Gestion d’une arthrite septique et d’une fourbure incluant l’analgésie multimodale chez un cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 211 du 01/07/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 211 du 01/07/2021

Anesthésiologie

Dossier

Analgésie multimodale chez le cheval

Auteur(s) : Marine Schott*, Raymond Pujol**, Gwenola Touzot-Jourde***

Fonctions :
*Centre international
de la santé du cheval
d’Oniris (Cisco),
site de La Chantrerie,
101, route de Gachet
44300 Nantes

La mise en place de l’analgésie multimodale permet d’améliorer grandement le confort des animaux lors de certaines affections. Ce cas en illustre l’application pratique de façon détaillée chez une jument hospitalisée.

La douleur est un processus complexe, physiologique et, dans certains cas, pathologique. De nombreux mécanismes et médiateurs sont impliqués, si bien qu’il est justifié de parler de “douleurs” au pluriel [11, 15]. Chacune possède ses particularités physiopathologiques, mais elles agissent souvent de concert pour aboutir au phénomène douloureux en tant que maladie à part entière, comme dans les cas de douleurs chroniques liées à la fourbure [7, 8, 11, 14]. En raison de cette diversité mécanistique, la stratégie thérapeutique et analgésique se doit d’être multimodale, en utilisant un arsenal composé de plusieurs familles de molécules et de techniques variées qui agissent sur différents sites et voies du processus douloureux, de sa création périphérique jusqu’à son intégration cérébrale [7, 8, 11, 21].

Cette maîtrise de l’analgésie demeure encore aujourd’hui un défi pour le praticien équin qui doit adapter sa stratégie à chaque cas (particularités du cheval et de l’affection en cause), mais également prendre en compte les aspects réglementaires qui accompagnent l’utilisation de certaines molécules, ainsi que d’éventuelles considérations économiques et pratiques quant à l’observance du traitement. Sur le terrain comme en clinique, l’échec thérapeutique de la gestion de la douleur réfractaire au traitement standard est un facteur pronostique défavorable, qui aboutit souvent à une décision de fin de vie pour l’animal [7, 8, 18]. Il est donc important pour la communauté vétérinaire de se sensibiliser autant que possible à ces stratégies analgésiques, une bonne prise en charge de la douleur faisant partie intégrante des cinq libertés fondamentales du bien-être animal [15].

L’exposé du cas présenté sera suivi d’une discussion autour de cet exemple de gestion multimodale de la douleur touchant l’appareil locomoteur chez une jument hospitalisée, atteinte d’une arthrite septique du grasset droit compliquée d’une fourbure sur les deux pieds antérieurs.

Présentation du cas

Motif de consultation, commémoratifs et anamnèse

Une poulinière pur-sang arabe, âgée de 7 ans, est présentée en urgence à la clinique équine du Centre international de santé du cheval d’Oniris pour une suspicion d’arthrite septique du grasset droit évoluant depuis 4 jours.

Quinze jours auparavant, la jument a présenté une boiterie modérée du membre postérieur droit, sans autre anomalie clinique. Elle a été gardée au repos au box depuis et la boiterie est restée stable jusqu’à 3 jours avant sa présentation en urgence, au moment où la suppression d’appui est survenue. En plus de la manifestation douloureuse, le grasset droit est apparu distendu, sans plaie ni traumatisme associé. En raison d’une suspicion d’arthrite septique d’origine indéterminée, la jument a été référée pour une prise en charge chirurgicale.

Examen clinique

La jument est en bon état général (elle pèse 375 kg, avec une note d’état corporel évaluée à 5 sur 9) et les paramètres vitaux de son examen clinique sont dans les valeurs usuelles de l’espèce. Elle présente une boiterie sévère du membre postérieur droit, de grade 4 sur 5, associée à un gonflement marqué du grasset droit sans effraction cutanée visible. Une amyotrophie des muscles de la croupe à droite est objectivée, témoin de la chronicité de la boiterie.

