CARDIOLOGIE
Cahier scientifique
Article de synthèse
Auteur(s) : Hélène Matthys*, Dominique De Clercq**, Annelies Decloedt***, Gunther van Loon****
Fonctions :
*Service de médecine interne des grands animaux,
Equine cardioteam, Faculté vétérinaire de Gand,
Salisburylaan 133, 9820 Merelbeke, Belgique
Efficacité même lors de cas chroniques ou réfractaires au sulfate de quinidine, absence de complications et retour à l’exercice rapide font de cette technique un traitement de choix pour la fibrillation atriale.
La fibrillation atriale (FA) est une arythmie fréquente chez le cheval, nécessitant un traitement approprié selon sa cause et l’objectif de l’animal. Cet article présente tout d’abord les caractéristiques de cette arythmie, les situations dans lesquelles un traitement est recommandé et les différentes modalités de traitement, en mettant l’accent sur la cardioversion électrique transveineuse (CETV).
La FA est l’arythmie cardiaque qui affecte le plus souvent les performances des chevaux, pouvant entraîner une diminution de leurs performances sportives, une faiblesse, voire un collapsus à l’exercice [6, 22, 30]. Elle est caractérisée à l’auscultation cardiaque par un rythme irrégulièrement irrégulier avec, classiquement, quelques battements rapides séparés par des pauses de durée variable lorsque la fréquence cardiaque est normale. Le diagnostic définitif est établi grâce à un électrocardiogramme (ECG) caractérisé par des complexes ventriculaires (QRS) irrégulièrement espacés et de morphologie normale, l’absence d’ondes P et la présence d’ondes de fibrillation (f) qui représentent une sommation des petites ondes d’activité électrique au sein de l’oreillette (photo 1) [6, 30].
Les chevaux possèdent une oreillette de grande taille et un tonus vagal élevé, ce qui crée un environnement idéal pour le développement et la persistance d’une FA [25].
La FA peut apparaître chez des chevaux sans maladie cardiaque sous-jacente [22]. Ces animaux présentent une bonne probabilité de convertir avec succès et de revenir à leur carrière sportive une fois le rythme sinusal rétabli [22]. Dans certains cas, le rythme sinusal peut se restaurer spontanément dans les 48?heures après le début de la FA, qui est alors appelée FA paroxystique [30].
Physick-Sheard et coll. ont suggéré une contribution génétique dans le développement de la FA chez les trotteurs américains [20].
Au repos, la fréquence cardiaque est rarement élevée en l’absence de maladie cardiaque sous-jacente, car une majorité de l’activité électrique atriale est stoppée au niveau du nœud atrio-ventriculaire grâce à un tonus vagal important [29, 30]. À l’exercice, cependant, le tonus vagal disparaît, ce qui engendre couramment une réponse disproportionnée en termes de fréquence ventriculaire avec, en surplus, une prévalence élevée de QRS de morphologie anormale (prévalence de 69 % à l’effort) [29]. Des épisodes R-sur-T ont été notés chez environ 30 % des chevaux atteints de FA subissant un test à l’effort standard à la longe. Ces anomalies sont considérées comme des facteurs de risque de faiblesse à l’effort, de collapsus et de mort subite [21, 29]. Il est ainsi fortement conseillé de réaliser un test à l’effort chez les chevaux de sport qui ne peuvent pas être convertis ou chez ceux pour lesquels le traitement a été décliné [21]. En ce qui concerne les sportifs de haut niveau, la cardioversion est recommandée afin d’atteindre le niveau de performance souhaité [21].
La présence d’une maladie cardiaque sous-jacente grave représente une contre-indication au traitement, car la probabilité de récidive est élevée [30].
La cardioversion n’est pas non plus recommandée dans les premières 48 heures après le début de la FA, car il existe une possibilité de conversion spontanée à un rythme sinusal physiologique [21]. Cependant, plus l’arythmie est présente depuis longtemps, plus il est difficile de convertir le cheval à un rythme sinusal [22]. Il est donc conseillé de traiter un cheval présentant une FA rapidement après l’établissement du diagnostic.
