La notion de causalité - Pratique Vétérinaire Equine n° 212 du 01/10/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 212 du 01/10/2021

ÉPIDÉMIOLOGIE CLINIQUE

Cahier scientifique

Médecine factuelle

Auteur(s) : Jean-Michel Vandeweerd

Fonctions : Dipl. ECVS
Université de Namur (UNamur)
Urvi-Narilis (Unité de recherche
vétérinaire intégrée-Namur
Research Institue for Life Sciences)

61 rue de Bruxelles,
5000 Namur (Belgique)
jean-michel.vandeweerd@unamur.be

Lorsqu’un facteur de risque est une cause de maladie, sa suppression constitue une mesure de prévention. D’autres facteurs à considérer sont les marqueurs, les variables de confusion et les modificateurs d’effet.

La cause peut se définir comme tout ce qui peut produire un effet ou un résultat. En médecine vétérinaire, elle est souvent discutée sous le titre d’“étiologie”, de “pathogénie” ou de “mécanisme”. La connaissance de la cause est importante, car elle permet d’envisager le diagnostic, le traitement et les mesures de prévention de la maladie. Si la cause d’une maladie est une bactérie, le diagnostic sera orienté vers son identification dans les tissus qui pourraient être envahis. Les antibiotiques constitueront vraisemblablement le traitement initial. La prévention visera toutes les voies de contamination possibles. Il convient cependant de se méfier des raccourcis.

Facteurs de risque

Le risque fait référence à la probabilité d’un événement inopportun. Dans le contexte de la santé, les facteurs de risque concernent les éléments qui favorisent l’apparition d’une maladie.

Certains facteurs de risque peuvent faire partie du patrimoine génétique et être transmis. L’uvéite récidivante, par exemple, apparaît plus fréquemment chez les chevaux appaloosas et de sang allemands (photo 1) [3, 5]. L’âge et le sexe sont des facteurs de risque fréquents. D’autres facteurs font partie de l’environnement physique des animaux. La consistance de certaines pistes de course, trop dures, va ainsi favoriser les fractures chez les pur-sang galopeurs. Certains facteurs concernent l’environnement social. Une étude, notamment, tend à montrer que les juments resteront davantage gestantes si elles sont maintenues avec d’autres femelles après la saillie que si elles sont en contact direct ou rapproché avec un étalon [1]. Les antécédents médicaux peuvent favoriser le développement d’une maladie. Ainsi, le risque de développer des coliques est plus élevé chez les chevaux qui en ont déjà présenté [4]. Enfin, certains comportements favoriseront l’apparition d’affections, comme le comportement stéréotypé du tic à l’air chez le cheval qui est associé à l’incarcération de l’intestin grêle dans le foramen épiploïque [7].

La notion de risque est utilisée pour prévoir une maladie future. Toutefois, l’existence du risque n’indique pas que l’animal développera la maladie. Tous les chevaux qui tiquent à l’air ne développent pas nécessairement de coliques. Il s’agit de probabilité, mais pas de certitude. Par ailleurs, la présence d’un facteur de risque permet d’orienter le diagnostic ou d’affiner la démarche pour y aboutir. Des signes de colique aiguë avec un reflux gastrique et des anses de l’intestin grêle dilatées chez un cheval qui tique à l’air permettent de suspecter une incarcération dans le foramen épiploïque [7].

En outre, dès lors qu’un facteur de risque est une cause, le supprimer permettrait de prévenir la maladie. La connaissance des risques conduit à la mise en place d’une politique de prévention. Si certaines pistes de course favorisent les fractures, il convient d’en changer le sol. Si le changement d’alimentation favorise les coliques, il vaut mieux éviter toute modification brutale du régime. Certains facteurs de risque ne sont pas des causes, leur présence indique tout simplement une plus grande probabilité de développer la maladie. Le dosage des prostate specific antigens (PSA) chez l’homme signale un risque accru de développer un cancer de la glande. Les PSA, bien qu’ils signent une probabilité supérieure de développer la maladie, n’en sont pas la cause. Ce type de facteur de risque est appelé un marqueur.

Variables de confusion

Les résultats d’un essai peuvent aussi être influencés par des facteurs appelés “variables de confusion”, plutôt que par l’intervention elle-même. Par exemple, une étude pourrait être menée pour mesurer l’impact de l’embonpoint sur l’apparition de la fourbure chez des poneys, en comparant deux groupes similaires dans le nord de l’Angleterre. Il est connu que le risque de développer une fourbure associée à la pâture et une maladie endocrinienne est accru chez les chevaux qui présentent une adiposité généralisée ou régionale (photo 2) [2]. Une meilleure prise en charge de l’alimentation et une activité physique pourraient réduire l’adiposité et ainsi prévenir les fourbures.

Or, au cours d’une étude, les chercheurs rassemblent de nombreux autres renseignements dont le statut vaccinal et de vermifugation. À titre d’exemple, ils pourraient constater que, dans le groupe des chevaux fourbus, il est possible de dénombrer plus de chevaux vermifugés et vaccinés que dans le groupe des nonfourbus. Faut-il en conclure qu’il est utile d’arrêter de vermifuger et de vacciner les poneys pour prévenir la maladie ? Il serait probablement plus sage d’investiguer au préalable les liens entre l’embonpoint et les mesures de vaccination et de vermifugation. En fait, les animaux sous-alimentés sont probablement moins vaccinés ou vermifugés, car ils appartiennent à des propriétaires moins attentionnés. Les propriétaires attentionnés, eux, ont des animaux vaccinés et vermifugés, mais gras. Or l’obésité est un facteur connu qui prédispose les poneys à la fourbure. Dans cette étude hypothétique, la vermifugation/vaccination aurait un lien direct avec l’embonpoint et la fourbure. Toutefois, ce lien ne serait pas causal, le vrai lien de cause à effet se situant entre l’embonpoint et la fourbure (figure). La vermifugation/vaccination, dans cet exemple fictif, constitue alors un “facteur de confusion”.

