Écrire un article : la recherche qualitative - Pratique Vétérinaire Equine n° 199 du 01/07/2018
Pratique Vétérinaire Equine n° 199 du 01/07/2018

RÈGLES D’ÉCRITURE SCIENTIFIQUE

Cahier scientifique

Médecine factuelle

Auteur(s) : Jean-Michel Vandeweerd*, Jacques Bardies**, Francis Desbrosse***, Alain Sensenbrenner****, François Valon*****

Fonctions :
*Université de Namur
(UNamur) Urvi-Narilis (unité de recherche vétérinaire intégrée-Namur Research Institute for Life Sciences)
Rue de Bruxelles, 61, 5000 Namur, Belgique
jean-michel.vandeweerd@fundp.ac.be
**Clinique équine de l’hippodrome
2, boulevard J. F. Kennedy
06800 Cagnes-sur-Mer
***Clinique vétérinaire équine
18, rue des Champs, La Brosse
78470 Saint-Lambert-des-Bois
****Clinique vétérinaire du Moulin
32, rue de l’Église
67370 Truchtersheim
*****Clinique vétérinaire du parc de Brière
Z. A. des Pédras
44117 Saint-André-des-Eaux

Lors d’une étude d’observation qualitative, un phénomène social peut être décrit et interprété. Une application de ce type de recherche en pratique équine vous est proposée.

Les vétérinaires équins rencontrent, dans les publications, plusieurs procédures d’investigation. Il est possible de distinguer la procédure expérimentale de la procédure d’observation.

Dans la première, le chercheur essaie de contrôler au maximum le contexte des animaux étudiés afin d’analyser au mieux le lien de cause à effet entre une intervention (un traitement, par exemple) et le résultat obtenu. Autrement dit, il cherche à réduire au minimum l’effet des facteurs externes par rapport à ceux étudiés.

Dans la seconde, le scientifique observe l’occurrence (l’apparition) d’un ou de plusieurs phénomènes dans une population pour en tirer des informations. Il n’intervient pas, mais regarde. Les informations obtenues ne permettent pas une inférence causale aussi rigoureuse que lors d’une procédure expérimentale. Cependant, les conditions des études expérimentales ne sont pas toujours réalisables, notamment pour des raisons d’éthique.

En effet, les propriétaires de chevaux, par exemple, sont peu enclins à faire participer leurs animaux à un quelconque essai clinique. Les études d’observation sont donc parfois les seules possibles à réaliser.

Expérimentation et observation sont des modalités dites quantitatives car elles font état de données chiffrées (par exemple, des valeurs sanguines d’un individu isolé ou la fréquence d’une maladie dans une population).

Il existe toutefois un autre type d’observation dit qualitatif. Il est peu utilisé en médecine vétérinaire, mais l’est beaucoup chez l’homme. Dans ce type d’étude, aucune donnée n’est quantifiée. L’objectif est de mettre en évidence certaines réalités comme des comportements, des sentiments, qui ne sont pas mesurables. Un exemple récent d’article, en médecine équine, est celui intitulé “Contracting for care - the construction of the farrier role in supporting horse owners to prevent laminitis”, publié dans Equine Veterinary Journal, et qui évalue, par une étude qualitative, si les maréchaux-ferrants ont un rôle à jouer, avec le propriétaire du cheval, dans la préservation du bien-être de l’animal et la prévention de la fourbure (photo) [5].

La recherche qualitative se rencontrant dans les données publiées de médecine équine, il convient d’en connaître les principes et les méthodes. Des propositions sont présentées sur les critères à retenir pour la présentation des articles d’analyse qualitative de phénomènes associés à la pratique équine.

Objectif de la recherche qualitative

La recherche qualitative permet d’aider à comprendre les phénomènes sociaux dans leur contexte naturel. Par exemple, quelles sont les difficultés rencontrées par les praticiens équins dans leur vie professionnelle qui pourraient constituer des complications d’ordre éthique ? La recherche qualitative ne cherche pas à savoir combien de vétérinaires rencontrent telle ou telle situation en particulier. Cette dernière question est importante et complémentaire, mais elle reste du domaine de l’approche quantitative.

