Les suros : traitement et pronostic - Pratique Vétérinaire Equine n° 201 du 01/03/2019
Pratique Vétérinaire Equine n° 201 du 01/03/2019

PATHOLOGIE LOCOMOTRICE

Cahier pratique

Fiche pratique

Auteur(s) : Guillaume Manneveau*, Adélaïde Alexandre**, Matthieu Cousty***

Fonctions :
*Oniris
Campus vétérinaire
101, route de Gachet
44300 Nantes
**Clinique équine
de Provence
Haras de la Trevaresse
715, chemin des Fourches
13760 Saint-Cannat
***Oniris
Campus vétérinaire
101, route de Gachet
44300 Nantes
****Centre hospitalier
vétérinaire de Livet
Cour Samson
14140 Saint-Michel-de-Livet

Les suros sont des proliférations osseuses des métacarpiens/métatarsiens II et IV. Leur origine peut être soit traumatique (coup d’un autre cheval, cheval qui se touche, etc.), soit biomécanique (surcharge lors d’anomalies conformationnelles telles que le genou “offset”, par exemple). Au-delà de l’aspect esthétique des suros causant une déformation externe dure au niveau de ces os accessoires, leur interférence avec le ligament suspenseur du boulet peut être à l’origine d’une desmite et d’une boiterie. La prise en charge médicale est généralement instaurée en première intention dans les cas les moins sévères. En cas d’échec, un traitement chirurgical est à envisager.

Prise en charge médicale

Anti-inflammatoires

Dans les cas aigus, l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (flunixine 1,1 mg/kg par voie intraveineuse ou orale [PO] une fois par jour, phénylbutazone 2,2 mg/kg PO une à deux fois par jour), couplée ou non à l’application de froid et d’un bandage compressif, permet de limiter l’inflammation.

Pour le froid, il est possible d’utiliser de la glace, un “ice pack”, ou de l’eau froide en application pendant 30 minutes deux ou trois fois par jour, pendant au moins 2 à 3 jours.

Le bandage compressif est mis en place après chaque application de froid afin de limiter l’œdème.

L’animal doit être confiné au box pendant au moins 30 à 45 jours. La marche en main peut ensuite être réintroduite pendant 15 à 20 minutes deux fois par jour lorsque la phase aiguë est passée [3].

Cependant, la prolifération osseuse palissadique du suros visible radiographiquement (signe d’un phénomène encore actif) persiste parfois pendant plusieurs mois. Il est alors difficile de prévoir quand la réaction osseuse va se “lisser” (signe d’un phénomène non actif) et quand le cheval va pouvoir reprendre le travail [5]. L’injection périlésionnelle de corticoïdes ou l’application topique de diméthylsulfoxyde combinées à un bandage compressif peuvent aider à réduire l’inflammation et à limiter les proliférations osseuses excessives. Le cheval doit également être mis au repos au box pendant au moins 30 jours après l’instauration du traitement [3, 5].

Cryothérapie

Décrite initialement dans les années 1975, la cryothérapie est couramment utilisée dans la gestion médicale des suros chez le cheval. Cependant, seule l’étude de McKibbin et coll. rapporte la technique utilisée, ainsi que son taux de succès [7]. Consistant en une application cyclique de cryodes préalablement refroidies dans de l’azote liquide (à - 196 °C) ou d’un pistolet à cryothérapie, cette méthode dénaturerait les fibres nerveuses afférentes C supposées être à l’origine de la douleur. La cryode est appliquée à même la peau tondue pendant 45 secondes avant une pause de 5 secondes, suivie d’un nouveau cycle de congélation de 45 secondes (photo 1).

Différents protocoles sont utilisés selon les opérateurs (durée et nombre de cycles d’application variables), l’important étant de respecter une alternance entre congélation rapide et décongélation lente (à température ambiante).

Présentant l’avantage d’être réalisable sur le terrain sous sédation, la cryothérapie apparaît comme une solution alternative intéressante en ce qui concerne la prise en charge “conservatrice” des suros. En effet, bien que peu de données soient actuellement disponibles, une analyse rétrospective des cas présentés au Centre international de santé du cheval (Cisco) au cours des 7 dernières années (données non publiées) montre une résolution de la boiterie associée dans 83 % des cas. La déformation reste en revanche le plus souvent visible puisqu’elle disparaît dans seulement 30 % des cas. Les poils repoussent blancs au lieu d’application des cryodes, ce qui doit être pris en considération si l’aspect esthétique fait partie intégrante de la volonté d’intervention du client.

Protections

Si l’apparition du suros est liée à des traumatismes répétés (cheval se faisant des atteintes), l’utilisation de guêtres est recommandée afin de limiter les récidives [3].

