La biopsie rectale pour l’exploration des maladies intestinales diffuses chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 211 du 01/07/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 211 du 01/07/2021

GASTRO-ENTÉROLOGIE

Cahier scientifique

Article de synthèse

Auteur(s) : Christelle Villemonte Volmer*, Ludovic Tanquerel**

Fonctions :
*Dipl. ECVP,
Laboratoire Vetodiag
6, route du Robillard
14170 Berville
**Dipl. ACVIM
Clinique équine de l’ENVA
7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort

La biopsie rectale est un acte peu invasif et techniquement simple à mettre en œuvre. Une série d’examens complémentaires de première intention permettent d’en définir les bons candidats.

Comment évaluer à l’histopathologie l’hypothèse d’une maladie intestinale chez le cheval de façon peu invasive et aisée ? La biopsie rectale est l’une des possibilités qui s’offrent au clinicien. L’intérêt de l’exploration des maladies intestinales chez le cheval à l’aide de l’histo­pathologie, sur des prélèvements biopsiques du segment rectal, est plus particulièrement démontré dans l’étude rétrospective de Lindberg et ses collaborateurs portant sur un grand nombre de chevaux [9]. Outre l’élaboration d’une classification des maladies infiltratives inflammatoires ou tumorales de l’intestin du cheval fondée sur les changements morphologiques, cet essai met notamment en évidence une sensibilité de 71 % pour détecter des changements lésionnels également retrouvés à l’autopsie, et une corrélation de 50 % entre ces résultats sur des biopsies rectales et les observations post-mortem. D’autres études sont venues ensuite corroborer celle-ci, avec des sensibilités qui varient de 40 à 80 % environ [1, 9].

Dans le cadre de la démarche diagnostique visant à confirmer la présence d’une éventuelle affection digestive et à en rechercher la cause potentielle, aucun examen complémentaire n’affiche une sensibilité de 100 % [1]. Ces examens complémentaires, qui incluent l’analyse histopathologique sur une biopsie rectale, doivent donc être envisagés selon une approche multimodale. La mise en œuvre de certains examens préalablement à la biopsie rectale va d’ailleurs permettre de choisir de façon plus pertinente le bon candidat pour celle-ci. Les observations histopathologiques permettent de classer le type d’affection et, notamment dans les catégories inflammatoire ou tumorale, de préciser le type d’inflammation dominante et d’en extrapoler les causes potentielles, voire d’identifier la cause précise.

Indications

Les candidats pour la réalisation de biopsies rectales sont les chevaux qui présentent une perte de poids non expliquée ou une incapacité à prendre du poids, malgré un apport alimentaire adéquat, l’administration régulière d’antiparasitaires et l’absence d’affections dentaires. Des coliques récidivantes (au minimum deux épisodes sur 6 ou 12 mois selon les auteurs, avec un intervalle de 48 heures entre les deux), une hypoalbuminémie et/ou l’existence d’une diarrhée sont aussi des indications [8, 12].

La biopsie rectale est recommandée dans ces cas, lorsque les signes cliniques restent d’origine inconnue malgré les examens complémentaires de première intention réalisés. Elle ne peut pas être pratiquée chez le poulain. Chez le cheval adulte, le diagnostic différentiel par probabilité décroissante inclut le parasitisme (cyathostomose), les entérocolites infectieuses (clostridioses, salmonelloses), les sabloses, les maladies à médiation immunitaire et les lymphomes digestifs.

Examens à envisager au préalable

Des analyses de sang (hématologie, biochimie incluant le dosage du fibrinogène, de la sérum amyloïde A ou SAA, des globulines, de l’albumine et des enzymes hépatiques) et des coproscopies sont à réaliser au préalable. Trois coproscopies sont recommandées sur une année afin de mieux évaluer le niveau d’excrétion individuel et pour s’assurer qu’il ne s’agit pas, pour l’une d’elles, d’un résultat faussement négatif. Cela peut en effet être observé en raison de l’excrétion intermittente des œufs ou en phase prédominante de formes larvaires.

