Anesthésiologie
Dossier
Analgésie multimodale chez le cheval
Auteur(s) : Gwenola Touzot-Jourde
Fonctions : Centre international
de la santé du cheval
d’Oniris (Cisco),
site de La Chantrerie
101, route de Gachet
44300 Nantes
Notamment lors d’une douleur chronique ou neuropathique, l’approche multimodale permet de soulager efficacement le cheval tout en réduisant les éventuels effets indésirables de chaque molécule employée.
Le concept de l’analgésie balancée, aussi appelée multimodale, consiste en l’association de molécules à visée analgésique et de méthodes ou de techniques d’administration ayant différents modes et cibles d’action (récepteurs) sur les voies de la douleur (encadré 1) [6, 9]. L’application de ce concept a pour résultat un contrôle de la douleur plus efficace, tout en utilisant des dosages faibles et des durées d’administration optimisées pour diminuer le plus possible les effets secondaires propres à chaque classe pharmacologique de molécules analgésiques. L’effet synergique du ciblage sur plusieurs mécanismes de développement et d’auto-entretien de la douleur est recherché. La construction d’un protocole analgésique multimodal repose sur l’association de médicaments analgésiques, mais est aussi souvent associée à des méthodes analgésiques non médicamenteuses (encadré 2).
→ La classe analgésique la plus utilisée en première intention est celle des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) [9]. Dans la pratique quotidienne vétérinaire, elle est associée à la classe des α2-agonistes (molécules sédatives avec un effet analgésique dose dépendant et une durée d’action propre à chacune) et des morphiniques, lors de la réalisation d’actes nécessitant l’immobilisation du cheval et une couverture analgésique profonde (sédanalgésie). Une technique d’anesthésie locorégionale peut aussi être intégrée dans le protocole (bloc par infiltration, anesthésie tronculaire ou péridurale, etc.).
→ Classiquement, l’α2-agoniste (détomidine, romifidine ou xylazine) est associé à un morphinique pour améliorer la qualité de l’immobilisation comme celle de l’analgésie. L’analgésie obtenue avec les α2-agonistes étant d’une durée plus courte que la sédation, cette association permet à la fois d’intensifier l’analgésie tout en la prolongeant. Le butorphanol, à la dose de 0,02 à 0,04 mg/kg par voie intraveineuse (IV), a un bon effet potentialisateur de l’immobilisation, avec les pieds qui restent bien posés au sol, pour un apport analgésique moyen mais suffisant pour que la sédanalgésie permette de nombreux actes diagnostiques ou chirurgicaux peu invasifs [9]. Il a tendance à potentialiser l’ataxie des α2-agonistes, avec des chevaux qui poussent vers l’avant dans le travail, et il entraîne parfois des mouvements intempestifs de relever de la tête [9].
De son côté, la morphine (à la dose de 0,1 à 0,2 mg/kg IV) a un effet potentialisateur moindre de la sédation et plus lent à se mettre en place (20 minutes), mais elle entraîne une analgésie profonde et prolongée (supérieure à 2 heures). La buprénorphine (à la posologie de 0,005 à 0,01 mg/kg IV) procure une analgésie de longue durée (plus de 4 à 6 heures), intermédiaire entre le butorphanol et la morphine, et nécessite une adaptation à l’organisation de la procédure, car son délai d’action est long (40 minutes). Cet aspect peu pratique, associé à un coût qui reste élevé, en fait une option intéressante lorsqu’une analgésie très prolongée est recherchée, au-delà de la durée de sédation, ou lors d’une sédanalgésie de plusieurs heures.
→ D’autres molécules comme la lidocaïne (classe des anesthésiques locaux) et la kétamine à dose antihyperalgésique (anesthésique général injectable), indiquées lors de douleurs sévères, sont administrées en perfusion continue. La lidocaïne par voie intraveineuse (au débit de 1 à 3 mg/kg/h) a des effets analgésique, anti-inflammatoire et anti-endotoxémique (antiradicalaire et modulateur de l’activité des leucocytes) [6]. Son emploi en cas de coliques est le plus courant et a été associé à une diminution de la distension du petit intestin et de l’épaisseur de sa paroi, ainsi qu’à un taux de survie augmenté [9]. Son action prokinétique n’apparaît pas comme un effet direct, mais à travers une diminution de l’inflammation, ce qui entraîne une réduction de la douleur et favorise un retour à une motilité normale. Initialement utilisée pour son effet sur les lésions strangulées du petit intestin, son emploi s’est étendu largement aux autres causes de coliques, mais aussi à d’autres sources de douleur (myosite, traumatismes, plaies délabrantes, crise aiguë de fourbure, etc.), aussi bien pendant l’anesthésie qu’au cours de l’hospitalisation.
