Quand et comment réaliser une transfusion chez le cheval ? - Pratique Vétérinaire Equine n° 210 du 01/04/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 210 du 01/04/2021

MÉDECINE INTERNE

Cahier pratique

Fiche technique

Auteur(s) : Charles de Chaisemartin*, Jean-Luc Cadoré**, Aude Giraudet***

Fonctions :
*VetAgro Sup, campus vétérinaire,
Clinéquine, 1 avenue Bourgelat,
69280 Marcy-L’Étoile
**ENV d’Alfort, clinique équine, 7 avenue du Général de Gaulle, 94700 Maisons-Alfort
***VetAgro Sup, campus vétérinaire,
Clinéquine, 1 avenue Bourgelat,
69280 Marcy-L’Étoile
****ENV d’Alfort, clinique équine, 7 avenue du Général de Gaulle, 94700 Maisons-Alfort

La transfusion sanguine chez le cheval n’est pas une nouveauté. Cependant, aujourd’hui encore, sa réalisation peut présenter certaines difficultés. En effet, la compréhension de l’immunologie sanguine équine est incomplète. La mise en place d’un tel traitement reste donc un enjeu thérapeutique et immunologique pour le praticien. Bien que son utilisation puisse être déterminante pour la survie des cas critiques, la balance bénéfice/risque du traitement doit mettre d’un côté la sécurité du cheval, et de l’autre l’intérêt de cet acte.

Indications

Avec l’objectif de favoriser le transport de l’oxygène, d’apporter des facteurs de coagulation ou de compenser une perte protéique, la transfusion d’éléments sanguins peut être réalisée dans six grandes situations.

En premier, il est possible d’administrer du plasma frais ou du plasma hyperimmun à un poulain lors d’une hypogammaglobulinémie avec une concentration d’immunoglobulines de type G (IgG) inférieur à 8 g/l.

Pour un cheval de tout âge, l’hypoprotéinémie (concentration de protéines totales inférieure à 40 g/l ou albuminémie inférieure à 20 g/l) est une indication pour administrer du plasma.

Il est également recommandé d’administrer du plasma frais lors d’endotoxémie ou de coagulation intravasculaire disséminée.

Une transfusion de sang frais peut être réalisée lors de dysérythropoïèse ou de thrombopénie (nombre de thrombocytes inférieur à 10 × 109). Pour ce dernier cas, du plasma enrichi en plaquettes peut aussi être utilisé.

Enfin, lors d’anémie, l’administration de sang frais suit des critères différents selon l’évolution de celle-ci. En cas d’anémie chronique, une transfusion est recommandée lorsque l’hématocrite est inférieur à 12 % ou si l’hémoglobinémie descend en dessous de 5 g/dl. Lors d’anémie aiguë (par exemple, due à une hémorragie secondaire à une mycose des poches gutturales, à une thrombopénie, ou à la rupture d’un gros vaisseau ou d’un organe), l’indication est plutôt une perte de sang qui dépasserait 30 % du volume sanguin du cheval (déficit de plus de 12 l pour un individu de 500 kg) ou un animal qui présente des signes cliniques de choc hypovolémique (muqueuses collantes, temps de remplissage capillaire augmenté, plis de peau persistant, remplissage jugulaire ralenti, pouls faible) [4, 7].

Certains cas d’érythrolyse néonatale peuvent aussi nécessiter la mise en place d’une transfusion sanguine(1).

Lorsque les produits sanguins ne sont pas disponibles, une solution d’hémoglobine bovine (Oxyglobin®) peut être administrée en urgence, dans l’attente d’une transfusion sanguine. Néanmoins, son coût important et le temps d’action court sont des facteurs limitants pour son emploi.

Choix du donneur

Le donneur doit être en bonne santé et afficher des valeurs hématologiques dans les normes. Il doit également être exempt de toutes maladies transmises par le sang. En particulier pour l’anémie infectieuse équine, le donneur doit présenter un test de Coggins négatif lors du prélèvement. Les animaux ayant des antécédents de transfusion, de gestation ou de parturition doivent être évités (ces individus sont également des receveurs potentiellement à haut risque). La compatibilité entre le donneur et le receveur doit ensuite être testée.