Les approches qualitative et quantitative ne sont pas opposées. La seconde vérifie une hypothèse à travers un décompte. La première recherche une hypothèse qui pourra ensuite être explorée (constructivisme). L’approche qualitative s’inscrit dans une vision holistique, globale, du contexte étudié. Elle recueille des données dans le milieu naturel par différentes méthodes. Ces données font naître une hypothèse. Le chercheur passe de l’observation à l’hypothèse par une démarche inductive, interprétative.

Un principe fréquemment rencontré dans les études qualitatives est celui de la grounded theory, qui s’appuie sur une méthode de collection systématique et d’analyse de l’information qualitative afin de générer une théorie qui expliquerait un phénomène social ou psychologique. La grounded theory estime qu’il existe « un processus social et psychologique de base » que les gens utilisent afin de résoudre un problème spécifique. Le rôle du chercheur est de découvrir et de décrire ce processus.

Les outils de la recherche qualitative

Diverses techniques sont utilisées pour la recherche qualitative [3, 4]. Il peut s’agir de l’étude de documents, de l’analyse de comptes rendus divers (réunions, par exemple) ou de l’observation structurée des comportements et des conversations en milieu naturel. L’observation peut aussi être participante lorsque le chercheur joue un rôle actif, au-delà de sa fonction d’observateur. C’est le cas lors d’entretien approfondi, sous la forme d’une conversation en face à face. Dans l’entretien de groupe (focus group), il fait appel aux interactions de groupe pour produire des données (figure 1). L’entretien en groupe nominal est une méthode particulière qui permet le recueil d’information par l’expression verbale mais également écrite. L’animateur centralise les expressions qui restent individuelles.

Une autre modalité fréquemment utilisée est celle des entretiens directifs, ou semi-directifs (semi-structurés) (figure 2). Elle vise à recueillir des informations détaillées sur certains thèmes, qui doivent être définis à l’avance.

Pour identifier les thèmes, des ouvrages scientifiques sont consultés uniquement afin de déterminer s’il existe ou non des données préexistantes. La grounded theory recommande une révision superficielle des ouvrages qui n’influence pas l’analyse des données. Une liste de questions est générée. Celle-ci doit idéalement subir une révision et un enrichissement par un groupe de personnes représentatives de la population et du phénomène à explorer. Dans l’exemple d’une étude qualitative des défis éthiques des praticiens équins en France, il pourrait s’agir d’un groupe de quelques vétérinaires équins issus de différentes régions de France et avec suffisamment d’expérience et d’ancienneté.

Pour arriver à un consensus sur les thèmes et les questions à générer en vue des interviews, la méthode Delphi peut être utilisée. À l’origine, la méthode Delphi est, comme le focus group, un outil de recherche. Elle vise à obtenir un avis aussi consensuel que possible sur des événements futurs grâce à un processus structuré de communication organisant la production, l’agrégation et la modification des opinions d’un groupe indépendant d’experts. Concrètement, la méthode Delphi comporte au minimum trois tours d’avis et parfois plus, autant que nécessaire pour aboutir à un maximum de consensus au sein du groupe.

Par exemple, un des thèmes identifiés dans notre exemple serait celui de l’environnement socioprofessionnel, qui pourrait être à l’origine de questions du type : « Que pensez-vous de la concurrence ? », « Que pensez-vous des spécialisations ? », « Que pensez-vous des médecines alternatives ? », « Pouvez-vous décrire vos relations avec les propriétaires, les entraîneurs, les cavaliers ? ».

Dans le format semi-structuré, l’enquêteur a ainsi une liste de thèmes à explorer. Une interview semi-structurée est flexible, permettant que de nouvelles questions soient apportées durant l’interview, en relation avec ce que le praticien interviewé dit et suggère. Les participants sont encouragés à donner des exemples réels au sein de leur pratique. Des questions sont modifiées, ajoutées ou supprimées au fil des interviews.

Les interviews sont enregistrées et retranscrites. Dans ce mode d’enquête, le chercheur est lui-même un instrument de recherche. Les entretiens exigent une certaine habileté. Les enregistrements sur bande magnétique permettent de mieux contrôler l’observateur et l’interprétation des données.

