Prise en charge de l’uvéite chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 212 du 01/10/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 212 du 01/10/2021

Ophtalmologie

Dossier

L’uvéite chez le cheval

Auteur(s) : Tanguy Hermange*, Sarah Buisson**

Fonctions :
*Dipl. ECEIM
Centre hospitalier
vétérinaire équin de Livet,
Cour Samson,
14140 Livarot-Pays-d’Auge
**CES d’ophtalmologie
vétérinaire,
DU de microchirurgie
ophtalmologique
MB Vet Clinique équine
de Méheudin,
12 rue des Peupliers,
61150 Écouché-les-Vallées

Le traitement d’une uvéite aiguë doit être précoce et intense. Une fois la crise contrôlée, le suivi dans le temps reste primordial et, en cas d’évolution, plusieurs traitements sont envisageables, qui peuvent aussi être associés sur le long terme.

Encore de nos jours, l’uvéite et l’uvéite récidivante équine (URE) restent la première cause de perte fonctionnelle et physique de l’organe visuel chez le cheval. En effet, de nombreux chevaux sont encore pris en charge trop tard [16, 31]. En pratique courante, il n’est pas toujours aisé de différencier une uvéite isolée de la poussée aiguë d’une uvéite récidivante. Par souci d’intérêt pour le praticien vétérinaire, la prise en charge des uvéites dans leur globalité est abordée dans cet article.

Une fois le diagnostic d’uvéite établi(1), un traitement médical précoce et agressif doit être mis en place. Plusieurs éléments sont à prendre en compte : la douleur ressentie par l’animal, l’étendue et la sévérité des lésions oculaires, le pronostic visuel, le coût, et la faisabilité du traitement par le propriétaire.

TRAITEMENT MÉDICAL D’UNE UVÉITE AIGUË

Le traitement d’une uvéite aiguë, qu’elle soit isolée ou récidivante, doit être précoce et agressif. Il a pour objectifs à la fois de contrôler la douleur, de réduire l’inflammation endoculaire et de limiter au maximum les séquelles (synéchies ou cataracte notamment) pour préserver la vision.

Prise en charge de la douleur oculaire

La prise en charge de la douleur repose sur l’administration par voie générale d’un antiinflammatoire non stéroïdien (AINS), d’une part pour l’effet antalgique, et d’autre part pour l’effet anti-inflammatoire. Bien qu’aucune étude ne compare l’efficacité clinique des différents AINS chez le cheval, la flunixine-méglumine est considérée dans les articles de synthèse comme la molécule qui présente les meilleurs résultats et elle est donc à privilégier [1, 27].

La flunixine est alors administrée à la dose de 1,1 mg/kg toutes les 12 à 24 heures, puis diminuée progressivement en fonction de la réponse thérapeutique. Néanmoins, à moyen et long termes, des effets secondaires digestifs et rénaux peuvent apparaître. Le firocoxib, un AINS COX-2 sélectif entraînant moins d’effets indésirables, possède une bonne pénétration oculaire, supérieure à la flunixine-méglumine, mais son utilisation est peu décrite et son effet antalgique reste limité selon notre expérience clinique [23].

Localement, l’administration d’un mydriatique cycloplégique permet une relaxation du muscle ciliaire, et diminue ainsi la douleur d’origine ciliaire liée au spasme. L’atropine administrée par voie topique possède une action assez rapide (4 à 6 heures sur un œil sain, variable selon le degré d’inflammation sur un œil malade) et prolongée dans le temps puisqu’elle peut persister jusqu’à 21 jours [27]. Elle prévient également la formation de synéchies lors d’uvéite antérieure et est, par cette action, primordiale dans le traitement de la crise inflammatoire. L’atropine doit être instillée massivement, de quatre à six fois par jour au début, jusqu’à l’obtention de la dilatation pupillaire (mydriase). La diminution des instillations se fait progressivement, toujours en surveillant que la pupille reste bien dilatée. Chez le cheval, lors d’administration fréquente, il est recommandé de porter une attention particulière au transit, même si les effets secondaires sur ce dernier (ralentissement) semblent limités. Dans une étude, ces réactions indésirables étaient absentes et l’atropine n’a même pas été détectée dans le sérum des chevaux [33].