Pour cela, le “cross-match majeur” (CMM) évalue la compatibilité entre les hématies du donneur et le sérum du receveur. Si des agglutinats se forment (CMM positif), alors le sérum du receveur contient des anticorps contre les hématies du donneur. Il existe donc un risque de destruction des hématies du donneur (choc transfusionnel) et un changement impératif de donneur doit s’opérer.

Le “cross-match mineur” (CMm) évalue la compatibilité entre les hématies du receveur et le sérum du donneur. Si des agglutinats se forment (CMm positif), le sérum du donneur contient des anticorps contre les hématies du receveur. Il est alors préférable de changer de donneur.

Un contrôle est réalisé en parallèle pour évaluer la non-réactivité (absence d’agglutination) entre les hématies et le sérum homologue.

L’utilité des cross-matchs sur le terrain est sujette à discussion. En effet, ces tests ont aussi des limites. Ils peuvent ne pas détecter les incompatibilités mineures entre donneur et receveur. Celles-ci diminuent le temps de vie des hématies transfusées et prédisposent à la survenue de réactions hémolytiques lors des transfusions suivantes.

De plus, chez le cheval, sept groupes sanguins (A, C, D, K, P, Q et U) sont identifiés avec 34 antigènes sanguins [15]. Sur les 400 000 combinaisons antigéniques possibles, le receveur a une chance sur 100 000 d’être parfaitement compatible avec le donneur. Les antigènes des érythrocytes sont faiblement immunogènes sans transfusions multiples, à l’exception des groupes Aa et Qa qui sont à l’origine d’anticorps hautement hémolytiques.

En pratique, bien que de nouvelles techniques se développent pour réaliser les cross-matchs, ces tests restent une manipulation longue à réaliser correctement (2 à 3 heures) [2, 5, 15]. Les publications recommandent alors de les mettre en œuvre si une seconde transfusion est nécessaire plus de 4 à 7 jours après la première ou si une réaction est notée lors de celle-ci.

Le typage sanguin permet de connaître exactement le groupe sanguin de l’animal. Ce test prend également du temps, mais sa réalisation se révèle intéressante dans les grosses structures vétérinaires. Un donneur équin universel est un individu négatif pour Aa et Qa et exempt d’anticorps envers ces deux groupes.

En pratique

Récolte

Le sang frais est récolté de façon stérile avec un cathéter de 10 à 14 G introduit dans la veine jugulaire en direction de la tête. Chez un cheval sain de 500 kg, 6 à 10 l (15 à 25 %) de son volume sanguin peuvent être prélevés [11]. Les donneurs peuvent être prélevés dans un intervalle de 2 à 4 semaines [1].

Le sang frais est récolté dans des poches contenant du citrate-phosphate-dextrose-adénosine (CPDA-1) comme anticoagulant. En revanche, l’acide éthylène diamine tétra-acétique (EDTA) est utilisé pour le prélèvement du plasma (photo 1). Le sang total est d’abord récupéré dans une première poche, qui est continuellement agitée pendant le don afin de mélanger de façon homogène l’anticoagulant avec le sang. Le prélèvement est ensuite laissé en position verticale à 0 °C pour permettre à la gravité de sédimenter le plasma et les hématies. Après 8 heures au repos, le plasma peut être récolté (photo 2).

Le donneur doit être surveillé à la suite du prélèvement pour prévenir toute complication due à la perte sanguine et à la mise en place du cathéter. Une perfusion de soluté isotonique peut être réalisée à hauteur du sang prélevé et une complémentation en fer per os est parfois administrée [10].

Stockage

Le sang frais peut être gardé pendant 35 jours entre 1 et 6 °C. Les poches doivent être agitées pendant 60 à 90 secondes une fois par jour [11]. Cependant, les “lésions de stockage” augmentant avec le temps, le sang le plus frais possible doit être privilégié.

Le plasma frais congelé, récupéré 8 heures après le don, se conserve pendant 1 an entre - 20 et - 30 °C. Il est surtout intéressant pour un besoin de protéines plasmatiques ou de facteurs de coagulation.