La kétamine, par son action antagoniste des récepteurs N-méthyl-D-aspartate, a un effet préventif et thérapeutique sur l’hyperalgie et la sensibilisation centrale des voies de la douleur. Son utilisation, à des posologies bien inférieures à la dose anesthésique (le plus souvent 0,4 à 0,6 mg/kg/h IV, mais jusqu’à 1,2 mg/kg/h IV), est indiquée dans le plan analgésique multimodal dès qu’un traumatisme tissulaire conséquent est présent, en cas de douleur osseuse profonde et lors de tout phénomène de douleur chronique et/ou neuropathique. Cette modalité d’emploi est applicable aussi bien en phase intra-opératoire qu’en période postopératoire et pendant la convalescence, ainsi que lors d’accès aigus de douleur sur un fond de douleur chronique [6, 9]. Son caractère stupéfiant limite néanmoins son utilisation prolongée aux chevaux hospitalisés. Son usage par voie intramusculaire (IM), peu documenté, est envisageable à raison de 0,1 à 0,3 mg/kg quatre à six fois par jour selon l’intensité de la douleur (dose extrapolée de celle utilisée dans d’autres espèces et adaptée selon l’expérience clinique) [1, 10]. Cette administration est toujours effectuée en association avec d’autres analgésiques (morphine, AINS), et souvent avec de petites doses d’acépromazine (0,01 à 0,02 mg/kg IM deux à quatre fois par jour), particulièrement si le cheval est anxieux et n’a pas de phases de sommeil régulières. Dans cette situation, il est important de surveiller les effets obtenus pour utiliser la dose minimale efficace de kétamine et ne pas subir d’effets secondaires (effets hallucinatoires avec réactions répétées d’un cheval “sur l’œil” et comportements stéréotypés).
→ Lors d’un traitement au long cours sur plusieurs semaines ou mois, un relais per os est nécessaire. Les AINS sont placés en haut de la liste, mais souvent associés à d’autres molécules dans la prise en charge de la douleur chronique (gabapentine, tramadol, paracétamol) [3, 9, 13]. Le choix de l’AINS est dicté par son efficacité, sa formulation et son coût(1). Ainsi, la phénylbutazone est la plus utilisée lors de traitement long pour des raisons économiques. Lors de traitements prolongés avec les AINS, un suivi des potentiels effets secondaires rénaux et digestifs s’impose.
Le paracétamol(2), un analgésique central dont les mécanismes d’action ne sont pas encore complètement élucidés, mais en partie médiés par l’activation sérotoninergique du contrôle inhibiteur descendant de la douleur, apparaît comme une option substitutive lors d’intolérance aux AINS, ou peut être associé à un AINS lors d’une réponse insuffisante à celui-ci. Sa biodisponibilité orale chez le cheval est estimée supérieure à 90 % [8]. L’administration de 20 mg/kg deux fois par jour pendant 14 jours n’a pas montré d’effet cumulatif du dosage répété et n’a pas été associée à une dégradation du score lésionnel gastroscopique, dans une étude menée chez 8 chevaux hongres pur-sang sains [7]. Une élévation de la bilirubine a été mise en évidence, ce qui motive le suivi de la fonction hépatique lors d’utilisation répétée et prolongée. L’effet analgésique chez le cheval a été montré sur un modèle de douleur podale induite, et un cas de fourbure avec un traitement analgésique incluant du paracétamol rapporte un effet clinique positif [5, 12].
La gabapentine, médicament anticonvulsif, est utilisée chez l’homme et les animaux de compagnie pour traiter la douleur d’origine neuropathique [6]. Même si les études pharmacocinétiques chez le cheval ont montré une faible absorption digestive, son emploi se développe après quelques cas de douleur réfractaire ayant rétrocédé avec son ajout dans le plan analgésique (fourbure, néoplasie, ostéomyélite, etc.) [11]. Son mécanisme d’action impose de l’utiliser sur plusieurs semaines pour avoir un effet (2 semaines au minimum). Dans les autres espèces, la prise en charge de la douleur chronique et/ou neuropathique est réalisée par une administration prolongée de 1 à 3 mois, voire plus, suivie d’un arrêt progressif.
