L’insuffisance rénale aiguë chez les équidés - Pratique Vétérinaire Equine n° 198 du 01/04/2018
Pratique Vétérinaire Equine n° 198 du 01/04/2018

Médecine interne

Dossier

L’appareil urinaire du cheval adulte : imagerie et troubles fonctionnels

Auteur(s) : Marianne Depecker

Fonctions : Clinique équine
de Conques
33420 Saint-Aubin-de-Branne

Les reins sont des organes particulièrement sensibles aux troubles hémodynamiques. Une surveillance de leur fonction et une prise en charge rapide sont essentielles pour les préserver de dommages irréversibles.

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est définie comme la diminution soudaine du taux de filtration glomérulaire (TFG). Elle se caractérise par une augmentation rapide et persistante de l’urée et de la créatinine sérique et par des perturbations hydriques, électrolytiques et acido-basiques (encadré).

Étiologie

L’IRA sensu lato est divisée en trois catégories, dépendantes de l’origine de l’atteinte :

– IRA prérénale : diminution de la perfusion rénale sans atteinte cellulaire associée ;

– IRA sensu stricto (ou intrinsèque) : atteinte directe du parenchyme rénal. Il est possible de distinguer la nécrose tubulaire (la plus fréquente), les inflammations tubulo-interstitielles et la glomérulonéphrite ;

– IRA post-rénale : obstruction ou déchirure sur le trajet urinaire en aval des reins (uretères, vessie, urètre, canal de l’ouraque) (tableau 1).

Chez le cheval adulte, les IRA intrinsèques sont le plus souvent associées à des troubles hémodynamiques (néphropathie vasomotrice) et/ou à l’administration de substances néphrotoxiques, à l’origine d’une nécrose tubulaire aiguë. Chez le poulain, tous les types d’IRA sont rencontrés, notamment lors de sepsis, de syndrome d’asphyxie périnatale, d’administration d’aminoglycosides, ou lors de rupture de vessie(1).

Nécrose tubulaire aiguë

Néphropathie vasomotrice ou ischémique

Toutes les conditions à l’origine de la libération d’agents vasomoteurs endogènes ou d’une hypotension persistante significative peuvent conduire à une néphropathie vasomotrice. L’insuffisance rénale prérénale peut ainsi évoluer en nécrose tubulaire aiguë (NTA) si l’hypoperfusion est importante ou prolongée.

La néphropathie ischémique peut survenir seule ou en combinaison avec une néphropathie toxique. Les causes les plus fréquentes sont une hypovolémie sévère (par exemple, entérocolite, choc hémorragique), une endotoxémie, ou encore une réaction médicamenteuse (par exemple, administration par voie intraveineuse [IV] d’immunomodulateurs) [8]. Les lésions associées sont principalement une nécrose tubulaire aiguë, mais une nécrose médullaire ou corticale diffuse peut aussi apparaître dans certains cas [8].

Néphropathie toxique

L’exposition à des substances néphrotoxiques est une cause importante de NTA chez le cheval [3, 28, 29, 32]. Les substances incriminées sont principalement les aminoglycosides, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou les glands. De façon plus anecdotique, les biphosphonates, l’imidocarbe, la vitamine D, la vitamine K3, certains antibiotiques (oxytétracycline, polymyxine B) ou les métaux lourds peuvent entraîner une IRA [4].

Les AINS ont pour conséquence une nécrose médullaire ou papillaire, alors que la gentamicine entraîne des lésions des cellules épithéliales tubulaires proximales. Le mécanisme d’action des pigments endogènes sur le parenchyme rénal n’est pas complètement connu.

L’IRA secondaire à l’administration de médicaments intervient rarement sur un animal correctement hydraté, aux doses recommandées. En revanche, l’utilisation combinée de substances potentiellement néphrotoxiques (gentamicine et phénylbutazone, par exemple), leur administration prolongée ou excessive (surdosage) et/ou leur utilisation sur un cheval déshydraté ou souffrant d’endotoxémie augmentent le risque d’évolution en IRA.

Les prostaglandines E2 et I2 jouent un rôle important dans la vasodilatation lors de déshydratation et contribuent au maintien du flux sanguin rénal. L’administration d’AINS à un cheval déshydraté ou toxémique contribue ainsi à l’hypoperfusion rénale en exacerbant la diminution du flux sanguin rénal. De même, l’administration de gentamicine à un cheval déshydraté entraîne une accumulation plus grande de la substance toxique dans les reins.