Enfin, l’obscurité ou le port d’un masque occultant permet de réduire le stimulus lumineux qui exacerbe la douleur oculaire.

Prise en charge de l’inflammation endoculaire

Les corticoïdes administrés par voie topique (dexaméthasone, prednisolone) constituent la base du traitement anti-inflammatoire. Néanmoins, ils ne doivent être utilisés qu’après un test à la fluorescéine négatif. La prednisolone, concentrée à 1 % sous forme d’acétate, n’est pas commercialisée en France. La dexaméthasone, concentrée à 0,1 %, est disponible soit sous sa forme de base, un alcool, uniquement en médicaments à usage humain (Maxidrol®, Maxidex®), soit sous sa forme dérivée de phosphate, un ester, en médicaments à usage vétérinaire (Fradexam®) ou humain (Frakidex®) [2, 26]. Après l’application, la dexaméthasone diffuse rapidement (55 à 120 minutes) dans l’humeur aqueuse. Chez l’homme, les concentrations retrouvées dans l’humeur vitrée sont faibles [2]. La forme d’alcool est à privilégier lors d’uvéite car, comme elle est plus liposoluble, elle franchit mieux la barrière épithéliale, montrant ainsi une meilleure efficacité [1, 8]. Concernant la galénique, une étude chez le chat montre que les concentrations intraoculaires sont plus élevées avec la pommade que le collyre [4].

Les AINS par voie topique, utilisés chez l’homme lors d’uvéite mineure, ont une action anti-inflammatoire assez limitée et les corticoïdes leur sont largement préférés. Ils peuvent néanmoins être utilisés localement en complément du traitement corticoïde en cas d’uvéite sévère [1, 8, 27]. Leur usage est aussi possible lorsque les corticoïdes locaux sont contre-indiqués, notamment lors de dépôts cornéens calciques. En revanche, en cas d’ulcère cornéen, leur emploi est controversé. Pour une bonne efficacité clinique, l’observance du traitement est primordiale. En effet, les traitements oculaires sont chronophages et les chevaux pas toujours coopératifs. Quatre à huit instillations quotidiennes au minimum au début, selon la sévérité de la crise, sont conseillées [1, 8, 27]. En effet, une étude chez le lapin montre qu’une augmentation de la concentration des corticoïdes topiques a peu d’effet sur l’efficacité, et une fréquence d’administration plus élevée est donc préférée [8, 25].

Les injections sous-conjonctivales de corticoïdes peuvent aider ponctuellement, notamment lors d’uvéite sévère ou postérieure, car chez l’homme (pas de données chez le cheval) les concentrations retrouvées dans l’humeur aqueuse ou dans le vitré sont bien supérieures à celles atteintes par la diffusion de topiques [2]. Toutefois, lors d’utilisation de corticoïdes à action rapide, l’effet reste assez bref, avec des concentrations maintenues pendant 24 à 48 heures [2]. Avec les corticoïdes retards, le risque d’infection ou d’ulcère cornéen, notamment sur une cornée fragilisée, doit être pris en compte dans la balance bénéfice/risque [27]. Chez l’homme, les injections sousconjonctivales de corticoïdes à action rapide sont préférées lors d’uvéite antérieure et celles de corticoïdes retards lors d’uvéite postérieure [13]. Chez le cheval, les injections sous-conjonctivales de corticoïdes retards restent controversées. En effet, les auteurs insistent, en plus des dangers cornéens déjà décrits, sur le risque de dérive de l’observance pour les autres traitements, sur la concentration locale mal maîtrisée (écoulement d’une partie du produit et absence d’étude chez le cheval), sur la difficulté de retirer le produit une fois injecté, et sur l’éventuelle formation d’un dépôt sous-conjonctival secondaire. Dans tous les cas, la balance bénéfice/risque doit être discutée avec les propriétaires.