Une palpation transrectale et si possible un examen échographique abdominal sont utiles pour exclure une affection segmentaire, l’examen histopathologique sur une biopsie rectale étant approprié pour déceler les affections étendues de l’intestin. Un épaississement de la paroi intestinale augmente la probabilité d’une maladie intestinale (épaisseur supérieure à 3 mm pour l’intestin grêle et à 4 mm pour le gros intestin) [1, 8].

Le test d’absorption du glucose peut venir également étayer l’hypothèse d’une maladie intestinale à l’origine d’une malabsorption et de la symptomatologie observée chez le cheval (sensibilité de 70,5 % en cas de malabsorption totale ou partielle) [1].

Une analyse cytologique du liquide péritonéal ainsi qu’une gastroscopie et une duodénoscopie avec un échantillonnage biopsique pour l’histologie sont des examens à envisager également en amont, selon la présentation clinique chez l’animal.

Si une affection bactérienne est suspectée, des bactériologies (analyse quotidienne sur 5 jours pour s’assurer de l’absence de salmonellose) et/ou la recherche par polymerase chain reaction (PCR) de toxines bactériennes (toxines α et β de Clostridium perfringens et toxine B pour Clostridium difficile) sur les crottins sont à prévoir. Par ailleurs, selon l’âge et le contexte, des tests PCR pour rechercher des mycobactéries, Lawsonia intracellularis et Rhodococcus equi peuvent être indiqués. Le degré de suspicion d’une maladie intestinale diffuse est d’autant plus grand lorsqu’une malabsorption ou un épaississement des parois des anses intestinales sont mis en évidence à l’échographie.

Technique

Il est conseillé de disposer d’un tube de formol (formol tamponné à 4 %) prêt à l’emploi et à proximité pour fixer les échantillons immédiatement après le prélèvement, afin de prévenir les artefacts d’autolyse qui gênent l’examen histopathologique, donc l’interprétation des lésions microscopiques.

Deux prélèvements de 1 à 2 cm de long sont recommandés. Ces prélèvements doivent comprendre la muqueuse, la musculaire-muqueuse et la partie superficielle de la sous-muqueuse. La multiplication des prélèvements permet de s’assurer de la faisabilité de l’analyse au laboratoire, la qualité pouvant varier d’un échantillon à l’autre (taille, fragmentation, artefact de compression).

L’échantillonnage chez le cheval est obtenu grâce à une pince à biopsie utérine, d’une longueur de 62 cm. Pour minimiser les risques de perforation, la procédure s’effectue dans un travail et sous sédation si le cheval est agité (photo 1). Le prélèvement est réalisé dans la région extrapéritonéale (à une distance de 20 à 30 cm de l’anus, en région dorso-latérale à 11 h et 13 h), la main de l’opérateur étant toujours devant la pince et servant à former un bourrelet de rectum à positionner dans la pince ouverte. Une fois la pince fermée sur l’échantillon voulu, elle est retirée en maintenant la main contre la muqueuse pour faciliter la section de celle-ci (photo 2). La procédure est indolore et ne nécessite pas l’administration d’un anti-inflammatoire ni d’un antibiotique. Du sang peut être observé dans les crottins.

Si des biopsies gastriques et duodénales sont prévues en parallèle, celles-ci concernent uniquement la muqueuse et doivent être au nombre de trois au minimum pour chaque segment, compte tenu de leur très petite taille comparativement aux échantillons de la région rectale.

En l’absence de pinces à biopsie utérine, des biopsies (de petite taille) peuvent également être effectuées par rectoscopie, avec une pince à biopsie pour endoscope. En raison de la longueur du tube digestif du cheval, la biopsie par colonoscopie n’est pas réalisable en pratique.

Interprétation

Cas général

L’analyse histopathologique est le plus souvent envisagée comme une méthode pour établir un diagnostic d’exclusion. En effet, si le parasitisme, un lymphome digestif diffus et une infection bactérienne sont a priori exclus sur la base des observations microscopiques combinées aux résultats des autres examens complémentaires appropriés, la mise en évidence d’une infiltration leucocytaire significative de la paroi digestive va permettre de conforter la suspicion de maladie inflammatoire idiopathique de l’intestin (inflammatory bowel disease, IBD) [1, 8].