Autre

Les pigments endogènes (hémoglobine, myoglobine) peuvent entraîner une obstruction tubulaire et une diminution du flux sanguin rénal (effets vasoconstricteurs directs), à l’origine d’une NTA. Enfin, le parasite Halicephalobus gingivalis est une cause plus rare mais bien décrite de NTA chez le cheval.

Néphrite interstitielle aiguë

La néphrite interstitielle aiguë, caractérisée par un œdème interstitiel et un infiltrat de cellules inflammatoires, est rare chez le cheval. Des réactions adverses à certains médicaments ont été suspectées, mais le mécanisme exact de développement est inconnu [2]. L’administration IV d’AINS deux fois par jour pendant 2 semaines sur des ânes miniatures a entraîné des lésions de néphrite interstitielle au lieu d’une nécrose de la crête médullaire [26].

Bien que les formes cliniques soient peu fréquentes, la leptospirose est à suspecter lors d’un syndrome fébrile associé à une azotémie et une hématurie ne pouvant être expliquées par des troubles hémodynamiques ou l’administration de substances néphrotoxiques. Elle entraîne des lésions de nécrose tubulaire aiguë, suivies d’une néphrite interstitielle. Des hémorragies pulmonaires, une anémie hémolytique ou des uvéites concomitantes sont également possibles [6, 14]. Les sérovars pomona, icterohaemorrhagiae et grippotyphosa ont été incriminés, mais c’est le sérovar australis qui, depuis 2007, a été le plus souvent retrouvé chez le cheval.

Glomérulonéphrite aiguë

Des lésions glomérulaires subcliniques sont fréquentes dans certaines affections, notamment les désordres à médiation immune (purpura hémorragique), mais le syndrome de glomérulonéphrite aiguë est également rare chez le cheval. Il peut être causé par des toxines bactériennes, une coagulopathie, des dépôts d’immuns-complexes, des amines vasoactives, des altérations hémodynamiques, des anomalies vasculaires ou des affections prolifératives [22, 30, 31]. Des cas de glomérulonéphrite accompagnés d’hématurie, de protéinurie et d’hémolyse intravasculaire ressemblant au syndrome hémolytique-urémique humain causé par des toxines d’E. coli ont été rapportés [7, 25]. Une glomérulopathie causée par Streptococcus mitis a également été documentée chez un cheval [12]. Les dépôts d’immunscomplexes entraînent plus fréquemment une IR chronique (perte progressive de la fonction glomérulaire, devenant inférieure à 25 %) [10].

Diagnostic

Diagnostic clinique

Une IRA doit être suspectée sur tout cheval présentant un abattement et une anorexie ne pouvant être expliqués uniquement par l’affection primaire et/ou pour lesquels la production d’urine ne survient pas après 6 à 12 heures de perfusion IV (photo 2). En dehors des signes attribués à la cause sous-jacente (déshydratation, diarrhée, douleur musculaire, etc.), une hyperthermie (néphrite interstitielle, par exemple), des œdèmes périphériques (syndrome néphrotique avec hypoprotéinémie lors de glomérulonéphrite aiguë), des coliques (insuffisance post-rénale), ou encore de l’hématurie peuvent être rencontrés. La fourbure est également une complication possible d’IR. Enfin, mais plus rarement, des signes d’encéphalopathie peuvent apparaître, lors d’azotémie sévère.

La production d’urine est un paramètre important à considérer dans le diagnostic et la prise en charge d’une IRA (tableau 2).

Diagnostic de laboratoire

Les analyses de laboratoire permettent de confirmer une IRA.

L’analyse combinée de paramètres sanguins et urinaires, et les calculs de ratios de certains d’entre eux dans l’urine par rapport au plasma permettent de déterminer la nature de l’IRA dans la majorité des cas (tableaux 3 et 4).

Analyse sanguine

→ L’analyse sanguine permet de confirmer une IR, par la mise en évidence d’une élévation de l’urée et de la créatinine plasmatique. Ces paramètres ne permettent pas une détection précoce de la diminution du TFG, puisqu’une azotémie n’apparaît que lorsque 75 % des néphrons sont non fonctionnels. La créatinine (valeur usuelle [VU] : 8 à 20 mg/l ; 100 à 168 µmol/l) est plus sensible et spécifique que l’urée (VU 0,3 à 0,6 g/l ; 2,5 à 10 mmol/l), puisqu’une partie de l’urée est réabsorbée dans les conduits collecteurs en fonction du flux hydrique et que sa concentration varie aussi lors de troubles gastro-intestinaux.

