TROUBLES RESPIRATOIRES
Cahier scientifique
Article de synthèse
Auteur(s) : Éric Richard*, Anne Couroucé**
Fonctions :
*LABÉO Frank Duncombe
1, route de Rosel, Saint-Contest
14000 Caen
** Oniris
Unité de nutrition, physiopathologie
et pharmacologie (NP3)
Centre international de santé
du cheval d’Oniris (Cisco)
101, route de Gachet
44300 Nantes
Le terme d’asthme équin regroupe un ensemble d’affections respiratoires réversibles d’origine principalement environnementale. Porter une attention particulière à l’espace de vie du cheval représente l’un des principaux moyens pour le prévenir.
En raison des multiples similarités partagées avec l’asthme chez l’homme, l’asthme équin est une terminologie translationnelle récemment suggérée pour décrire, chez les chevaux de tout âge, une inflammation chronique et réversible des voies respiratoires profondes, notamment liée à l’environnement [1, 2]. Ce large syndrome peut être divisé en deux phénotypes majeurs, principalement sur la base de la sévérité des signes cliniques observés. Malgré un certain chevauchement des phénotypes, les asthmes équins léger/modéré et sévère ne représentent pas nécessairement un continuum au cours du temps [1]. L’asthme équin sévère (précédemment connu sous la terminologie RAO pour recurrent airway obstruction) se caractérise par des épisodes récurrents d’efforts respiratoires augmentés au repos (respiration laborieuse), ainsi que des proportions de neutrophiles largement augmentées à la cytologie du liquide de lavage bronchoalvéolaire [3, 4]. L’asthme équin léger/modéré (précédemment connu sous la terminologie IAD pour inflammatory airway disease) est cliniquement caractérisé par une contre-performance et une toux occasionnelle (généralement en début d’exercice), également mis en évidence par un excès de mucus trachéobronchique et/ou un profil cytologique anormal du liquide de lavage bronchoalvéolaire [1, 5]. L’exposition à des antigènes de l’air, présents dans l’environnement, est centrale pour l’initiation et la maintenance de cette affection, notamment par le maintien au box (en écurie) et l’exposition au foin et à la paille [6]. Nourrir un cheval à l’aide de foin moisi représente en effet un modèle expérimental largement établi pour l’exacerbation de l’asthme sévère chez les chevaux sensibles, et permet également de distinguer, en pratique, la forme sévère de la forme légère/modérée [7, 1].
Par rapport au pré, les chevaux logés dans des écuries conventionnelles sont soumis à des concentrations d’endotoxines dans l’air significativement supérieures (de 8 à 15 fois plus élevées), ainsi qu’à une fraction totale et respirable (moins de 7 µ) de poussières en suspension dans l’air respectivement 14 et 15 fois plus élevée [8, 9]. Un environnement “faible en poussières” (donc sans foin/paille) est associé à des concentrations de poussières en suspension et d’endotoxines dans la zone respiratoire du cheval significativement plus faibles que dans une écurie conventionnelle, mais significativement plus élevées qu’en pâture [9]. L’utilisation de copeaux de bois ou de granulés de paille comme litière est également significativement associée à des concentrations significativement plus faibles en PM10 (particules en suspension inférieures à 10 µ) et plus élevées en ammonium dans les écuries (air ambiant), par comparaison avec de la paille de blé [10, 11]. Par ailleurs, la litière de tourbe est aussi associée à des taux de poussières dans l’air ambiant significativement plus faibles par rapport à la paille [12], et à de plus faibles concentrations en ammonium dans les écuries, comparativement aux copeaux de bois [13]. La litière en biocompost, comparée à celle de copeaux de bois, est associée à des concentrations significativement réduites en poussières inhalables et respirables, en endotoxines et moisissures, mais également à des quantités significativement plus élevées en bactéries totales (y compris les actinomycètes) dans l’air ambiant des écuries [14]. Le passage d’une litière et alimentation de type paille/foin à copeaux de bois/ensilage a significativement diminué les concentrations moyennes et maximales en poussière respirable dans le box adjacent, dans la même écurie [15]. Sans surprise, les taux de particules et les niveaux d’ammoniac les plus hauts sont