Le traitement médicamenteux de choix pour la FA équine est le sulfate de quinidine(1), anti-arythmique de classe IA, bloqueur de l’activité des canaux sodiques [14]. Il est utilisé chez le cheval en l’absence d’une maladie cardiaque sous-jacente et lors d’une FA récente. Selon les auteurs, son efficacité varie entre 65 et 89 % [13, 19, 22]. Cette molécule possède cependant de nombreux effets secondaires cardiaques et non cardiaques, pouvant aller d’une dépression légère, d’un œdème des naseaux, de coliques, d’une diarrhée, d’une fourbure, d’une hypotension artérielle, d’une faiblesse, d’une ataxie et d’arythmies sévères (notamment tachycardies supraventriculaire ou ventriculaire, voire fibrillation ventriculaire, puis asystolie) à un collapsus et une mort subite [13, 22, 30]. Une étude a noté le développement d’effets secondaires chez 48 % des chevaux traités [19]. Si la plupart des effets secondaires sont liés à la dose et peuvent être réduits ou évités par des mesures appropriées, certains d’entre eux sont indépendants du taux circulant de quinidine et sont imprévisibles et difficilement contrôlables [13, 22].
La flécaïnide(1), anti-arythmique de classe IC, bloqueur des canaux sodiques, et l’amiodarone(1), anti-arythmique de classe III, bloqueur des canaux potassiques, ont été étudiées comme alternatives médicamenteuses, mais elles présentent des taux de succès modérés (respectivement de 10 et 58 %) et des effets secondaires importants tels que des arythmies ventriculaires dangereuses dans le cas de la flécaïnide [8, 15, 27]. L’amiodarone est parfois utilisée en association avec la CETV pour réduire le taux de récurrence précoce [12, 23].
La CETV consiste en l’application, à l’aide d’électrodes placées à proximité d’un maximum de tissu atrial, d’un choc électrique biphasique qui traverse le myocarde atrial et engendre une dépolarisation totale, résultant en une conversion instantanée de toute tachydysrythmie [26]. Le signal du nœud sinusal peut alors se rétablir.
La CETV est efficace lors de FA aiguë mais également de longue date, et même dans les cas où le traitement médicamenteux a échoué ou a engendré des effets secondaires motivant un arrêt précoce du traitement [11, 18]. La CETV n’est indiquée qu’en l’absence de maladie cardiaque sous-jacente grave [30].
La CETV permet d’éviter la toxicité et les effets secondaires liés aux médicaments anti-arythmiques utilisés lors de FA. Elle est efficace dans les cas de FA de longue date et le temps de convalescence est réduit. Pour la majorité des chevaux, le pronostic sportif est excellent [18].
Les risques de la CETV sont principalement liés à l’anesthésie générale, mais la procédure n’est pas considérée comme plus risquée qu’une anesthésie générale de convenance [1, 18, 23]. Afin d’intervenir en toute sécurité, le défibrillateur reconnaît les ondes R et synchronise automatiquement le choc biphasique sur l’onde R [26]. La cardioversion électrique n’engendre pas d’augmentation de l’activité des enzymes cardiaques [18, 26].
Cette technique doit cependant être réalisée par une équipe expérimentée, avec des équipements complexes et spécialisés. Cela se répercute sur le coût de la procédure, qui se situe autour de 2 500 €.
Le taux de réussite de plus de 95 %, l’absence d’autres complications ou d’effets secondaires, et un rapide retour à l’exercice et à la compétition en font une technique de choix dans le cadre de la FA.
La FA, qu’elle soit paroxystique ou persistante, pouvant être associée à des altérations électrolytiques, il est conseillé de mesurer les électrolytes et de corriger d’éventuels dérèglements avant toute tentative de défibrillation (par CETV ou cardioversion médicamenteuse). Les concentrations sériques ou plasmatiques de la troponine cardiaque I, marqueur de lésions ou d’inflammation du myocarde, sont rarement élevées dans les cas de FA, à moins que cette dernière soit associée à une lésion du myocarde ou à une maladie cardiaque valvulaire ou congénitale grave [30]. Lors de suspicion d’une inflammation du myocarde, il est donc conseillé de mesurer le taux de troponine I avant de réaliser une cardioversion.
Une échocardiographie est réalisée afin d’évaluer la présence de maladies cardiaques sous-jacentes (comme une ou des insuffisances valvulaires) et l’absence de dilatation d’une cavité cardiaque ou d’anomalie du myocarde [6]. De légères insuffisances valvulaires sont fréquentes chez le cheval et ne sont pas considérées comme contribuant à la FA, car elles ne sont généralement pas associées à des remaniements de la morphologie cardiaque [22]. Des insuffisances valvulaires modérées à sévères, en particulier si elles sont accompagnées d’une dilatation de l’oreillette, sont plus inquiétantes, car elles contribuent probablement au développement de la FA et augmentent le risque de récurrence de celle-ci [12, 22].