Une seule mesure ne permet pas d’établir un diagnostic différentiel entre les différentes causes d’IRA. Cependant, la créatinine est généralement inférieure à 50 mg/l lors d’IRA prérénale. De plus, l’initiation d’une fluidothérapie doit entraîner une diminution de 30 à 50 % des valeurs de l’urée et de la créatinine durant les premières 24 heures lors d’insuffisance prérénale, ce qui n’est pas le cas lors d’IRA intrinsèque (la créatinine peut même parfois continuer à augmenter malgré la fluidothérapie). L’élévation de l’urée et de la créatinine est plus sévère chez les animaux oliguriques. Lors d’IRA intrinsèque, le ratio urée/créatinine sanguine est généralement inférieur à 10 (élévation plus importante de la créatinine que de l’urée), alors qu’un rapport supérieur à 10 est en faveur d’une IRA prérénale (réabsorption de l’urée pour faire face à l’hypotension/hypovolémie) ou d’une IR chronique.

→ Les déséquilibres électrolytiques dépendent de l’origine de l’affection rénale et de la production urinaire. Les plus fréquemment rencontrés lors d’IRA prérénale ou de polyurie sont l’hyponatrémie, l’hypochlorémie et l’hypocalcémie. Dans les cas les plus sévères d’IRA intrinsèque, une hyperkaliémie, une hyperphosphatémie et une acidose métabolique sont également présentes, et associées à de l’oligurie/anurie.

Analyse urinaire

Une analyse urinaire devrait être réalisée sur tous les cas suspects d’IRA. La bandelette urinaire est un premier examen utile et facile à réaliser, permettant d’orienter le diagnostic. Les paramètres spécifiques à évaluer sont le pH, la densité urinaire (à confirmer à l’aide d’un réfractomètre, plus sensible), les protéines (physiologiquement présentes sous forme de traces), les leucocytes et les pigments. Des mesures fonctionnelles biochimiques et une analyse cytologique (présence de cylindres, cellules) et bactériologique du culot peuvent ensuite être effectuées(2).

Une diminution de la densité urinaire(3) (< 1,020) associée à une déshydratation et à une hématurie sont des anomalies fréquentes lors d’IRA intrinsèque en phase d’oligurie.

Une modification des sédiments, une enzymurie (ratio γ-glutamyltransférase [GGT] urinaire/créatinine urinaire supérieur à 25), une protéinurie et une glucosurie, signes d’atteinte tubulaire proximale, peuvent être présentes avant l’élévation de la créatinine sanguine lors de toxicité aux aminoglycosides [24, 36]. Le ratio GGT urinaire/créatinine urinaire est à interpréter avec prudence car une élévation n’est pas toujours synonyme d’apparition d’une insuffisance rénale imminente, ou peut être faussement élevé lors de diminution du taux de filtration glomérulaire, car la concentration urinaire en créatinine est moindre. Cependant, un ratio supérieur à 100 est particulièrement significatif lors d’intoxication aux aminoglycosides [18].

Une protéinurie marquée (ratio protéines urinaires/ créatinine urinaire supérieur à 2:1) est compatible avec une atteinte glomérulaire.

Les fractions d’excrétion des électrolytes (sodium, chlore, phosphore) permettent d’évaluer la fonction tubulaire proximale. Elles sont fréquemment augmentées en cas de nécrose tubulaire aiguë ou de néphrite tubulo-interstitielle.

Toutes les analyses urinaires doivent être réalisées avant l’instauration de la fluidothérapie, car celle-ci entraîne une augmentation des fractions d’excrétion du sodium, du chlore et du phosphore, et une diminution de la densité urinaire. Lors de pyélonéphrite à leptospires, la quantité de granulocytes neutrophiles urinaires est augmentée, mais les cultures bactériennes sont souvent stériles. Le diagnostic s’effectue par polymerase chain reaction (PCR) sur urine (après administration de furosémide pour augmenter la sensibilité), ainsi que par sérologie (titre supérieur à 1/6 400 ou séroconversion à 10 à 15 jours d’intervalle) [11, 13, 19].