observés pendant le nettoyage des écuries [11]. Il est en effet démontré que le balayage du sol est associé de façon prédominante à des niveaux d’exposition élevés aux poussières en suspension dans l’air, aux endotoxines et au (1-3)-bêta-D-glucane [16]. Les concentrations moyennes en poussières, endotoxines et (1-3)-bêta-D-glucane sont cependant plus élevées dans les voies respiratoires des chevaux que dans celles des personnes dans l’écurie, ce qui incrimine potentiellement la composition alimentaire (donc le foin) [16]. Des corrélations significatives sont également décrites entre les concentrations en endotoxines et celles en poussières totales ou respirables [9, 16, 17, 18]. Des données plus controversées sont aussi rapportées en termes de concentrations en particules dans les écuries, notamment lorsque l’influence de la saison est prise en compte. Les particules en suspension dans l’air sont apparues (non significativement) plus abondantes en hiver qu’en été, tandis qu’inversement, les particules respirables étaient (non significativement) plus nombreuses en été qu’en hiver [19]. Les concentrations de PM2,5 et PM10 étaient plus élevées en septembre qu’en juillet, alors que seules les PM2,5 diminuaient significativement en novembre [20]. Dans une autre étude, les concentrations en poussières respirables et en (1-3)-bêta-D-glucane étaient plus faibles, et celles en endotoxines plus élevées en été, par rapport à l’hiver suivant [21]. De larges variations concernant les poussières respirables sont également retrouvées entre les box au sein d’une même écurie, et également entre les écuries, bien que celles-ci partagent la même conception [19, 20]. Dans l’ensemble, les PM10 diminuent à la fois lorsque la température et la ventilation augmentent, selon une étude longitudinale réalisée dans une même écurie d’entraînement pendant trois ans [22].
Des concentrations plus élevées de poussières en suspension dans l’air ont été mesurées dans la zone respiratoire (photo 1), par rapport à l’environnement général correspondant (points d’échantillonnage fixes dans les écuries) [23]. L’échantillonnage de l’air dans la zone respiratoire plutôt que dans l’air ambiant est très pertinent, bien que probablement moins accessible en pratique. Les mesures subséquentes dépendent ainsi principalement de l’environnement immédiat des naseaux, mais peuvent aussi être influencées par le comportement individuel de chaque cheval (position de la tête, fréquence des mouvements, etc.). Les concentrations en particules respirables et inhalables dans la zone respiratoire varient en effet considérablement entre les chevaux, malgré une gestion identique des écuries [22]. Les concentrations dans l’air en poussières totales et respirables, ainsi qu’en endotoxines, lorsqu’elles sont mesurées dans la zone respiratoire, sont significativement plus influencées par le type de fourrage (foin versus ensilage) que par le type de litière (paille versus copeaux de bois) (photo 2) [17, 24]. En outre, mettre du foin à disposition dans un filet a pour effet, dans la zone respiratoire, d’augmenter significativement les concentrations en poussières respirables, inhalables et endotoxines, mais pas en ammoniac, par rapport à la mise à disposition du foin directement au sol [18]. En termes de production de foin, la mise en bottes avec une teneur en matière sèche plus faible (75 % au lieu de 85 %) est associée à des concentrations en poussières totales et respirables, des contaminations fongiques et un taux d’endotoxines significativement plus élevés [25]. D’un autre côté, l’ensilage réduit significativement les concentrations de poussières (jusqu’à cent fois), alors que celles de pollens dans l’ensilage sont significativement plus élevées dans le foin témoin apparié [25]. Par ailleurs, de larges variations parmi les niveaux de poussières peuvent exister entre les bottes de foin, même lorsque celles-ci proviennent d’une même production issue d’une seule prairie. Les concentrations respirables et inhalables mesurées dans des suspensions de poussières de foin (HDS pour hay dust suspensions), produites à partir de 10 bottes “carrées” (environ 12 kg) d’un même lot, varient respectivement de 1,66 × 105 à 1,17 × 106 et 1 300 à 9 400 particules/µl (Éric Richard, données non publiées).
