Démarche diagnostique face à un cheval adulte présentant un jetage - Pratique Vétérinaire Equine n° 198 du 01/04/2018
Pratique Vétérinaire Equine n° 198 du 01/04/2018

MÉDECINE INTERNE

Cahier pratique

Fiche pratique

Auteur(s) : Roxane Jouve*, Ghita Cherkaoui**, Jean-Luc Cadoré***

Fonctions :
*Université de Lyon, VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
Département hippique
69280 Marcy-l’Étoile

Le jetage nasal se définit comme l’émission de matériel (non gazeux) vers l’extérieur, par les naseaux, depuis l’appareil respiratoire [2, 7]. C’est un signe clinique qui accompagne un grand nombre d’atteintes des voies respiratoires du cheval.

Qu’il soit le motif de la consultation ou repéré par le clinicien fortuitement lors de l’examen clinique du cheval, un jetage peut être indicateur d’une affection, anodine ou grave, des voies respiratoires hautes ou basses. Son caractère uni- ou bilatéral peut déterminer son origine. Sa nature et son évolution orientent le diagnostic. Ces indices doivent être replacés dans le contexte clinique afin d’évaluer et d’exploiter leur pertinence.

Anamnèse

À l’observation d’un jetage, il est utile de questionner le propriétaire à propos :

- de la durée d’évolution ;

- de l’existence d’autres animaux affectés ;

- du statut vaccinal du cheval ;

- de l’évolution de la quantité émise, de la symétrie du jetage ;

- de l’existence de symptômes évoquant une atteinte générale [3, 5].

Éléments cliniques d’intérêt

Lors de la réalisation de l’examen clinique, le praticien cherche à répondre à plusieurs questions concernant le jetage ou d’ordre général [3, 5].

→ Le jetage est-il uni- ou bilatéral ?

→ De quelle nature (clair, muqueux, purulent, hémorragique, etc.) est-il ?

→ A-t-il une odeur particulière ?

→ Existe-t-il un lien avec la position de la tête ou l’alimentation ?

→ Est-il présent lors d’un changement de morphologie de la face (évaluation visuelle) ?

→ Existe-t-il des anomalies à la percussion des sinus ? La palpation de la région sous-mandibulaire, de la région des poches gutturales, du larynx est-elle normale ?

→ Est-ce que le cheval tousse ?

→ Existe-t-il des signes d’atteinte générale (dépression, anorexie, fièvre, etc.) ?

→ Est-il possible de déceler des anomalies à l’auscultation thoracique ?

Orientation diagnostique

Selon la nature et le caractère uni- ou bilatéral du jetage, le diagnostic peut être orienté différemment.

Jetage séreux

La réponse de la muqueuse des cavités nasales à une stimulation/ agression est une augmentation de la production des sécrétions glandulaires (photo 1). Ces sécrétions sont incolores, fluides et d’abord séreuses, puis peuvent évoluer selon l’agent/stimulus impliqué (figure 1) [2]. Ce jetage peut être physiologique.

Jetage séro-muqueux

Un jetage séro-muqueux est un jetage clair, incolore, plus consistant et plus visqueux qu’un jetage purement séreux (photo 2) [7].

Sa production est souvent associée à un désordre affectant les cavités nasales et les voies respiratoires hautes. Il peut aussi précéder transitoirement l’émission d’un jetage purulent, comme dans les phases précoces d’infection bactérienne (figure 2) [2]. Il n’est pas systématiquement accompagné d’anomalies cliniques.

Jetage muco-purulent

L’amplification du phénomène inflammatoire, la nécrose ou la surinfection bactérienne donnent au jetage un caractère plus épais, qui se teinte progressivement d’une couleur blanchâtre, traduisant la présence de pus (photo 3). Néanmoins, l’observation d’un jetage mucopurulent ne traduit pas toujours la présence d’un foyer infectieux. L’existence de répercussions sur l’état général, dont de la fièvre, oriente le diagnostic (figure 3) [3].

Jetage purulent

L’accumulation de neutrophiles et de cellules de l’inflammation (pus) rend le jetage blanchâtre à jaunâtre opaque, avec une consistance “crémeuse” [6]. Ce jetage purulent est souvent secondaire à une (sur-) infection bactérienne [2]. Lorsqu’il est unilatéral, il est indicateur d’une affection généralement localisée, associée ou non à un phénomène de nécrose (figure 4).

Jetage spumeux

L’observation de mousse au niveau des naseaux est caractéristique d’un œdème pulmonaire aigu et d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (photo 4 et figure 5). Le pronostic vital est souvent engagé. Une prise en charge d’urgence doit être envisagée.

Jetage alimentaire ou salivaire

Des particules alimentaires, de la salive ou de l’eau peuvent être émises par les naseaux. L’observation d’un tel jetage traduit l’existence d’une communication entre les cavités orale et nasales, ou peut être associée à une dysphagie ou à l’existence d’une obstruction (obstruction oesophagienne, affection des poches gutturales, abcès rétro-pharyngien obstruant l’entrée de l’oesophage, etc.) (figure 6) [2].