Examens complémentaires

L’examen radiographique du grasset droit ne met en évidence aucune anomalie significative hormis un gonflement des tissus mous. L’examen échographique de la région montre un liquide synovial très hétérogène avec une capsulite marquée des articulations fémoro-patellaire et fémoro-tibiale médiale, ainsi que des lésions du ménisque médial compatibles avec des abcès (photos 1a et 1b). Trois ponctions articulaires du grasset droit sont réalisées (fémoro-patellaire, fémoro-tibiales médiale et latérale) et les résultats sont anormaux surtout pour deux d’entre elles (tableau).

Diagnostic

Un diagnostic d’arthrite septique sévère de l’articulation fémoro-tibiale médiale, d’origine inconnue, est établi, en association avec un début d’infection de l’articulation fémoro-patellaire, par continuité de ces deux articulations (communication dans 65 % des cas) [1].

Traitement

Le jour même, la jument reçoit de la pénicilline à la dose de 22 000 UI/kg par voie intramusculaire (IM) deux fois par jour, de la gentamicine à raison de 6,6 mg/kg par voie intraveineuse (IV) une fois par jour, de la flunixine à la dose de 1,1 mg/kg IV deux fois par jour et l’association dexaméthasone-hydrochlorothiazide à raison de 0,02 mg/kg et 2 mg/kg respectivement IV une fois par jour. De l’amikacine(1) (500 mg) est injectée dans les articulations fémoro-patellaire et fémoro-tibiale médiale, en attendant l’arthroscopie pour le débridement et le lavage articulaires prévue le lendemain de l’admission.

Avant l’intervention, la jument reçoit une injection péridurale caudale (espace sacro-caudal) à base de morphine(1) (40 mg) et de xylazine (60 mg) diluées dans 5 ml de solution saline pour un volume total de 10 ml (photo 2). Pour la procédure chirurgicale, elle reçoit également de la flunixine (1,1 mg/kg IV) et de l’acépromazine (0,04 mg/kg IM) en phase préopératoire, avant la sédation à l’aide de romifidine (0,08 mg/kg IV) et de morphine (0,1 mg/kg IV). L’anesthésie est induite avec du diazépam(2) (0,05 mg/kg IV) et de la kétamine (2,2 mg/kg IV), puis maintenue avec de l’isoflurane, une perfusion continue de romifidine (0,04 mg/kg/h) et des bolus de kétamine au besoin (deux fois à la dose de 0,5 mg/kg IV dans ce cas). De la morphine (40 mg IM) et de la romifidine (quatre fois à raison de 0,02 mg/kg IV, selon l’intensité et la persistance du nystagmus horizontal et du tonus musculaire) sont administrées pour assurer une analgésie et une sédation pendant la phase de réveil non assisté, qui est qualifié d’excellent après 3 h 10 d’anesthésie générale volatile balancée.

Les observations arthroscopiques confirment et complètent celles obtenues au cours de l’examen d’admission, et aucune voie d’entrée articulaire n’est observée (photo 3). Une communication entre les articulations fémoro-patellaire et fémoro-tibiale médiale, des lésions fibrillaires du cartilage articulaire du condyle fémoral médial et un abcès dans le ménisque médial sont mis en évidence. Une dose de 1 g d’amikacine est injectée dans chaque articulation atteinte et du métronidazole (à la dose de 30 mg/kg per rectum trois fois par jour) est ajouté au plan thérapeutique.

Suivi et complications

Dans les jours qui suivent l’intervention chirurgicale, le confort de la jument sur son membre postérieur droit s’améliore (score de 2 à 3 sur 5), ce qui va de pair avec l’amélioration notée sur les images échographiques (aspect anéchogène du liquide synovial et lésions du ménisque stables) et les paramètres de la ponction articulaire (diminution des comptages cellulaire et protéique) réévalués 3 jours après la chirurgie. La jument développe toutefois une hypercréatininémie (à 22 mg/l versus 18 mg/l de valeur usuelle) compatible avec un début d’insuffisance rénale, ce qui motive un ajustement du traitement antibiotique et anti-inflammatoire, associé à une fluidothérapie intraveineuse pendant 3 jours, un suivi rapproché de l’évolution de la créatininémie et l’administration de protecteurs gastriques (oméprazole et sucralfate) (figure).

