THÉRAPEUTIQUE
Cahier scientifique
Article de synthèse
Auteur(s) : Matthieu Cousty
Fonctions : Dipl. ECVS
Centre hospitalier
vétérinaire équin de Livet
Cour Samson
14140 Saint-Michel-de-Livet
Une évidence scientifique de l’efficacité des biphosphonates pour le traitement de certaines affections osseuses existe. Le respect de la réglementation qui encadre l’emploi de ces substances est fondamental.
Les affections de l’appareil locomoteur sont l’une des principales causes de contre-performance chez les chevaux de course et de sport. Les biphosphonates sont les seuls médicaments à visée osseuse utilisables chez le cheval. Ils comprennent deux classes : les biphosphonates azotés et les biphosphonates non azotés. Deux spécialités, le tiludronate (Tildren®, Audevard) et le clodronate (Osphos®, Dechra), disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en médecine équine qui en permet l’emploi chez le cheval adulte (âgé de plus de 3 ou de 4 ans, respectivement) [8, 11]. La pharmacocinétique de ces deux molécules est précisément décrite [17, 26, 27]. Toutes les deux font partie de la classe des biphosphonates non azotés.
L’objectif de cet article est de faire la synthèse des études publiées sur ces produits et leurs indications. Les deux médicaments sont principalement utilisés pour traiter la forme osseuse du syndrome podotrochléaire, l’éparvin et les arthropathies synoviales intervertébrales épiaxiales, bien que ces dernières ainsi que l’éparvin pour le clodronate uniquement ne soient pas indiqués dans l’AMM (photos 1a à 1d).
Le tiludronate s’administre par voie intraveineuse à la dose de 0,1 mg/kg par jour pendant 10 jours ou de 1 mg/kg en une seule fois en perfusion lente. Expérimentalement, la concentration du marqueur de résorption osseuse CTX-1 est significativement diminuée dans le plasma et dans l’urine lors de perfusion lente à 1 mg/kg, alors qu’elle est significativement diminuée uniquement dans le plasma lors de l’injection journalière à 0,1 mg/kg. Cependant, les deux modalités d’administration produisent une exposition plasmatique et des effets pharmacologiques similaires [5]. Le tiludronate peut également être administré par voie intraveineuse locorégionale (à la dose de 50 mg) [15]. Le clodronate s’administre par voie intramusculaire à la dose de 765 mg par cheval d’un poids égal ou supérieur à 500 kg, partagée en deux ou trois sites d’injection [20].
L’administration de ces substances est réglementée, à la fois chez les chevaux de sport et de course [13, 26]. Le délai de détection indicatif est de 30 jours avant une compétition(1). Néanmoins, une étude montre que leur détection est possible jusqu’à 3 ans après une administration [29].
Pour le galop, depuis le 1er janvier 2021 en France, aucun cheval âgé de moins de 4 ans ne peut participer à une course publique s’il a été traité, après le 1er janvier 2020, par une substance appartenant à la classe thérapeutique des biphosphonates. Cette règle est également appliquée dans de nombreux pays (Allemagne, Italie, Qatar, Arabie saoudite, etc.).
Pour les courses de trot, depuis le 1er janvier 2021, l’administration de biphosphonates chez les trotteurs âgés de moins de 4 ans reste autorisée en France. En revanche, elle est interdite au Danemark, en Finlande, en Norvège, en Suède, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Irlande, en Suisse et en Russie.
L’administration de biphosphonates autres que ceux possédant une AMM pour le cheval est interdite. Un faible risque de toxicité rénale existe, lié à l’emploi de ces molécules avec ou sans AMM [8].
Plusieurs biphosphonates ont montré leur efficacité en médecine humaine dans le traitement de l’ostéoporose postménopausique, mais seules trois molécules apportent un bénéfice suffisant pour réduire le risque de fracture vertébrale et de la hanche chez des patientes prédisposées. Il s’agit de l’alendronate, du zolédronate et du risédronate. Ces trois molécules font partie de la classe des biphosphonates azotés. D’autres sont également disponibles, mais n’ont pas fait la preuve de leur efficacité en termes de prévention des fractures non vertébrales liées à l’ostéoporose : l’ibandronate, l’étidronate, le clodronate, le tiludronate et le pamidronate [30, 32-34].
Concernant les biphosphonates non azotés, le clodronate est indiqué dans la prévention des événements osseux des métastases ostéolytiques ou du myélome et le tiludronate pour le traitement cyclique de la maladie de Paget [32-34]. Cette dernière est une maladie chronique touchant le squelette et à l’origine d’un remodelage pathologique des os (fragilisation osseuse).
Les biphosphonates sont classés selon leur puissance relative par rapport à l’étidronate (égale à 1). Quelques molécules peuvent atteindre un rapport de 10 000, alors que le clodronate et le tiludronate ont des rapports de l’ordre de 10 [32-34].
L’étude expérimentale de la distribution du tiludronate a montré que ce biphosphonate se fixe sur différents sites osseux [6]. L’administration par voie intrasynoviale est délétère sur le cartilage dans plusieurs modèles expérimentaux [9, 10]. Les auteurs ne recommandent pas l’utilisation intra-articulaire.
