Amaurose liée à un traumatisme crânien chez une jument - Pratique Vétérinaire Equine n° 206 du 01/04/2020
Pratique Vétérinaire Equine n° 206 du 01/04/2020

OPHTALMOLOGIE

Cahier scientifique

Cas clinique

Auteur(s) : Xavier d’Ablon

Fonctions : Clinique vétérinaire
de la Côte Fleurie
14800 Bonneville-sur-Touques
xdablon@cvcf.vet

Un traumatisme crânien peut avoir des conséquences variées pour un cheval. Seul un examen neurologique, combiné à des techniques d’imagerie médicale peut permettre de les identifier et de les gérer.

Une jument trotteur français, âgée de 4 ans, est présentée en consultation pour explorer une cécité apparue cinq mois auparavant. Elle vit au pré et au box, et est correctement vaccinée et vermifugée. Jusqu’en janvier 2018, elle suivait une carrière de course et était performante.

Anamnèse et commémoratifs

Cinq mois avant l’examen, la jument se blesse lorsqu’elle est au pré. Elle présente une épistaxis et une cécité bilatérale. Les soins médicaux habituels en cas de traumatisme crânien sont prodigués en urgence. Les radiographies de la tête et de la colonne cervicale ne mettent en évidence aucune anomalie. L’endoscopie des voies respiratoires révèle un saignement venant des sinus et un léger hématome dans la poche gutturale droite. Un traitement antibiotique, à base de triméthoprime-sulfadiazine, est alors mis en place.

L’amaurose reste persistante. La jument est laissée au repos. Quelques semaines plus tard, elle présente une hyperthermie forte (jusqu’à 42 °C) et constante, qui répond aux injections d’antipyrétiques (Calmagine®, Finadyne®) effectuées par les propriétaires. La jument est alors emmenée dans une clinique vétérinaire où plusieurs examens sont réalisés.

La numération et la formule sanguines montrent une leucocytose neutrophilique à 14,4 × 103/mm3 (5.103/mm3 < valeurs usuelles < 10.103/mm3). Le fibrinogène est dans les normes à 3,5 g/l (valeur usuelle inférieure à 4 g/l).

Une endoscopie des voies respiratoires, comprenant l’exploration des poches gutturales, ne révèle pas d’anomalie. Les clichés radiographiques des sinus sont également normaux.

Une ponction échoguidée de liquide céphalorachidien est entreprise dans la région atlanto-occipitale, et 10 ml d’un liquide xanthochromique sont récupérés. Les résultats des analyses cytologique et biochimique de ce liquide indiquent un profil cytologique inflammatoire avec une protéinorachie et une possible synthèse intrathécale d’immunoglobulines G (IgG). Ces résultats ne permettent pas d’exclure une méningite comme origine de l’hyperthermie chez la jument.

L’examen ophtalmique met en évidence, sur le fond d’œil, des “traces de choriorétinite”.

Un traitement anti-inflammatoire (flunixine méglumine, à la dose de 1,1 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse) est mis en place et un autre antibiotique est prescrit, l’enrofloxacine (Baytril®, à raison de 5 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse), pour sa pénétration de la barrière hémato-méningée, en attendant les résultats de la bactériologie. L’épisode d’hyperthermie se résout et la jument est de nouveau mise au repos.

Quelques semaines avant son admission, la jument présente plusieurs crises épileptiformes de courte durée avec un nystagmus et une perte d’équilibre.

Examen ophtalmique

Examen à distance

À son arrivée à la clinique, la jument montre une attitude anormale : sa démarche est hésitante et elle suit manifestement de près la personne qui la tient en longe. Une fois dans le box d’hospitalisation, elle montre un comportement d’exploration anxieux et se cogne à plusieurs reprises dans les éléments du box.

La face et les yeux sont symétriques, et la position du globe, les paupières et les cils sont normaux. L’examen des nerfs crâniens ne révèle aucune anomalie, et le reflexe palpébral est présent.

Évaluation de la fonction visuelle

La réponse à la menace, le réflexe de clignement à l’éclair lumineux (réflexe de Dazzle), ainsi que les réflexes photomoteurs (direct et indirect) sont absents au niveau des deux yeux.

