PATHOLOGIE LOCOMOTRICE
Cahier scientifique
Cas clinique
Auteur(s) : Amélie Tallaj*, Jean-Marie Denoix**, Virginie Coudry***
Fonctions :
* Cirale-ENVA, RD 675,
14430 Goustranville
Plusieurs techniques d’imagerie ont permis de documenter le cas et de préciser la nature des lésions. Après une prise en charge adaptée et une reprise progressive du travail, le cheval a pu débuter sa carrière en saut d’obstacles.
L’enthésopathie proximale du ligament suspenseur du boulet (LSB) est une affection courante chez le cheval de sport et de course. Elle peut être unilatérale ou bilatérale, et son diagnostic peut s’avérer complexe. Cet article décrit un cas d’enthésopathie proximale du LSB antérieur et discute différents aspects comme les modalités diagnostiques et la gestion thérapeutique.
Un cheval selle français entier âgé de 4 ans ayant une activité de saut d’obstacles présente depuis 4 mois une discrète boiterie antérieure gauche lorsqu’il est monté. Des radiographies du membre antérieur gauche (pied, boulet, carpe, coude, épaule) et de la région cervicale basse sont réalisées, qui révèlent une discrète arthropathie synoviale intervertébrale épi-axiale en C6-C7. L’activité du cheval est réduite, sans que cela n’apporte une amélioration. L’animal est donc référé au Cirale par son vétérinaire traitant pour un examen scintigraphique afin d’explorer cette boiterie antérieure gauche.
Le cheval présente une asymétrie des pieds antérieurs : le gauche est plus haut et plus étroit que le droit (atrophie du pied gauche). Une déformation dorsolatérale du boulet postérieur gauche est notée.
Le cheval présente un soulagement antérieur gauche dans toutes les circonstances de l’examen, plus marqué à chaud, avec un test de flexion digitale de ce membre positif (grade 1/5) et un test d’appui positif (grade 1/5) mis en évidence lors du test de flexion du membre antérieur droit.
Le test de flexion globale du membre postérieur droit est positif, de grade 1/5, et une tendance à se désunir au galop est observée.
Après la mise en place d’un cathéter dans la veine jugulaire droite, une injection de technétium (1 GBq/100 kg) associé à du diphosphonate est effectuée par voie intraveineuse. La phase osseuse de l’examen se déroule sous sédation, 3 heures après l’administration du technétium.
La lecture des images permet d’observer :
– une activité osseuse captée fortement augmentée de manière diffuse dans la partie proximale de l’os métacarpal III du membre antérieur gauche, avec une zone focale proximo-palmaire médiale plus active (photo 1a) ;
– une activité osseuse captée discrètement augmentée de manière diffuse dans la partie proximale de l’os métacarpal III du membre antérieur droit (photo 1b) ;
– une activité osseuse discrètement augmentée en regard de la symphyse vertébrale en C6-C7 et sur la cochlée tibiale gauche.
Une atteinte osseuse en regard de l’insertion proximale du LSB est suspectée (encadré). La suite des examens d’imagerie est donc orientée vers cette région.
Un examen radiographique du carpe gauche (face, profil, deux obliques) met en évidence des remaniements osseux (sclérose diffuse et ostéolyse focale) substantiels du cortex proximo-palmaire de l’os métacarpal III en regard de l’insertion proximale du LSB (photo 2). Une vue comparative (vue de face) est réalisée sur le carpe droit, qui montre la présence des mêmes anomalies.
L’examen échographique du LSB antérieur gauche révèle :
– des remaniements et des remodelages osseux (enthésophyte médial) du cortex palmaire de l’os métacarpal III, en regard de l’insertion proximale du LSB ;
– un épaississement marqué des lobes du LSB, plus marqué sur le lobe médial, avec un collapsus du faisceau graisseux et une hypertrophie de la partie tendineuse (visibles en contraste négatif) (photos 3 et 4).
L’aspect échographique du LSB antérieur droit est normal.