Le plasma congelé, qui correspond à un plasma récupéré plus de 8 heures après le don, à un plasma frais congelé conservé plus de 1 an ou décongelé puis recongelé, peut être gardé jusqu’à 5 ans au congélateur. Comparativement au frais, le plasma congelé ne contient plus les facteurs de coagulation V, VIII et vWF. Il reste cependant une source intéressante d’albumine [3].

Volume à distribuer

Lorsque les données sanguines du receveur et du donneur sont disponibles, il est possible de calculer la quantité de sang ou de plasma à administrer (encadré). Ce calcul reste approximatif, car il ne tient pas compte des pertes subies ou à venir. Les valeurs d’hématocrite et de protéines totales désirées doivent tendre autour de 20 % et 40 g/l, respectivement [7]. Par exemple, un cheval de 500 kg avec un hématocrite de 15 % devrait recevoir 6 l de sang (hématocrite du donneur : 35 %) pour espérer qu’il atteigne 20 % d’hématocrite. De même, pour un receveur de 500 kg avec une protéinémie de 35 g/l, il conviendra de lui administrer 2 l de plasma (protéines totales du donneur : 60 g/l) pour espérer atteindre 40 g/l de protéines totales.

Administration

Le don est réalisé de façon stérile avec un cathéter de 10 à 14 G introduit dans la veine jugulaire en direction du cœur. Les produits sanguins sont préalablement réchauffés ou décongelés au bain-marie avec une eau à 37 °C pour approcher la température corporelle, puis administrés avec une tubulure contenant un filtre pour éviter le passage de caillots.

Pour prévenir les accidents lors de la transfusion, il est possible d’administrer d’abord un bolus de 50 ml en surveillant les constantes vitales et la survenue d’éventuels effets secondaires (variation des fréquences cardiaque et respiratoire, tremblements, modification de l’attitude), puis la partie restante, ou encore de commencer la perfusion avec un bas débit en l’augmentant au fur et à mesure selon l’état clinique du cheval. Si aucune complication n’est observée, la transfusion peut se poursuivre à un débit de 10 à 20 ml/kg/h chez les adultes (soit 5 à 10 l/h pour un cheval de 500 kg).

Les poulains peuvent recevoir des transfusions à un rythme plus rapide, de 40 ml/kg/h (soit 1 litre en 20 à 30 minutes pour un poulain de 50 kg), mais si une quantité supérieure à 1 litre doit être transfusée, le débit est ralenti à 20 ml/kg/h pour le deuxième litre (soit 1 l/h pour un poulain de 50 kg) [8].

Complications

L’expression d’une réaction adverse est très variable d’un receveur à l’autre, allant d’une simple éruption cutanée à une tachypnée/tachycardie ou à des coliques, jusqu’au choc anaphylactique [4, 14]. Ces complications peuvent avoir une origine immunologique, mais aussi non immunologique, telle qu’un défaut de prélèvement (mélange insuffisant avec l’anticoagulant notamment), de stockage (détérioration des poches, par exemple) ou une hypocalcémie par toxicité du citrate [4].

Prise en charge

En cas de réactions, le premier réflexe doit être de couper la perfusion et de procéder à une évaluation complète du receveur. Les cas d’hémolyse aiguë massive ou de choc anaphylactique peuvent bénéficier d’une hydrothérapie rapide avec une solution saline isotonique ou hypertonique contenant de l’adrénaline (4 ou 5 ml, 1:1000e solution, par voie sous-cutanée ou intramusculaire) et des corticostéroïdes (par exemple, dexaméthasone à la dose de 0,05 à 0,1 mg/kg par voie intraveineuse).

Les réactions immunologiques légères, qui se manifestent par de l’urticaire ou de la fièvre, peuvent être traitées uniquement avec des corticostéroïdes.

La surcharge de volume peut provoquer un œdème pulmonaire qui se manifeste par une dyspnée et des bruits adventices à l’auscultation des poumons. Des diurétiques (par exemple, furosémide à raison de 1 mg/kg par voie intraveineuse) sont alors administrés [4, 14].

Prévention

La transfusion peut être anticipée grâce à des dons autologues.

