Génétique
Dossier
Décrypter le cheval par la génomique
Auteur(s) : Anne Ricard*, Céline Robert**
Fonctions :
*GABI, Inra, AgroParisTech
Université Paris-Saclay
78350 Jouy-en-Josas
** IFCE, Département
recherche et innovation
61310 Exmes
***GABI, Inra, AgroParisTech
Université Paris-Saclay
78350 Jouy-en-Josas
****École nationale
vétérinaire d’Alfort
7, avenue du
Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort
Si chez le pur-sang et le trotteur des gènes à effet majeur ont été identifiés, chez les chevaux de sport ce caractère est principalement polygénique.
Depuis maintenant plus de 300 ans, les pur-sang ont été sélectionnés pour améliorer leur performance en course. Nul besoin de connaissance en biologie pour cela, le choix des meilleurs conduit à la production des meilleurs. Cependant, les règles statistiques de prédiction des performances d’une descendance à partir de celles des apparentés sont désormais connues. Grâce au séquençage du pur-sang Twilight en 2006, un outil permettant de connaître plus de 670 000 bases de l’ADN (acide désoxyribonucléique) d’un cheval est maintenant disponible pour moins de 200 € [28, 32].
Si les avantages et les limites des méthodes ancestrales de sélection sont bien maîtrisés, le recours aux nouveaux outils d’aide à la sélection n’est pas nécessairement sans risque. Les éleveurs, qui rêvent de donner naissance au champion de leur vie, sont souvent bien plus au fait que le vétérinaire des tests proposés par des firmes plus ou moins scrupuleuses sur Internet. Cet article propose un tour d’horizon des tests et autres indices actuellement disponibles dans les principales races de chevaux de course et de sport, de leur fondement scientifique et de leur intérêt pour la sélection. Il fournit des éléments objectifs pour conseiller les éleveurs et les propriétaires de chevaux face aux mirages de la génomique.
Les éleveurs de pur-sang se sont toujours tenus à l’écart des outils d’évaluation génétique classiques tels que ceux disponibles pour de nombreuses espèces animales ou d’autres disciplines équestres, et cela malgré la connaissance d’une héritabilité certaine des caractères recherchés et de la possibilité de produire des indexations efficaces [12, 13]. C’est pourtant bien un pur-sang qui a été symboliquement le premier cheval à être séquencé, c’est-à-dire dont la succession des bases ADN complètes est connue sur tout le génome.
À la suite de ce séquençage, l’équipe de Hill a publié en 2010 les articles fondateurs décrivant le variant du gène MSTN dont elle a ensuite commercialisé le test sous l’appellation Equinome [8, 9]. Dans ces articles, elle démontrait que les chevaux porteurs de la base T à la position 66493737 du chromosome 18, soit située dans le gène de la myostatine équine, préféraient les distances longues, alors que les CC étaient des sprinters. L’effet est en fait celui d’une insertion de type SINE (short interspersed nuclear element) dans le promoteur du gène qui affecte l’initiation de la transcription du gène et limite la production de la myostatine [26]. La myostatine est un répresseur de la croissance musculaire, de la prolifération des myoblastes et de leur différenciation. Donc quand sa production est limitée, la répression est moins forte et la masse musculaire augmente, ce qui est favorable aux courtes distances (plus le muscle est gros, plus sa puissance potentielle est grande, donc sa vitesse explosive, intéressante en sprint) [25]. L’effet est ainsi avéré car :
- l’explication biologique est démontrée au-delà de la première association purement statistique ?
- il a été vérifié sur des populations indépendantes de la première publication, sur des effectifs nettement plus conséquents (plus de 3 700 chevaux versus 118) [3, 10, 31].
Mais si l’effet des différents variants du gène est avéré, dans quelle mesure ceux-ci sont-ils prédictifs de la performance ? Dans leur article, Tokasi et coll. montrent clairement une différence de distribution des distances de courses gagnées selon le génotype CC, CT ou TT du cheval, mais aussi un large chevauchement de ces courbes : certains CC gagnent sur des distances plus longues que certains TT (figure 1) [31]. Même un gène à effet « majeur » n’a pas la même conséquence que celui qui gouverne une maladie monogénique.
La deuxième question à se poser est l’influence de ce gène sur d’autres caractères. L’équipe de Hill a mis en évidence un effet sur la précocité (âge à la première course), mais n’a pas réussi à démontrer clairement un lien avec le niveau de performance, comme toutes les autres études sauf en partie celle des Japonais [7, 31]. Le gène est donc un marqueur de la distance et de la précocité, mais pas de la réussite en course.
