Les anti-inflammatoires non stéroïdiens : mise à jour des connaissances et impact sur les pratiques d’utilisation - Pratique Vétérinaire Equine n° 211 du 01/07/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 211 du 01/07/2021

Pharmacologie appliquée

Dossier

Analgésie multimodale chez le cheval

Auteur(s) : Aurélia Leroux

Fonctions : Centre international
de la santé du cheval
d’Oniris (Cisco)
site de La Chantrerie
101, route de Gachet
44300 Nantes

Les AINS sont des molécules fondamentales dans l’arsenal thérapeutique du praticien. Malgré le manque de données à forte certitude permettant de les comparer, il est fondamental de suivre plusieurs recommandations lors de leur emploi.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) font partie des médicaments les plus utilisés chez le cheval pour la prise en charge de l’inflammation et de la douleur, qu’elles soient d’origine myo-arthro-squelettique ou viscérale. En pratique, ils sont presque toujours administrés en première ligne, cependant il convient de ne pas oublier leur impact lors de la mise en place du traitement pour obtenir une bonne efficacité thérapeutique et limiter les effets indésirables.

Mécanisme d’action

La cascade de l’inflammation

Bien que les détails de la cascade de l’inflammation dépassent le cadre de cet article, il est nécessaire de rappeler ses étapes essentielles pour comprendre le mécanisme d’action des AINS. L’inflammation est une réponse bénéfique de l’hôte à une lésion tissulaire qui a pour objectif final le rétablissement de la structure et de la fonction des tissus. Elle se caractérise par un ensemble de cinq piliers cliniques : douleur, rougeur, chaleur, œdème et perte de fonction des tissus lésés. Ces manifestations cliniques apparaissent à la suite de changements sévères au niveau des tissus environnant la lésion, qui incluent une vasodilatation des vaisseaux sanguins périphériques locaux, une augmentation de la perméabilité des capillaires sanguins, la fuite de fluides plasmatiques dans l’espace interstitiel, la migration de nombreux granulocytes et monocytes dans les tissus et une turgescence des cellules. Ces étapes entraînent la production de nombreuses substances dans les tissus adjacents telles que les prostaglandines D2, E2 et F2α (produites par tous les tissus), le thromboxane A2 (produit par les plaquettes activées), la prostacycline (PGI2, produite par l’endothélium vasculaire) et les leucotriènes B4, C4 et D4 (figure). Ces substances vont alors elles-mêmes avoir des effets pro-inflammatoires ou anti-inflammatoires (vasodilatateur ou vasoconstricteur, proagrégant ou antiagrégant plaquettaire, neurodestructeur ou neuroprotecteur, etc.), avec un déséquilibre en faveur des effets pro-inflammatoires [5, 19]. L’inhibition de la production de ces eicosanoïdes permet donc de déplacer l’équilibre en faveur d’un effet anti-inflammatoire et d’obtenir un effet analgésique, antipyrétique et antiagrégant plaquettaire.

Inhibition de l’enzyme cyclooxygénase

Les AINS inhibent l’enzyme cyclooxygénase (COX), qui convertit l’acide arachidonique en prostaglandines, thromboxane et prostacycline, ces derniers étant des médiateurs importants de la cascade de l’inflammation. Deux isoformes des COX ont été identifiés chez les mammifères, dont le cheval : les COX-1 sont considérées comme présentes normalement chez l’animal sain tandis que les COX-2 sont produites lors d’une réponse inflammatoire [5, 11]. Néanmoins, des études récentes ont prouvé que les rôles de ces deux COX ne sont pas aussi simples puisque des COX-2 sont également exprimées de façon physiologique dans le système nerveux central, le rein, les ovaires, le placenta et les os [38]. De plus, les COX-1 comme les COX-2 participent à l’intégrité de la muqueuse gastro-intestinale et à la fonction rénale [16, 39].