Le tramadol est un agoniste faible des récepteurs morphiniques µ et un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline disponible en comprimés. Chez des chevaux atteints de fourbure, l’administration orale de tramadol (à la dose de 10 mg/kg deux fois par jour pendant 1 semaine) a apporté un soulagement (diminution du nombre de changements d’appui d’un membre sur l’autre et augmentation du poids sur les pieds antérieurs), alors que la dose de 5 mg/kg a été jugée insuffisante seule, mais satisfaisante en association avec la kétamine [3, 4].
La réussite d’un traitement analgésique multimodal réside dans le choix de l’association de molécules, mais aussi dans leurs modes d’administration. Les voies intraveineuse et orale sont largement utilisées chez le cheval et à adapter à leur faisabilité suivant la durée et l’intensité du traitement. Les voies sous-cutanée (SC, par injection), transdermale (par application de timbre, en particulier chez le poulain pour le fentanyl) et transmuqueuse (par administration sur la muqueuse buccale) constituent des options d’administration moins invasives que la voie intraveineuse, tout en garantissant une absorption souvent plus fiable que la voie orale. Néanmoins, elles sont tributaires de la disponibilité des molécules dans une formulation adéquate. Le recours à la voie intramusculaire dépend de la tolérance tissulaire locale du produit et de ses excipients et est à utiliser seulement avec les produits non irritants pour ne pas ajouter une source de douleur supplémentaire.
Si la prise en charge multimodale d’une douleur intense et persistante est plus facile en milieu hospitalier avec un plateau technique permettant une administration continue d’analgésiques, elle est aussi réalisable sur le terrain avec de moindres moyens. Dans tous les cas, elle requiert un suivi rapproché de la réponse au traitement et de l’évolution des signes cliniques. Les voies d’administration locale (articulation, gaine synoviale, œil, etc.) et locorégionale, comme la voie péridurale, présentent l’avantage d’un traitement ciblé, intracompartimental, qui assure une prise en charge intense et prolongée (12 à 24 heures, voire davantage) avec des doses faibles lorsqu’elles sont rapportées au poids du corps (photo 1).
Plusieurs méthodes analgésiques non médicamenteuses ont prouvé leur intérêt dans la prise en charge de la douleur au long cours et présentent l’avantage d’avoir peu d’effets secondaires lorsqu’elles sont utilisées de façon contrôlée (diagnostic, choix du traitement, suivi des effets thérapeutiques). Dans le cadre de la prise en charge d’une douleur intense et prolongée, l’acupuncture, l’électro-acupuncture, le laser thérapeutique et le massage sont à envisager [6]. De plus, l’environnement du cheval qui présente une douleur marquée est à optimiser au mieux pour lui apporter un maximum de confort : confort de décubitus quand celui-ci est possible, confort alimentaire pour améliorer le transit digestif et la satisfaction du cheval, confort affectif pour soutenir son moral (présence d’un congénère apprécié ou d’un autre compagnon animal, intervention humaine, etc.).
À la suite d’un déplacement du côlon avec péritonite aseptique, une laparotomie exploratrice est pratiquée chez un cheval déjà opéré de coliques 3 ans auparavant et ayant un historique de coliques chroniques.
De la flunixine méglumine (à la dose de 1 mg/kg IV deux fois par jour) est administrée, ainsi que de la lidocaïne en perfusion continue (au débit de 3 mg/kg/h) avec une fluidothérapie d’entretien au Ringer lactate (à 3 ml/kg/h).
Le cheval est confortable pendant les premières 12 heures, puis développe des signes d’inconfort abdominal (attitude campée, immobilité, regard vers les flancs, désintérêt de l’environnement), lesquels rétrocèdent pendant 2 heures après une administration de dipyrone, avant de réapparaître. La dose de flunixine est avancée de 2 heures et une perfusion continue de kétamine (à 0,3 mg/kg/h) est initiée. Étant donné l’absence d’effet indésirable, elle est augmentée à 0,5 mg/kg/h au bout de 2 heures, administrée pendant 12 heures, puis stoppée au vu de l’amélioration clinique. La perfusion de lidocaïne est encore maintenue pendant 24 heures, puis arrêtée également.