Les classifications des maladies inflammatoires de l’intestin sont fondées sur le type des leucocytes prédominants qui infiltrent la paroi digestive, généralement les strates muqueuse et sous-muqueuse, permettant d’extrapoler les causes potentielles (tableau et photos 3 à 5) [8, 9, 11].

En présence d’un infiltrat éosinophilique, pour exclure un cas de parasitisme, il est recommandé d’effectuer des coproscopies quotidiennes sur 5 jours ou d’administrer un traitement associant des corticostéroïdes et des antiparasitaires, selon le protocole proposé par Kaikonnen et ses collaborateurs [8].

L’une des limites de l’examen histopathologique des biopsies rectales qui persiste à ce jour est l’absence d’un seuil objectif précis permettant de distinguer un cas pathologique d’un cas normal lors d’infiltrats intrapariétaux peu abondants. En effet, ces infiltrats minimes peuvent correspondre aussi bien à une inflammation légère qu’à une variation individuelle de la population leucocytaire normalement présente dans la muqueuse intestinale.

Enfin, une corrélation entre le type d’inflammation et le pronostic est mise en évidence dans une étude préliminaire. La maladie inflammatoire de l’intestin à composante lymphoplasmocytaire semble associée à un pronostic plus réservé que celle à composante éosinophilique majoritaire [13].

Cas particuliers

L’hypertrophie idiopathique de la musculeuse intestinale chez le cheval affecte généralement l’iléon et/ou d’autres segments de l’intestin grêle (duodénum ou jéjunum). La biopsie rectale ne permet pas d’évaluer l’hypertrophie des cellules musculaires lisses de la paroi intestinale. Une biopsie à paroi entière des segments d’intestin grêle épaissis est alors nécessaire pour confirmer le diagnostic, l’échographie chez cette espèce étant par ailleurs généralement insuffisante pour distinguer nettement la ou les strates de la paroi impliquées dans l’épaississement [2, 5].

De même, la couche musculeuse ne pouvant pas être appréciée via la biopsie rectale, les syndromes pseudo-obstructifs ne peuvent être diagnostiqués que sur une biopsie intestinale à paroi entière. Ces syndromes se caractérisent par un péristaltisme intestinal déficient du petit ou du gros intestin et s’accompagnent de coliques associées à une dilatation des segments intestinaux impliqués et/ou à une impaction intestinale. Différentes étiopathogénies sont rapportées : une myopathie viscérale, un trouble neuromusculaire, une inflammation des plexi nerveux, une anomalie des cellules interstitielles de Cajal (cellules “pacemaker” à l’origine des contractions des muscles lisses gastro-intestinaux) [3, 6].

Le diagnostic différentiel des syndromes pseudo-occlusifs est la dysautonomie équine (maladie de l’herbe) qui se caractérise par une dégénérescence et une perte neuronale des plexi nerveux de l’intestin. L’examen histopathologique sur une biopsie rectale apparaît insuffisant pour établir le diagnostic de cette affection. En effet, selon Mair et son équipe, la sensibilité de cet examen sur une biopsie rectale est seulement de 21 %, alors qu’elle est de 100 % sur une biopsie iléale à paroi entière [10]. L’immunohistochimie pourrait néanmoins représenter un examen complémentaire intéressant. Une étude préliminaire qui a évalué le marquage par immunohistochimie du précurseur de la protéine β-amyloïde est encourageante, montrant une sensibilité qui varie entre 95 et 100 % et une spécificité de 100 % pour diagnostiquer la dysautonomie équine via la biopsie rectale [7].

Le lymphome à petites cellules peu prolifératif peut, dans certains cas, être difficile à diagnostiquer à l’examen histopathologique et à différencier d’un processus inflammatoire. La répétition des biopsies à 3 semaines d’intervalle et/ou la réalisation d’un examen immunohistochimique (CD3, CD20) sont dans ce cas à envisager pour tenter de conclure face aux changements lésionnels observés, car le test de clonalité par PCR (Parr pour PCR to assess antigen receptor gene rearrangement), qui pourrait aider au diagnostic différentiel entre lymphome à petites cellules et entérite lymphocytaire, n’est pas disponible en France actuellement pour l’espèce équine [4].