Six jours après l’intervention, le confort de la jument se dégrade considérablement avec une boiterie du membre postérieur droit d’une part (grade de 4 à 5 sur 5), et des deux antérieurs d’autre part (2 à 3 sur 5).

Une fourbure des antérieurs est suspectée au vu d’une démarche raide, de pieds chauds maintenus en protraction et d’un pouls digité frappé. Les clichés radiographiques des deux pieds ne montrent ni une bascule ni une descente de la 3e phalange (P3), mais un remodelage chronique distal de P3 et un défaut de parage en pince. Cela motive la mise en place d’un traitement à base d’acépromazine (à la dose de 0,02 mg/kg IM quatre fois par jour) et d’énoxaparine(1) (à raison de 10 000 UI par voie sous-cutanée une fois par jour), ainsi que d’une cryothérapie (poches de glace pilée sur les pieds puis guêtres refroidissantes).

Pour la boiterie postérieure, le grasset droit est réévalué complètement. Les examens complémentaires révèlent une nette augmentation des comptages cellulaires, témoignant d’une affection septique non jugulée, toutefois sans signe d’ostéomyélite. Un nouveau lavage sous arthroscopie est proposé, mais refusé par le propriétaire. Un lavage à l’aiguille et une injection d’antibiotique intraméniscale sont donc réalisés le lendemain de la dégradation clinique, sous anesthésie générale injectable (“triple drip” à la dose de 1 à 2 ml/kg/h avec guaïfénésine 500 ml à 10 %, soit 50 g + kétamine 1 g + romifidine 50 mg associée à une fluidothérapie avec du Ringer lactate à raison de 4 l/h) (photo 4).

Les résultats de l’antibiogramme sont en faveur d’un Streptococcus equi ssp. zooepidemicus sensible à la pénicilline et au ceftiofur (faible résistance à la gentamicine et résistance intermédiaire aux fluoroquinolones). Face à la dégradation clinique, le traitement antibiotique est modifié pour remplacer la pénicilline (systémique) et l’amikacine (intra-articulaire) par du ceftiofur (à raison de 2,2 mg/kg IV deux fois par jour et 500 mg par articulation). Comme lors de la première intervention, une anesthésie péridurale caudale est réalisée avec de la morphine (80 mg) et de la xylazine (40 mg) diluées dans 15 ml de solution saline (volume total de 21 ml), afin de diffuser vers les membres thoraciques fourbus, en plus du même protocole préanesthésique utilisé précédemment. De la kétamine (à la dose de 0,5 mg/kg IM quatre fois par jour) et de la gabapentine(1) (à 15 mg/kg per os deux fois par jour) sont ajoutées au plan analgésique postopératoire.

Après ce deuxième lavage articulaire, le confort sur le membre postérieur droit s’améliore progressivement, de même que les images échographiques et les synoviocentèses, en faveur d’une résolution du processus septique local. La jument reste douloureuse des pieds antérieurs, même en l’absence d’évolution radiographique de la fourbure (photo 5). Elle est souvent couchée en décubitus sternal et latéral, et montre également des signes importants de sédation (abattement, diminution de la vigilance, de la prise alimentaire et de l’activité physique, baisse de l’interactivité avec l’environnement, etc.). Cela motive la diminution de l’administration de kétamine à 0,4 mg/kg IM quatre fois par jour au bout de 3 jours de traitement. Les signes de sédation disparaissent, le confort s’améliore légèrement et très progressivement, si bien que les traitements analgésiques et ceux agissant contre la fourbure sont arrêtés graduellement sur 5 à 7 jours. L’état de la jument ne justifiant plus un suivi à la clinique, elle est rendue à ses propriétaires après un peu plus de 3 semaines d’hospitalisation, avec un traitement à base de phénylbutazone (à la dose de 2,2 mg/kg per os une fois par jour pendant 7 jours), de gabapentine (à raison de 15 mg/kg per os deux fois par jour pendant 14 jours) et de ceftiofur (à 2,2 mg/kg IM deux fois par jour pendant 7 jours).