Une double arthroscopie de grasset, avec curetage de l’os sous-chondral, est réalisée chez un cheval de sport.
Le protocole analgésique intra-opératoire comprend de la morphine (à la dose de 0,1 mg/kg IV) et de la romifidine (à raison de 0,04 mg/kg/h), ainsi qu’un entretien de l’anesthésie avec de l’isoflurane.
Le protocole analgésique peropératoire associe de la flunixine méglumine (à la dose de 1 mg/kg deux fois par jour) en trois injections intraveineuses, puis un relais par voie orale, et une analgésie péridurale avec de la morphine (à 0,2 mg/kg) et de la xylazine (à 0,17 mg/kg) diluées dans 20 ml de NaCl à 0,9 %, administrées juste avant l’induction de l’anesthésie (délai de plusieurs heures entre l’injection et l’analgésie effective au niveau des grassets, probablement début d’effet au moment du réveil de l’anesthésie).
Le réveil de l’anesthésie est correct et le cheval est confortable la première nuit. Une dégradation du confort est observée au cours de la matinée suivante, avec une anorexie et une immobilité malgré la dose de flunixine du matin. En fin de matinée, une analgésie péridurale répétée, avec les mêmes doses du protocole peropératoire, permet un retour de l’appétit et du déplacement dans le box 3 heures après l’injection. Aucune douleur n’est relevée le lendemain, seul le traitement avec la flunixine est poursuivi les jours suivants.
Un cheval gris présente des difficultés chroniques à la défécation malgré un traitement laxatif journalier. Celles-ci sont dues à la présence de mélanomes autour du rectum dans la filière pelvienne et autour de l’anus. L’animal est hospitalisé pour procéder à l’exérèse des tumeurs (intervention sur cheval debout) (photos 2a et 2b).
Le protocole analgésique intra-opératoire comprend de la romifidine (à la dose de 0,04 à 0,06 mg/kg/h IV) et de la kétamine (à 0,25 mg/kg/h IV), une anesthésie péridurale avec de la lidocaïne à 2 % (à 1 ml/100 kg) et de la xylazine (à 0,17 mg/kg). En raison du ralentissement chronique du transit, le choix est fait d’éviter l’utilisation de morphine. Toutefois, si l’analgésie systémique avec l’α2-agoniste et la kétamine se révèle insuffisante ou l’anesthésie péridurale incomplète, la morphine est prévue en analgésie de secours. L’anesthésie péridurale permet d’atteindre une bonne analgésie et l’administration de morphine n’est pas nécessaire. Une masse de la taille d’un ballon de rugby est retirée sur le côté droit du rectum, laissant un espace conséquent à cicatriser par seconde intention. Une autre masse plus petite et plus profonde, sur le côté droit, est laissée en place pour ne pas déstabiliser complètement la zone périnéale.
Le protocole analgésique peropératoire comprend de la flunixine méglumine (à la dose de 1 mg/kg IV deux fois par jour), dès le matin de l’intervention.
Le cheval est confortable pendant les premières 48 heures, puis un inconfort abdominal apparaît. Celui-ci étant interprété comme une douleur lors des efforts de défécation, un cathéter péridural est mis en place pour administrer de la morphine (à la dose de 0,1 mg/kg deux fois par jour). Au bout de 24 heures de traitement, les périodes d’inconfort disparaissent et l’émission de crottins est plus régulière. L’administration de morphine dans le cathéter est effectuée deux fois par jour pendant 48 heures, puis une fois par jour pendant 3 jours, et le cathéter est retiré 24 heures après le dernier traitement.
Un poulain de 1 an est atteint d’une bursite bicipitale septique avec une complication d’ostéomyélite au niveau du tubercule majeur de l’humérus à la suite d’une plaie. Il présente une suppression d’appui sur le membre concerné.
Le protocole analgésique préopératoire dès l’hospitalisation comprend du kétoprofène (à la dose de 2,2 mg/kg IV) et de la morphine (à raison de 0,3 mg/kg IM).
Le protocole analgésique intra-opératoire comprend de la morphine (à 0,2 mg/kg IV) et de la kétamine (à 0,5 mg/kg/h), le protocole anesthésique de la romifidine (à 0,08 mg/kg/h IV) puis de la kétamine (à 2,2 mg/kg IV) et du diazépam (à 0,05 mg/kg IV), avec un relais à l’isoflurane.