Enfin, ce qui a été démontré chez le pur-sang n’est pas transposable aux autres populations ou aux autres disciplines sportives. Ainsi, chez le quater horse, autre race de course, l’allèle C est fixé, tous les chevaux sont CC, donc l’effet du gène est nul faute de diversité [15]. Aucun effet des différents variants du gène n’est observé sur la performance en saut d’obstacles ou en course d’endurance, même si les caractéristiques de la musculation sont forcément supposées avoir un effet sur la performance (tableau) [4, 23].
Comme pour les autres disciplines et races, chez le pur-sang, la création d’un indice génétique est possible. Cet indice serait aussi utile aux éleveurs pour prédire la meilleure distance de course et même la réussite en course que les tests MSTN, par exemple.
Par ailleurs, il convient d’attirer l’attention des éleveurs sur le fait que l’envoi d’échantillons pour des tests génétiques à des laboratoires privés peut être risqué, car ceux-ci se constituent des bases de données exploitables pour la mise au point d’autres tests sans l’autorisation des propriétaires.
En 2012, une équipe suédoise a publié dans la célèbre revue scientifique Nature l’existence d’une mutation dans le gène DMRT3 responsable de la coordination des membres chez tous les mammifères [1]. Cette mutation, découverte en premier lieu chez le poney islandais, s’est révélée d’une importance cruciale pour toutes les races de chevaux de course au trot (photo 1). En effet, l’allèle mutant (A) est fixé chez le standardbred américain (homozygote AA), sélectionné pour les courses au trot ou à l’amble (allures symétriques), alors que chez le pur-sang, cheval de course au galop (allure asymétrique), l’allèle sauvage (C) est fixé (homozygote CC). Chez le trotteur français (TF), les deux allèles cohabitent, l’allèle C, a priori défavorable au trot, à une fréquence de 24 %. Face à cette constatation, la société mère des courses de trot (LeTrot) a proposé de réaliser une étude sur un échantillon de chevaux TF déjà génotypés en mettant à disposition toutes les performances en course de ces 16 dernières années. Cette première étude, réalisée sur 630 chevaux, montre que les chevaux homozygotes CC sont effectivement défavorisés pour toutes les performances en courses : par exemple leur chance de se qualifier pour concourir est divisée par plus de 2 par rapport à un AA (figure 2) [16]. Les chevaux hétérozygotes CA, s’ils sont moins précoces que les AA (ils se qualifient un peu moins facilement avec une probabilité de 40 % versus 48 % pour les AA et gagnent moins à 3 ans), ils sont en revanche meilleurs pour les carrières longues et gagnent davantage après 4 ans (près d’un demi-écart type de performance en plus). Ces carrières longues, avec des chevaux d’âge plus avancé, ainsi que les courses au trot monté sont une spécificité du programme des courses françaises et favorisent l’intérêt du joueur. Cette supériorité des CA expliquerait le maintien de l’allèle C après un siècle de sélection pour le trot. L’enjeu pour la sélection et la promotion du TF est de taille. Si cet effet est avéré, il est en effet important de communiquer sur les avantages des CA afin de ne pas supprimer rapidement tous les porteurs de l’allèle C au détriment de l’avantage que confère l’allèle à l’état hétérozygote.
D’autre part, d’autres zones du génome ont été mises en évidence, qui ont un plus grand effet sur les performances en course (gain notamment) que DMRT3 (qui demeure prépondérant pour la qualification précoce). Les relations entre ces gènes, par un effet d’épistasie, permettraient d’expliquer la variabilité des performances des chevaux pour un même génotype CC, CA, AA. Afin de proposer un réel diagnostic génétique sur un cheval, il conviendrait de combiner les effets des allèles des différents marqueurs, ainsi que leurs interactions, et de ne pas tout résumer au génotype d’un seul gène.
Ces premiers résultats ont fait l’objet d’une restitution auprès de la commission d’élevage de LeTrot. Ainsi, il a été décidé qu’à ce stade, il était capital de valider les résultats en génotypant un nouvel échantillon et d’avancer dans les explications biologiques de l’avantage des CA pour proposer des stratégies de sélection et d’accouplements raisonnés. Un nouveau projet est en cours de réalisation, incluant le prélèvement et le génotypage d’environ 600 chevaux, couplés à un questionnaire pour l’entraîneur portant sur la facilité de dressage et son sentiment sur l’aptitude et la régularité des allures, les difficultés mécaniques et les complications de santé (respiratoires, etc.) rencontrées.
