Détecter et prévenir une érythrolyse néonatale - Pratique Vétérinaire Equine n° 209 du 01/01/2021
Pratique Vétérinaire Equine n° 209 du 01/01/2021

NÉONATALOGIE

Cahier pratique

Fiche pratique

Auteur(s) : Julien Niquet*, Maha Abunemeh**, Clémence Juillet***, Jean-Luc Cadoré****

Fonctions :
*Université de Lyon,
VetAgro Sup,
campus de Lyon,
département hippique,
69280 Marcy-L’Étoile

L’érythrolyse néonatale est une maladie immunitaire qui consiste en la destruction des érythrocytes du poulain par des anticorps maternels transmis via le colostrum et spécifiques de leurs antigènes de surface. Ces anticorps provoquent une réaction d’hypersensibilité de type II (cytotoxicité médiée par des anticorps), qui aboutit à une anémie hémolytique [4]. C’est la cause la plus fréquente d’anémie hémolytique et d’ictère chez les poulains nouveaunés et elle est parfois mortelle. Des mesures de prévention peuvent intervenir avant ou après la mise bas.

Pathogénie et épidémiologie

Des incompatibilités entre les groupes sanguins du poulain hérités du père d’une part, et ceux de la mère d’autre part, sont à l’origine de la maladie (encadré 1) [5]. Les groupes Aa et Qa sont les plus impliqués lors d’érythrolyse néonatale (90 % des cas) [3]. Dans une moindre mesure, les groupes Dc, Ua, Ab et Pa peuvent également être concernés.

L’exposition de la mère à des antigènes érythrocytaires peut avoir lieu lors de la gestation. Normalement, il n’existe aucun contact entre le sang fœtal et le sang maternel. Néanmoins, divers accidents gestationnels peuvent exposer la mère à du sang fœtal et provoquer une immunisation : des métrorragies, un avortement spontané, un décollement placentaire, une gestation extra-utérine, une intervention chirurgicale mobilisant l’utérus, une hémorragie fœtomaternelle (parfois spontanée et silencieuse), un traumatisme abdominal, etc. L’immunisation de la jument peut également avoir lieu à l’occasion d’une transfusion sanguine ou d’une gestation antérieure.

La placentation épithélio-choriale de la jument empêchant tout transfert d’immunité passive in utero, ce transfert s’effectue par l’ingestion du colostrum lors des 24 premières heures de vie du poulain.

Trois conditions sont donc nécessaires pour qu’un poulain développe une érythrolyse néonatale :

– la mère doit avoir été exposée à des antigènes érythrocytaires et avoir produit des anticorps contre ces antigènes, avec un pouvoir agglutinant ou hémolysant important ;

– le poulain doit avoir hérité de son père des antigènes érythrocytaires qui correspondent à ces anticorps ;

– le poulain doit ingérer du colostrum contenant ces anticorps lors des premières 24 heures post-partum [7].

Si 14 % des poulains présentent une incompatibilité érythrocytaire avec leur mère, seulement 0,05 à 2 % d’entre eux réunissent l’ensemble des conditions nécessaires au développement de la maladie. Par ailleurs, les variations raciales de fréquence des groupes sanguins dans l’espèce équine rendent certaines races plus à risque [6]. Par exemple, la quasi-totalité des trotteurs américains sont Qa négatifs, ce qui n’est généralement pas problématique si l’étalon est un trotteur, mais peut l’être dans le cas contraire. Un autre exemple est celui des mulets, pour lesquels le facteur B, propre aux ânes, est systématiquement transmis par le baudet : 100 % des gestations de mulets sont donc incompatibles, et la prévalence de l’érythrolyse néonatale atteint 10 % chez le muleton [7].

Signes cliniques

En l’absence d’une affection concomitante, le poulain est parfaitement normal à la naissance et les premiers signes d’érythrolyse néonatale ne se manifestent qu’après l’ingestion du colostrum, lors des premières heures à premiers jours de vie. Paradoxalement, une bonne prise colostrale chez un poulain vif à la naissance pourrait être considérée comme un facteur de risque, en raison de la grande quantité d’anticorps ingérée.

Les signes généraux les plus courants sont un abattement, avec un poulain fréquemment couché et tétant peu, des muqueuses pâles et ictériques, une tachycardie et une dyspnée (photos 1a et 1b).