Le protocole analgésique postopératoire immédiat comprend de la bupivacaïne à 0,5 % à raison de 15 ml dans le drain de plaie pour le réveil puis toutes les 8 heures – le dispositif aspiratif du drain est bloqué pendant 1 heure, pour laisser la bupivacaïne diffuser, avant d’être réamorcé – et du kétoprofène une fois par jour.
La première nuit se passe bien, le poulain est confortable et prend appui sur son membre. Le lendemain matin, il est abattu, reste beaucoup couché et appuie moins sur son membre, son appétit est diminué et il développe une hyperthermie et des signes de diarrhée. Le kétoprofène est remplacé par de la flunixine (à la dose de 1 mg/kg IV deux fois par jour), de la dipyrone est administrée à 11 h et à minuit pour faire baisser l’hyperthermie. À 20 h, le poulain étant moins confortable que dans l’après-midi, une administration de morphine est réalisée (à la dose de 0,3 mg/kg IV). Un traitement symptomatique de la diarrhée est mis en place (charbon et probiotiques).
Le deuxième jour postopératoire, l’inconfort du poulain perdure, avec de longues phases de décubitus sternal et aussi latéral, mais la diarrhée et l’hyperthermie ont rétrocédé. Le plan analgésique est le suivant :
– bupivacaïne à 0,5 % à la dose de 15 ml dans le drain toutes les 8 heures ;
– flunixine à la dose de 1 mg/kg toutes les 12 heures per os ;
– morphine à 0,1 mg/kg IM toutes les 4 heures ;
– kétamine à 0,25 mg/kg IM toutes les 4 heures ;
– une séance de laser réalisée sur la zone de l’épaule dans l’après-midi (programme douleur) sur le poulain en décubitus (photo 3).
Après la séance de laser, la fréquence cardiaque baisse de 64 à 52 battements par minute, la fréquence respiratoire de 40 à 28 mouvements par minute, le poulain devient plus interactif et se met à manger. Dans la soirée, le temps de station debout augmente.
Le troisième jour, l’instillation de bupivacaïne est arrêtée, l’analgésie systémique est maintenue et l’état du poulain s’améliore. Le traitement au laser est réitéré. Le quatrième jour, la kétamine est espacée toutes les 12 heures en raison de signes d’accumulation (mâchonnements répétitifs, sursauts répétés, regard inquiet, mouvements de tête répétitifs de type stéréotypie), la morphine est administrée toutes les 6 heures, la flunixine une seule fois par jour. La kétamine et la morphine sont progressivement diminuées entre J5 et J8 (doses maintenues mais espacées toutes les 8 puis 12 heures, et ensuite doses diminuées de moitié par 12 heures). Un essai d’arrêt à J9 entraîne un retour de l’inconfort avec une augmentation du temps de décubitus. La morphine et la kétamine sont de nouveau administrées, de J9 à J15, avec une transition à la phénylbutazone deux fois par jour à J12 à la place de la flunixine.
De J15 à J21, jour de sa sortie, le poulain reçoit de la phénylbutazone deux fois par jour et est marché en main 5 minutes trois fois par jour.
Un suivi sanguin de la créatinine, des protéines totales, des albumines et de l’hématocrite est réalisé une fois par semaine. De l’oméprazole est administré de façon préventive à partir de J5. Pendant toute l’hospitalisation, le foin et l’herbe sont distribués de façon fractionnée six à huit fois par jour.
À la sortie, un traitement à base de phénylbutazone une fois par jour est prescrit pendant 1 semaine. Celui-ci est prolongé d’une semaine supplémentaire en raison d’une baisse de confort à l’arrêt.
L’analgésie multimodale ou balancée tient une place importante dans la prise en charge globale de l’animal atteint d’une affection génératrice de douleur. Les protocoles d’analgésie balancée mettent à profit les effets synergiques des associations de molécules analgésiques ayant des cibles d’action différentes et complémentaires sur les voies de la douleur. Cette stratégie permet d’appliquer le concept de la dose minimale efficace, ce qui est particulièrement important lors de traitements prolongés pendant lesquels des signes de toxicité sont susceptibles d’apparaître.
La recherche clinique, dans le domaine de la douleur, est de plus en plus fournie mais reste insuffisante. Néanmoins, l’arsenal thérapeutique disponible aujourd’hui, qui inclut l’application de la cascade de prescription, permet de prendre en charge des douleurs sévères et/ou chroniques en milieu hospitalier, mais aussi avec un relais sur le terrain.