La stabulation est associée à une augmentation des proportions en neutrophiles retrouvées dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire de jeunes chevaux (18 mois), par rapport au pâturage, dans un design de type “cross-over” [26]. Dans l’ensemble, la probabilité d’observer du mucus trachéal à l’endoscopie est plus élevée pour les chevaux dans des écuries fermées ou dans des box avec de fortes concentrations ambiantes en “grosses” particules (≤ 10 µm) [27]. De plus, les chevaux avec un score de mucus trachéal supérieur ou égal à 2 présentent également (dans la zone respiratoire) une exposition significativement plus abondante aux concentrations maximales de PM10 en soirée et aux concentrations minimales de PM10 pendant la nuit, par rapport à des chevaux témoins appariés (expositions ambiantes similaires) [28]. Les proportions d’éosinophiles dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire sont significativement, quoique modérément, corrélées à l’exposition (dans la zone respiratoire) aux particules respirables, respectivement deux et quatre semaines après le début de l’entraînement à la course [18]. De même, les proportions de neutrophiles et de mastocytes dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire augmentent significativement avec l’exposition aux poussières respirables et au b-glucane, respectivement. Une interaction significative est en outre observée entre les concentrations en endotoxines et en poussières respirables [29]. La détection par la cytologie des moisissures dans le lavage trachéal est depuis peu associée à un risque significatif de diagnostic d’asthme équin modéré, en particulier pour les chevaux sur litière de paille et nourris au foin [30]. Dans le cadre de la réalisation d’un questionnaire de dépistage des risques, les chevaux présentant une inflammation sévère des voies respiratoires profondes sont respectivement 7,4 et 7,8 fois plus susceptibles d’être nourris avec du foin sec que les témoins (contrôles) ou les chevaux avec une inflammation modérée des voies respiratoires [31]. De plus, aucune différence significative n’est identifiée entre les groupes de chevaux pour le type de stabulation (litière) dans cette étude [31]. L’alimentation des chevaux avec des balles rondes a également pour effet d’augmenter significativement (odds ratio 4,68) le risque d’inflammation respiratoire lorsqu’il est évalué via la cytologie du liquide de lavage trachéal, contrairement au score de mucus trachéal [32].
L’influence de la composition des poussières sur l’inflammation des voies respiratoires et les dysfonctions pulmonaires est principalement étudiée chez des chevaux atteints d’asthme sévère. Pirie et ses collaborateurs ont élégamment démontré, au début des années 2000, l’influence respective des particules en suspension dans l’air, des moisissures et des endotoxines par le biais d’expositions naturelles ou de challenges d’inhalation contrôlée. Les proportions de neutrophiles dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire chez les chevaux asthmatiques sévères sont significativement plus élevées après 5 heures d’exposition à du foin moisi, par rapport à l’exposition à du foin poussiéreux [33]. L’inhalation de suspensions de poussières de foin, avec différentes concentrations en poussières, a induit dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire une neutrophilie dose-dépendante chez des chevaux asthmatiques sévères [34]. De plus, la comparaison des suspensions de poussières de foin issues de différents lots de foin a confirmé l’association entre les concentrations en particules et β-glucane et les proportions de neutrophiles dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire [34]. L’inhalation de doses croissantes d’extraits d’Aspergillus fumigatus n’a pas permis de reproduire la neutrophilie dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire associée au challenge paille/foin chez les mêmes chevaux asthmatiques sévères [35]. À l’inverse, seules des doses (très) élevées d’endotoxines inhalées ont reproduit la dysfonction pulmonaire des chevaux asthmatiques, mais a également entraîné une neutrophilie sévère dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire, aussi bien pour les chevaux asthmatiques que témoins (contrôles) [36]. La déplétion en endotoxines des suspensions de poussières de foin et le fractionnement de celui-ci (particules lavées et surnageant) ont confirmé l’effet synergique et non pas simplement additif des endotoxines et des moisissures et particules chez les chevaux asthmatiques sévères [33, 37].