Une étude expérimentale a été conduite pour évaluer l’effet du tiludronate sur les marqueurs biochimiques du métabolisme osseux (résorption et formation) et sur la densité osseuse, à partir d’un modèle expérimental d’ostéoporose de non-utilisation secondaire à la pose d’un plâtre. Deux groupes de 8 chevaux ont été immobilisés pendant 8 semaines. Un groupe a reçu un placebo et l’autre du tiludronate par voie intraveineuse, à la dose de 1 mg/kg en perfusion lente. Chaque traitement (placebo et tiludronate) a été injecté à 28 jours d’intervalle.
Une diminution significative du marqueur de résorption osseuse (CTX-1) est observée dans le groupe tiludronate. Aucune différence n’est décelée sur le marqueur de formation osseuse dans les deux groupes. La diminution de densité minérale osseuse est significativement moins marquée dans le groupe tiludronate. En conclusion, le tiludronate prévient l’ostéopénie consécutive à l’immobilisation [4]. Les auteurs suggèrent de l’utiliser lors d’une immobilisation à long terme pour réduire le temps de convalescence et obtenir un retour plus sécurisé à l’exercice. Bien entendu, cet usage est à nuancer selon la cause qui a justifié l’arrêt du cheval.
Une étude expérimentale a été menée pour connaître les effets du tiludronate et du clodronate chez des jeunes chevaux âgés de 2 à 5 ans. Aucune différence significative n’a été objectivée sur la structure osseuse et sur les paramètres du remodelage osseux à J60 et après la réalisation d’une biopsie osseuse. Les auteurs concluent, avec quelques réserves, que les deux biphosphonates ont peu d’effet sur le remodelage osseux chez les jeunes chevaux en croissance [28]. L’utilisation de ces molécules pourrait alors être envisagée chez des chevaux âgés de plus de 2 ans de manière sécurisée.
La première étude clinique en double aveugle sur les biphosphonates a inclus 50 chevaux (tiludronate à la dose de 0,5 mg/kg ou de 1 mg/kg), dont 11 dans le groupe contrôle. Les cas cliniques ont été répartis en cas récents (début des signes cliniques datant de moins de 6 mois) et chroniques (début des signes cliniques datant de plus de 6 mois). L’étude ayant été réalisée en 2003, aucun examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) n’a été réalisé pour l’inclusion, ce qui limite la confirmation d’une lésion osseuse primaire. L’un des critères d’inclusion était néanmoins la présence de signes radiographiques indicateurs d’une anomalie osseuse sur l’os sésamoïde distal.
Pour les cas aigus, la dose de 1 mg/kg a permis d’obtenir une meilleure efficacité que celle de 0,5 mg/kg pour laquelle les résultats sont similaires au groupe placebo. Parmi les 12 chevaux (66,7 %) traités avec la dose de 1 mg/kg, 8 ont répondu positivement à 192 jours versus 1 cheval sur 8 (12,5 %) dans le groupe placebo. Les résultats sont significatifs comparativement au groupe contrôle pour les critères suivants : l’échec à 66 jours, le pourcentage de chevaux ayant une activité normale à 192 jours, la réponse positive au traitement à 192 jours. À la fin de l’étude, 6 chevaux sur 12 (50 %) du groupe traité et 1 cheval sur 8 (12,5 %) du groupe placebo ne présentaient plus de boiterie [7]. Les auteurs concluent que le tiludronate est indiqué pour le traitement des chevaux souffrant d’un syndrome podotrochléaire, surtout récent.
Une étude clinique, incluant un groupe placebo, a été menée pour évaluer l’effet du tiludronate chez 29 chevaux présentant une douleur dorsale et des anomalies radiographiques compatibles avec une arthropathie des articulations synoviales intervertébrales épiaxiales (photo 2). Un examen scintigraphique a été effectué chez 20 des 29 chevaux. De manière aléatoire, 15 chevaux ont reçu du tiludronate à la dose de 1 mg/kg par voie intraveineuse en perfusion lente et 14 un placebo. Lors du suivi clinique, réalisé à 60 et à 120 jours, les chevaux des deux groupes pour lesquels aucune amélioration n’a été observée à 60 jours ont pu recevoir une perfusion de tiludronate. À 60 jours, l’évaluation a été jugée positive par les praticiens pour 60 % des chevaux du groupe tiludronate et 28 % du groupe contrôle [3]. L’amélioration de la flexibilité dorsale était significativement plus importante dans le groupe traité comparativement au groupe placebo. Les résultats de l’étude mettent en évidence une réduction de la douleur dorsale et une amélioration de la flexibilité du dos au galop grâce au tiludronate, qui est en conséquence indiqué pour le traitement des lésions dorsales.
Une étude clinique a évalué l’effet du tiludronate sur l’éparvin, à la dose de 1 mg/kg, chez 87 chevaux. Lors de l’examen clinique pratiqué à 60 jours, les chevaux n’ayant pas répondu à cette date ont reçu un second traitement, puis ont été réévalués à J120.