L’évaluation la plus précise de la fonction rénale est la détermination du TFG, rarement réalisé en pratique clinique car elle nécessite de nombreux prélèvements. Le pronostic est cependant davantage associé à la durée de la diminution du TFG qu’à son intensité, donc l’évaluation quotidienne de la créatinine (inversement corrélée au TFG) est un moyen fiable et plus pratique d’évaluation de la fonction rénale.

Autres examens complémentaires

→ La palpation transrectale peut mettre en évidence le rein gauche (voire le rein droit sur des animaux de petit gabarit) de taille augmentée et douloureux. Lors d’IRA post-rénale, des urolithes sont palpables dans la vessie ou les uretères.

→ L’examen échographique peut révéler une augmentation de taille des reins, un œdème périrénal, une perte de la jonction cortico-médullaire, ou une dilatation des bassinets lors d’IRA intrinsèque [27]. Ces modifications sont toutefois subtiles dans la majorité des cas et difficiles à détecter. Une atteinte rénale chronique sous-jacente peut être mise en évidence (hypoplasie rénale, néphrolithes) par échographie. La présence d’un épanchement abdominal peut signer la présence d’un uropéritoine.

→ La biopsie rénale peut être réalisée en cas d’IRA intrinsèque pour distinguer une atteinte glomérulaire d’une atteinte interstitielle si les autres examens ne permettent pas d’établir un diagnostic définitif, pour déterminer l’origine de l’atteinte (infectieuse, congénitale, non spécifique), ou lorsqu’une masse ou toute autre anomalie structurelle est mise en évidence à l’échographie. La biopsie rénale est réalisée sous contrôle échographique, sur cheval debout tranquillisé, avec des mesures de contention et d’asepsie rigoureuses. Une étude rétrospective multicentrique sur 151 biopsies rénales a montré que cette technique permettait d’obtenir un diagnostic histologique dans 94 % des cas, mais une corrélation avec les lésions observées en post-mortem plus faible (72 %). Les principales complications associées à la procédure sont une hémorragie (hématome périrénal ou hémorragie abdominale), des signes de coliques ou de la fièvre, et sont apparues dans 11 % des cas. La majorité de ces complications est sans conséquence clinique et le taux de mortalité est très faible (0,7 %) [35]. La biopsie rénale n’est toutefois recommandée que si le résultat obtenu permet d’influencer le traitement ou le pronostic [4].

Traitement

Le traitement de l’IRA doit être instauré le plus rapidement possible. Il repose principalement sur la reconnaissance de la cause primaire, lorsque cela est possible, et sur une fluidothérapie adaptée. D’autres traitements peuvent être utilisés de façon plus ciblée ou sporadique.

Traitement de la cause primaire

Il convient d’arrêter l’administration de substances néphrotoxiques en cas de nécrose tubulaire aiguë, ou d’utiliser la dose minimale effective, en association avec une fluidothérapie intensive. La leptospirose aiguë est traitée par l’administration de pénicilline G-procaïne (22 000 UI/kg, par voie intramusculaire [IM], deux fois par jour), de tétracyclines (risque de néphrotoxicité) ou d’enrofloxacine [9, 13, 14, 19].

En cas d’IRA post-rénale, il est important de traiter l’obstruction (urolithiase, néoplasie) avant l’instauration de la fluidothérapie. À l’inverse, les cas de rupture vésicale nécessitent une gestion médicale (rétablissement des déséquilibres électrolytiques) avant réalisation du traitement chirurgical.

Fluidothérapie

→ La thérapie initiale repose sur une utilisation judicieuse des fluides, afin de restaurer les déficits volumiques (dans les 6 à 12 heures) et de corriger les déséquilibres acido-basiques et électrolytiques, qui doivent être mesurés quotidiennement (photo 3). Les chevaux en polyurie nécessitent généralement une complémentation en chlorure et en sodium, par perfusion de NaCl 0,9 % ou par complémentation orale. Le Ringer lactate est également un soluté de choix, sauf si une hyperkaliémie (supérieure à 4,5 mEq/l) est présente, notamment en cas d’insuffisance post-rénale. En cas d’hypernatrémie, une solution mixte de NaCl 0,45 % et de glucose 2,5 % peut être réalisée, bien que les conditionnements limitent son utilisation aux poulains. Dans les cas d’hyperkaliémie sévère (supérieure à 7 mEq/l), une solution de glucose 30 ou 50 % à 2 à 4 mg/kg/ min est recommandée, plus ou moins associée à une administration d’insuline en cas d’insulinorésistance. Du bicarbonate de sodium (1 à 2 mEq/ kg IV sur 5 à 15 minutes) ou du gluconate de calcium (0,5 ml/kg d’une solution à 10 % en IV lente) peuvent être administrés si l’hyperkaliémie est persistante. L’hypokaliémie est traitée par l’administration de potassium (20 à 40 mEq/l). La supplémentation est aussi indiquée chez les chevaux anorexiques normokaliémiques (15 à 30 g de KCl per os [PO] deux fois par jour).