Discussion

Étiologie de l’arthrite septique et de la fourbure

La jument du cas exposé a présenté deux affections à l’origine de processus douloureux : l’arthrite­ septique du grasset d’une part, et la fourbure des pieds antérieurs d’autre part. En raison de l’origine indéterminée de l’infection du grasset, et au vu de la chronicité observée, l’hypothèse d’une arthrite hématogène est émise [5]. Les deux processus pourraient donc être liés, la fourbure étant la conséquence d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique, sachant que la jument n’était pas particulièrement prédisposée à ce type d’affection initialement [7].

Analgésie multimodale

Plusieurs types de douleur sont concomitants dans ce cas, avec des douleurs nociceptive physiologique (due à la prise en charge chirurgicale), inflammatoire et neuropathique (en lien avec l’arthrite et la fourbure) [7, 8, 11-13, 15, 17]. En ce sens, la stratégie de prise en charge multimodale de la douleur a donc été respectée, avec l’utilisation préopératoire, peropératoire et postopératoire de différentes familles analgésiques telles que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS : flunixine, méloxicam, phénylbutazone), les opioïdes (morphine), les α2-agonistes (romifidine, xylazine), les N-méthyl-D-aspartate (NMDA) antagonistes (kétamine) et les antiépileptiques (gabapentine, pour lutter contre la douleur neuropathique) [6, 7]. Se sont ajoutées, à ce plan moléculaire, différentes voies d’administration (systémique et locorégionale) et une thérapie adjuvante (cryothérapie) [8, 11].

Toutefois, il s’agit d’un exemple de prise en charge analgésique appliqué à un cas donné, et d’autres stratégies auraient pu être envisagées ou restent à valider, comme l’utilisation des inhibiteurs de l’époxyde hydrolase soluble (sEH) ou de l’(électro-) acupuncture [8, 11, 13, 14, 18, 21].

Morphine

La morphine n’a été utilisée que ponctuellement les jours de chirurgie par voie systémique (à la dose de 0,1 mg/kg IV) et locorégionale (péridurale via l’injection sacro-caudale ou entre les deux premières vertèbres caudales de 0,1 à 0,2 mg/kg dilués dans 10 à 25 ml de NaCl à 0,9 % pour accélérer la migration craniale de la molécule), afin d’assurer une analgésie peropératoire et postopératoire immédiate. Elle n’a pas été administrée de manière répétée (par exemple, à 0,1 mg/kg IM toutes les 4 à 8 heures) pour minimiser les risques de ralentissement du transit intestinal et d’éventuelles coliques, inhérents à son administration prolongée, bien que la couverture analgésique soit satisfaisante, surtout dans les cas de douleurs orthopédiques (par comparaison avec le butorphanol, par exemple) [3, 6-8, 11, 14, 15, 18, 21]. Elle aurait pu aussi être administrée directement par voie intra-articulaire, les récepteurs opioïdes µ étant plus largement exprimés au niveau de la membrane synoviale dans un contexte d’inflammation locale [3, 6, 11, 18, 21]. Cependant, des antibiotiques (amikacine ou ceftiofur) étaient localement instillés, et à notre connaissance, aucune donnée n’a été publiée sur les conséquences éventuelles d’une interaction médicamenteuse (si elle existe) de ces deux familles sur les structures articulaires et sur leur efficacité conjointe.