Cela fait maintenant plus de 40 ans que les premières héritabilités de la performance en concours hippique en France ont été publiées (encadré) [11]. Les dernières estimations, réalisées à partir des performances de plus de 200 000 chevaux sur 32 ans, font état d’une héritabilité de 0,24, c’est-à-dire moyenne [14]. L’influence des qualités maternelles strictes (gestation, lactation, etc.) sur cette performance est faible (1 % de la variance). La performance en compétition peut être mesurée de différentes manières, mettant l’accent sur différentes facettes de la réussite sportive. En France, deux critères ont été retenus : un cumul annuel de points attribués selon le classement et la difficulté technique du parcours, et le classement dans chaque épreuve traité sous la forme d’une performance sous-jacente qui maximise les classements observés de toutes les épreuves [17, 21, 29]. Le premier critère favorise les chevaux qui participent à de nombreux concours et ont des carrières irrégulières. Le second critère mesure la difficulté d’une épreuve uniquement par le niveau de la concurrence, favorisant les chevaux réguliers, indépendamment du nombre de départs. L’utilisation conjointe des deux permet de nuancer la notion de réussite. De nombreuses statistiques sur ces performances sont disponibles annuellement [5, 27].
La carrière du cheval de concours de saut d’obstacles (CSO) se distingue par des performances réalisées à un âge précoce (avant 6 ans) et par des circuits différents selon le type de cavalier (amateur ou professionnel). Les premières corrélations génétiques (rg) entre les performances réalisées à 4, à 5 ou à 6 ans et à l’âge adulte (6 à 10 ans) ont montré que seule l’aptitude évaluée à l’âge de 4 ans est sensiblement différente de celle qui s’exprime à l’âge adulte (rg de 0,67) [30]. Ce résultat a été affiné récemment en considérant les performances réalisées dans les différents circuits de compétition, ce qui permet de distinguer l’aptitude du jeune versus de l’adulte et en circuit professionnel versus amateur [17]. Le calcul porte sur les 96 478 chevaux ayant participé à des compétitions entre 2009 et 2013. Les héritabilités sont supérieures à 0,19 et atteignent 0,35 pour les résultats chez les chevaux adultes dans le circuit professionnel. Les corrélations génétiques sont toutes très élevées (supérieures à 0,80). La conclusion est que c’est bien le même caractère qui est mesuré, quel que soit l’âge du cheval et le circuit de compétition. Aucune réelle spécificité de précocité ou d’adaptation à des cavaliers amateurs n’existe. Il est donc possible d’estimer la valeur génétique d’un étalon à partir de tous ses produits (du circuit amateur ou professionnel), valeur qui permet de prédire sa capacité à produire un cheval de CSO de qualité aussi bien à petit qu’à haut niveau.
Au-delà de la réussite, c’est aussi la durabilité du cheval dans la discipline qui intéresse le cavalier. La longévité fonctionnelle du cheval de CSO, c’est-à-dire la durée de sa carrière sportive corrigée pour le niveau de performance, a été étudiée [19]. En effet, la première cause de réforme est un niveau de performance insuffisant. Et, même après cette correction, la véritable résistance à l’effort demeure héritable (0,10). Concrètement, cela veut dire que si la moitié de la production du meilleur étalon pour la longévité est encore en compétition après 7 ans de carrière, seuls 27 % des produits issus du plus mauvais étalon sont dans ce cas. Cette étude montre aussi qu’une carrière commencée précocement ne nuit pas à la longévité, au contraire : un début de carrière après 5 ans multiplie par 1,3 le risque de réforme ultérieure. Un nouveau projet de recherche (LiFE) est en cours de développement pour déterminer des critères précoces liés à la longévité en compétition de CSO.
