Mise en pratique d’une vermifugation raisonnée en clientèle équine - Pratique Vétérinaire Equine n° 197 du 01/01/2018
Pratique Vétérinaire Equine n° 197 du 01/01/2018

PARASITOLOGIE

Cahier scientifique

Conduite à tenir

Auteur(s) : Philippe Camuset

Fonctions : Commission parasitologie SNGTV
24, rue Carnot
76190 Yvetot
philippe.camuset@wanadoo.fr

La prescription anthelminthique doit se fonder sur l’évaluation du risque parasitaire et sur les résultats des coproscopies. Deux exemples de suivi parasitologique dans de grands effectifs sont présentés.

Les principes d’épidémiologie parasitaire(1) doivent trouver leur prolongement dans la pratique quotidienne du vétérinaire traitant. Faute de quoi, en l’absence de nouvelles molécules anthelminthiques à venir sur le marché vétérinaire équin, l’extension de populations parasitaires résistantes d’ores et déjà présentes sur notre territoire conduira à de véritables catastrophes cliniques dans les élevages de moyenne et de grande taille. Les petits effectifs seront probablement épargnés dans un premier temps.

Il importe donc d’ajuster la prescription de vermifuges à une juste évaluation du risque parasitaire basée sur l’épidémiologie parasitaire et sur la réalisation régulière de coproscopies (encadrés 1 et 2 complémentaires sur http://www.lepointveterinaire.fr). Le dialogue avec les éleveurs et les propriétaires de chevaux, souvent inféodés dans des protocoles de traitements systématiques, doit être réalisé conjointement car leur conviction est une des clés de réussite d’une gestion raisonnée et durable du parasitisme équin. L’abord doit être différent selon la taille de l’effectif.

Particuliers ou effectifs de petite taille

Quand le sujet de la maîtrise du parasitisme équin au pâturage est abordé, la première question à se poser est la suivante : « Connaissons-nous le protocole de vermifugation antérieur du cheval concerné ? » (encadré 3).

Protocole de vermifugation inconnu

Si le protocole de vermifugation n’est pas connu, en raison de la possible accumulation de larves de petits strongles ou de la présence de grands strongles adultes ou au stade larvaire, de la moxidectine, dont le spectre est le plus complet, doit être prescrite, éventuellement associée à du praziquantel en fin de saison d’herbe (pour lutter contre les anoplocéphales).

L’attitude doit être la même lors de l’incorporation d’un nouvel individu dans un cheptel où ne figurent pas encore de populations de parasites résistants. Prévenir leur introduction doit être une préoccupation constante. Idéalement, le praticien devrait effectuer une coproscopie avant d’initier le traitement et 3 semaines plus tard (délai conseillé après l’utilisation de macrolides antiparasitaires) [4].

Protocole de vermifugation connu

Si le protocole de vermifugation antérieur est connu, il convient de savoir quand et avec quelle molécule le cheval a été vermifugé la dernière fois.

→ Si cela remonte à moins de 2 mois avec du fenbendazole en administration unique ou du pyrantel, à moins de 3 mois avec de l’ivermectine ou à moins de 4 mois avec de la moxidectine, il est trop tôt pour renouveler le traitement anthelminthique et il convient d’attendre que les délais requis soient écoulés pour statuer. Aucune délivrance n’est effectuée.

→ Au-delà de ces délais :

- en hiver (de décembre à mars), un traitement associant de l’ivermectine et du praziquantel (lors de vermifugation dans les 4 mois précédents) ou de la moxidectine et du praziquantel (dans le cas contraire) est prescrit ;

- en cours de saison d’herbe, une analyse coproscopique est proposée.

→ Face à un refus catégorique ou à une incompréhension du client vis-à-vis de l’examen coproscopique, afin de ne rompre ni le dialogue ni le contact, un traitement à base de pyrantel ou de fenbendazole est prescrit, qui ne sera pas renouvelé.

→ Si le client opte pour une analyse coproscopique, un mode opératoire est fourni :

- à défaut d’un prélèvement de crottins directement dans le rectum par un vétérinaire, leur récolte immédiatement après leur émission sur le sol est conseillée. Il convient d’utiliser un gant d’exploration, ou un équivalent, dont l’air est évacué, de le réfrigérer dès que possible et de l’apporter ensuite au cabinet le plus rapidement possible, dans un délai de 3 jours ;

- si le résultat est supérieur à 200 œufs de strongles par gramme de fèces (opg), une vermifugation est conseillée selon la conduite du pâturage (plutôt des macrolides en pâturage continu et du pyrantel ou du fenbendazole lors de rotations de parcelles) ;

- si le résultat se situe entre 50 et 200 opg, aucun traitement n’est prescrit et une nouvelle coproscopie 2 mois plus tard est recommandée ;

- si le résultat est très faible (0 ou moins de 50 opg), aucun traitement n’est instauré et une nouvelle coproscopie 4 mois plus tard est conseillée.