→ Après correction des déficits volumiques, électrolytiques et acido-basiques, la diurèse doit être déterminée : lors de polyurie, le débit de fluidothérapie doit être maintenu à 100 ml/kg/j jusqu’à obtention d’une nette diminution de la créatinine sérique, puis au niveau d’entretien (40 à 50 ml/kg/j) jusqu’à ce que la concentration en créatinine soit normale ou que le cheval boive et mange normalement. En cas d’oligurie, la perfusion doit être utilisée avec précaution et le pronostic est plus réservé. Au-delà de 40 ml/kg de fluides, un œdème conjonctival, sous-cutané, puis pulmonaire et/ou cérébral peut apparaître.

→ En cas d’oligurie persistante 10 à 12 heures après instauration de la fluidothérapie, une perfusion de dopamine(4) (3 à 5 µg/kg/min) dans du glucose 5 % peut être réalisée afin d’améliorer la perfusion rénale et d’induire la diurèse. La pression artérielle doit être contrôlée de façon rapprochée pour éviter tout risque d’hypertension. Les diurétiques sont également indiqués en cas d’oligurie ou d’anurie persistante. L’efficacité du furosémide est inconstante, car son action dépend de l’intégrité de la sécrétion des tubules proximaux et du flux tubulaire, et est donc limitée lors de nécrose ou d’obstruction tubulaire. Il s’utilise en bolus jusqu’à effet (1 à 2 mg/kg IV toutes les 2 heures), ou de façon plus efficace en perfusion continue (0,12 mg/kg/h après un bolus initial) [8, 20]. Si la diurèse n’est pas présente après le second bolus de furosémide, l’administration de mannitol(4) 20 % (0,25 à 1 g/kg sur 15 à 20 minutes) peut être réalisée [4].

L’utilisation de ces molécules est actuellement très controversée en raison d’effets potentiels néfastes sur les reins et de complications cardiovasculaires et métaboliques possibles [23]. Chez le poulain, la dobutamine(4), la noradrénaline(4) ou la vasopressine(4) sont recommandées pour rétablir la pression artérielle et la perfusion rénale.

→ En médecine humaine, les néphrites interstitielles à médiation immune sont traitées à l’aide de corticoïdes, bien que leur effet ne soit pas totalement démontré [5, 21]. La dexaméthasone peut être utilisée chez le cheval, à la dose initiale de 0,1 mg/kg IM une fois par jour, puis à dose dégressive, sur 3 à 4 semaines. La corticothérapie est rarement entreprise chez le cheval dans le traitement des glomérulonéphrites aiguës à médiation immune [4].

→ Enfin, lors d’anorexie, une supplémentation en glucose peut être apportée à la fluidothérapie, mais une nutrition parentérale protéique et lipidique devient nécessaire si l’anorexie persiste. Une prévention des ulcères gastriques (oméprazole 2 à 4 mg/kg PO une fois par jour, ou cimétidine(5) 8 à 10 mg/kg IV trois fois par jour) peut aussi être indiquée.

→ La dialyse sanguine a été rapportée sur un cheval adulte sain, mais également sur un cas de néphrotoxicité à l’oxytétracycline chez un poulain ou à la myoglobine chez un cheval adulte [34, 37, 38]. Une technique de dialyse péritonéale, plus pratique, a également été décrite chez un cheval sain [15]. Son utilisation reste toutefois anecdotique chez les équidés, et ne semble pas indiquée en cas de néphropathie vasomotrice.

