Coliques chez le cheval adulte : quand en référer ? - Pratique Vétérinaire Equine n° 212 du 01/10/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 212 du 01/10/2021

DÉMARCHE DÉCISIONNELLE

Cahier pratique

Fiche pratique

Auteur(s) : Laura Chapuis*, Angélique Hayot**, Jean-Luc Cadoré***

Fonctions :
*VetAgro Sup, campus vétérinaire
de Lyon, Clinéquine
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

Le terme de coliques décrit un syndrome de douleur abdominale d’origine viscérale. Les coliques sont les urgences les plus courantes en pratique équine [1]. Chez le cheval adulte, elles sont le plus souvent dues à des affections gastro-intestinales qui regroupent les troubles de la motricité, les anomalies pariétales, les obstructions mécaniques et, dans certains cas, les atteintes du microbiote intestinal. Des atteintes du système reproducteur ou du système urinaire peuvent également provoquer des douleurs abdominales aiguës, mais sont plus rares. Selon la cause primaire de la douleur abdominale, la prise en charge et le pronostic peuvent varier considérablement. La décision de référer un cheval en coliques découle d’une évaluation clinique attentive et d’une discussion avec le propriétaire (figure). Elle s’appuie sur l’observation de critères de gravité laissant présager qu’une prise en charge de terrain sera insuffisante.

Indications

Les animaux qui nécessitent d’être envoyés en centre de référés peuvent être regroupés en trois catégories :

- les chevaux pour lesquels les conditions de terrain ne sont pas favorables à l’établissement d’un diagnostic, d’un pronostic ou d’un traitement médical correct ;

- les chevaux pour lesquels l’examen clinique initial et/ou le second examen révèlent un ou plusieurs éléments anormaux sans qu’un diagnostic puisse être établi ;

- les chevaux pour lesquels une intervention chirurgicale est impérative. Cette décision peut être dictée par un diagnostic causal précis, comme une hernie inguinale étranglée. Le vétérinaire peut également arriver à cette décision en raison de la présence d’éléments cliniques indiscutables, comme la palpation d’une masse abdominale. Une douleur persistante ou une reprise rapide de celle-ci après l’administration d’analgésiques doit aussi être considérée comme un indicateur de la nécessité d’un traitement chirurgical [3].

Le transport d’un cheval en colique vers une structure équipée pour pratiquer des interventions chirurgicales ne signifie pas forcément que le cheval en subira une, mais cela permettra d’affiner le diagnostic grâce à des examens complémentaires non réalisables sur le terrain, et de garantir la mise en place de soins intensifs adaptés. En raison du grand nombre de cas de coliques traités, les cliniciens de la structure spécialisée ont généralement à leur disposition un plateau technique adapté (échographe, analyses sanguines, etc.), ainsi que davantage d’expérience et de recul pour évaluer au plus juste chaque cas référé, et ainsi décider d’opérer au plus vite ou au contraire de différer l’intervention chirurgicale.

Le praticien de terrain ne doit donc jamais se sentir embarrassé d’avoir pris cette décision par excès. Aucune équipe chirurgicale ne lui reprochera d’avoir référé un cheval en colique dont l’état s’est amélioré pendant le transport et qui ne nécessite plus une prise en charge chirurgicale.

À l’inverse, l’attente de l’accumulation des signes cliniques alarmants pour transférer l’animal peut être dommageable pour ce dernier et compromettre ses chances de survie.

Éléments d’aide à la décision

Il est primordial pour le praticien de terrain de disposer d’éléments pertinents pour effectuer rapidement le triage entre les cas pouvant être traités sur place et ceux devant être référés en clinique. La plupart de ces éléments peuvent être mis en évidence grâce à une démarche clinique rigoureuse, sans l’emploi d’examens complémentaires spécifiques (tableau).