Anesthésiques locaux

Les anesthésiques locaux (lidocaïne, mépivacaïne, bupivacaïne) auraient également pu être envisagés en instillation intra-articulaire pour leurs propriétés analgésiques, avec une durée d’action plus longue pour la bupivacaïne [6, 11]. Il convient néanmoins de prendre en compte une possible chondrotoxicité, qui serait moindre avec la mépivacaïne ou la ropivacaïne(1), dans un contexte où le cartilage articulaire était déjà affecté [11, 14, 18]. L’utilisation des anesthésiques locaux dans l’injection de péridurale (par exemple, lidocaïne à raison de 0,2 à 0,25 mg/kg) est possible, mais le bloc obtenu est mixte, ciblant à la fois les fibres sensitives et motrices de la zone concernée. Dans le cadre du grasset, elle comporte le risque d’une anesthésie des nerfs moteurs des membres pelviens (fémoral et sciatique), entraînant une forte ataxie, voire un décubitus, et une incapacité à se relever, ce qui est très mal toléré dans l’espèce équine. Par cette voie, les anesthésiques locaux sont donc plutôt conseillés pour les cas qui nécessitent une anesthésie et une analgésie de la région périnéale, avec des volumes de diffusion restreints dans le canal péridural [11, 14, 18].

L’administration de lidocaïne via une perfusion continue (par exemple, de 1,3 à 1,5 mg/kg IV en bolus de 15 minutes, puis 50 à 100 µg/kg IV) aurait pu être envisagée, compte tenu de sa courte durée de vie. Elle est plus communément employée lors d’affections digestives, et présenterait des propriétés anti-inflammatoires et antihyperalgiques bien documentées chez l’homme. Toutefois, son utilisation reste controversée, car son mécanisme d’action et son efficacité (surtout aux doses utilisées, plutôt minimes en raison de l’existence d’un risque de cardiotoxicité et de neurotoxicité) méritent encore des études plus approfondies chez l’animal et le cheval en particulier [7, 8, 11].

Kétamine

La kétamine, en raison de ses mécanismes d’action­, est reconnue pour ses effets analgésiques antihyperalgiques et anti-allodyniques, intéressants dans les cas de douleur chronique [7, 12, 16]. Cependant, peu d’études se sont intéressées à son utilisation postopératoire et hors du cadre de la perfusion continue (au débit de 0,4 à 0,8 mg/kg/h) ou de la péridurale (de 0,5 à 2 mg/kg) [7, 10, 12, 16]. Les doses subanesthésiques (0,2 à 0,6 mg/kg) systémiques peuvent s’accompagner de certains effets secondaires comme une excitation, des mouvements involontaires des membres et de la tête ou une ataxie [12, 16]. Dans le cas présenté, la jument a plutôt montré des signes de sédation, bien que cela puisse également être attribué à l’administration répétée d’acépromazine ou à l’effet combiné des deux molécules, voire à un état de prostration lié à une douleur sévère non suffisamment prise en charge. D’après nos recherches, peu de publications sont disponibles concernant l’administration intramusculaire de kétamine(3), bien que cette voie soit approuvée dans le résumé des caractéristiques du produit pour Imalgene® 1000 et pour Anesketin® 100 mg/ml [8]. Il s’agit donc d’une utilisation empirique, mais raisonnée, fondée sur l’expérience clinique et théorique de praticiens, même si des recherches plus approfondies restent nécessaires en la matière. De plus, la courte durée de mise en place du cathéter intraveineux a permis de prévenir le risque de thrombophlébite, particulièrement élevé chez cette jument, et de limiter le coût du traitement et de l’hospitalisation.