De nombreux auteurs ont recherché des critères indirects prédisant la performance en compétition, même si ces critères ne sont pas utiles à un plan de sélection efficace du cheval de CSO (photo 2) [7]. En effet, compte tenu du nombre élevé de chevaux des deux sexes sortis en compétition (70 % d’une génération de selle français) et de la bonne corrélation génétique entre les performances précoces et tardives, une sélection fondée sur un indice génétique cumulant les performances des apparentés de tout âge et la performance propre à 5 ans suffit pour assoir un bon progrès génétique, sans nécessiter de mesures supplémentaires. Néanmoins, il a semblé utile, même sans chercher une utilisation directe pour la performance, de caractériser les allures et la morphologie et de naturellement vérifier leurs relations à la performance. Récemment, des mesures d’accéléromètrie menées chez près de 1 500 chevaux au pas, au trot et au galop ont permis de démontrer la relative indépendance entre les caractéristiques des allures stables et la réussite en CSO [24]. Seule une des composantes du galop, l’activité longitudinale au galop à vitesse constante, est génétiquement corrélée de façon négative à la performance. Toutes les autres composantes des allures ont une corrélation génétique nulle. La forte variation d’accélération pour maintenir une vitesse au galop est donc un élément légèrement défavorable (rg de - 0,22). Concernant la morphologie, une étude portant sur la morphométrie 3D de 750 chevaux a trouvé peu de mensurations significativement liées à la performance : une seule des 12 composantes principales (tibia court, fémur vertical) issues des 350 mesures, angles et rapport de mesures entre elles avait un effet significatif positif sur la performance [20].
Dès le début de la nouvelle ère de la génomique, le cheval de CSO a fait l’objet d’attention. La recherche de marqueurs moléculaires de la performance dans cette discipline s’est révélée cependant plutôt décevante (figure 3) [4]. Quelques gènes candidats méritent d’être investigués, mais le caractère demeure majoritairement polygénique. Une évaluation génomique englobant l’ensemble des marqueurs moléculaires a alors été réalisée [22]. Le nombre encore restreint (908) de chevaux génotypés n’a pas permis de gagner en précision, comparativement à une évaluation classique fondée sur la généalogie. Grâce au nouveau projet SoGen financé par l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), le fonds d’Encouragement aux projets équestres régionaux ou nationaux (Eperon) et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), 2 994 chevaux de sport sont actuellement génotypés, et les résultats devraient être prometteurs.
Des gènes à effet majeur sur la performance, trouvés chez le pur-sang et le trotteur, peuvent être utilisés pour prédire chez le premier la distance adaptée au cheval, et chez le second principalement sa capacité à être qualifié précocement ou à valoriser une carrière tardive. Chez les chevaux de sport et d’endurance, le caractère demeure majoritairement polygénique. Dans ce cas, les indices génomiques, fondés sur l’ensemble du génome et non sur quelques gènes, seront sans doute la voie de l’amélioration.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
• La performance est un caractère polyfactoriel et principalement polygénique.
• Chez le pur-sang et le trotteur, il existe des gènes qui ont des effets majeurs sur certaines facettes de la performance : distance de course, qualification.
• La génomique va améliorer la précision des indices génétiques actuels fondés sur la seule généalogie.
• La relation entre le phénotype et le génotype est souvent écrite sous la forme de l’équation suivante :
phénotype = génotype + environnement.
Les gènes contribuent au phénotype dans des proportions variables selon qu’ils ont des allèles dominants ou récessifs, qu’ils interagissent avec d’autres gènes (épistasie) ou l’environnement, ou que leurs effets s’ajoutent. La variation due au génotype s’écrit donc V (G) = V (GA) + V (GD) + V (GI) où V (GA) est la variance génétique additive, V (GD) la variance liée aux interactions dominant-récessif et V (GI) les interactions entre loci.
• L’héritabilité sensu stricto h2 est le rapport entre V (GA) et la variance phénotypique : elle mesure la part de la variance observée qui se transmet aux descendants par la génétique. Elle s’estime par la comparaison des performances d’individus apparentés : la variance des performances d’individus apparentés est plus faible que celle d’individus non apparentés, car ces performances ont des gènes en commun.
La valeur de h2 est comprise entre 0 et 1. Une valeur comprise entre 0 et 0,2 correspond à une héritabilité faible, entre 0,21 et 0,4 à une héritabilité modérée et au-dessus de 0,4 à une héritabilité forte.
• La valeur d’une héritabilité est caractéristique d’une population ou d’une race. Si la structure génétique de la population change par un processus de sélection ou par l’introduction de nouveaux reproducteurs, la valeur de l’héritabilité change avec la fréquence des gènes.
À titre d’exemple, chez le selle français, l’héritabilité de la taille au garrot est de 0,33, celle de la performance en compétition de 0,31, celle de la fréquence des foulées au trot moyen de 0,52, alors que la durée de vie en compétition n’a une héritabilité que de 0,11.
La connaissance de l’héritabilité permet de calculer les évaluations génétiques (indices).
D’après [2].