Examen clinique général

Les clefs de l’examen clinique sont l’évaluation de la douleur et de l’état général du cheval (photo 1a) [6]. L’intensité de la douleur est un élément pronostique important : une douleur violente qui ne rétrocède pas après l’administration d’antalgiques est une indication majeure pour référer. La présence d’escarres au niveau des reliefs osseux de la tête, du corps et des membres, ou un box entièrement retourné sont autant d’éléments qui peuvent traduire un épisode passé de douleur intense (photo 1b). Ces observations sont parfois les seuls signaux d’alarme lors des premiers stades d’une obstruction étranglée de l’intestin grêle chez certains chevaux. Un cheval qui présente une douleur continue, modérée à sévère, sans qu’une raison apparente la justifie est peut-être en train de développer une compromission vasculaire intestinale (par exemple un volvulus ou l’incarcération d’une anse d’intestin grêle dans le foramen épiploïque). Certaines catégories de chevaux ne manifestent que très peu la douleur (poneys, chevaux âgés, races de trait). Face à de tels animaux, le praticien doit attacher une attention toute particulière aux autres paramètres cliniques, notamment à ceux du système cardiovasculaire. Une fréquence cardiaque élevée et son augmentation régulière sont une indication objective de la gravité des coliques. Une tachycardie peut traduire une douleur ou une souffrance cardiovasculaire. Cependant, elle n’est pas à utiliser seule, car il existe de grandes variations interindividuelles : elle doit être mise en relation avec d’autres manifestations cliniques, et notamment les signes de déshydratation et d’hypovolémie (remplissage jugulaire retardé, couleur des muqueuses anormale, temps de remplissage capillaire supérieur à 2 secondes, extrémités froides, pouls périphérique filant, pli de peau persistant).

Pour l’hématocrite, les valeurs normales retenues varient entre 32 et 45 %, pour les protéines plasmatiques de 60 à 75 g/l. Ces paramètres sont des bons indicateurs pronostiques. Les chevaux qui présentent à la fois des signes de coliques et d’hypovolémie/déshydratation doivent recevoir une perfusion de solutés agressive. Si cette dernière n’est pas possible sur place, c’est une indication pour référer. Par exemple, un hématocrite supérieur ou égal à 60 % est un signe de déshydratation sévère, associé à un pronostic sombre. L’hospitalisation du cheval est alors indispensable si les propriétaires souhaitent une prise en charge, en prenant en compte dans la décision le risque de mortalité précoce malgré les soins intensifs [6]. Une absence totale de bruits digestifs peut être le signe d’une obstruction complète ou d’un iléus sévère. C’est un signe de gravité en faveur d’une prise en charge chirurgicale [2].

Une distension abdominale est un autre signe de gravité, surtout en cas d’augmentation du périmètre abdominal au fil de temps [2]. Les coliques à indication chirurgicale sont, de manière générale, normothermes ou légèrement hypothermes [2].

Palpation abdominale transrectale

La palpation transrectale peut à elle seule donner des indications sur la sévérité des coliques par la détermination de la distension et/ou de la position de certains viscères par rapport à la normale. Ainsi, la palpation d’anses d’intestin grêle distendues est toujours un élément inquiétant, même si la cause de cette distension n’est pas connue (obstruction étranglée ou non étranglée).

Les éléments en faveur d’une intervention chirurgicale comprennent : la distension de l’intestin grêle, la distension associée ou non à un déplacement du gros côlon, la distension ou stase sévère de tout viscère ne pouvant pas être résolue avec un traitement médical, ou la présence d’un corps étranger palpable [6].

Même pour les cas qui nécessitent uniquement un traitement médical (comme certaines stases), notamment lorsque l’évolution n’est pas satisfaisante, une hospitalisation apparaît parfois indispensable afin d’être pris en charge de façon agressive.

Sondage nasogastrique

Le sondage nasogastrique est un élément essentiel dans la prise en charge d’une colique en première intention. C’est un acte à la fois diagnostique et thérapeutique, primordial notamment lors de douleur abdominale intense qui peut témoigner d’une distension gastrique importante.

La quantité et la nature du contenu gastrique sont des éléments diagnostiques :

- un volume de reflux supérieur à 4 litres indique un processus grave et oriente vers la décision de référer le cheval (photo 2) ;

- un contenu riche en fibres alimentaires associé ou non à une odeur acide est évocateur d’une stase gastrique ;

- une couleur orange à brun avec une odeur nauséabonde est en faveur d’une entérite proximale, de mauvais pronostic. L’entérite proximale est à l’origine d’un reflux spontané en grande quantité.