Examen des yeux

La jument présente une mydriase bilatérale marquée (photo 1). Le test de Schirmer est normal pour les deux yeux. Aucune anomalie n’est décelée au niveau de la cornée, de la chambre antérieure et du cristallin à l’ophtalmoscopie et en lampe à fente.

Les tests de coloration de la cornée ne sont pas jugés utiles, celle-ci étant lisse, brillante, transparente et avasculaire.

L’examen du fond d’œil, facilité par la mydriase présente, est effectué à l’ophtalmoscopie indirecte. La zone du tapis est légèrement hyperréflective. La papille apparaît assez pâle, surtout à gauche. Aucun vaisseau rétinien péripapillaire n’est observé. La zone sans tapis est dépigmentée de façon hétérogène sur l’ensemble de sa surface. Les vaisseaux choroïdiens sont visibles à ce niveau (photos 2a et 2b).

Bilan

La jument présente une cécité avec mydriase aréflective bilatérale et des signes de dégénérescence rétinienne.

Examens complémentaires

Des prélèvements microbiologiques ou cytologiques ne sont pas justifiés. La pression intraoculaire n’est pas mesurée.

Compte tenu de l’anamnèse et des signes présentés par la jument, un examen tomodensitométrique de la tête est proposé pour explorer la cécité postrétinienne, ainsi que les crises épileptiformes.

Cet examen met en évidence une trace de fracture, avec un petit cal osseux déjà constitué sur l’os sphénoïde gauche. La portion caudale de cet os est sclérotique à gauche également, ce qui pourrait constituer la trace d’une fracture précédente non déplacée, avec un cal endosté déjà formé. Une portion de la fracture rejoint les contours osseux du chiasma optique et une petite lame osseuse semble déplacée dorsalement sur la gauche (photos 3). Les os pétreux et les bulles tympaniques sont d’apparence normale, sans fracture détectée. La suture basisphénoïde/basioccipitale est d’apparence normale, non fracturée et adéquatement soudée pour l’âge de la jument.

Aucun effet de masse n’est détecté dans le cerveau, et aucune structure hyper­atténuante ou avec un rehaussement anormal n’est visible.

Diagnostic

Une fracture de l’os sphénoïde gauche, au stade de formation d’un cal, est identifiée. Celle-ci présente un petit fragment osseux déplacé dans le chiasma optique, une lésion susceptible d’expliquer l’amaurose. Aucune anomalie tomodensitométrique n’est retrouvée en relation avec les crises épileptiformes. En revanche, la fracture observée explique l’épisode de méningite septique secondaire.

Discussion

Examen initial lors de traumatisme crânien

Les traumatismes crâniens, relativement fréquents chez le cheval, surviennent à la suite d’une glissade, d’un cabrer ou après avoir “tiré au renard”. Dans ces chutes dues à la peur, le plus souvent le cheval se retourne, la base du crâne frappe le sol et la nuque subit une brusque hyperextension. Cela explique mécaniquement les lésions observées. Selon les cas, la cécité peut être présente immédiatement ou se développer au cours des heures ou des jours qui suivent.

L’examen du cheval souffrant de cécité aiguë à la suite d’un traumatisme commence par un examen visuel de la tête, et en particulier des globes oculaires. Puis la symétrie de la face est évaluée et des traces d’épistaxis sont recherchées. Une palpation attentive des os de la tête, notamment des orbites, est effectuée. Une endoscopie peut être réalisée, à la recherche d’une hémorragie issue des sinus, des poches gutturales ou de l’ethmoïde [3].

Divers signes nerveux peuvent être décelés lors de l’examen initial. La dilatation de la pupille est variable chez les chevaux aveugles après un traumatisme, mais peut être fixe et ne pas répondre. Les réponses à la menace et le réflexe de Dazzle (clignement à l’éclair lumineux) sont également fluctuants. En revanche, le reste de l’examen ophtalmique est en général normal initialement, car la lésion est le plus souvent située en arrière du globe chez le cheval.