Deux types d’AINS sont disponibles en médecine vétérinaire : les inhibiteurs non spécifiques (des AINS non sélectifs comme la phénylbutazone, la flunixine, le kétoprofène, l’aspirine) et les inhibiteurs sélectifs, voire spécifiques des COX-2 (le méloxicam, le firocoxib). Les premiers sont des molécules plus anciennes dont les effets secondaires sont bien décrits et pour lesquels de nombreuses études in vivo ont été réalisées [6, 19]. Les AINS COX-2 préférentiels, des molécules développées et mises sur le marché plus récemment, sont considérés comme moins à risque de provoquer des effets secondaires par comparaison avec les AINS non sélectifs. Cependant, la spécificité des AINS COX-2 préférentiels pour les différents types de COX a essentiellement été évaluée in vitro et ces derniers peuvent inhiber également les COX-1 sous certaines conditions [11, 19]. Chez l’homme, les AINS COX-2 préférentiels ont démontré une diminution des effets secondaires gastro-intestinaux, mais une augmentation des risques thromboemboliques [28]. En raison de la complexité de la cascade inflammatoire et du rôle des différentes COX dans les mécanismes de régulation homéostatique, il est donc important de comprendre les bénéfices, mais aussi les risques d’un traitement aux AINS, quelle que soit la molécule choisie.

Indications

Effet anti-inflammatoire

Les AINS sont, en premier lieu, utilisés pour leur effet anti-inflammatoire, principalement dû à l’inhibition de la production de prostaglandines. Cet effet peut cependant être relativement tardif si le processus inflammatoire est déjà lancé et que les médiateurs inflammatoires, dont les prostaglandines, ont déjà été produits. En effet, pour que la réponse inflammatoire diminue après l’administration d’un AINS, toutes les prostaglandines précédemment produites devront d’abord être éliminées [11].

Plusieurs études ont également montré que certains AINS, tels que la phénylbutazone, le kétoprofène et le carprofène, atteignent des concentrations maximales retardées au site de l’inflammation, mais qui persistent dans les exsudats inflammatoires pendant de longues périodes, même après une diminution des concentrations plasmatiques. Cela pourrait aussi expliquer l’effet retardé et la durée d’action prolongée des AINS qui ne correspondent pas à leur pharmacocinétique plasmatique [5, 11]. Enfin, la propriété lipophile des AINS pourrait également jouer un rôle dans leur action anti-inflammatoire, car celle-ci leur permettrait de s’insérer dans la membrane cellulaire des neutrophiles, d’inhiber leur agrégation et de diminuer la production d’enzymes telles que la lipoxygénase [11, 40].

Effet analgésique

Les AINS sont aussi majoritairement utilisés pour leur effet analgésique. Celui-ci est secondaire à l’inhibition des COX, qui empêchent la production de prostaglandines, donc la stimulation des nocicepteurs périphériques par celles-ci. Il a été récemment suggéré que les AINS auraient en outre une action analgésique au niveau du système nerveux central, synergique avec les opioïdes et les agonistes β2-adrénergiques, sans aucun lien avec les COX [11, 17]. Contrairement aux idées reçues, l’analgésie n’est pas corrélée à l’action anti-inflammatoire. L’effet analgésique des AINS apparaît en général rapidement après l’administration, mais présente une durée plus courte que l’effet anti-inflammatoire. L’effet analgésique dépend de la molécule, de sa dose et de sa voie d’administration. De plus, les résultats obtenus à partir des données expérimentales varient d’un modèle à l’autre et peuvent être difficiles à comparer avec la pratique sur le terrain [19].

Certaines molécules, comme le métamizole (ou dipyrone) et l’acétaminophène(1) (ou paracétamol), ont été classées parmi les AINS en raison de leur effet analgésique, même si cette classification reste controversée. Ces deux molécules n’ont que peu d’affinité pour les COX lors d’études in vitro, et il a été suggéré que leur action pourrait être secondaire à l’inhibition de la production de prostaglandines au niveau du système nerveux central [27, 29]. Le métamizole, largement utilisé en pratique de terrain pour ses effets antipyrétique et analgésique (en particulier lors de coliques), a également un effet anti-inflammatoire faible à modéré et semble produire ces effets thérapeutiques par l’intermédiaire de ses métabolites [1, 15]. L’acétaminophène, bien qu’il ne soit pas considéré comme un AINS classique en raison de son très faible effet inhibiteur sur les COX, est un autre médicament qui peut être occasionnellement utilisé pour son action analgésique et antipyrétique chez le cheval. Il est bien absorbé, avec une biodisponibilité d’environ 91 %, et a été employé avec succès dans des cas de fourbure, sans effets indésirables spécifiques [11, 27].