→ Des cas particuliers éludent cette démarche : il s’agit des juments poulinières et des individus plus fragiles (poulains et chevaux âgés ou en état insuffisant) (photo 1).

Juments poulinières

Il peut être utile de vermifuger les juments poulinières 1 semaine avant la mise bas (avec de l’ivermectine ou de la moxidectine préférentiellement), mais seulement lorsque le développement d’une strongyloïdose est redouté, afin de réduire le risque de sélection de Parascaris résistants à cette famille.

Poulains sous la mère

Les poulains sous la mère sont à vermifuger tous les 2 à 3 mois avec du fenbendazole ou du pyrantel (uniquement actifs sur les stades luminaux) jusqu’à 6 mois. À cet âge, une coproscopie doit être réalisée pour déterminer la nature des parasites présents et les molécules à employer (benzimidazoles ou pyrantel pour Parascaris avec des excrétions inférieures à 1 000 opg, fenbendazole sur 5 jours ou moxidectine pour des excrétions supérieures à 1 000 opg ; macrolides pour les petits strongles ou les infestations mixtes petits strongles-Parascaris). L’administration de moxidectine (au-delà de l’âge de 4 mois) doit être réservée aux fortes infestations ascaridiennes de façon à garder cette molécule active dans les effectifs où la résistance n’est pas encore installée [1].

Poulains de 1 à 2 ans et chevaux âgés

Les poulains entre 1 et 2 ans, ainsi que les chevaux âgés, fragiles ou dont l’état est insuffisant doivent être vermifugés tous les 3 mois (avec de l’ivermectine) à 4 mois (avec de la moxidectine).

Grands effectifs

Les mêmes principes que ceux précédemment cités pour les particuliers ou les petits effectifs s’appliquent dans des écuries de grande taille. Une approche plus approfondie de type audit parasitologique peut alors être utile pour déterminer les meilleures stratégies, qu’elles soient médicales, sanitaires ou éventuellement agronomiques (encadrés 4 et 5) [2].

L’audit doit aborder successivement :

- les parasites présents dans l’élevage et les populations résistantes éventuelles ;

- le contexte et les activités de l’élevage, ses exigences, l’impact potentiel du parasitisme dans ce troupeau, et, en particulier, l’importance des achats ou des chevaux en pension ou en transit ;

- la répartition des chevaux selon l’âge et la fonction : juments et poulains, yearlings et jeunes animaux de 2 ans, étalons, individus entre 3 et 15 ans, chevaux âgés, en transit, éventuellement ânes et bovins ;

- les moyens médicaux utilisés ;

- un examen approfondi de la conduite du pâturage et du mode de logement ;

- une détermination du risque parasitaire selon les lots et les classes d’âge, et ce en fonction des parasites et des lieux de vie : Strongyloides et Parascaris pour les poulains ; petits strongles, anoplocéphales, gastérophiles ; oxyures en box ;

- une prescription de mesures médicales, sanitaires et agronomiques par classes d’âge. Celle-ci doit être détaillée génération par génération, voire lot par lot selon les catégories citées.

Il semble essentiel de mettre en place une approche mixte par traitements ciblés et stratégiques, la démarche par traitements uniquement ciblés étant possible, mais plus lourde sur le plan logistique. Celle-ci est a minima et systématiquement appliquée aux chevaux qui vivent en paddocks individuels (photo 2). D’un point de vue méthodologique, une fois cette approche mise en place, incluant donc la réalisation de coproscopies en nombre plus ou moins important, la faisabilité de la méthode et, surtout, son adéquation avec les disponibilités et l’acceptabilité de l’éleveur sont évaluées. Si nécessaire, ou selon la taille de l’effectif, une approche alternative est proposée [3]. Elle consiste à effectuer des coproscopies de mélange par groupes d’équidés bénéficiant de la même conduite de pâturage. Si le mélange révèle moins de 250 opg, aucun traitement n’est effectué, au-dessus de 1 000 opg, tous les chevaux sont traités et, entre 250 et 1 000 opg, des coproscopies individuelles sont réalisées pour le groupe concerné. Au besoin, et s’il existe des rotations de parcelles, l’approche peut être affinée par une analyse épidémiologique visant à estimer le risque parasitaire, tout en utilisant les coproscopies comme des points de contrôle du bien-fondé des mesures préconisées.

Conclusion et résultats attendus

En ce qui concerne la prescription antiparasitaire, les questions à se poser au préalable sont multiples. Les réponses successives à l’ensemble de ces interrogations doivent permettre de choisir la bonne stratégie. Celle-ci doit combiner les traitements ciblés et stratégiques et les coproscopies, après une évaluation épidémiologique du risque parasitaire. Elle doit être la synthèse entre la préservation de la santé et du bien-être des chevaux et les préoccupations de l’éleveur, et remettre le vétérinaire traitant au centre de la gestion des infestations parasitaires chez les équidés. L’échec des mesures mises en œuvre doit systématiquement conduire à la suspicion d’une résistance à la famille d’antiparasitaires employée. Un premier pas dans l’objectivation de celle-ci est le recours à des coproscopies avant vermifugation et 2 à 3 semaines après.