L’examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) du LSB antérieur gauche (région métacarpienne proximale) est réalisé debout sous sédation, avec une machine Hallmarq bas champ (0,27 T) (photos 5a et 5b). Sur l’os métacarpal III, il montre :
– un épaississement du cortex et des anomalies marquées de signal de l’os spongieux palmaro-médialement, en regard de l’insertion du lobe médial du LSB. Ces altérations traduisent une sclérose marquée palmaro-médiale étendue sur 5 cm de hauteur ;
– un discret hypersignal diffus en saturation de graisse de la cavité médullaire de l’os métacarpal III, compatible avec un œdème osseux diffus. Sur le LSB, un épaississement de la partie fibreuse dorsale du lobe médial et des anomalies de signal marquées, présentes sur tous les contrastes et traduisant le caractère actif de cette lésion, sont mis en évidence.
Les investigations lésionnelles par imagerie ont révélé, sur le membre antérieur gauche, une desmopathie et une enthésopathie proximales marquées du LSB, plus sévères sur le lobe médial, de caractère actif avec :
– une activité osseuse fortement augmentée en regard de l’insertion proximale du LSB en scintigraphie ;
– une sclérose marquée palmaro-médiale s’étendant sur la partie proximale de l’os métacarpal III sur une hauteur de 5 cm, en regard de l’insertion proximale du LSB ;
– un discret œdème osseux diffus de la cavité médullaire de l’os métacarpal III. Sur le membre antérieur droit, le cheval présente une sclérose substantielle du cortex palmaire de l’os métacarpal III en regard de l’insertion proximale du LSB, sans anomalie échographique significative du ligament.
Un fer léger (aluminium) avec une pince couverte et des éponges étroites et biseautées est mis en place sur les deux pieds antérieurs (photo 6).
Un traitement à base de biphosphonates en perfusion intraveineuse et des séances d’ondes de choc en regard de l’insertion proximale du LSB sur le membre antérieur gauche sont conseillés.
Une période d’activité contrôlée de 3 mois est mise en place, avec 1 mois de pas en main, puis 1 mois de pas monté suivis par la réintroduction très progressive du trot sous forme de fractionné pendant 1 mois
supplémentaire. Un contrôle échographique est réalisé à l’issue de cette période de 3 mois, avant une intensification de l’activité et la reprise du galop. Six mois après le diagnostic, le cheval reprend une activité de compétition en concours de saut d’obstacles (CSO) au niveau antérieur et réalise de bonnes performances lui permettant d’évoluer dans les cycles classiques et de commencer sa carrière.
Dans le cas clinique présenté, aucun signe physique particulier n’a été noté. Dans certains cas de desmopathie proximale du LSB, en particulier en phase aiguë, un engorgement de la région tendineuse métacarpienne proximale est observé [2, 8]. Une sensibilité à la pression manuelle en regard de la partie proximo-palmaire du canon peut également être mise en évidence de manière inconstante.
Les desmopathies et les enthésopathies proximales du LSB sont une cause fréquente de boiterie chez le cheval de sport [2, 7, 8]. Elles provoquent une boiterie de grade variable (discrète à marquée), souvent intermittente, et qui peut apparaître brutalement ou progressivement [2, 10]. À l’examen dynamique du cas clinique présenté, la boiterie antérieure s’est révélée plus marquée en fin d’examen. C’est une des caractéristiques des enthésopathies proximales du LSB. En effet, la boiterie est souvent accentuée à chaud (après 15 à 20 minutes d’exercice), sur sol souple, et principalement visible à main opposée [2, 8]. Dans certains cas, comme rapporté par le vétérinaire référent, elle est apparente uniquement lorsque le cheval est monté, le poids du cavalier augmentant les contraintes sur le LSB et ses attaches. En CSO, le cavalier peut noter une réception des obstacles préférentielle sur le membre sain [8].
De plus, la flexion digitale aggrave parfois la boiterie en raison d’un relâchement transitoire, suivi d’une mise en tension soudaine et rapide du LSB lors de la reprise de l’appui [4].