Un ECG à l’effort peut être réalisé afin d’évaluer la fréquence de réponse ventriculaire et le rythme ventriculaire pendant l’effort et de conforter le processus de décision thérapeutique [21].
Les cathéters sont positionnés sur le cheval debout, afin d’en faciliter la pose et de diminuer la durée de l’anesthésie [16, 26]. Trois introducteurs (diamètre externe de 8,5 F, longueur de 10 cm) sont placés stérilement dans le tiers inférieur de la veine jugulaire droite.
À l’université de Gand (Belgique), une technique standardisée de guidage échographique fondée sur des repères anatomiques précis permet de positionner tous les cathéters [24, 26]. Le suivi des pressions sanguines et la radiographie peuvent également être utilisés, mais sont moins fins pour déterminer la position exacte des cathéters [16].
Dans un premier temps, un cathéter de CETV, présentant à son extrémité une bobine(2), est placé dans le ventricule droit, puis avancé dans l’artère pulmonaire gauche (photos 2 et 3). Il est introduit jusqu’à une distance de 20 cm après la bifurcation du tronc pulmonaire. Dans un deuxième temps, le cathéter de CETV de l’atrium droit est positionné dans le ventricule droit. Il sera ensuite reculé dans l’atrium droit lorsque le cheval sera sous anesthésie générale. Pour finir, le cathéter de stimulation bipolaire, présentant à son extrémité au moins deux petites électrodes rapprochées, est positionné à l’apex du ventricule droit. Le positionnement de ce cathéter est facilité par l’enregistrement d’un ECG intracardiaque qui montre typiquement la différence entre la fréquence élevée (environ 350 dépolarisations atriales par minute) de la FA lorsque le cathéter se situe dans l’atrium droit et la fréquence basse des ondes simultanées aux complexes QRS lorsque le cathéter est situé dans le ventricule droit (photo 4).
Le cheval est tranquillisé avec un α2-agoniste, puis induit classiquement avec une combinaison de diazépam (ou midazolam) et de kétamine. Une attention particulière doit être portée à la qualité du coucher afin de ne pas modifier le placement des électrodes (utilisation d’un harnais, par exemple). Le cheval est ensuite intubé, positionné en décubitus latéral gauche sur une table matelassée, puis placé sous isoflurane. Aucune médication anti-arythmique n’est administrée à ce stade de la procédure [16, 17].
Sur la table, le bon positionnement des cathéters est vérifié par échographie ou radiographie et adapté si nécessaire [9, 16, 17]. Le cathéter de CETV, qui était précédemment placé dans le ventricule droit, est alors retiré jusqu’à ce que son extrémité soit localisée entre les valvules tricuspides. Dans cette position, la bobine du cathéter de CETV est localisée exactement au sein de l’atrium droit.
Les cathéters de cardioversion sont connectés à un défibrillateur biphasique, avec l’électrode dans l’atrium droit comme cathode et l’électrode dans l’artère pulmonaire gauche comme anode (photo 5) [16]. Enfin, un ECG de surface de dérivation base-apex est mis en place et connecté au défibrillateur. Cet ECG est utilisé par le défibrillateur pour détecter automatiquement les complexes QRS. La détection précise de ces derniers est essentielle avant de poursuivre la procédure. Si l’onde T est faussement identifiée en tant que complexe QRS, la position des électrodes de surface doit être changée [26]. Le cathéter de stimulation est connecté à un stimulateur temporaire pour obtenir une stimulation ventriculaire en cas d’asystolie temporaire [9, 17]. Les chocs sont délivrés de manière synchronisée avec l’onde R (photo 6). Toute tachycardie ventriculaire (dont la fibrillation) est ainsi évitée [16, 28]. Le niveau d’énergie des chocs est augmenté progressivement de 150 à 360 J par étape de 50 J, jusqu’à restauration d’un rythme sinusal [9]. Entre un et trois chocs sont nécessaires pour rétablir le rythme sinusal physiologique de la plupart des chevaux.
Le rythme cardiaque est évalué par ECG pendant 10 minutes avant de retirer les électrodes et de procéder au réveil.