Prise en charge chirurgicale

En cas d’échec du traitement conservateur ou lors d’interférence entre le ligament suspenseur du boulet et le suros, un traitement chirurgical est indiqué.

Deux options thérapeutiques sont alors possibles : le retrait de la partie distale du métacarpien/métatarsien accessoire proximalement au suros ou le parage de celui-ci.

Dans tous les cas, l’opération est réalisée sous anesthésie générale en décubitus latéral (meilleur confort pour l’abord des suros en partie médiale ou latérale) ou en décubitus dorsal (meilleur abord lors d’atteinte bilatérale). L’utilisation d’un garrot est fortement recommandée en décubitus latéral afin de limiter les saignements en phase peropératoire. La préparation chirurgicale est standard.

Exérèse de l’about distal du métacarpien/métatarsien accessoire

Lors de l’exérèse de l’about distal du métacarpien/métatarsien accessoire, l’incision doit s’étendre du suros jusqu’au bouton terminal. Le ligament interosseux est incisé en partant du bouton et en s’étendant proximalement pour libérer le métacarpien/métatarsien accessoire du canon. Une ostéotomie proximale au suros est ensuite réalisée à l’aide d’une scie oscillante ou d’un ostéotome afin de pouvoir retirer l’ensemble de l’about distal incluant le suros (photo 2). La partie corticale palmaire/plantaire du métacarpien/métatarsien principal doit être préservée lors de l’ostéotomie afin d’éviter de potentielles fractures catastrophiques au réveil. Il est également recommandé de préserver au moins un tiers de hauteur totale du métacarpien/métatarsien accessoire proximalement, afin de ne pas modifier la stabilité articulaire des carpes et des jarrets, donc d’empêcher le développement de luxations articulaires au réveil [8]. Si moins d’un tiers peut être conservé, le métacarpien/métatarsien accessoire doit être stabilisé au métacarpien/métatarsien principal à l’aide de vis ou de plaques [3, 9].

Parage du suros

Lors du parage du suros, l’incision est centrée uniquement sur ce dernier. Le périoste anormal est retiré et le suros est paré à l’aide d’un ciseau à os ou d’un ostéotome (photo 3). Le suros doit être paré tant sur sa partie externe que sur sa partie axiale, car c’est celle-ci qui est à l’origine de lésions au niveau du ligament suspenseur du boulet (photo 4). De plus, l’ensemble du périoste anormal doit être retiré, car il est à l’origine d’une néoprolifération osseuse, donc de récidives en phase postopératoire.

Gestion postopératoire

Dans les deux approches, un contrôle radiographique est conseillé afin de vérifier que l’ensemble du suros a été retiré ou que celui-ci a été correctement paré (photos 5a, 5b et 6). La fermeture est standard et se fait en plusieurs plans. En raison de la création d’un espace mort plus ou moins important, favorisant la formation d’un sérome ou d’un hématome en phase postopératoire à l’origine de la persistance de la déformation, un bandage compressif est mis en place pendant 3 semaines [8]. Au Cisco, une bande crêpe verticale est mise en regard de l’incision afin de limiter cet espace mort et le bandage est maintenu en place pendant en moyenne 6 semaines.

Convalescence

Aucune donnée n’a été publiée concernant le protocole de convalescence pour ce type de chirurgie. Classiquement, au Cisco, les chevaux sont laissés au box strict pendant 2 semaines en moyenne, puis de la marche en main est instaurée pendant 2 à 6 semaines selon l’atteinte du ligament suspenseur du boulet objectivée en phase préopératoire. Pendant cette période, la bande crêpe en compression est maintenue sous des bandes de repos. Enfin, la reprise du travail se fait progressivement sur 6 semaines environ.

Pronostic

Très peu de données sont disponibles dans les publications concernant le pronostic esthétique et sportif de cette entité pathologique.

Pour la technique d’exérèse de l’about distal incluant le suros, une étude menée sur 15 suros retirés pour cause esthétique ou de boiterie montre une faible récidive de la prolifération osseuse en phase postopératoire [2]. Une autre étude portant sur des fractures de métacarpien/métatarsien accessoire éventuellement associées à la présence du suros révèle une absence de boiterie à 1 an dans 10 cas sur 13 [1]. Une dernière étude sur 30 pur-sang de course boiteux en raison de leur suros montre que seulement 57 % des chevaux traités courent après l’intervention chirurgicale [4]. Cependant, 73 % des chevaux n’ayant pas couru avant l’exérèse courent après, avec une moyenne de 9,4 départs. À l’opposé, 46 % des chevaux ayant déjà couru avant l’intervention chirurgicale courent après, avec une moyenne de 11,6 départs. Les résultats sont satisfaisants pour les jeunes chevaux n’ayant pas couru et plus mitigés pour les chevaux plus âgés. Cependant, si le retour en course est effectif, il semble pérenne dans le temps, au vu du nombre de départs après l’intervention. De plus, les résultats de cette étude seraient minorés par le fait que certains chevaux peuvent ne pas recourir en phase postopératoire pour des raisons autres que leur suros.