Anti-inflammatoires non stéroïdiens

Les AINS sont souvent les molécules de première ligne et la base de nombreux traitements analgésiques. Leur utilisation, surtout sur des périodes prolongées, n’est cependant pas anodine puisqu’ils sont à l’origine de plusieurs effets indésirables, incluant les ulcérations gastro-intestinales, l’insuffisance rénale, la colite du côlon dorsal droit ou les troubles de la coagulation [11, 14, 15, 18, 22]. Dans le cas présenté, la jument a reçu des gastroprotecteurs (oméprazole, sucralfate). L’augmentation de la créatininémie était compatible avec un début d’insuffisance rénale aiguë. Cette augmentation peut être la conséquence de plusieurs actions : l’utilisation d’AINS (flunixine) pendant plusieurs jours, l’administration répétée d’antibiotiques aminosides (gentamicine) néphrotoxiques, le traitement corticoïde/diurétique administré depuis l’admission, et une hypoperfusion rénale secondaire à l’anesthésie générale. La gentamicine et le corticoïde/diurétique ont donc été arrêtés, et la jument a été placée sous perfusion continue de solutés isotoniques afin de soutenir la fonction rénale. La flunixine, un inhibiteur des cyclo-oxygénases (COX) de types 1 et 2 non sélectif, a été temporairement remplacée par le méloxicam, un AINS COX-2 préférentiel [7]. Le confort dégradé de la jument à ce moment de l’hospitalisation a conduit à ne pas retirer complètement les AINS du plan analgésique multimodal. Cela aurait pu être le cas si le suivi de la créatininémie n’avait pas été en faveur d’une résolution de l’insuffisance rénale d’origine prérénale, les COX-2 étant également impliquées dans l’intégrité de la perfusion des reins (bien que cet effet secondaire diminue considérablement en cas de normovolémie) [14, 15, 21].

Gabapentine

L’utilisation de la gabapentine peut également être soumise à discussion. Les doses employées sont très variables (de 2 à 160 mg/kg per os, une à deux ou trois fois par jour, mais plus communément entre 10 et 20 mg/kg per os deux fois par jour), la durée de traitement est souvent longue – 2 semaines au minimum sont nécessaires avant de voir les premiers effets bénéfiques et ce traitement est à prolonger sur plusieurs mois – et seuls des comprimés sont disponibles sur le marché, malgré une très faible biodisponibilité chez le cheval (environ 16 %). En revanche, la molécule est non stupéfiante (donc d’utilisation et de prescription faciles), sans aucun effet secondaire démontré chez le cheval (sinon une faible sédation aux dosages les plus élevés), elle n’interfère a priori pas avec les récepteurs des autres molécules (sous-unité des canaux calciques voltage dépendants) et son coût est “abordable” (tout de même 250 € environ pour le traitement mensuel d’un cheval de 500 kg). Elle se révèle intéressante dans une stratégie d’analgésie multi­modale (notamment en association avec la kétamine) pour traiter des affections chroniques à composante neuropathique telles que l’ostéo-arthrose, la fourbure, les boiteries chroniques ou le headshaking, mais de plus amples recherches sur le sujet sont encore attendues pour pouvoir établir des consensus et statuer sur son efficacité [7, 8, 11, 13, 15, 16, 18, 20, 22].

Analgésie locorégionale

Les techniques d’analgésie locorégionale, comme la péridurale ou les blocs périphériques, constituent un outil à considérer dans le plan thérapeutique contre la douleur, lorsque celles-ci sont réalisables [7, 14]. Dans le cas présenté, deux injections péridurales périopératoires ont été pratiquées, surtout dans l’optique d’améliorer les conditions de réveil [19]. L’acte est relativement facile à réaliser, peut être répété, et des effets indésirables faibles à modérés (prurit, ataxie, sédation, etc.) peuvent apparaître selon les molécules injectées [14, 18]. Toutefois, des précautions doivent être prises suivant les molécules employées, leur dose, leurs délai et durée d’action (modifiés par rapport à une administration systémique) et leur potentielle résorption sanguine. Si le besoin analgésique implique une trop grande fréquence d’injections ou si les volumes à injecter pour atteindre le site cible sont trop importants, il est possible de mettre en place un cathéter péridural [2, 7, 21]. Ici, la jument était souvent couchée, ce qui était plutôt apprécié compte tenu de sa fourbure, mais aurait pu être un inconvénient dans la gestion du cathéter péridural. De plus, si les injections péridurales sont efficaces dans l’analgésie et l’anesthésie des segments postérieurs, ces mêmes propriétés seraient plus difficiles à obtenir pour les membres thoraciques (nécessité d’un volume d’injection plus important afin de faire diffuser les molécules vers les segments antérieurs, intensité d’analgésie plus faible pour les mêmes tests nociceptifs) [10, 14, 21].