Dans le cas présenté, un à deux mois après le traumatisme, la dégénérescence rétrograde post-traumatique du nerf optique a progressé et induit une atrophie visible à l’examen du fond d’œil. Certains auteurs décrivent, lors de neuropathie optique traumatique aiguë rostrale, une papille œdématiée et hyperémiée, voire hémorragique [4, 6]. Aucune anomalie du fond d’œil n’ayant été rapportée par le vétérinaire qui a examiné la jument immédiatement après son accident, cela présuppose une neuropathie plus caudale que rostrale. Le premier examen endoscopique a montré un saignement venant des sinus et un léger hématome dans une poche gutturale, évoquant l’existence d’une fêlure ou d’une fracture d’un os de la base du crâne.

La neuro-imagerie, utilisée chez le cheval à la suite d’un traumatisme crânien, permet de décrire l’étendue, la localisation, le type de traumatisme cérébral et de neuropathie optique traumatique. Le scanner est l’examen de choix en phase aiguë [7]. Sa réalisation aurait été judicieuse dans le cas présenté, lors de la phase aiguë, même si cela n’aurait pas changé l’évolution de l’affection. Il s’agit d’un examen encore peu disponible et relativement onéreux en médecine équine.

Diagnostic de la cécité chez le cheval

La perte de vision a été facile à mettre en évidence dans ce cas, car c’était la première visite de la jument à la clinique, donc dans un environnement inconnu. Cela n’est pas toujours aussi évident, car certains chevaux s’adaptent relativement bien à leur cécité et peuvent se comporter presque normalement dans leur cadre de vie quotidien, en particulier si la perte de vision est ancienne. D’une façon générale, il est préférable de les observer en liberté ou au bout d’une longe longue, afin qu’ils ne puissent pas s’orienter grâce à la personne qui les tient. Lorsqu’un labyrinthe d’obstacles est mis en place, il convient de ne pas négliger les questions de sécurité [3, 6].

Lors de l’examen ophtalmique, la vérification d’un réflexe d’occlusion palpébral positif est un élément préalable obligatoire à l’évaluation des réponses à la menace et du réflexe de Dazzle. La disparition des réflexes photomoteurs indique que la lésion se situe dans la rétine, les nerfs optiques, le chiasma optique ou la partie rostrale des bandelettes optiques. Dans le cas décrit, en l’absence de signe d’une autre atteinte nerveuse, une lésion chiasmatique ou une atteinte bilatérale des nerfs optiques sont les deux causes possibles.

Étiopathogénie de la cécité post-traumatique

La neuropathie optique traumatique peut avoir une origine mécanique ou vasculaire [1]. Un cisaillement, un étirement ou une section du nerf optique, dus au déplacement de l’encéphale au moment du choc qui tire sur les nerfs dans leurs portions intracanaliculaires fixes, sont à envisager. Les nerfs ou le chiasma peuvent aussi être comprimés par un hématome secondaire à une fracture de l’os sphénoïde ou basisphénoïde, ou par un fragment osseux issu d’une fracture. Sauf dans le cas où le nerf est sectionné, la neuropathie s’explique par l’effet des ondes de choc transmises soit par l’encéphale, soit par le globe, qui provoquent une hémorragie des vaisseaux méningés, un œdème et une nécrose, et par un syndrome compartimental, l’hémorragie et l’œdème au sein du canal optique participant à l’ischémie nerveuse irréversible. Des facteurs mécaniques sont associés aux facteurs biochimiques. La neuropathie optique traumatique peut se produire en région intraoculaire, intra-orbitaire, intracanaliculaire ou chiasmatique (figure) [1]. Un phénomène compressif peut aussi survenir à la suite d’une hémorragie dans les sinus sphéno-palatins (les nerfs optiques se situent juste dorsalement à ces sinus).

Les fractures des os basaux du crâne sont la conséquence d’une tension excessive du muscle droit de la tête, lors de l’hyper­extension extrême due au choc [1, 3]. Kulman décrit le cas d’une telle fracture, caractéristique des traumatismes crâniens chez le cheval, accompagnée d’une avulsion bilatérale des nerfs optiques juste en avant du chiasma [4]. Brooks présente un cas similaire, pour lequel un examen d’imagerie par résonance magnétique, pratiqué un mois après le traumatisme, a montré des nerfs optiques petits et aplatis, dans la même localisation ; la nécropsie a ensuite mis en évidence un affaissement des leptoméninges et une atrophie des nerfs optiques [1]. Même si peu de cas sont rapportés chez le cheval, la localisation préchiasmatique ou chiasmatique semble la plus fréquente, contrairement à l’homme chez qui des neuropathies optiques traumatiques intracanaliculaires ou intraoculaires sont observées lors de coup ou de contrecoup sur la face.