Il est démontré que les changements d’environnement, en particulier la mise au pré, avec ou sans médication anti-inflammatoire, sont capables d’améliorer de manière significative l’obstruction respiratoire de chevaux atteints d’asthme sévère [38]. En revanche, la mise en place d’une corticothérapie, tout en maintenant le cheval dans un environnement poussiéreux, n’améliore que temporairement les signes cliniques et la fonction pulmonaire, alors que l’inflammation des voies respiratoires persiste [39, 40]. La ventilation naturelle est un moyen efficace de réduire les concentrations ambiantes en particules, comme cela est mis en évidence par la comparaison d’écuries extérieures et d’écuries fermées [27]. La mise en œuvre d’une ventilation mécanique dans une écurie a permis de réduire significativement les concentrations en particules ultrafines et de réduire le score de mucus trachéal observé à l’endoscopie, tandis qu’aucun effet significatif n’est observé sur les niveaux de poussières totales ou respirables, les concentrations en endotoxines dans l’air et les proportions de neutrophiles dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire [41]. Dans une étude récente, l’ionisation de l’air dans une écurie n’a pas permis de réduire les concentrations ambiantes en poussières, endotoxines ou moisissures, tant dans un environnement à faible teneur (copeaux de bois/ensilage) qu’à forte teneur en poussières (paille/foin) [42]. La litière en carton dépoussiérée est associée à des concentrations significativement plus faibles en poussières respirables et en moisissures en suspension dans l’air, par rapport à la paille de blé ou aux copeaux de bois [43]. De plus, les chevaux asthmatiques sévères présentent des proportions de neutrophiles dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire et une dysfonction pulmonaire significativement plus faibles lorsqu’ils sont maintenus sur une litière en carton (et nourris avec de l’ensilage), comparativement à une litière en paille (et nourris avec du foin sec) [43].
L’alimentation par l’ensilage et une litière en copeaux de bois sont associés à des niveaux significativement plus faibles en poussières respirables et en endotoxines dans la zone respiratoire du cheval, par rapport à un environnement de type foin/paille [17, 24]. Alternativement, le trempage du foin (pendant 16 heures), ainsi que le maintien de celui-ci dans de la vapeur à haute température (pendant 40 minutes) réduisent significativement l’exposition aux particules respirables, même si les niveaux d’endotoxines ne sont pas recherchés dans ces études [15, 44]. Le foin “à la vapeur”, mais pas le foin “trempé”, est également associé à une réduction significative du contenu en moisissures [45]. Dans une étude clinique, la vapeur influence de manière insignifiante la réponse des chevaux asthmatiques sévères lorsqu’ils sont nourris au foin [46]. En effet, le score de mucus trachéal observé cinq jours après l’initiation du challenge est significativement plus élevé lorsque les chevaux asthmatiques sont nourris avec du foin sec, mais pas avec du foin “à la vapeur”, alors que les proportions de neutrophiles dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire sont significativement plus élevées après les deux épreuves d’exposition au foin (sec et vapeur) [46]. Une étude récente s’est aussi intéressée à un système d’alimentation à base d’incorporation d’huile de soja à du foin traité mécaniquement [47]. Il est ainsi démontré que le foin huilé et les granulés de foin (pellets) améliorent de façon similaire la fonction pulmonaire et l’inflammation respiratoire (neutrophiles dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire et score de mucus trachéal) au cours du temps, chez des chevaux asthmatiques sévères initialement en crise (exacerbation) [47].
Les facteurs de risque extrinsèques non infectieux de l’inflammation respiratoire chez les chevaux en écuries sont rationnellement déterminés par les diverses origines des poussières dans l’air ambiant. La composition de l’alimentation et de la litière, l’activité humaine (balayage, etc.), la température globale et la ventilation dans l’écurie représentent les principales pierres angulaires de l’asthme équin, et également des moyens d’action potentiellement pertinents pour sa gestion, à mettre en œuvre, bien entendu, selon les capacités des propriétaires et des entraîneurs.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
• Les concentrations en endotoxines et en poussières, dans la zone respiratoire, sont davantage influencées par le type de fourrage que par le type de litière.
• Les endotoxines (particules et moisissures dans l’air ambiant) présentent un effet synergique et non additif sur l’inflammation respiratoire des chevaux asthmatiques.
• Mettre un cheval atteint d’asthme sévère au pré permet d’inverser certains symptômes de l’obstruction respiratoire, alors qu’une corticothérapie sans mesures hygiéniques n’améliore pas l’inflammation respiratoire.