Les signes paracliniques associés sont une anémie, une hyperbilirubinémie, une hémoglobinurie et, de façon inconstante, une thrombopénie (plus fréquente chez le muleton).

Les signes cliniques de la maladie et leur intensité varient selon la vitesse et la sévérité de l’hémolyse, donc suivant la quantité d’anticorps ingérés, ainsi que leur pouvoir hémolysant ou agglutinant. Trois formes sont ainsi distinguées :

– une forme suraiguë, dont l’apparition est brutale dès les 8 à 36 premières heures de vie, avec un abattement et une pâleur prédominante, souvent sans ictère au début ;

– une forme aiguë, la plus classique, qui se développe dans les 2 à 4 premiers jours de vie, avec un ictère franc, une pâleur modérée des muqueuses et une hémoglobinurie ;

– une forme subaiguë, assez rare, qui survient après 4 à 5 jours de vie et dont l’ictère et l’abattement sont les signes prédominants, les autres restant plus discrets [2].

Lors des formes graves, sont rapportées des complications telles qu’une septicémie néonatale, des affections digestives (coliques, méléna), une insuffisance rénale aiguë (en lien avec la toxicité rénale de la bilirubine) et un kernictère (ou encéphalopathie bilirubinique, due à la toxicité cérébrale de la bilirubine à l’origine d’une altération de l’état de conscience et de convulsions) [1, 5, 9].

Diagnostic

Le diagnostic de certitude repose sur la mise en évidence d’immunoglobulines G (IgG) capables d’agglutiner ou d’hémolyser les érythrocytes du poulain dans le sérum de la jument ou dans le colostrum. Le test le plus fiable est le cross-match hémolytique, qui fait réagir le sérum de la mère ou le colostrum, les érythrocytes du poulain, et un complément exogène. Son résultat est cependant trop long à obtenir pour l’utiliser en routine sur le terrain. Le test d’agglutination des hématies du poulain mises en présence des anticorps maternels est plus rapide, ses résultats sont bien corrélés à ceux du cross-match et il est davantage utilisé en pratique (encadré 2).

Traitement

Le traitement d’un poulain présentant une érythrolyse néonatale est en premier lieu symptomatique : repos strict dans un lieu calme, oxygénothérapie, perfusion intraveineuse de solutés isotoniques (en veillant à ne pas aggraver l’anémie), anticonvulsivants (en cas de kernictère), soutien nutritionnel, etc. La décision de réaliser une transfusion sanguine doit être prise selon le tableau clinique et les valeurs de la lignée rouge. Chez le poulain nouveau-né, la formule pour calculer le volume de sang transfusé pour élever l’hématocrite (Ht) à la valeur souhaitée est la suivante : poids vif (kg) × 150 × (Ht souhaité – Ht souhaité)/Ht du donneur.

Dans les formes graves associées à un kernictère, une transfusion de plasma peut permettre de diminuer l’hyperbilirubinémie [1].

Pronostic

Le pronostic dépend de la gravité des signes cliniques, de la précocité de la prise en charge et de la présence de comorbidités ou de complications. Une étude rétrospective incluant 72 cas rapporte un taux de survie de 75 % [7].

Prévention

La prévention reste la meilleure façon de gérer l’érythrolyse néonatale (figure). Une fois la situation à risque identifiée, une éventuelle incompatibilité peut être mise en évidence par des analyses effectuées à la fin de la gestation (recherche d’anticorps antiérythrocytaires dans le sérum maternel, cross-match jument-étalon ou, si le sang du père n’est pas disponible, test du sérum maternel avec un panel d’antigènes érythrocytaires dans des laboratoires spécialisés). Le cas échéant, des précautions sont prises afin que le poulain ne tète pas le colostrum de sa mère et qu’un colostrum de substitution lui soit administré pendant les 18 à 24 premières heures de vie. Afin de remettre le poulain à la mamelle sans risque, il est possible de suivre au réfractomètre la chute de la concentration en immunoglobulines dans le lait, et de s’assurer ainsi qu’il ne s’agit plus de colostrum (photo 2). En vue d’une mise à la reproduction ultérieure, il est recommandé de déterminer le groupe sanguin de la jument et de détecter la présence d’anticorps antiérythrocytaires sériques.