Jetage sanguinolent

Le jetage sanguinolent prend parfois une teinte rosée à rouge sombre, traduisant la présence de sang (photo 5). Le saignement peut être lié à une atteinte primaire des voies respiratoires hautes ou basses (nasaux, sinus, poches gutturales, larynx, poumons) ou bien être secondaire à une coagulopathie (figure 7). Cette dernière peut être supposée d’après l’anamnèse ou à l’observation de certains signes cliniques (pétéchies, autre hémorragie, etc.).

Examens complémentaires

Plusieurs examens complémentaires permettent d’établir le diagnostic.

Hématologie

La réalisation d’une numération et d’une formule sanguines et d’un dosage du fibrinogène participe au diagnostic d’un phénomène inflammatoire ou d’une perte sanguine [2].

Endoscopie

La réalisation d’un examen endoscopique permet la visualisation des cavités nasales, du pharynx, du larynx, des poches gutturales, de la trachée et de la première partie de l’arbre bronchique. Une masse, un corps étranger, ou l’origine des sécrétions ou d’un saignement peuvent ainsi être mis en évidence.

L’examen endoscopique peut être réalisé au repos, après ou pendant l’exercice (endoscopie embarquée ou sur tapis roulant) [2, 5]. Il est possible ensuite de le compléter par un lavage trachéo-bronchique et/ou bronchoalvéolaire ou par une biopsie.

Lavage broncho-alvéolaire

Réalisé sous guidage endoscopique ou non, le lavage bronchoalvéolaire permet d’obtenir une analyse cytologique du liquide alvéolaire. Le comptage cellulaire peut orienter le diagnostic vers une inflammation broncho-pulmonaire ou une hémorragie pulmonaire induite à l’exercice. La cytologie après coloration de Wright-Giemsa permet également la visualisation de bactéries. Particulièrement adapté aux phénomènes diffus, il révèle rarement des atteintes pulmonaires focales [3].

Lavages trachéobronchique et transtrachéal

Lors des lavages trachéobronchique et transtrachéal, des sécrétions trachéales sont prélevées en vue d’une analyse cytologique ou bactériologique. Les liquides trachéaux obtenus par voie transcutanée après une désinfection de la peau peuvent être le support d’une culture bactérienne sans contamination par la flore oropharyngée [2].

Examen radiographique

L’examen radiographique permet une exploration des régions rétropharyngée, des cornets nasaux, des sinus et du pharynx. Il est indiqué dans la recherche de ligne de niveau, de structure kystique, de lyse ou de prolifération osseuse, de déviation des structures osseuses ou encore de masse [2].

Des clichés radiographiques du thorax peuvent être réalisés afin d’identifier des anomalies de structures (bronchites) ou de densité pulmonaires, ou pour mettre en évidence des formations anormales (abcès, tumeurs nécrosantes, etc.) [3].

Examen échographique

L’examen échographique complète l’examen radiographique lors de suspicion d’effusion pleurale, de consolidation ou d’atélectasie pulmonaires, ou encore d’abcès, lorsque toutes ces lésions sont superficielles [2, 4].

Recherche d’agents infectieux

→ Des écouvillons naso-pharyngés peuvent être réalisés en vue d’une détection d’agents viraux (herpèsvirus, par exemple) par polymerase chain reaction (PCR), ou de bactéries (streptocoques) par culture ou PCR.

→ Différentes méthodes de sérologie permettent d’évaluer la réponse immunitaire à un agent viral (herpèsvirus, artérite virale) ou bactérien (Streptococcus sp.) spécifique.

Autres examens

La réalisation d’une thoracocentèse peut être proposée lors d’épanchement pleural ainsi qu’une sinusocentèse, en cas de matité à la percussion des sinus.

Celle-ci peut être une voie d’accès à un prélèvement histologique ou cytologique, ou encore être la voie d’entrée d’une sinuscopie [3].

  • 1. Couëtil LL, Cardwell JM, Gerberand V et coll. Inflammatory airway disease of horses-Revised consensus statement. J. Vet. Intern. Med. 2016;30:503-515.
  • 2. Dowling PM. Large animal internal medicine. 2nd ed. Mosby. 1996:2040p.
  • 3. Maurin E. Guide pratique de médecine equine. 2nd éd. Med’com, Paris. 2010:25-51.
  • 4. Reed S, Bayly W, Sellon D. Equine internal medicine. 3rd ed. Saunders, 2009:1488p.
  • 5. Rose RJ, Hodgson DR. Manual of equine practice. 2nd ed. Saunders. 2000:818p.
  • 6. Sellon DC, Long MT. Equine infectious diseases. 2nd ed. Saunders. 2007:653p.
  • 7. Traub-Dargatz J. Field examination of the equine patient with nasal discharge veterinary clinics: equine practice. 1997;13:561-588.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

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