Validité et échantillon

La validité des résultats est assurée par la standardisation des questionnaires et par la triangulation. Cette dernière consiste à valider ses résultats par la combinaison de plusieurs méthodes : par exemple, en combinant un questionnaire en ligne, des focus groups et des interviews semi-structurées.

En recherche qualitative, l’objectif n’est pas d’avoir une représentation moyenne de la population, mais d’obtenir un échantillon de personnes qui ont vécu un maximum d’expériences. Dans l’exemple choisi, il sera ainsi nécessaire d’interviewer des vétérinaires d’âges et d’expériences différents, de sexes différents, de types de pratique différents (équins purs ou mixtes, exerçant une pratique ambulatoire ou en clinique, etc.). L’objectif est de constituer un échantillon permettant la compréhension maximale de la question.

Dans les études quantitatives, la taille de l’échantillon doit être définie par un calcul parfois complexe [2]. Dans les études qualitatives, elle est fonction de la durée de l’interview et de la faisabilité. Les grandes études portent sur 50 à 60 personnes [1]. Le nombre de personnes interviewées est plus souvent de l’ordre de 20 à 30. Ce nombre correspond dans la plupart des cas à ce qui doit être admis comme le critère permettant de considérer qu’il peut être mis fin aux interviews ou observations : la saturation des données. En d’autres termes, au fur et à mesure de l’avancée de l’étude, de moins en moins de nouveaux éléments apparaissent, jusqu’au stade où plus aucune information originale n’est identifiée.

Analyse des données

L’analyse des données repose sur le principe qu’un autre chercheur devrait pouvoir analyser les données de la même manière et arriver aux mêmes conclusions.

Les étapes sont développées ci-après [6]. Les données, telles que les rapports d’interviews, sont lues pour permettre de se familiariser avec elles. Des thèmes et des idées par thème (items) sont identifiés. Les passages en relation aux items sont indexés. Une esquisse de synthèse est réalisée par réarrangement des données selon la structure thématique. Il s’ensuit une interprétation en définissant des concepts et en créant des typologies et des associations. Les phrases prononcées par les personnes interviewées sont utilisées pour fonder l’analyse.

Publication de l’étude

Introduction

Les principes d’écriture de l’introduction, tels qu’ils ont été décrits dans un article récent, restent d’application [7]. L’objectif de recherche est clairement formulé. L’auteur précise son importance et le contexte dans lequel se déroule l’étude. Il fait le point sur les connaissances acquises sur cette question en citant les références documentaires les plus importantes.

Matériels et méthodes

Les matériels et les méthodes doivent être décrits. Le choix de l’approche qualitative doit être justifié par l’objectif de la recherche (explorer, faire le point sur un processus, interpréter, comprendre un phénomène clinique, élaborer une hypothèse, etc.). Le contexte de la recherche est décrit en détaillant le milieu naturel où elle se déroule. Le lecteur peut ainsi juger du caractère approprié du cadre. La population choisie doit être définie, par exemple en déclarant que la recherche a concerné des praticiens évoluant en pratique équine, mais que des praticiens travaillant dans l’industrie ou dans l’administration n’ont pas été interviewés. La méthode d’échantillonnage est décrite en montrant la pertinence du choix par rapport aux données recherchées. Il est nécessaire de préciser le critère utilisé pour définir la taille de l’échantillon. La période de recrutement des participants doit être spécifiée (par exemple, entre juin 2016 et septembre 2018). Il est utile de rappeler que tous les participants ont été avertis de la confidentialité de l’interview, et qu’il leur a été expliqué qu’aucun nom ne serait mentionné dans l’étude. Tous les participants ont idéalement signé un formulaire de consentement avant chaque interview. En particulier, un tableau doit reprendre les caractéristiques des personnes interviewées (tableau). Bien entendu, l’anonymat doit être préservé et chaque participant est identifié par un code dans le texte publié. L’implication du chercheur doit aussi être précisée. Le contrôle des biais introduits par la présence du chercheur est illusoire. Tout doit être mis en œuvre pour en limiter les effets. La description de la méthode d’interview et des questions posées permet au lecteur d’en tenir compte dans l’analyse des données. La durée et le lieu des interviews doit être mentionné : par exemple, au cabinet du vétérinaire ou à son privé, pour une durée de 60 à 120 minutes. De même, il est recommandé d’identifier les personnes ayant mené les interviews. Par exemple, « les interviews ont été menées par un étudiant en 1re année de master, qui n’était pas concerné par la profession de vétérinaire, donc n’avait aucune idée des possibles hypothèses des auteurs de cette recherche ». Enfin, les modalités d’investigation (outils) et les techniques d’analyse des données doivent être expliquées. Le chercheur doit indiquer comment il a évalué la pertinence et la rigueur des résultats. La fiabilité peut, par exemple, être garantie par des comptes rendus intégraux. La crédibilité et la transférabilité sont montrées par la triangulation. La vérification des résultats par les personnes interviewées est une méthode recommandée (validation réactive). La validité de l’étude est naturellement meilleure si les mêmes données sont analysées par plusieurs chercheurs.