En présence d’extrasystoles atriales immédiatement après le choc, un traitement médicamenteux anti-arythmique peut être indiqué, car cette arythmie augmente le risque de récidive de la fibrillation atriale [21]. Le sotalol(1), anti-arythmique de classe III, est utilisé en cas d’extrasystoles atriales post-conversion (2 à 3 mg/kg par voie orale toutes les 12 heures) pour diminuer le risque de récurrence de la FA [2, 4].
Au cours des jours suivants, le cheval est contrôlé par écho- et électrocardiographie pour évaluer le rythme cardiaque et la restauration de la fonction contractile atriale par Doppler tissulaire [11, 12].
Un enregistrement ECG holter pendant 24 heures quelques jours après la cardioversion permet d’évaluer la présence d’arythmies (principalement des extrasystoles) ventriculaires et surtout atriales, indiquant la nécessité d’un repos prolongé et d’une éventuelle médication anti-arythmique [21].
Bien qu’une cardioversion (électrique ou médicamenteuse) réussie permette une restauration immédiate du rythme sinusal, la restauration d’une électrophysiologie atriale – et particulièrement d’une fonction contractile – normale peut prendre du temps. Pour les FA de courte durée (1 semaine, par exemple), 1 à 2 jours de rythme sinusal permettent un remodelage inverse complet, mais dans les cas de FA chronique (plus de 2 mois), ce remodelage inverse peut prendre entre 4 et 6 semaines [10, 12, 25]. Il est ainsi conseillé de permettre un remodelage atrial inverse complet avant le retour à un exercice maximal, afin de diminuer le risque de récurrence de la FA [12]. Sont recommandés un repos de 1 semaine suivi d’un retour progressif à l’exercice en 3 à 4 semaines lors de FA récente, et un repos de 4 à 6 semaines lors de FA chronique [21, 30]. Il est conseillé aux propriétaires ou aux entraîneurs de suivre régulièrement le rythme cardiaque par palpation du battement à l’apex du cœur, en particulier avant et après un travail intense ou si le cheval ne présente pas les résultats attendus [30]. Les paramètres de variabilité de la fréquence cardiaque, enregistrés et analysés par des cardiofréquencemètres, permettent aux propriétaires de détecter précocement une récurrence de la fibrillation atriale [3, 5].
En général, les chevaux de selle de grande taille, avec souvent une FA chronique, peuvent être plus difficiles à traiter que des chevaux de type course, qui présentent généralement une FA plus aiguë. À l’université de Gand, le taux de succès de la CETV est de plus de 95 % et ces données sont obtenues dans une population majoritaire de chevaux de selle avec une FA chronique, dont environ 25 % ont été précédemment traités sans succès avec le sulfate de quinidine.
Le taux de récurrence est de 35 % en moyenne, quel que soit le traitement mis en œuvre. Plusieurs facteurs de risque ont été associés à un taux de récurrence plus élevé, à savoir une dilatation de l’oreillette gauche, une régurgitation mitrale, la présence d’extrasystoles atriales, un premier essai thérapeutique ayant échoué ou une première récurrence ayant été observée [7, 11].
Le taux de réussite et l’absence de complications ou d’effets secondaires font de la CETV une technique de choix dans le cadre du traitement de la FA sans lésion cardiaque sous-jacente, malgré la nécessité d’une équipe expérimentée possédant un matériel spécialisé.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
→ La fibrillation atriale est l’arythmie cardiaque qui affecte le plus souvent les performances des chevaux, pouvant entraîner une diminution de leurs performances sportives, une faiblesse, voire un collapsus à l’exercice.
→ Le traitement médicamenteux avec le sulfate de quinidine peut se révéler efficace, surtout lors de fibrillation atriale de courte durée, mais possède de nombreux effets secondaires, dont certains peuvent s’avérer létaux.
→ La cardioversion électrique transveineuse consiste en l’application d’un choc électrique qui traverse le myocarde atrial et engendre une dépolarisation totale, résultant en une conversion instantanée de toute tachydysrythmie, avec une efficacité de plus de 95 %.
→ Le taux de récurrence après cardioversion électrique ou médicamenteuse est en moyenne de 35 %, mais peut augmenter dans les cas suivants : une oreillette gauche de taille augmentée, une régurgitation mitrale modérée à sévère, la présence d’extrasystoles atriales, un premier essai thérapeutique ayant échoué ou une première récurrence.