L’anesthésie locale in situ en regard de l’insertion proximale du LSB est la
technique la plus sensible et la plus spécifique pour confirmer une desmopathie et/ou une enthésopathie proximale du LSB. Elle consiste en l’injection de 3 à 5 ml d’anesthésique local entre ce ligament et le cortex palmaro-proximal de l’os métacarpal III [6]. L’aiguille est implantée latéralement ou médialement sur le membre en flexion, à travers les lobes du LSB après avoir récliné le bloc des fléchisseurs. Elle peut être échoguidée pour plus de précision. La boiterie doit avoir significativement diminué ou avoir disparu 10 à 15 minutes après l’injection. Des interférences sont possibles avec la région métacarpienne distale, le canal carpien ou les articulations médiocarpienne et carpo-métacarpienne, soit par diffusion de proximité, soit par mauvais positionnement de l’aiguille [5, 6]. Elles sont à envisager en cas de régression tardive de la boiterie (après 20 minutes). Les douleurs osseuses de l’os métacarpal III en regard de l’enthèse du LSB ne répondent pas toujours à l’anesthésie locale in situ. À l’inverse, une anesthésie métacarpienne distale peut réduire une boiterie d’origine métacarpienne proximale par diffusion via les vaisseaux lymphatiques [6]. Une anesthésie intraarticulaire médio-carpienne se révèle aussi parfois positive par diffusion de proximité vers l’insertion proximale du LSB [5]. Les douleurs liées à une lésion proximale du LSB peuvent donc être facilement confondues avec des douleurs localisées sur le carpe ou dans la région métacarpienne distale, rendant le diagnostic différentiel difficile.
Plusieurs techniques d’imagerie sont parfois nécessaires pour établir le diagnostic.
→ L’examen radiographique permet de détecter les remaniements osseux chroniques de l’os métacarpal III en regard de l’enthèse du LSB. Une sclérose, des zones focales d’ostéolyse, ainsi que des enthésophytes du cortex palmaro-proximal de l’os métacarpal III peuvent être notés sur les vues de face et de profil du carpe [2, 9, 11]. Dans le cas de lésions aiguës, le diagnostic radiographique peut être difficile en raison du caractère récent des remaniements osseux.
→ L’échographie est la technique diagnostique de choix pour les lésions proximales du LSB. L’examen complet associe des coupes transversales et longitudinales, à l’appui et en flexion [7]. L’examen en flexion permet le relâchement des tendons fléchisseurs. Une légère pression sur la sonde permet ainsi de la rapprocher du LSB, donc d’améliorer le contact [7]. Une évaluation très précise de l’architecture mixte du ligament est ainsi possible, notamment avec des coupes en contraste négatif. Un épaississement de la partie tendineuse dorsale avec un collapsus des faisceaux musculo-graisseux témoigne d’une lésion proximale du LSB [7]. De plus, l’échographie est une technique très sensible pour détecter les irrégularités osseuses de surface de l’os métacarpal III (enthésophytes), plus aisément visibles en coupe transversale.
→ Dans certains cas, une douleur métacarpienne proximale est mise en évidence sans signes radiographiques et échographiques significatifs. L’examen IRM peut alors apporter des informations sur l’architecture osseuse beaucoup plus précocement que la radiographie. Un œdème osseux de l’os métacarpal III en regard de l’enthèse du LSB, associé ou non à une sclérose osseuse, peut être mis en évidence dans les cas aigus [3, 11]. L’évaluation du LSB est difficile en raison de son architecture mixte. L’interprétation des images doit donc se faire en association avec les images échographiques.
→ L’examen scintigraphique est parfois utile en complément, mais il n’est généralement pas nécessaire à l’établissement du diagnostic. Il permet de mettre en évidence une activité osseuse à l’enthèse du LSB [11]. Cependant, l’intensité de cette activité n’est pas corrélée à la sévérité des lésions échographiques [9].
La durée de la période de repos et d’activité contrôlée est à adapter en fonction de l’intensité de la boiterie. Trois à 6 mois sont généralement requis, en commençant par des sorties au pas uniquement, avant la réintroduction progressive du trot sous forme de fractionné. Un contrôle échographique à l’issue d’une période de 3 mois permet d’ajuster le protocole et de vérifier la bonne évolution des lésions avant une intensification de l’activité et la reprise du galop. Les boiteries dues à des lésions aiguës, récentes et peu étendues régressent rapidement après une courte période de repos [2, 8]. Les lésions anciennes et chroniques peuvent engendrer une boiterie persistante malgré le repos ou qui diminue seulement de façon transitoire.