Les chevaux traités au tiludronate étaient significativement moins boiteux que ceux du groupe placebo. Les chevaux traités à J60 ont montré une amélioration significative supplémentaire à J120 comparativement à J0 et à ceux du groupe placebo [14]. Les auteurs en concluent que le tiludronate est une solution médicale alternative pour le traitement de l’éparvin (photo 3).
Un rapport sur 4 cas cliniques a porté sur le suivi du signal IRM de lésions avec un hypersignal sur les séquences en saturation de graisse de l’insertion du ligament suspenseur du boulet. Les 4 pur-sang ont reçu une perfusion locorégionale intraveineuse avec 50 mg de tiludronate dilué avec 40 ml de sérum physiologique une fois par semaine pendant 3 semaines. Une atténuation de l’hypersignal a été observée sur les images en T2* et en Stir chez 3 chevaux, et ces derniers ont pu recourir. Le dernier cheval n’a pas présenté d’amélioration et n’a pas recouru [24].
Les auteurs concluent que l’IRM permet de suivre la cicatrisation de ce type de lésion. En revanche, l’absence d’un groupe contrôle ne permet pas d’attribuer l’amélioration constatée chez 3 chevaux au traitement par le tiludronate.
Les travaux sur le clodronate sont plus récents. Une première étude clinique, incluant un groupe placebo, a été réalisée chez 12 chevaux présentant des signes cliniques et radiographiques compatibles avec un syndrome podotrochléaire. Aucun examen d’IRM n’est mentionné. Dans les deux groupes, aucune différence du marqueur de résorption osseuse (CTX-1) n’est observée. La boiterie est significativement diminuée dans le groupe traité comparativement au groupe contrôle lors de l’évaluation clinique à la semaine 1. De même, une amélioration significative est constatée, lors d’une évaluation par le cavalier à la semaine 8, chez les chevaux traités par rapport à ceux du groupe contrôle [23].
Une deuxième étude clinique sans placebo a inclus 11 chevaux présentant des signes cliniques et radiographiques compatibles avec un syndrome podotrochléaire. L’examen d’IRM, réalisé uniquement chez 5 chevaux, a montré des modifications de signal compatibles avec des anomalies de structure osseuse de l’os sésamoïde distal. Les chevaux ont reçu une injection intramusculaire de clodronate (à la dose de 765 mg) en trois points séparés. Lors du suivi locomoteur clinique et en accélérométrie effectué à 7, 30 et 90 jours, une amélioration a été observée avec les deux modalités d’évaluation chez 6 des 11 chevaux [1].
Dans les deux cas, les auteurs concluent à une réduction de la boiterie après un traitement avec le clodronate. Néanmoins, la seconde étude n’avait pas de groupe contrôle.
De manière anecdotique, l’emploi du tiludronate est rapporté pour le traitement de synostoses des première et deuxième côtes chez 6 chevaux [31]. Le tiludronate a également été utilisé pour traiter une ostéodystrophie secondaire à un hyperparathyroïdisme, en complément d’un régime alimentaire modifié [18].
Contrairement à la médecine humaine, il existe peu d’études sur les durées d’efficacité des biphosphonates sur le long terme et les administrations répétées en médecine vétérinaire. La majorité des études chez le cheval sont menées sur une durée maximale de 6 mois postadministration, ce qui ne permet pas une évaluation à plus long terme.
Chez l’homme, un effet secondaire osseux est rapporté, avec la survenue d’une fracture spontanée de la diaphyse du fémur. Cet effet a été observé avec l’alendronate, qui est un biphosphonate azoté, contrairement aux biphosphonates non azotés utilisés en médecine équine [19, 25]. Néanmoins, ce risque est décrit comme extrêmement faible et la responsabilité des biphosphonates reste discutée [2].
Dans des modèles expérimentaux chez les animaux, les biphosphonates semblent avoir des effets secondaires très limités [16, 21]. Concernant les molécules non azotées, dont le tiludronate et le clodronate, aucun effet secondaire sur l’os n’est décrit chez l’homme. Ils semblent même avoir un effet bénéfique sur la prévention des fractures [12, 22]. Chez le cheval, à notre connaissance, les données publiées ne signalent pas de cas de fracture ou d’augmentation du risque de fracture, y compris parmi les études mentionnées dans cet article.
Les données scientifiques disponibles actuellement chez le cheval sont beaucoup plus nombreuses pour le tiludronate que pour le clodronate. L’utilisation du tiludronate pour le traitement de la forme osseuse du syndrome podotrochléaire, pour l’éparvin et pour les arthropathies dorsales bénéficie d’une évidence scientifique. Le tiludronate limite en outre la déminéralisation osseuse lors d’une immobilisation.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
→ Le tiludronate et le clodronate sont deux biphosphonates disposant d’une autorisation de mise sur le marché pour le cheval.
→ Les études cliniques réalisées sur le tiludronate montrent un bénéfice pour le traitement du syndrome podotrochléaire, de l’éparvin et des dorsalgies.
→ L’administration de ces substances est réglementée à la fois chez les chevaux de sport et les chevaux de course.