Évaluation de la douleur

Chez cette jument, il aurait été intéressant d’évaluer le plus objectivement possible la douleur à l’aide de scores. Il existe plusieurs grilles, plus ou moins élaborées, qui vont de la simple échelle visuelle subjective aux grilles “composites” intégrant des paramètres cliniques et comportementaux (par exemple, equine composite pain scale) [4, 7, 9, 11]. En répétant ces scores plusieurs fois dans la journée, il est possible de suivre l’évolution de la réponse thérapeutique de l’animal et de déceler précocement les variations d’intensité de la douleur. Le traitement analgésique peut ainsi être adapté au mieux, en utilisant les molécules adéquates selon le degré d’intensité observé (avec notamment la notion de paliers de douleur) [8, 9, 11]. Ces grilles ne sont toutefois pas infaillibles, le cheval étant un animal qui peut masquer sa douleur, ou présenter des signes difficiles à objectiver dans les cas de douleur chronique où les paramètres physiologiques, tels que les fréquences cardiaque et respiratoire, ne sont pas toujours modifiés [19]. Il est donc important d’apprendre à déchiffrer le comportement de l’espèce, mais aussi de chaque animal, afin de pouvoir noter le moindre changement d’attitude qui pourrait être un signe favorable (ou défavorable) de réponse au traitement [8, 9, 11, 19]. De plus, les grilles ne sont pas toujours interchangeables en fonction de l’affection considérée (par exemple, douleur viscérale versus locomotrice), elles sont nombreuses et certaines manquent encore d’accréditation scientifique. En outre, la pluralité des affections dans notre cas (trois membres atteints sur quatre avec des atteintes différentes), combinée à la diversité des observateurs (milieu universitaire), aurait pu complexifier l’évaluation objective par rapport au suivi subjectif d’un clinicien aguerri. Enfin, les signes de douleur étaient suffisamment faciles à détecter pour permettre d’adapter promptement le traitement au moment opportun. Toutefois, ces grilles d’évaluation constituent un outil pratique objectif avantageux pour les praticiens, ainsi que pour les propriétaires [4, 9].

Conclusion

La prise en charge de la douleur chronique se révèle parfois laborieuse, voire frustrante, tant les mécanismes qui la composent sont complexes et son expression protéiforme. L’arsenal thérapeutique à la disposition du praticien et les stratégies à adopter sont variés, ce qui permet d’appliquer les principes de l’analgésie multimodale afin de traiter la douleur le plus efficacement possible. Toutefois, il n’est pas toujours aisé de mettre en pratique ces recommandations. En effet, la fréquence soutenue des traitements souvent longs, les techniques d’administration, certaines molécules stupéfiantes qui sont soumises à une réglementation stricte, ou l’aspect financier peuvent rendre difficile, voire impossible, la gestion de tels cas sur le terrain. De plus amples recherches dans le domaine de l’analgésie sont donc encore attendues. La validation ou l’émergence de nouvelles molécules, formes galéniques et techniques, complémentaires ou alternatives, pourrait améliorer le confort de nombreux chevaux.

  • (1) Médicament à usage humain.

  • (2) Spécialités vétérinaires disponibles pour les chiens et les chats.

  • (3) Voir l’article “L’analgésie multimodale ou balancée chez le cheval : principes thérapeutiques et illustrations pratiques” de G. Touzot-Jourde dans ce dossier.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

Éléments à retenir

→ La douleur, surtout lorsqu’elle est chronique, est un phénomène physiopathologique complexe.

→ Pour gérer ce genre de cas, l’analgésie doit être multimodale, donc inclure différentes molécules et techniques d’administration pour agir sur plusieurs voies du mécanisme.

→ Face à un cas donné, plusieurs stratégies peuvent être discutées même si de nombreuses avancées en la matière sont encore attendues.

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