, à confirmer l’anomalie : l’amnios était trop épais et blanchi, avec des artères épaissies et non “tortueuses”, alors que cette enveloppe est physiologiquement blanche, translucide, avec de petits vaisseaux fins, sans épaississement ni œdème.

La survie du poulain étant rarissime dans les cas d’hydropisie des enveloppes fœtales, il est fortement recommandé de réaliser un drainage des fluides par voie vaginale au moment du diagnostic avant d’induire l’avortement. Cette pratique s’accompagne d’une fluidothérapie par voie intraveineuse agressive, afin de prévenir un choc hypovolémique postparturition chez la jument [2]. Un cas d’hydramnios diagnostiqué à 265 jours suivi par la naissance d’un poulain vivant à 321 jours est cependant rapporté, grâce à une surveillance étroite de la gestation, de même qu’un cas récent de gestation menée à terme avec un poulain vivant malgré un diagnostic d’hydroallantoide à 339 jours [1, 4].

Dans le cas présenté, la distension abdominale, la palpation transrectale et les images échographiques anormales ont orienté le diagnostic, confirmé ensuite au moment du poulinage. Une amniocentèse et une allantoïdocentèse échoguidées auraient pu être réalisées afin de différencier les liquides sur la base de leur composition biochimique [1].

Les souhaits initiaux du propriétaire concernant la prise en charge de la jument et du fœtus ont complexifié la prise de décision dans ce cas. Considérée comme menant une gestation à haut risque, la jument a été suivie de façon rapprochée et une fluidothérapie a été mise en place au moment du poulinage, ce qui a permis de maîtriser l’état de choc survenu rapidement [2]. Le propriétaire souhaitant remettre sa jument à la reproduction, un pronostic moins bon lui a été annoncé que si un drainage lent et un déclenchement du poulinage avaient pu être pratiqués auparavant. Ainsi, la gestion de la mère est devenue primordiale par rapport à celle du poulain, d’autant plus qu’à moins de 300 jours de gestation, ses chances de survie étaient faibles.

Références

1. Christensen BW, Troedsson MHT, Murchie TA et coll. Management of hydrops amnion in a mare resulting in birth of a live foal. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2006;228(8):1228-1233.

2. Diel de Amorim M, Chenier TS, Card C et coll. Treatment of hydropsical conditions using transcervical gradual fetal fluid drainage in mares with or without concurrent abdominal wall disease. J. Equine Vet. Sci. 2018;64:81-88.

3. Lanci A, Ingallinesi M, Morini M et coll. Fetal congenital diaphragmatic hernia and hydramnios in a Quarter Horse mare. Vet. Sci. 2021;8(10):201.

4. Mitchell ARM, Delvescovo B, Tse M et coll. Successful management of hydrallantois in a Standardbred mare at term resulting in the birth of a live foal. Can. Vet. J. 2019;60(5):495-501.

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