Pour s’assurer de la bonne réponse thérapeutique, un premier contrôle après 24 à 48 heures de traitement est primordial. Si tel n’est pas le cas (myosis, par exemple), il convient d’envisager un changement d’hébergement du cheval pour faciliter les traitements, voire la pose d’un cathéter sous-palpébral et/ou une hospitalisation. En cas d’uvéite réfractaire au traitement, il est nécessaire de s’assurer qu’une éventuelle cause sous-jacente est traitée. Des examens complémentaires, notamment l’échographie, sont également indiqués pour évaluer les séquelles postérieures qui affectent le pronostic (décollement de rétine, luxation du cristallin), la présence de masses intraoculaires – dont le seul traitement est bien souvent l’énucléation –, voire de lésions extraoculaires (fractures, masses extraorbitaires, abcès, myosites, etc.).

Lors d’uvéite postérieure ou réfractaire au traitement, des corticoïdes systémiques peuvent être envisagés pour atteindre une plus forte concentration dans le segment postérieur de l’œil [1, 13]. La dose à administrer doit alors être réfléchie selon l’adjonction parallèle d’AINS afin de limiter le risque d’effets indésirables (tableau 1). Enfin, en cas d’hyphéma ou d’hypopion, l’injection intracamérulaire de 50 à 150 µg de recombinant tissue plasminogen activator (rTPA) dans 0,1 ml permet de dissoudre le flocon ou le caillot, de réduire les adhérences avec l’iris, de faciliter la mydriase et de prévenir les synéchies (photos 1a et 1b) [6]. Il n’existe pas de données précises sur le délai idéal pour l’injection. En cas d’hypopion, l’injection de rTPA peut être réalisée rapidement pour maximiser les chances de réussite, ou après quelques jours pour permettre au flocon de se résorber éventuellement de lui-même avec le traitement médical seul. En cas d’hyphéma, l’injection se fait souvent entre 4 et 8 jours après le début des signes cliniques, afin de limiter le risque de récidive de l’hémorragie et permettre à l’œil d’être déjà “imprégné” d’anti-inflammatoires. Son action est visible en quelques heures. Si l’injection est réalisée trop tard, la fibrine s’organise et devient insensible aux mécanismes fibrinolytiques.

Durée du traitement

Une durée de traitement assez longue est nécessaire. Il est souvent conseillé de poursuivre les soins pendant 2 semaines au minimum après la disparition de tout signe d’inflammation active (effet Tyndall négatif, contraction pupillaire normale, pression intraoculaire dans les normes) [1]. Néanmoins, la mydriase induite par l’atropine peut se prolonger en ralentissant ainsi le retour à une contraction pupillaire normale. Une diminution progressive des corticoïdes est nécessaire pour prévenir tout effet rebond [27].

Les chevaux qui présentent une forme insidieuse représentent un défi particulier. D’une part, leur prise en charge est souvent tardive en raison de l’absence de signes extérieurs nets. D’autre part, il est souvent difficile de reconnaître les signes d’inflammation active sans un examen ophtalmologique approfondi. Un suivi régulier avec un examen ophtalmologique complet est alors nécessaire pour détecter l’évolution des signes les plus discrets et adapter le traitement.

TRAITEMENT ET PRÉVENTION DE LA CAUSE

Le traitement étiologique vient en complément du traitement médical d’une uvéite. Il peut être immédiat ou décalé, dans l’attente de résultats de laboratoire ou d’un œil plus calme.