La ferrure kinésithérapique est un aspect essentiel de la gestion du cheval. Le fer doit être léger (de préférence en aluminium) afin de limiter les contraintes exercées sur le boulet et le LSB lors de la phase de soutien du membre. Pour un aplomb antérieur normal avec un boulet bien suspendu, la pince doit être couverte et les éponges sont étroites et biseautées, avec l’objectif de favoriser l’enfoncement des talons dans le sol et ainsi de tendre le tendon fléchisseur profond du doigt pour diminuer la tension sur le LSB(1). Pour un aplomb antérieur bas-jointé, il convient de biseauter largement la pince afin de reculer le centre d’appui du fer et de diminuer ainsi le levier digital.
En cas de remaniements osseux, un traitement à base de biphosphonates est conseillé. Transitoirement, et en cas de boiterie sévère, un traitement par voie générale à base d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est indiqué.
Une prise en charge en physiothérapie peut être envisagée, avec notamment des séances d’ondes de choc, de laser et d’application du froid en regard de l’insertion proximale du LSB.
Concernant le pronostic sportif, un taux de 80 % de retours en compétition au niveau antérieur est rapporté dans les cas de desmopathies proximales du LSB d’un membre antérieur chez le cheval de sport [2, 3]. Ces données sont à moduler en fonction de la sévérité et de l’ancienneté des lésions identifiées, ainsi que du type d’activité de l’animal.
Le pronostic est très variable, mais souvent plus sombre en cas d’atteinte d’un membre postérieur [2].
Dans certains cas, il peut s’agir de lésions de surcharge provoquées et aggravées par un report de poids sur le membre atteint, ce qui assombrit le pronostic. Il est donc important d’évaluer cliniquement le cheval dans son ensemble afin de détecter toute asymétrie locomotrice.
Une fois que le diagnostic d’atteinte proximale du LSB est confirmé, une gestion thérapeutique adaptée peut permettre un pronostic sportif favorable. Par la suite, une activité contrôlée est conseillée afin d’éviter les récidives.
(1) D’après Denoix JM. American ISELP module: Fetlock, metacarpus and carpus. Anatomy, biomechanics, diagnostic imaging, management and treatment. Hagyard Equine Medical Institute, Lexington, États-Unis. 2017.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
→ L’enthésopathie proximale du ligament suspenseur du boulet (LSB) sur le membre antérieur est une affection fréquente du cheval de sport. La présentation clinique classique est une boiterie intermittente, plus marquée à main opposée, persistante ou visible davantage sur sol souple et plutôt à chaud.
→ L’échographie est la technique de choix pour évaluer avec précision l’architecture complexe du LSB, ainsi que la surface osseuse proximo-palmaire de l’os métacarpal III. La radiographie permet de mettre en évidence les remaniements osseux anciens.
→ En cas de douleur située en région métacarpienne proximale sans signes radiographique et échographique indicateurs d’une lésion, la scintigraphie et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) peuvent être nécessaires pour établir le diagnostic.
→ Une ferrure adaptée et une activité contrôlée permettent une diminution de la boiterie et un retour au sport dans la majorité des cas.
Le muscle interosseux III, couramment appelé ligament suspenseur du boulet (LSB), s’insère proximalement, sur la partie proximo-palmaire de l’os métacarpal III (canon) et sur les os de l’étage distal du carpe (figure) [1, 7]. À son insertion, il est divisé en deux lobes distincts qui fusionnent distalement pour donner le corps. Il est composé de tissus différents : des fibres tendineuses forment la partie périphérique de chaque lobe, tandis que la partie centrale est composée de fibres musculaires striées et de tissu adipeux [1, 7, 8]. Le LSB est innervé par la branche profonde du rameau palmaire du nerf ulnaire [1]. Son rôle principal est de limiter l’extension du boulet lors de la phase d’appui. une hyperextension du carpe et du boulet peut ainsi provoquer une lésion de ce ligament en regard de son attache proximale [1, 8].