Effet anti-endotoxémique

L’endotoxémie est littéralement définie comme la présence d’endotoxines dans la circulation sanguine. Cependant, ce terme est plus souvent utilisé en pratique pour désigner les manifestations cliniques associées à une réaction inflammatoire excessive et déséquilibrée, secondaire à un sepsis d’origine digestive ou autre [34]. Un effet préventif de l’endotoxémie est donc souvent souhaité, en particulier lors d’affections digestives (coliques, diarrhée). Cet effet anti-endotoxémique est observé avec tous les AINS, y compris les COX-2 préférentiels. L’utilisation de ces derniers pourrait donc être conseillée chez les chevaux atteints d’affections digestives puisque, tout en présentant des propriétés anti-endotoxémiques, ils ne diminuent pas la vitesse de cicatrisation de la muqueuse intestinale, contrairement à ce qui a été observé avec les AINS non sélectifs tels que la flunixine [7, 26]. Traditionnellement, la flunixine est l’AINS le plus employé lors de coliques. Une posologie réduite (administration d’un quart de dose trois à quatre fois par jour), décrite il y a plus de 30 ans, est encore souvent utilisée, car elle permet de conserver un effet anti-endotoxémique sans masquer les éventuels signes de coliques [35]. Cependant, ce faible dosage ne prévient pas l’apparition d’une leucopénie secondaire à l’endotoxémie, contrairement à une dose complète, ce qui remet en question son utilisation [11].

Effet antiagrégant plaquettaire

Les AINS peuvent induire un effet sur la coagulation sanguine. Ils inhibent l’agrégation plaquettaire et peuvent donc provoquer des troubles de l’hémostase, bien décrits chez l’homme [29]. Chez le cheval, des études ont évalué cet effet pour la phénylbutazone et la flunixine, mais n’ont pas montré de prolongement du temps de saignement [5]. Cette caractéristique peut être souhaitée lors de certaines affections prothrombosantes. L’aspirine à faible dose est l’AINS le plus utilisé pour cet effet, car elle induit une inhibition irréversible des COX plaquettaires, sans modifier les COX de l’endothélium vasculaire [29]. Elle permet donc de limiter l’agrégation plaquettaire tout en préservant la synthèse de prostaglandines endothéliales. Chez le cheval, si cette faible dose présentant un effet antiagrégant plaquettaire n’a pas été établie, celle de 12 mg/kg prolonge le temps de saignement pendant 48 heures [3]. Un traitement antiagrégant plaquettaire peut éventuellement être prescrit dans le cadre de la gestion de la fourbure, de la coagulation intravasculaire disséminée ou de l’artérite vermineuse équine, néanmoins son utilisation devrait être réfléchie au cas par cas pour limiter les contre-indications (par exemple, préférer l’utilisation d’un autre AINS plus efficace pour la gestion de la douleur) [11].

En pratique, quel AINS choisir pour quelle affection ?

La phénylbutazone est l’AINS le plus utilisé chez le cheval pour les affections myo-arthro-squelettiques, tandis que le métamizole et la flunixine sont les AINS les plus employés lors de coliques. Cependant, le recours à la flunixine en première intention en cas de coliques peut se révéler délétère car, si elle est très efficace pour soulager les signes cliniques, elle risque de retarder la décision d’un traitement chirurgical d’urgence. Son administration à mauvais escient peut donc amener à une dégradation du pronostic et il est préférable de l’utiliser soit lorsqu’une option chirurgicale ne peut pas être envisagée, soit lorsqu’un diagnostic de suspicion solide est établi et que le traitement à mettre en place est déjà choisi (chirurgical ou non).