Lors d’uvéite traumatique avec fracture, le retrait des esquilles et la stabilisation des fractures sont conseillés quand cela est possible. En cas d’atteinte palpébrale, l’alignement du bord palpébral lors des sutures est recherché et, si un corps étranger cornéen ou palpébral est présent, son retrait est entrepris rapidement. Lors de masse intraoculaire (de type mélanome), une énucléation est bien souvent nécessaire (photo 2).

L’infection cornéenne entraîne fréquemment une uvéite secondaire qu’il convient de ne pas négliger, notamment par l’administration locale d’atropine et en maximisant le traitement antiinflammatoire systémique même si le caractère douloureux semble levé.

Lors d’uvéite à médiation immune (et surtout chez le poulain), il est primordial de rechercher la cause infectieuse (sepsis, infection localisée à Rhodococcus equi, à Streptococcus sp.) ou inflammatoire (syndrome de réponse inflammatoire systémique, interaction médicamenteuse, etc.) et de la traiter. En effet, si seule l’uvéite est traitée, elle risque de récidiver rapidement.

Chez les appaloosas, des études américaines montrent que le gène de la robe léopard les rend huit fois plus susceptibles de développer une uvéite récidivante, souvent bilatérale, insidieuse, et associée à un risque de cécité accru [12, 16].

Devant une telle héritabilité aux conséquences aussi dramatiques, un débat sur la politique de sélection raciale peut avoir lieu, pour établir s’il convient d’écarter les chevaux atteints de la reproduction.

En cas d’uvéite associée à un agent infectieux mis en évidence par un prélèvement oculaire (Leptospira sp., Rhodococcus equi, Borrelia sp., champignons, etc.), l’infection est à prendre en charge. Néanmoins, lors d’uvéite associée aux leptospires, un traitement antibiotique par voie générale n’est pas indiqué. En effet, l’infection ou l’exposition précède de plusieurs mois les signes oculaires et l’uvéite récidivante équine reste une maladie primairement à médiation immune(2).

De plus, la diffusion intraoculaire de certains antibiotiques actifs contre les leptospires (doxycycline, pénicilline) est mauvaise sur un œil sain et, bien que l’inflammation facilite la diffusion des molécules, elle reste inconnue sur un œil atteint d’uvéite. Quant aux antibiotiques diffusant bien dans les milieux oculaires (enrofloxacine), leur efficacité est très controversée [10, 16, 21, 30].

GESTION ET PRÉVENTION DES RÉCIDIVES

L’injection intravitréenne microdosée de gentamicine

En Europe continentale, les uvéites récidivantes équines sont souvent associées aux leptospires(2). Le diagnostic est établi sur la base de prélèvements oculaires. Pour ces uvéites associées aux leptospires, un traitement reposant sur une injection intravitréenne microdosée à 4 mg de gentamicine a été développé dans l’hypothèse initiale que l’antibiotique permettrait de détruire les leptospires restants [29]. En effet, la gentamicine est active sur les leptospires avec une concentration minimale inhibitrice (CMI) faible (inférieure à 1 µg/ml) [28]. Ainsi, par son action bactéricide et concentrationdépendante, même une dose faible de 4 mg permet une action très forte et rapide localement sur les bactéries persistantes dans le vitré, tout en n’étant pas néfaste pour les structures oculaires. En effet, une dose de 20 à 40 mg de gentamicine entraîne la cécité de l’œil injecté, mais permet de calmer un œil glaucomateux quand l’énucléation n’est pas une option retenue [34]. La prévalence élevée de leptospires intraoculaires retrouvés vivants dans plusieurs études et la réussite rapportée de l’injection intravitréenne microdosée de gentamicine ou d’autres antibiotiques (ceftazidime/vancomycine) soutiennent l’hypothèse que la présence à bas bruit de leptospires permettrait le maintien de la réaction inflammatoire [9].