(1) Voir l’article “Les anti-inflammatoires non stéroïdiens : mise à jour des connaissances et impact sur les pratiques d’utilisation” d’A. Leroux dans ce dossier.
(2) Molécule sans spécialité ayant une autorisation de mise sur le marché chez le cheval en France.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
La prise en charge multimodale de la douleur est une approche qui permet de cibler l’action analgésique à plusieurs niveaux des voies de la douleur et d’interférer avec plusieurs mécanismes de transduction, de transmission, de modulation et d’intégration du message nociceptif (figure). L’effet obtenu est au minimum additif, mais le plus souvent synergique, ce qui permet d’optimiser un niveau d’analgésie pour des doses respectives diminuées de chaque molécule. Cela limite la survenue d’effets secondaires et indésirables. Son utilisation en période peropératoire permet de prendre en charge des douleurs aiguës sévères, de prévenir le développement d’une douleur chronique et de réduire dans le temps la douleur postopératoire. Lors de la présence d’une douleur chronique ou neuropathique, seule l’approche multimodale permet d’en diminuer l’impact sur la qualité de vie de l’animal en lui apportant durablement un soulagement.
La mise au point d’un protocole analgésique multimodal doit prendre en compte les aspects suivants :
– évaluation initiale de la composante douloureuse de l’affection diagnostiquée via un bilan lésionnel le plus complet possible, pour comprendre au mieux les mécanismes de douleur sous-jacents et estimer le risque de développement d’une douleur chronique, pathologique, neuropathique ;
– choix du protocole thérapeutique selon la douleur, les options disponibles pour les voies d’administration et le rythme d’administration ;
– mise en place d’un suivi de la douleur permettant d’ajuster la posologie au cours du temps et de déterminer les phases de transition (diminution des doses, arrêt d’une des molécules, etc.).
L’utilisation d’une grille de douleur peut aider à mieux caractériser et quantifier la douleur, ainsi qu’à suivre l’évolution de son intensité. Plusieurs grilles sont disponibles et la plupart sont validées pour un ou plusieurs types de douleur. Il appartient à chaque vétérinaire d’essayer ces grilles et de déterminer si une ou plusieurs conviennent à sa pratique. Par exemple, l’échelle de cotation numérique multiparamétrique (ECNM) d’évaluation de la douleur de Bussières et ses collaborateurs, initialement mise au point pour caractériser une douleur d’origine articulaire, est également adaptée pour d’autres douleurs, notamment abdominales [2].
→ La synergie de molécules analgésiques ayant des cibles différentes sur les voies de la douleur est nécessaire pour une prise en charge adéquate des douleurs sévères, chroniques et neuropathiques.
→ La mise en place d’un plan analgésique nécessite de suivre cliniquement les signes de douleur pour évaluer l’adéquation du schéma initial, l’ajuster au besoin et préparer l’arrêt du traitement.
→ Lors du traitement de longue durée d’une douleur sévère et/ou chronique (plusieurs semaines), une attention particulière est à porter sur le développement possible d’effets secondaires (digestifs, rénaux, etc.), ainsi que les conséquences d’un stress prolongé (inconfort gastrique, adaptation de l’alimentation).
Le stimulus nociceptif est perçu par les nocicepteurs responsables de la transduction qui transforme un message mécanique, thermique ou chimique en un potentiel d’action sur les fibres nerveuses nociceptives ascendantes. Le message nociceptif fait un relais au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière, siège d’une analyse et d’une modulation de l’information (atténuation ou amplification du message) et des réponses réflexes comme le réflexe de retrait. L’information modulée remonte le long de la moelle épinière jusqu’au niveau des centres de modulation du tronc cérébral et du diencéphale, avant de se diriger vers le cortex somatosensoriel, lieu de l’intégration du message nociceptif final et de la perception de la douleur. La modulation au niveau du tronc cérébral permet d’activer les voies descendantes inhibitrices de la douleur. Les classes de molécules analgésiques peuvent agir à plusieurs niveaux (site de la stimulation nociceptive, nerf sensitif douloureux, moelle épinière, encéphale) selon les quantités administrées, leurs mécanismes d’action et mode de diffusion et/ou leurs voies d’administration.