De nombreuses idées préconçues existent concernant l’efficacité des différents AINS chez le cheval, en particulier sur la supériorité des AINS traditionnels non spécifiques par rapport aux récents COX-2 préférentiels. Un grand nombre d’études ont tenté de comparer les AINS, mais aucune n’a mis en évidence de différences réellement significatives. Ces résultats sont en effet hautement variables selon le modèle de douleur choisi et la posologie utilisée [13, 14, 41].

Récemment, un panel de spécialistes de la British Equine Veterinary Association a publié une recommandation clinique pour l’analgésie lors de soins de première ligne, qui a confirmé le manque d’études scientifiques solides pour comparer les différents AINS [2]. Ils concluent cependant que la phénylbutazone semble fournir une analgésie supérieure à celle du méloxicam et du firocoxib pour la fourbure (certitude modérée), mais pas pour les douleurs articulaires. Et pour les chevaux qui présentent des coliques, la flunixine et le firocoxib semblent procurer une analgésie plus efficace que le méloxicam ou la phénylbutazone (certitude modérée) [2].

Enfin, de nouveaux AINS actuellement à l’étude pourraient faire évoluer l’utilisation des différentes molécules en pratique, dans le futur, s’ils deviennent accessibles. Plusieurs molécules COX-2 préférentielles, telles que le célécoxib et l’étoricoxib, ont récemment été testées chez le cheval, mais seules des données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques sont décrites [36, 37]. Le grapiprant, récemment recommandé pour la gestion de l’arthrose chez le chien, est un nouvel AINS de la classe des piprants qui inhibe le récepteur EP4 de la prostaglandine E2 et n’agit donc pas sur les COX, ce qui limite les effets secondaires [31]. Il a récemment été testé chez le cheval mais, là encore, seules des données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques sont rapportées [9, 21].

Propriétés pharmacocinétiques

Administration

Chez le cheval, la plupart des AINS peuvent être administrés par voie orale ou intraveineuse. La voie intramusculaire est généralement à éviter, car elle présente un risque non négligeable de provoquer une myosite nécrosante, quelle que soit la molécule utilisée. Les AINS sont en général bien absorbés par voie orale, bien qu’il existe une variabilité individuelle marquée. La biodisponibilité orale peut aussi diminuer fortement en cas de présence d’ingesta en grande quantité dans le tube digestif antérieur ou lors d’administration d’agents antiacides, mucoprotecteurs ou antidiarrhéiques [11].

Transport et élimination

Malgré une grande disparité concernant leur concentration plasmatique ou leur temps d’élimination, les AINS présentent de nombreuses caractéristiques pharmacocinétiques communes. La plupart sont des acides faibles qui se lient fortement aux protéines plasmatiques comme l’albumine. En raison de cette propriété, la concentration d’AINS dans les tissus sains est faible, mais elle s’accroît fortement sur les sites d’inflammation en raison de l’augmentation de la perfusion sanguine, de la perméabilité vasculaire et de la présence de protéines de la phase aiguë de l’inflammation dans la région atteinte [11, 25].

Les AINS sont presque tous métabolisés par le foie et éliminés dans les urines. Cette caractéristique peut induire des complications, en particulier chez les poulains. En effet, le jeune de moins d’une semaine présente une immaturité des fonctions hépatique et rénale et une pharmacocinétique différente de l’adulte, ce qui augmente le risque de toxicité des AINS au niveau de ces organes.

En pratique, quelle dose, quelle fréquence et quelle voie d’administration ?

Les doses et les temps d’élimination sont très variables selon les AINS et dépendent également des individus. De plus, la durée de l’effet anti-inflammatoire n’est pas corrélée aux temps de demi-vie d’élimination. Par exemple, le kétoprofène semble montrer une bonne efficacité lorsqu’il est administré une fois par jour, alors qu’il affiche une demi-vie d’élimination très courte [22].