Dans l’étude de Pinard et ses collaborateurs, le diagnostic d’uvéite associée aux leptospires n’est fondé que sur une sérologie positive, alors que cette méthode est considérée aujourd’hui comme ni sensible ni spécifique [29]. Dans cette série de cas, 94 % (17 sur 18) des yeux n’ont pas présenté de récidives après l’injection intravitréenne, mais plusieurs (4 sur 18) ont perdu la vision. D’autres études plus récentes et sur un nombre plus important de chevaux, présentées en Allemagne et en France, confirment ces très bons résultats, avec la suppression totale des crises dans plus de 88 % des cas [7, 14, 24]. Dans l’étude de Fischer et son équipe, quelques récidives de crises (5 sur 59, soit 8,5 %) ou signes d’inflammation persistante (2 sur 59, soit 3,4 %) subsistent [14]. La principale limite de l’étude est la durée de suivi pour l’analyse statistique, qui va de 30 à 780 jours, avec une moyenne de 5,5 mois réduisant le suivi à long terme. Les séquelles déjà présentes au moment de l’injection (synéchies, cataracte) ne rétrocèdent évidemment pas et il est important d’en informer le propriétaire du cheval. Les complications associées à l’injection sont faibles mais existent, avec essentiellement le développement ou la maturation d’une cataracte déjà présente (5 sur 59, soit 8,5 %), ainsi qu’une cécité avec l’apparition d’une dégénérescence rétinienne diffuse (3 sur 59, soit 5,1 %) [14]. Factuellement, il reste difficile de savoir si la cataracte est directement secondaire à l’injection ou s’il s’agit d’une séquelle de l’uvéite (photos 3a et 3b).

Dans l’étude de Fischer, aucun lien n’a pu être établi entre le succès de l’injection intravitréenne de gentamicine et le statut leptospirosique [14]. Les auteurs émettent alors l’hypothèse que la gentamicine pourrait avoir une action autre qu’antibiotique, en bloquant ou inhibant l’activation des lymphocytes T qui sont réputés pour jouer un rôle important dans les uvéites autoimmunes. Dans une autre série de cas récente, avec un suivi minimal un peu plus long (12 mois au minimum), la totalité des chevaux (19 sur 19) n’ont pas présenté de récidive à court terme (moins de 4 mois) [22]. Sur le long terme, 91 % (10 sur 11) des uvéites associées aux leptospires n’ont pas récidivé, alors que la moitié des uvéites non associées aux leptospires ont présenté au moins une crise ou une réactivation de signes inflammatoires à bas bruit, laissant suggérer une influence du statut leptospirosique sur la réussite à long terme. À ce jour, d’autres études restent nécessaires pour mieux comprendre le mode d’action de l’injection intravitréenne de gentamicine microdosée.

Initialement développée sous anesthésie générale, l’injection se réalise désormais sous sédation et anesthésie locale debout, et son coût est bien moindre que les techniques chirurgicales plus invasives (photo 4). Du fait du risque de rétinopathie dégénérative qui peut être bilatérale (expérience personnelle), les auteurs déconseillent d’injecter les deux yeux le même jour.

L’implant suprachoroïdien de ciclosporine

La ciclosporine, un immunomodulateur qui inhibe le développement des réactions à médiation cellulaire (de type Th1), est utilisée par voie topique pour le traitement des kératites dysimmunitaires, mais elle diffuse très mal à travers la cornée. Son action passe par le blocage de la transcription de l’interleukine 2 (IL-2), inhibant ainsi la prolifération et l’activation des lymphocytes T. Des implants intravitréens de cyclosporine ont été testés au début des années 2000, mais devant le taux de complications assez important, des implants suprachoroïdiens ont ensuite été développés [18, 20]. Cette technique, moins invasive du point de vue des structures oculaires que l’implant intravitréen ou que la vitrectomie, nécessite néanmoins une anesthésie générale et une dissection chirurgicale fine et précise afin de poser correctement l’implant, le plus profondément possible dans la sclère et au plus près de la choroïde pour une diffusion oculaire et une efficacité optimales (photo 5). Idéalement, la procédure est réalisée sur un œil calme pour maximiser les chances de succès. L’implant diffuse de la ciclosporine pendant quelques années et une nouvelle pose peut être requise après 4 ans si des signes d’inflammation oculaire apparaissent [18].