Pour la technique du parage du suros, une étude a été menée au Cisco sur 13 chevaux (majoritairement de sport) avec 14 suros, dans laquelle 11 cas sur 13 ont présenté une boiterie rapportée et/ou constatée et 2 cas une déformation sans boiterie, mais gênant la commercialisation pour des raisons esthétiques. De plus, sur les 12 cas ayant subi un examen échographique de la région, 10 suros venaient interférer avec le ligament suspenseur du boulet. Aucune boiterie n’est réapparue en phase postopératoire dans 82 % des cas. La déformation n’était plus visible ou l’était moins dans 86 % des cas et la cicatrice n’était pas visible dans 64 % des cas. Le taux de satisfaction des propriétaires a été excellent, avec 92 % de satisfaction et une atteinte de l’objectif escompté (retour au sport ou vente) de 69 %. Sur les 4 chevaux n’ayant pas atteint cet objectif, 2 ont présenté une récidive de la boiterie en lien avec le suros et l’atteinte du ligament suspenseur du boulet, 1 a présenté une tendinite du ligament suspenseur du boulet sur le même membre 1 an et demi après l’opération sans lien avec le suros, selon le propriétaire, et 1 a montré une dorsalgie à la suite de l’opération. Trois de ces 4 chevaux présentaient initialement une atteinte du ligament suspenseur du boulet sur le membre opéré, révélant l’importance d’une bonne évaluation échographique de l’implication de ce ligament en phase préopératoire [6].

Conclusion

Bien que le traitement conservateur permette, dans la plupart des cas, de juguler la progression d’un suros avec un bon pronostic fonctionnel, le recours à la chirurgie reste nécessaire en cas d’échec de ce traitement ou lors d’implication du ligament suspenseur du boulet. Le traitement chirurgical vise soit à retirer l’ensemble du suros avec la partie distale du métacarpien/métatarsien accessoire, soit à parer la néoprolifération osseuse afin de préserver le ligament suspenseur du boulet. Un bandage compressif est mis en place afin de limiter l’espace mort en phase postopératoire. Dans tous les cas, une reprise progressive du travail après une période de repos est nécessaire. Selon les études, le pronostic sportif est réservé à favorable, allant de 57 à 77 % de retour au sport. L’évaluation et le suivi de l’atteinte du ligament suspenseur du boulet semble être un point clé de la prise en charge de ce type de cas.

  • 1. Allen D, White NA. Management of fractures and exostosis of the metacarpals and metatarsals II and IV in 25 horses. Equine Vet. J. 1987;19 (4):326-330.
  • 2. Barber SM, Caron J, Pharr J. Metatarsal/metacarpal exostosis removal – a prospective study. Vet. Surg. 1987;16:82.
  • 3. Bertone AL. The metacarpus and metatarsus. In: Adams and Stashak’s Lameness in Horses. Ed. Baxter GM. 6th ed. Wiley-Blackwell. 2011:621-659.
  • 4. Bramlage LR, Van Hoogmoed L, Embertson R et coll. Treatment of refractory exostosis of the midportion of the splint bones. Proceedings of the 43rd Annual convention of the American Association of Equine Practitioners, Phoenix, Arizona, USA. 1997:126-127. http://www.ivis.org/proceedings/AAEP/1997/Bramlage.pdf
  • 5. Dyson S. The metacarpal region. In: Diagnostic and Management of Lameness in the Horse. Ed. Ross M and Dyson S. 2nd ed. Elsevier Saunders. 2011:411-426.
  • 6. Manneveau GBL, Alexandre A, De Fourmestraux C. Parage chirurgical des suros : étude rétrospective sur 13 cas. Proc. 45es Journées annuelles de l’Association vétérinaire équine française, Paris. 2017.
  • 7. McKibbin LS, Paraschak DM. An investigation on the use of cryosurgery for treatment of bone spavin, splint, and fractures splint bone injuries in standarbred horses. Cryobiology. 1985;22:468-476.
  • 8. Richardson DW. Third metacarpal and metatarsal bones. In: Equine Surgery. Auer JA and Stick JA. Saunders, St Louis. 2012:1325-1338.
  • 9. Welling EK. Evaluation of the efficacy of surgical intervention on middle and proximal splint bone injuries in 95 Standardbred horses. Vet. Surg. 1993:253.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

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