Certaines interventions chirurgicales, parfois à l’origine d’une hémorragie sévère (chirurgie des sinus, par exemple), peuvent être préparées en réalisant un prélèvement au préalable [10]. Cette méthode diminue les risques d’iso-immunisation ou de transmission d’éventuelles maladies infectieuses. Dans ce cas, il est recommandé de prélever le cheval, dont l’hématocrite doit être au minimum de 25 à 30 %, 2 semaines avant l’intervention. Il est démontré que le temps de survie médian des hématies à la suite d’une administration in vivo est de 39 jours après une transfusion allogénique, versus 89 jours pour les transfusions autologues [12, 13].

Transfusion cheval-âne

Les ânes possèdent un antigène connu sous le nom de “donkey factor” qui n’est pas présent chez les chevaux. Ces derniers étant fortement réactifs à cet antigène, les ânes ou les mules ne doivent donc pas être utilisés comme donneurs pour les chevaux. De même, les chevaux dotés d’anticorps anti-donkey ne peuvent pas être utilisés comme donneurs pour les ânes et les mules [9].

  • (1) Voir la fiche “Détecter et prévenir une érythrolyse néonatale” de J. Niquet, Prat. Vét. Équine. 2021;210:52-55.

  • 1. Byars TD, Divers TJ. Clinical use of blood ­transfusions. Calif. Vet. 1981;1:14-16.
  • 2. Casenave P, Leclere M, Beauchamp G et coll. Modified stall-side crossmatch for transfusions in horses. J. Vet. Intern. Med. 2019;33 (4):1775-1783.
  • 3. Chohan AS, Davidow EB. Clinical pharmacology and administration of fluid, electrolyte, and blood component solutions. In: Veterinary Anesthesia and Analgesia, The Fifth Edition of Lumb and Jones. Eds. Grimm KA, Lamont LA, Tranquilli WJ, Greene SA and Robertson SA. 5th ed. Wiley Blackwell. 2015:386-413.
  • 4. Durham AE. Blood and plasma transfusion in the horse. Equine Vet. Educ. 1996;8 (1):8-12.
  • 5. Fenn MS, Bortsie-Aryee AD, Perkins GA et coll. Agreement of stall-side and laboratory major crossmatch tests with the reference standard method in horses. J. Vet. Intern. Med. 2020;34 (2):941-948.
  • 6. Luethy D, Owens SD, Stefanovski D et coll. Comparison of tube, gel, and immunochromato­graphic strip methods for evaluation of blood transfusion compatibility in horses. J. Vet. Intern. Med. 2016;30:1864-1871.
  • 7. Maurin E. Transfusion. Dans : Guide pratique de médecine équine. 3e éd. Med’Com. 2017:248-250.
  • 8. Morris DD. Review of anaemia in horses, part II: pathophysiologic mechanisms, specific diseases and treatment. Equine Pract. 1989;11:34-46.
  • 9. Mudge MC. Acute hemorrhage and blood ­transfusions in horses. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2014;30 (2):427-436.
  • 10. Mudge MC, McDonald MH, Galuppo LD. How to perform pre-operative autologous blood donation in equine patients. Proceedings of annual convention of American Association of Equine Practitioners. 2005;51:263-264.
  • 11. Mudge MC, MacDonald MH, Owens SD et coll. Comparison of 4 blood storage methods in a protocol for pre-operative autologous donation. Vet. Surg. 2004;33:475-486.
  • 12. Mudge MC, Walker NJ, Borjesson DL et coll. Post-transfusion survival of biotin labeled allogeneic RBCs in adult horses. Vet. Clin. Pathol. 2012;41:56-62.
  • 13. Owens SD, Johns JL, Walker NJ et coll. Use of an in vitro biotinylation technique for determination of posttransfusion survival of fresh and stored autologous red blood cells in Thoroughbreds. Am. J. Vet. Res. 2010;71:960-966.
  • 14. Ronald E, Domen MD, Gerald A et coll. Allergic transfusion reactions. An evaluation of 273 consecutive reactions. Arch. Pathol. Lab. Med. 2003;127:316-320.
  • 15. Sandberg K. Guidelines for the interpretation of blood typing tests in horses. International Society for Animal Genetics. 1996:1-9. Disponible en ligne : https://www.isag.us/Docs/consignmentforms/HorseBlood_Typing.pdf

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ : CALCUL DES QUANTITÉS DE SANG OU DE PLASMA À ADMINISTRER

Ht : hématocrite ; PT : protéines totales.

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