Dans la première étude américaine, 85 % des yeux (68 sur 80) ont conservé la vision après l’intervention chirurgicale [18]. Sur le long terme (suivi supérieur à un an), la vision a été préservée pour 78,8 % des yeux implantés (119 sur 151) [19]. Sur les 32 yeux restants, la cécité est attribuée à de nouvelles crises d’uvéite récidivante (54 %), à un glaucome (22 %), à une cataracte mature (16 %) ou à un décollement de la rétine (6 %). La technique, bien que non idéale en raison des complications possibles, s’est imposée comme la référence pour le traitement de l’uvéite récidivante équine outre-Atlantique. Ces études ont été réalisées aux États-Unis où la prévalence des uvéites associées aux leptospires est plutôt faible. Bien que, en plus de l’activité inhibitrice des lymphocytes T, la ciclosporine ait montré une inhibition partielle in vitro de la croissance des leptospires, selon notre expérience clinique, ces implants sont moins adaptés aux chevaux qui présentent une positivité à la leptospirose dans l’humeur aqueuse, avec une efficacité moindre et souvent limitée [18]. Ils sont plutôt à réserver aux cas avec des crises d’uvéite récidivante pour lesquels le prélèvement d’humeur aqueuse est négatif pour la recherche de leptospires. En effet, si des leptospires intraoculaires sont présents, l’implant peut calmer l’inflammation sans toutefois éliminer les bactéries, et l’uvéite pourrait potentiellement progresser. Dans ces cas, l’injection intravitréenne de gentamicine microdosée ou la vitrectomie sont plus indiquées [3].

La vitrectomie

La vitrectomie a été mise au point et est beaucoup pratiquée en Allemagne, où la prévalence des uvéites associées aux leptospires est élevée(2). Cette intervention chirurgicale sous anesthésie générale consiste à retirer le centre du vitré, sous un contrôle ophtalmoscopique indirect, pour éliminer les leptospires et les cellules ou débris inflammatoires qui entretiennent le phénomène immunitaire. Les chevaux atteints d’uvéite associée aux leptospires et avec des remodelages modérés à marqués du vitré sont considérés comme de bons candidats à la vitrectomie [32]. Dans cette étude, la chirurgie affiche en effet de bons résultats, avec 82,5 % (40 sur 47) des chevaux possédant des anticorps antileptospires dans le vitré qui n’ont plus présenté de crises, versus 14,3 % (1 sur 7) pour lesquels la recherche d’anticorps était négative. Cependant, cette intervention nécessite un matériel spécifique et une haute technicité opératoire, représente un coût élevé (supérieur à la pose d’un implant) et peu de centres vétérinaires la pratiquent (photo 6). Sur les yeux où une hyalite sévère est présente, elle permet également de restaurer la transparence du vitré.

À la fin de la procédure, une solution tampon de gentamicine est utilisée pour rincer l’œil. Au vu de l’efficacité de l’injection intravitréenne de gentamicine microdosée, la part de ce rinçage dans la réussite de l’intervention chirurgicale pose question.

Malgré l’ensemble des précautions mises en place, des risques significatifs de complications existent, tels que des hémorragies, le développement d’une cataracte, un décollement de la rétine et un phtisis bulbi. Ainsi, l’étude de Winterberg recense jusqu’à 44 % de cataractes, 14 % de phtisis bulbi et 9 % de décollements de la rétine [15, 35]. Une étude plus récente modère un peu ces complications avec, sur le long terme (suivi moyen de 7 à 8 ans), une préservation de la vision dans 75 à 81 % des cas et une meilleure réussite lorsque la chirurgie est réalisée précocement, avant l’apparition des séquelles [36].