Pronostic

Les chevaux présentant une IRA prérénale rapidement prise en charge par fluidothérapie ont un pronostic favorable, à condition que la cause sous-jacente soit traitée. La créatinine, souvent inférieure à 50 mg/l, doit diminuer dans les 2 à 3 premiers jours de traitement.

Lors d’IRA intrinsèque, si la créatinine est comprise entre 50 et 100 mg/l et qu’elle diminue dans les premiers jours de traitement, le pronostic reste favorable. La diminution de la créatinine est plus lente après instauration de la fluidothérapie (3 à 7 jours) et la résolution complète de l’azotémie peut prendre 4 à 6 semaines. Dans certains cas, la créatinine reste supérieure aux valeurs usuelles (20 à 30 mg/l) plusieurs mois après le traitement, indiquant une perte définitive de la fonction rénale et une gestion à plus long terme.

Le pronostic est plus réservé lorsque la créatininémie est supérieure à 100 mg/l à l’examen initial, et si elle ne diminue pas (ou augmente) après les 2 premiers jours de traitement.

Le pronostic est sombre si la créatinine initiale est supérieure à 150 mg/l et/ou si le cheval reste oligurique plus de 72 heures après l’initiation des soins intensifs [17]. Le taux de complications (œdème général, fourbure) est également plus élevé chez ces chevaux, ce qui assombrit d’autant plus le pronostic vital.

Enfin, le pronostic est plus réservé chez des chevaux présentant des crises aiguës d’insuffisance rénale sur un fond d’insuffisance rénale chronique, ce qui confirme la nécessité d’un diagnostic le plus précoce et le plus précis possible.

Conclusion

L’évaluation de la fonction rénale est primordiale sur tous les chevaux présentant des troubles hémodynamiques, notamment lorsqu’ils reçoivent des substances potentiellement néphrotoxiques. La prise en charge rapide de ces troubles et le retrait ou la diminution de ces molécules permet dans la plupart des cas d’éviter des lésions rénales irréversibles et des soins intensifs à long terme, souvent avec un pronostic favorable.

  • (1) Seules les affections chez le cheval adulte sont détaillées dans cet article.

  • (2) Voir l’article “Comment interpréter une analyse urinaire ?” de SL Pradeaud et coll. Prat. Vét. Équine. 183;46:63.

  • (3) L’urine du cheval est généralement hypersténurique (> 1,020).

  • (4) Médicament à usage humain.

  • (5) Utilisation hors résumé des caractéristiques du produit.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ : PHYSIOPATHOLOGIE DE L’INSUFFISANCE RÉNALE AIGUË

L’anatomie et la physiologie du rein en font un organe particulièrement sensible aux troubles toxiques et ischémiques. Bien que les reins reçoivent environ 20 % du débit cardiaque, seuls 10 à 20 % du flux sanguin rénal atteignent la medulla via les vasa recta. Ce faible flux sanguin médullaire, nécessaire à l’instauration d’un mécanisme fonctionnel à contre-courant, est également à l’origine d’une hypoxie, ce qui rend la medulla très sensible aux troubles ischémiques. À l’inverse, le cortex rénal reçoit 80 à 90 % du flux sanguin rénal, ce qui le rend particulièrement sensible aux toxines.

L’hypovolémie et la déshydratation entraînent des mécanismes compensatoires au niveau systémique et rénal, à l’origine d’une vasoconstriction périphérique (par activation du système rénine-angiotensine et de substances vasomotrices telles que l’oxide nitrique et l’endothéline) et d’une diminution du taux de filtration glomérulaire.

De la même façon, l’exposition aux néphrotoxines (à l’origine d’un dysfonctionnement et d’une nécrose cellulaire) entraîne une augmentation de la pression tubulaire et une diminution du gradient de pression hydrostatique capillaire dans les glomérules. La perte de la capacité de réabsorption active le feedback tubulo-glomérulaire et entraîne la réduction du taux de filtration glomérulaire après vasoconstriction et diminution du coefficient d’ultrafiltration glomérulaire.

Éléments à retenir

→ L’insuffisance rénale aiguë (IRA) doit être suspectée chez tout cheval présentant un abattement et une dysorexie ne pouvant être expliqués uniquement par l’affection initiale.

→ Les causes les plus fréquentes d’IRA sont les néphropathies d’origine vasomotrice et toxique.

→ La durée d’évolution avant la mise en place du traitement et la production d’urine sont des facteurs importants dans le pronostic des IRA.