  • 1. Broux B, Lefère L, Deprez P et coll. Plasma exchange as a treatment for hyperbilirubinemia in 2 foals with neonatal isoerythrolysis. J. Vet. Intern. Med. 2015;29 (2):736-738.
  • 2. Constable PC, Hinchcliff KW, Done S et coll. Disease of the hemolymphatic and immune systems. In: Veterinary Medicine. A Textbook of the Diseases of Cattle, Horses, Sheep, Pigs and Goats. 11th ed. Elsevier Saunders, St. Louis. 2016:740-744.
  • 3. Durham AE. Blood and plasma transfusion in the horse. Equine Vet. Educ. 1996;8 (1):8-12.
  • 4. Johnsnon JR. Neonatal isoerythrolysis. In: Equine Reproduction. Eds. McKinnon AO, Squires EL, Vaal WE, Varer DD. 2nd ed. Wiley-Blackwell, Oxford. 2011:353-360.
  • 5. McKenzie HC. Disorders of foals. In: Equine Internal Medicine. Eds. Reed S, Bayly W, Sellon D. 4th ed. Elsevier Saunders. 2017:1414-1416.
  • 6. Podliachouk L, Kaminski M, Weghe A et coll. Marqueurs génétiques sanguins chez les chevaux de course. Ann. Genet. Sel. Anim. 1975;7 (4):339-355.
  • 7. Polkes AC, Giguère S, Lester GD et coll. Factors associated with outcome in foals with neonatal isoerythrolysis (72 cases, 1988-2003). J. Vet. Intern. Med. 2008;22 (5):1216-1222.
  • 9. Répécaud MC. Étude préliminaire à l’élaboration d’un test diagnostique pour la prévention d’isoérythrolyse néonatale chez le poulain. Thèse doct. vét. Lyon. 2017:108p.
  • 8. Sellon DC. Neonatal immunology. In: Equine Neonatal Medicine: A Case-Based Approach. Ed. Paradis MR. Elsevier Saunders, Philadelphia. 2006:40-44.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ 1 : LES GROUPES SANGUINS CHEZ LE CHEV AL

Sept systèmes de groupes sanguins sont décrits chez le cheval, correspondant à des antigènes présents à la surface des érythrocytes. Ils sont identifiés par une lettre majuscule (A, C, D, K, P, Q, U). Pour chacun de ces systèmes, il existe deux ou plusieurs variantes appelées facteurs et identifiées par une lettre minuscule suivant celle du système (par exemple Aa, Ab, Ac, etc.).

Le cheval possède peu d’anticorps naturels ciblant les antigènes érythrocytaires, c’est-à-dire présents chez l’individu en l’absence d’immunisation. En revanche, après le contact avec un antigène érythrocytaire inconnu du système immunitaire, une immunisation conduit au développement d’anticorps ciblant cet antigène. Certains groupes sanguins sont particulièrement immunogènes : une faible exposition à l’antigène entraîne le développement rapide et intense d’une immunité humorale. C’est le cas notamment des groupes Aa et Qa.

ENCADRÉ_2_: LE TEST D’AGGLUTINATION DES HÉMATIES DU POULAIN MISES EN PRÉSENCE DES ANTICORPS MATERNELS

Le test d’agglutination des hématies du poulain mises en présence des anticorps maternels (ou jaundiced foal agglutination test, JFA test) consiste simplement à mettre en contact les hématies du poulain avec le colostrum ou le sérum de sa mère plus ou moins dilué et de rechercher une agglutination. Facile à réaliser au chevet de l’animal, ce test ne met cependant en évidence que les réactions d’agglutination, et pas celles d’hémolyse qui peuvent aussi être impliquées dans l’érythrolyse néonatale.

Pour repérer une situation à risque, il doit être réalisé avant la première tétée. Un échantillon de 5 ml de colostrum ou de sérum de la mère et un de 3 ml de sang total du poulain sont prélevés dans des tubes EDTA. Des dilutions successives, de 1:2 à 1:128, sont ensuite préparées avec le sérum maternel ou le colostrum et du NaCl à 0,9 %, ainsi qu’un tube témoin ne recevant que du sérum physiologique. Une goutte de sang du poulain est ajoutée dans chaque tube, puis les tubes sont homogénéisés délicatement et centrifugés. Enfin, le culot érythrocytaire de chaque tube est observé à la recherche d’une réaction d’agglutination des érythrocytes [8]. Le test est considéré comme positif si les érythrocytes du poulain sont agglutinés par le sérum de la mère ou le colostrum, dilués à un titre supérieur ou égal à 1:16.

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