  • (1) Voir l’article “La vermifugation des équidés : principes de base pour une gestion raisonnée” du même auteur, dans ce numéro.

  • 1. Betsch JM, Geurden TH, Vanimisetti B et coll. Détermination de l’efficacité des anthelminthiques contre les cyathostomes et Parascaris equorum chez les chevaux en France. Recueil des conférences des Journées nationales des GTV, Nantes. 2012:611p.
  • 2. Camuset P. L’audit d’élevage en effectif équin. L’approche parasitologique. Recueil des conférences des Journées nationales des GTV, Nantes. 2011:531-534.
  • 3. Deberge E. La vermifugation sélective chez les équidés. Thèse de doctorat vétérinaire. Faculté de médecine de Créteil. 2013:111p.
  • 4. Nielsen MK, Mittel L, Grice A et coll. AAEP parasite control guidelines. http://www.aaep.org/info/parasitecontrol-guidelines revised 2013.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ 3 : PROTOCOLES A MINIMA DANS LES PETITS EFFECTIFS

→ Traitement de printemps, à la mise à l’herbe éventuelle ou début avril : moxidectine ou en fonction des résultats d’une coproscopie.

→ Traitement d’hiver, après les premières gelées :

- ivermectine + praziquantel si un ou des vermifuges ont été administrés à l’herbe ;

- moxidectine + praziquantel si aucun vermifuge n’a été utilisé dans l’année.

ÉLÉMENTS À RETENIR

→ Les coproscopies doivent être systématiquement proposées aux propriétaires de petits effectifs de chevaux.

→ Pour les grands effectifs, une démarche différente, allégée, fondée sur l’épidémiologie et les coproscopies de mélange peut être proposée.

→ La vermifugation doit systématiquement être justifiée par un risque parasitaire évalué. Cela est recommandé notamment chez les poulains pour lesquels une “survermifugation” est souvent réalisée.

ENCADRÉ 4 : SUIVI PARASITOLOGIQUE AU HARAS DU HOGUENET

→ Le haras du Hoguenet, dans le Calvados, compte 250 chevaux pursang et environ 70 poulinages par an. La motivation de l’audit qui s’est déroulé en janvier 2014 était la prévention de l’apparition de résistances en ne transigeant aucunement sur la santé des animaux.

→ L’ensemble des chevaux jeunes ou adultes étaient vermifugés quatre fois par an sans réalisation de coproscopies, à l’exception des poulains qui étaient traités chaque mois jusqu’à l’âge de 6 mois, puis tous les 3 mois. Quatre-vingts pourcent des traitements étaient effectués avec des lactones macrocycliques (ivermectine ou moxidectine).

→ Le nombre de vermifugations des poulains a été divisé par deux sans conséquences cliniques ou zootechniques, et, concernant les juments, grâce au recours systématique aux coproscopies, la plupart ne sont plus vermifugées qu’une fois par an. La moxidectine, qui semblait au début présenter une baisse d’efficacité, a retrouvé pleinement son activité.

ENCADRÉ 5 : SUIVI PARASITOLOGIQUE À L’ÉLEVAGE MASSA

→ L’élevage Massa, de chevaux lusitaniens de très haut niveau, était suivi depuis seulement 3 mois au moment de la rédaction de cet article. Il comprend 235 chevaux de sport, dont 70 juments ou maidens. Il est situé en plaine de Crau et les conditions d’élevage y sont particulières, avec une gestion de la pousse d’herbe spécifique de cette région.

→ Avant cette intervention, les poulains étaient vermifugés tous les mois et les autres chevaux (au box y compris) trois ou quatre fois par an. Malgré cette intensification des traitements, les poulains au sevrage présentaient une charge parasitaire élevée en petits strongles, accompagnée parfois de signes cliniques graves.

→ Avec le soutien d’un laboratoire pharmaceutique, nous avons multiplié les coproscopies et mis en évidence très probablement une résistance des petits strongles aux benzimidazoles. Très peu de juments sont excrétrices, ne nécessitant donc pas de vermifugation en cours de pâturage. Les poulains n’ont été vermifugés qu’à l’âge de 3 mois et, vu la résistance suspectée, ils recevront un traitement de moxidectine avant le sevrage. Quant aux poulains en croissance, pour diminuer le nombre de traitements anthelminthiques, un ramassage des crottins dans les parcs secs (zones de transition) a été décidé. Les chevaux au box ont tous présenté des excrétions quasi nulles ne justifiant pas le renouvellement des traitements antiparasitaires.

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