Autres éléments

Plusieurs examens complémentaires, réalisables sur le terrain, peuvent faciliter la prise de décision. Ils restent cependant facultatifs et secondaires face à l’évaluation clinique.

Échographie abdominale

Une rapide échographie abdominale permet d’objectiver une distension gastrique (estomac dépassant le 13e espace intercostal à gauche), une dilatation de l’intestin grêle (diamètre des anses supérieur à 5 cm) ou une hypomotilité de ce dernier (photos 3a et 3b). Elle permet également d’évaluer la quantité de liquide abdominal, qui est le signe d’un état grave lorsqu’il est présent en très grande quantité ou qu’il a un aspect anormal. Enfin, l’augmentation de l’épaisseur de la paroi de l’intestin grêle ou du côlon ascendant est aussi un critère de gravité. Cependant, il convient d’interpréter ces signes avec précaution, car leur spécificité reste limitée, notamment en raison des variations interindividuelles et de l’expérience du manipulateur [5].

Lactatémie

Une hyperlactatémie peut être le signe d’une perfusion globale diminuée ou d’une ischémie localisée. Son intérêt réside principalement dans le suivi par des mesures régulières.

Paracentèse

La paracentèse abdominale sert à l’évaluation de la souffrance intestinale [2, 6]. Sur le terrain, l’évaluation se limite à l’aspect du liquide recueilli et à la mesure des protéines totales (au réfractomètre) et des lactates. Un liquide abdominal normal est sans odeur, limpide, de couleur claire à jaune pâle, et sa concentration en protéines totales est inférieure à 25 g/l. Un taux de lactate péritonéal supérieur à celui des lactates sanguins est fortement évocateur d’une obstruction étranglée.

Réévaluation

Un épisode de colique requiert la réévaluation fréquente des différents paramètres évoqués. La modification d’au moins l’un d’entre eux peut orienter et déterminer si la prise en charge sera plutôt chirurgicale ou médicale [6].

Accord du propriétaire

Il convient de se renseigner sur les moyens financiers et la volonté du propriétaire (ou du détenteur) du cheval, qui restent déterminants dans la décision de référer l’animal en centre de soins intensifs.

Le pronostic vital est fortement lié aux critères d’indication pour référer : ainsi, une étude menée dans un centre de référence au Canada montre que les chevaux nécessitant un traitement chirurgical bénéficient d’un pronostic plus sombre en moyenne que ceux pouvant être traités médicalement [4]. De plus, les signes de gravité (tachycardie, signes de douleur sévère, absence de bruits digestifs, etc.) sont corrélés avec une mortalité plus élevée chez les chevaux arrivant au centre de référence. De même, les chevaux plus âgés ont un taux de survie plus faible. Dans le cas d’un cheval qui présente des signes de colique graves, le propriétaire doit donc être prévenu que, même si référer le cheval augmente ses chances de survie, le pronostic reste réservé. Le praticien doit également prévenir le propriétaire ou le détenteur du coût financier de l’hospitalisation d’un cheval, qui pour une colique peut atteindre en France 1 500 € environ pour une prise en charge médicale et jusqu’à 5 000 € pour une prise en charge chirurgicale sans complications.

  • 1. Cadoré JL. Examen du cheval en coliques. Point Vét. 1991;23:743-747.
  • 2. Cook VL, Hassel DM. Evaluation of the colic in horses: decision for referral. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2014;30(2):383-398.
  • 3. Gluntz X, Gogny M. Prise en charge du cheval en coliques sur le terrain. Dans : Les coliques du cheval. Éd. Point Vétérinaire. 2007:59-97.
  • 4. Kaufman JM, Nekouei O, Doyle AJ et coll. Clinical findings, diagnoses, and outcomes of horses presented for colic to a referral hospital in Atlantic Canada (2000-2015). Can. Vet. J. 2020;61(3):281-288.
  • 5. Le Jeune S, Whitcomb MB. Ultrasound of the equine acute abdomen. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2014;30(2):353-381.
  • 6. Orsini JA, Divers TJ. Gastrointestinal system. In: Equine Emergencies: Treatments and Procedures, 4th ed. WB Saunders. 2014:185-191.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

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