Les cas de cécité consécutifs à des traumatismes crâniens sont occasionnels, bien que ces derniers soient relativement fréquents chez le cheval. Dans une étude rétrospective, seuls quatre chevaux (12 %) sont atteints de cécité sur les trente-quatre ayant présenté un traumatisme crânien [2].

Dans notre cas, plusieurs facteurs sont combinés. Le petit fragment issu de l’os sphénoïde a endommagé de façon sévère et immédiate le chiasma. L’hémorragie consécutive à la fracture a dû générer un phénomène compressif non négligeable. La réalisation d’un scanner en phase aiguë aurait permis de caractériser cette hémorragie. La nature et la localisation de la lésion expliquent le caractère instantané de l’amaurose et l’absence d’anomalie de la papille le jour de l’accident. Il est donc possible de parler d’amaurose dans ce cas, même si les fonds d’œil présentent désormais des anomalies.

La dégénérescence rétinienne

Les fonds d’œil réalisés chez la jument présentaient des lésions caractéristiques de dégénérescence rétinienne lors de l’examen cinq mois après l’accident. Les commémoratifs ont permis d’exclure cette dégénérescence comme étant la cause de la perte de vision et de confirmer l’existence d’une neuropathie optique traumatique.

Les signes de dégénérescence rétinienne sont une pâleur plus ou moins prononcée de la papille et une diminution ou une disparition des vaisseaux rétiniens, ainsi qu’une hyperréflectivité du tapis et une décoloration de la zone sans tapis (vaisseaux choroïdiens visibles) [1, 5].

Dans le cas décrit par Brooks, de subtils signes d’atrophie du nerf optique sont détectés dès dix jours après le traumatisme. Selon les auteurs, il faut attendre trois à huit semaines pour que la progression rétrograde de l’atrophie nerveuse soit visible à l’examen du fond d’œil [3, 5].

Conclusion

Le diagnostic de neuropathie optique traumatique est établi lorsqu’un animal ayant subi un traumatisme crânien développe une perte de vision aiguë, avec une mydriase et un œil apparemment normal. Dans ce cas, un examen tomodensitométrique précoce est indiqué.

Chez le cheval, la neuropathie optique traumatique est le plus souvent à l’origine d’une cécité irréversible. La mydriase aréflective est un indicateur pronostique défavorable. L’absence d’amélioration après 72 heures est le signe d’une atteinte nerveuse permanente.

Il s’agit d’une situation frustrante pour le vétérinaire, lorsqu’un traumatisme crânien apparemment mineur provoque ainsi une perte de vision complète chez un jeune cheval, par ailleurs en bonne santé.

  • 1. Brooks DE, Plummer CE, Craft SLM et coll. Traumatic brain injury manifested as optic neuropathy in the horse: a commentary and clinical case. Equine Vet. Educ. 2014;26 (10):527-531.
  • 2. Feary DJ, Magdesian kg, Aleman MA et coll. Traumatic brain injury in horses: 34 cases (1994-2004). J. Am. Vet. Med. Assoc . 2007;231 (2):259-266.
  • 3. Irby NL. Neuro-ophtalmology in the horse. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2011;27:455-479.
  • 4. Kullman A, Marteniuk JV, Williams MR et coll. Bilateral traumatic optic nerve avulsion in a Thoroughbred gelding. Equine Vet. Educ. 2014;26 (10):523-526.
  • 5. Martin L, Kaswan R, Chapman W. Four cases of traumatic optic nerve blindness in the horse. Equine Vet. J . 1986;18:133-137.
  • 6. Myrna KE. Neuro-ophtalmology in the horse. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2017;33 (3):241-250.
  • 7. Scrivani PV. Neuroimaging in horses with traumatic brain injury. Equine Vet. Educ. 2013;25:499-502.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

• La neuropathie optique traumatique est d’origine mécanique et/ou vasculaire.

• L’amaurose consécutive à une neuropathie d’origine traumatique est irréversible chez le cheval.

• Le scanner est indiqué en phase aiguë, après un traumatisme crânien.

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