Résultats

Les résultats sont soumis dans un texte logique, racontant une histoire compréhensible et agréable à lire. Les thèmes sont présentés successivement, composés des idées identifiées (items), illustrées par des citations mises entre guillemets et attribuées à des auteurs repris au tableau (mis entre parenthèses). Dans notre exemple, l’étude pourrait avoir identifié le thème d’un conflit de générations. Les résultats pourraient exprimer cette observation comme suit : « Un aspect particulier des relations entre confrères est celui d’un conflit de générations. “La mentalité des jeunes a évolué… Ils ne souhaitent plus faire de gardes… La première revendication concerne les horaires… On passe son temps à aménager des horaires pour ne pas qu’ils s’en aillent… Les internes surfent sur le confort.” (VT2) “Les jeunes prennent du recul par rapport au H24 des anciens.” (VT1) “Les jeunes sont moins avides de travail que nous; ce n’est pas spécifique aux étudiants vétérinaires, mais typique de la société de loisir, avide de possession, de jouissance.” (VT2) “On se demande où sont passés les jeunes quand on cherche un assistant.” (VT3) Néanmoins, d’autres personnes interviewées avouent le côté positif de la situation : “Les anciens apportent l’expérience, les jeunes obligent à bouger.” (VT1) »

Discussion

Dans la discussion, les principaux résultats sont résumés, en lien avec l’objectif de la recherche. Ils sont pondérés au regard des connaissances déjà publiées sur le sujet. Leur importance pratique et leurs conséquences sont montrées. L’auteur fait ensuite une critique méthodologique en indiquant les forces et les faiblesses de son étude. Les conclusions d’une étude qualitative sont d’autant plus assurées de leur validité que l’analyse permet de comprendre pourquoi les sujets se comportent comme ils le font.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ÉLÉMENTS À RETENIR

→ La recherche qualitative permet d’identifier et de décrire un phénomène social.

→ La collecte des données repose sur des méthodes précises d’observation, d’enquête et d’interview.

→ La recherche qualitative procède avec rigueur et méthode, comme la recherche quantitative.

  • 1. Britten N. Qualitative research : qualitative interviews in medical research. BMJ. 1995;311:251-253.
  • 2. de Meeus C, Buczinski S, Vandeweerd JM, Bihin B. Considérer la taille de l’échantillon: pourquoi et comment ? Prat. Vét. Équine. 2016;192 :50-54.
  • 3. Green J, Britten N. Qualitative research and evidence based medicine. BMJ. 1998;316:1230-1232.
  • 4. Greenhalgh T, Taylor R. How to read a paper : papers that go beyond numbers (qualitative research). BMJ. 1997;315:740-743.
  • 5.porting horse owners to prevent laminitis. Equine Vet. J. 2018;50 (5):658-666.
  • 6. Pope C, Mays N. Qualitative research : reaching the parts other methods cannot reach : an introduction to qualitative methods in health and health services research. BMJ. 1995;311:42-45.
  • 7. Vandeweerd JM. Écrire un article scientifique : l’introduction. Prat. Vét. Équine. 2017;195:56-59.
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