Une augmentation de la dose peut être envisagée en début de traitement, en particulier pour la phénylbutazone et le firocoxib, afin d’atteindre plus rapidement la concentration d’équilibre du médicament. L’augmentation de la dose ou de la fréquence d’administration permet de potentialiser l’effet de l’AINS, mais elle ne devrait pas être pratiquée sur la durée, car les risques de toxicité sont alors fortement majorés [11]. Plusieurs posologies, parfois différentes de celles prévues par l’autorisation de mise sur le marché, ont été testées pour de nombreux AINS, en particulier chez les chevaux en période postopératoire après des coliques ou atteints d’affections ostéoarticulaires (tableau).

La biodisponibilité orale est généralement bonne, mais peut varier selon les AINS et les conditions d’administration. La phénylbutazone a une excellente biodisponibilité orale, pourtant en pratique, une diminution de l’effet analgésique est souvent observée lors du passage de la voie intraveineuse à la voie orale [20]. Cet effet peut s’expliquer par des variations individuelles, un ralentissement ou une surcharge du système digestif ou une interaction médicamenteuse [11]. Le firocoxib, la flunixine et le méloxicam présentent également une très bonne biodisponibilité orale (supérieure à 80 %). Le kétoprofène, en revanche, affiche une biodisponibilité médiocre d’environ 50 %, pouvant même devenir nulle en présence d’aliments riches en graisses (complémentation de la ration en huile, par exemple), ce qui peut expliquer l’absence de formulation orale disponible sur le marché [23].

Enfin, certains AINS peuvent être administrés par voie locale, comme le diclofénac(2). Ils permettent des traitements localisés et temporaires, en remplacement des AINS systémiques. L’absorption systémique très limitée du diclofénac le rend avantageux pour le traitement des boiteries aiguës chez les chevaux de compétition ou ceux à risque, atteints d’une insuffisance rénale par exemple. Cependant, le diclofénac par voie locale demeure généralement moins efficace que les AINS administrés par voie systémique, en particulier pour le traitement des douleurs chroniques [11].

Effets indésirables

Des effets secondaires néfastes peuvent se développer à la suite d’un traitement à base d’AINS. Ces réactions sont principalement dues à l’inhibition des COX dans les tissus pour lesquels les prostaglandines sont bénéfiques et protectrices.

Atteinte digestive

Les ulcérations gastro-intestinales sont les complications les plus rapportées. Elles sont plus fréquemment observées au niveau de la cavité buccale, de la muqueuse glandulaire de l’estomac, du duodénum et du côlon dorsal droit (photos 1 et 2). Les signes cliniques associés sont peu spécifiques et variables : le cheval peut rester asymptomatique ou présenter une anorexie, des coliques et/ou des diarrhées parfois sévères [34]. L’inhibition des COX-1 et des COX-2 semble nécessaire pour observer cet effet néfaste, les AINS COX-2 sélectifs provoquant moins d’ulcérations gastro-intestinales que ceux non sélectifs [33]. De plus, l’utilisation de fortes doses d’AINS, un traitement de longue durée et la présence d’une hypovolémie sont des facteurs qui majorent le risque d’apparition d’ulcères gastro-intestinaux.

Atteinte rénale

La toxicité rénale des AINS est une autre complication majeure consécutive à leur administration, particulièrement lors de déshydratation, d’affections digestives, d’administration concomitante d’autres médicaments potentiellement néphrotoxiques (aminoglycosides, biphosphonates, imidocarbe, etc.). Les AINS ont peu d’effet rénal chez les chevaux sains, mais chez ceux présentant une diminution du débit de filtration glomérulaire secondaire à une hypovolémie, les AINS peuvent rapidement provoquer une insuffisance rénale aiguë [11]. En effet, les prostaglandines E2 et I2 jouent un rôle clé dans la fonction rénale et l’inhibition de leur production, lors d’une déshydratation, résulte en une vasoconstriction de l’artériole rénale afférente, une hypoperfusion de la médulla et une redistribution du flux sanguin dans le cortex rénal, ce qui peut induire à terme une nécrose papillaire rénale parfois irréversible [19]. De plus, l’utilisation d’AINS COX-2 préférentiels ne semble pas diminuer la toxicité rénale des AINS, car les COX-1 et les COX-2 sont toutes deux essentielles à l’homéo­stasie rénale [30].