Modification d’effet et interaction

Il existe encore un autre type de relation potentiel entre différentes variables. C’est la “modification de l’effet”. Dans ce cas, un facteur n’est pas lié aux deux variables de l’étude (il ne varie pas avec chacune des deux et n’a aucun lien de causalité avec elles), mais sa présence influence l’intensité de l’association entre les deux variables étudiées.

Certaines causes n’ont d’effet que sous certaines conditions. Ainsi, seulement 10 % des fumeurs développeront un cancer du poumon. Cela est dû à l’intervention d’autres facteurs. Par ailleurs, l’asbeste favorise le développement d’un cancer du poumon, mais celui-ci sera plus rapide chez un fumeur que chez un non-fumeur. L’association mesurée (développement d’un cancer associé à l’exposition à l’amiante) va donc varier selon une autre variable : la consommation de tabac. Le facteur tabac va ainsi interagir avec les autres variables (amiante et apparition du cancer). Les statisticiens emploient le terme d’“interaction” alors que les épidémiologistes parlent plutôt de “modification d’effet” pour définir cette variation de la mesure d’un effet en fonction d’une autre variable. Si, à la suite de cette variable, l’effet est supérieur à celui qui était escompté, l’interaction est dite positive ou synergique. Dans la relation contraire, il s’agit d’une interaction négative ou antagoniste.

La variable responsable d’une modification d’effet n’est pas associée à l’exposition (ce n’est pas parce qu’on fume qu’on nettoie nécessairement le bâtiment de l’Union européenne à Bruxelles de l’amiante de ses plafonds), ni à la maladie indépendamment de l’exposition (la consommation de tabac favorise le cancer du poumon lorsque le patient a été exposé à l’amiante). Il ne s’agit donc pas d’un facteur de confusion. La mise en évidence d’une telle variable est une information très intéressante, car elle permet d’identifier des sous-groupes à plus haut risque.

Éléments à prendre en compte pour évaluer la force du lien de cause à effet

Dans tous les essais qui étudient la cause, mais spécialement lorsque des publications de qualité (celles qui trônent au sommet de la pyramide de l’évidence) ne sont pas disponibles, certains critères augmentent la probabilité que l’association mise en évidence entre deux facteurs soit causale. En 1965, le statisticien Bradford Hill a proposé une liste d’éléments qui devraient être pris en compte pour décider si une relation entre certains facteurs et une maladie est une cause ou juste une association (tableau) [6]. Ceux-ci ne sont pas toujours tous présents, bien entendu.

Conclusion

Dès que la causalité est envisagée, il convient d’être prudent et critique. Il est nécessaire de différencier cause, facteur de risque, variable de confusion et modification d’effet. Les critères de Bradford Hill peuvent être utilisés pour questionner le lien de cause à effet.

  • 1. Bartoš L, Bartošová J, Pluhácek J. Male-free environment prevents pregnancy disruption in domestic horse mares mated away of home. Appl. Anim. Behav. Sci. 2018;200:67-70.
  • 2. Coleman M, Belknap J, Eades S et coll. Case-control study of risk factors for pasture and endocrinopathy-associated laminitis in North American horses. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2018;253(4):470-478.
  • 3. Fritz KL, Kaese HJ, Valberg SJ et coll. Genetic risk factors for insidious equine recurrent uveitis in Appaloosa horses. Anim. Genet. 2014;45(3):392-399.
  • 4. Gonçalves S, Julliand V, Leblond A. Risk factors associated with colic in horses. Vet. Res. 2002;33(6):641-652.
  • 5. Kulbrock M, Lehner S, Metzger J et coll. A genome-wide association study identifies risk loci to equine recurrent uveitis in German warmblood horses. PLoS One. 2013;8(8):e71619.
  • 6. Morabia A. On the origin of Hill’s causal criteria. Epidemiology. 1991;2(5):367-369.
  • 7. Van Bergen T, Wiemer P, Martens A. Equine colic associated with small intestinal epiploic foramen entrapment. Vet. J. 2021;269:105608.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

→ La connaissance de l’étiologie est essentielle, mais il convient de l’utiliser en évaluant de façon critique la force du lien de cause à effet qui est mis en évidence.

→ Si un facteur de risque est un marqueur et non une cause, il ne sera pas possible d’agir à son niveau pour prévenir l’apparition de la maladie.

→ Relation temporelle et dose-effet, force de l’association, réversibilité, consistance entre les études, plausibilité biologique, spécificité et analogie constituent des critères de causalité.

Un facteur de confusion représente une variable qui est associée aussi bien au facteur étiologique vrai qu’à la maladie. Le facteur est appelé confondant ou facteur de confusion pour l’exposition étudiée dans l’association mesurée. La vaccination est, dans cet exemple, un facteur de confusion pour l’étude de l’association du poids et de la fourbure. Par définition, un facteur de confusion est lié au facteur d’exposition et au résultat mesuré. Le facteur de confusion présente deux caractéristiques : il est associé au facteur d’exposition sans en être la conséquence (ce n’est pas parce que les chevaux sont gros qu’ils sont vaccinés ou vermifugés, même si les chevaux en bon état ont plus de chance d’être vaccinés ou vermifugés), et il est lié au résultat sans en être la cause (les poneys vaccinés et vermifugés sont plus souvent fourbus, mais ce n’est pas la cause, c’est l’embonpoint qui l’est en réalité).

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