Démarche thérapeutique lors de récidive

Devant le faible taux de complications de l’injection intravitréenne, certains auteurs en viennent à la réaliser directement après la première récidive, en même temps que la ponction d’humeur aqueuse pour la recherche de leptospires, sans attendre son résultat [27]. Cela reste soumis à débat et dépend des lésions oculaires déjà présentes, des considérations financières et de la balance bénéfice/risque à discuter avec le propriétaire.

En effet, si une limite financière existe et que la pose d’un implant n’est pas envisageable, l’injection intravitréenne peut être réalisée en première intention. À l’inverse, considération financière exceptée, sur un œil présentant très peu de lésions et sur lequel la ponction d’humeur aqueuse s’est révélée négative, le choix entre une injection intravitréenne microdosée de gentamicine et la mise en place d’un implant suprachoroïdien se pose du fait des risques de cataracte et de rétinopathie dégénérative, aussi limités soient-ils. Le suivi dans le temps reste primordial et, en cas d’évolution, les traitements peuvent évidemment être associés sur le long terme (tableau 2).

Autres perspectives thérapeutiques

Récemment, Gilger a rapporté la bonne efficacité d’une injection suprachoroïdienne d’acétonide de triamcinolone sur deux cas réfractaires au traitement médical, sans les effets indésirables déjà décrits que sont l’ulcère cornéen, l’infection ou la kératopathie calcique (photo 7) [17, 37]. Chez l’homme, des injections de molécules immunomodulatrices (rapamycine, méthotrexate), d’anticorps monoclonaux anti-TNFα (infliximab, adalimumab) et d’interférons, ainsi que la pose d’un implant intravitréen de dexaméthasone ont été étudiées et utilisées chez certains patients [5]. Chez le cheval, seules de rares études préliminaires sont publiées pour le moment [11].

Conclusion

Une uvéite aiguë chez le cheval, qu’elle soit isolée ou une récidive dans le cadre d’une uvéite récidivante équine, doit être prise en charge dès le début de façon intense. Le vétérinaire doit être concerné par le traitement médical et veiller à la bonne implication du propriétaire et à son information (écrite le cas échéant) afin que l’œil développe le moins de lésions possible. Une fois la crise d’uvéite contrôlée, un suivi régulier doit être instauré avec pour objectif une prise en charge durable visant à limiter le risque de développement de lésions irréversibles (synéchies, séclusion pupillaire, cataracte, décollement de la rétine notamment). En cas de récidive ou d’évolution, les signes cliniques, la distribution des lésions et les résultats de la ponction d’humeur aqueuse permettent de guider vers le traitement le plus adapté : injection intravitréenne de gentamicine microdosée, pose d’implant suprachoroïdien de cyclosporine ou vitrectomie.

  • (1) Voir l’article “Évaluation clinique de l’uvéite chez le cheval” dans ce dossier.

  • (2) Voir l’article “Étiopathogénie et épidémiologie des uvéites chez le cheval” dans ce dossier.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

Éléments à retenir

→ Le traitement médical d’une uvéite aiguë doit être précoce, agressif et suffisamment long.

→ Lors d’uvéite récurrente équine (URE), la prise en charge médicale seule mène à une perte sévère de vision sur le long terme dans plus de la moitié des cas. Un suivi régulier est donc nécessaire.

→ En cas d’uvéite récurrente et selon les résultats de la ponction d’humeur aqueuse et la sévérité et la localisation des lésions, une injection intravitréenne microdosée de gentamicine, un implant suprachoroïdien de ciclosporine ou une vitrectomie sont possibles.

→ L’injection intravitréenne microdosée de gentamicine donne d’excellents résultats pour contrôler les crises d’URE. Néanmoins, les risques de développement/maturation d’une cataracte et de dégénérescence rétinienne avec cécité doivent être pris en compte lors de la décision thérapeutique en accord avec les propriétaires.

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