En cas de traitement prolongé avec des AINS ou de facteurs de risque, il est recommandé de suivre les marqueurs sanguins rénaux régulièrement (une fois par semaine) pour prévenir l’apparition d’une atteinte rénale. La prévention des complications rénales est indispensable puisqu’en cas de développement de lésions avérées et installées, aucun traitement curatif n’est disponible. Enfin, chez les poulains nouveau-nés, les AINS devraient être utilisés avec parcimonie et à des doses les plus basses possibles en raison de l’immaturité de leurs reins, donc du risque augmenté de toxicité associée [4].

Autres effets secondaires

D’autres effets indésirables, plus rares, ont été décrits à la suite de l’administration d’AINS. Une hépatotoxicité a été mise en évidence chez l’homme et les animaux de compagnie, mais elle n’est pas, à ce jour, rapportée chez le cheval [24, 29]. Seule une hyperbilirubinémie modérée, sans augmentation des autres marqueurs hépatiques et sans aucun signe clinique, a été observée chez le cheval à la suite d’une administration d’acétaminophène pendant 14 jours [27]. Les poulains nouveau-nés pourraient cependant être concernés par cet effet toxique en raison de l’immaturité de leur foie [4].

Chez l’homme, le développement d’une aplasie médullaire secondaire à l’administration de phénylbutazone a été observé, c’est pourquoi cette molécule n’est plus utilisée en médecine humaine [29]. Cette toxicité de la phénylbutazone n’a cependant jamais été démontrée chez le cheval, alors que c’est l’un des AINS les plus fréquemment utilisés dans cette espèce [11].

Enfin, à l’inverse des AINS non spécifiques, les AINS COX-2 préférentiels semblent responsables de l’apparition d’événements thromboemboliques chez l’homme [28]. Cet effet serait dû à l’inhibition de la prostacycline (PGI2), qui induit la diminution de son effet vasodilatateur et antiagrégant plaquettaire [28]. Cette complication n’est pas décrite chez le cheval pour le moment.

En pratique, quel suivi envisager pour limiter l’apparition d’effets secondaires ?

La prescription d’AINS est un acte vétérinaire tellement fréquent que le risque d’effets indésirables associé à ces médicaments peut parfois être négligé, voire oublié. Il est important de toujours réaliser un examen clinique et de vérifier l’état d’hydratation du cheval avant tout traitement. En présence de signes d’hypovolémie, une réhydratation par voie orale ou intraveineuse est recommandée, en particulier lorsque l’administration d’un AINS se révèle nécessaire, pour limiter les risques de toxicité rénale.

De plus, lors de traitement anti-inflammatoire de plus longue durée, il peut être utile de réaliser un suivi hebdomadaire de certains paramètres sanguins pour évaluer le développement subclinique d’effets toxiques gastro-intestinaux ou rénaux associés aux AINS (encadré) [11].

Et si le traitement avec un AINS est un échec ?

L’administration concomitante de deux AINS différents a été testée, pour déterminer si leurs effets s’additionnent et si l’efficacité du traitement augmente. Une action synergique a effectivement été observée : l’effet antalgique de l’administration de flunixine et de phénylbutazone ensemble s’est révélé supérieur à leur administration séparée pour un modèle de douleur podale [18]. En revanche, les risques de toxicité augmentent de façon considérable lors de l’association de plusieurs AINS puisque leur mécanisme d’action est similaire (inhibition de la production des prostaglandines). Dans une étude menée chez 24 chevaux, ceux ayant reçu un traitement concomitant de flunixine et de phénylbutazone ont montré, après 5 jours, une augmentation de la présence et de la sévérité des ulcères gastriques, ainsi qu’une diminution significative du taux de protéines totales plasmatiques, suggérant une atteinte du côlon, par rapport aux chevaux traités uniquement avec de la phénylbutazone [32]. Ce type de traitement est donc fortement déconseillé, étant donné les risques d’intoxication trop élevés par rapport aux bénéfices escomptés.