Conclusion

L’analyse histopathologique sur des biopsies rectales est un examen intéressant et facile à réaliser pour explorer une éventuelle affection intestinale diffuse et restreindre le champ du diagnostic différentiel, voire pour établir un diagnostic précis. Cet examen est pertinent et l’interprétation des changements microscopiques plus aisée, à la condition qu’il soit précédé d’autres investigations cliniques et de laboratoire.

  • 1. Boshuizen B, Ploeg M, Dewulf J et coll. Inflammatory bowel disease (IBD) in horses: a retrospective study exploring the value of different diagnostic approaches. Vet. Res. 2018;14 (1):21-29.
  • 2. Chaffin MK, Fuenteabla IC, Schumache JS et coll. Idiopathic muscular hypertrophy of the equine small intestine: 11 cases (1980-1991). Equine Vet. J. 1992;24 (5):372-378.
  • 3. Chénier S, Macieira SM, Sylvestre D et coll. Chronic intestinal pseudo-obstruction in a horse: a case of myenteric ganglionitis. Can. Vet. J. 2011;52:419-422.
  • 4. Collar EM, Parker JE, Gorman EM et coll. PCR for antigen receptor rearrangement (PARR) clonality testing in a horse with a solitary retropharyngeal lymphoma. Equine Vet. Educ. 2019;31 (8):413-418.
  • 5. Dechant JE, Whitcomb MB, Magdesian KG. Ultrasonographic diagnosis-idiopathic muscular hypertrophy of the small intestine in a miniature horse. Vet. Radiol. Ultrasound. 2008;49 (3):300-302.
  • 6. Fintl C, Hudson PH, Mayhew IG et coll. Interstitial cells of Cajal (ICC) in equine colic: an immunohistochemical study of horses with obstructive disorders of the small and large intestines. Equine Vet. J. 2004;36 (6):474-479.
  • 7. Jago RC, Scholes S, Mair TS et coll. Histological assessment of β-amyloid precursor protein immunolabelled rectal biopsies aids diagnosis of equine grass sickness. Equine Vet. J. 2018;50 (1):22-28.
  • 8. Kaikkonen R, Niinistö K, Sykes B et coll. Diagnostic evaluation and short-term outcome as indicators of long-term prognosis in horses with findings suggestive of inflammatory bowel disease treated with corticosteroids and anthelmintics. Acta Vet. Scand. 2014;56:35-41.
  • 9. Lindberg R, Nygren A, Perssons NGB. Rectal biopsy diagnosis in horses with clinical signs of intestinal disorders: a retrospective study of 116 cases. Equine Vet. J. 1996;28 (4):275-284.
  • 10. Mair TS, Kelly AM, Pearson GR. Comparison of ileal and rectal biopsies in the diagnosis of equine grass sickness. Vet. Rec. 2011;168 (10):266-268.
  • 11. Mair TS, Pearson GR, Divers TJ. Malabsorption syndromes in the horse. Equine Vet. Educ. 2006;18 (6):299-308.
  • 12. Stewart HL, Engiles JB, Stefanovski D et coll. Clinical and intestinal histologic features of horses treated for recurrent colic: 66 cases (2006-2015). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2018;252:1279-1288.
  • 13. Tanquerel L, Quéré E, Depecker M et coll. Clinical and histological features associated with survival in equine inflammatory bowel disease. Poster ECEIM congress 2020. Disponible en ligne : https://www.eceim.info/system/files/poster-presentations/2020/poster-presentation-574.pdf

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

→ Les principales indications pour pratiquer une biopsie rectale sont une perte de poids inexpliquée, des coliques récidivantes, une hypoalbuminémie et une diarrhée chronique.

→ La réalisation préalable de certains examens complémentaires est fondamentale.

→ Le type des leucocytes prédominants qui infiltrent la paroi digestive permet de classifier les maladies inflammatoires de l’intestin, notamment lorsque ces infiltrats sont abondants.

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