Cependant, l’emploi d’AINS peu classiques en raison de leur faible effet inhibiteur sur les COX, comme le métamizole et l’acétaminophène, pourrait être associé de façon ponctuelle et contrôlée à l’administration d’un AINS traditionnel, afin d’augmenter l’effet analgésique sans exacerber les risques de toxicité. L’association d’acétaminophène et d’ibuprofène est déjà utilisée ponctuellement chez l’homme, sans effet néfaste, lors de douleurs postopératoires aiguës persistantes [12]. Il serait donc possible d’extrapoler cette pratique au cheval, même si aucune donnée publiée n’est actuellement disponible.

Dans les cas totalement réfractaires aux AINS, il est néanmoins recommandé de se tourner vers une analgésie multimodale.

Conclusion

Les AINS sont des médicaments indispensables en médecine vétérinaire, en raison de leurs propriétés anti-inflammatoires, mais aussi de leurs effets analgésique, anti-endotoxémique et antiagrégant plaquettaire. Leur innocuité est toutefois loin d’être absolue et il convient donc de connaître leur mécanisme d’action et leurs propriétés pharmacocinétiques pour les prescrire à bon escient et limiter l’apparition d’effets secondaires, gastro-intestinaux ou rénaux, qui peuvent se révéler critiques, en particulier chez les poulains et certains chevaux à risque. Enfin, les nouvelles molécules actuellement à l’étude pourraient faire évoluer l’utilisation des AINS à l’avenir, lorsqu’ils seront mis sur le marché.

  • (1) Molécule sans spécialité ayant une autorisation de mise sur le marché chez le cheval en France.

  • (2) Médicament à usage humain.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

Éléments à retenir

→ Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) induisent un effet anti-inflammatoire, mais aussi analgésique, antipyrétique, anti-endotoxémique et antiagrégant plaquettaire.

→ Ils peuvent être administrés par voie orale ou intraveineuse, sont métabolisés par le foie et éliminés dans les urines.

→ Les AINS COX-2 séléctifs provoquent moins d’ulcérations gastro-intestinales que les AINS non sélectifs.

→ Les COX-1 et COX-2 étant toutes les deux essentielles à la fonction rénale, l’utilisation d’AINS COX-2 préférentiels ne diminue pas le risque de toxicité rénale.

ENCADRÉ : COMMENT IDENTIFIER LES EFFETS TOXIQUES GASTRO-INTESTINAUX OU RÉNAUX LORS DE TRAITEMENT PAR DES AINS

En prévention : suivi régulier des marqueurs sanguins

→ Numération-formule sanguine, pour vérifier l’absence d’apparition d’une anémie, d’une leucopénie ou d’une thrombopénie.

→ Dosage du taux de protéines totales et de l’albumine, pour vérifier l’absence d’une hypoprotéinémie et d’une hypoalbuminémie secondaires à des ulcérations gastrointestinales ou à une insuffisance rénale.

→ Dosage des marqueurs rénaux pour vérifier la fonction rénale (créatinine, urée et/ou diméthylarginine symétrique ou SDMA).

En cas de suspicion de complications digestives

→ Arrêter immédiatement l’administration d’AINS.

→ Réaliser une analyse de sang (voir ci-contre).

→ Pratiquer une gastroscopie et/ou une échographie abdominale.

→ Selon les résultats, mettre en place un traitement antiulcéreux et/ou antidiarrhéique, associé à des mesures hygiéniques et alimentaires.

En cas de suspicion de complications rénales

→ Arrêter immédiatement l’administration d’AINS.

→ Réaliser une investigation de la fonction rénale(3) : densité urinaire, rapport créatinine urinaire/créatinine sanguine, rapport GGT urinaire/créatinine urinaire, fractions d’excrétion des électrolytes, examen cytobactériologique des urines.

D’après [8, 10, 34].

AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; GGT : γ-glutamyltransférase.

(3) Voir l’article “Pathologie rénale : terminologie à adopter et analyses à réaliser chez le cheval” d’A. Couroucé, Prat. Vét. Équine. 2020;28:44-51.

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