Souffles et arythmies cardiaques du poulain - Pratique Vétérinaire Equine n° 196 du 01/10/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 196 du 01/10/2017

Cardiologie

Dossier

Souffles et arythmies cardiaques chez le cheval

Auteur(s) : Fe ter Woort

Fonctions : Equine Sports Medicine
Practice
Avenue Beau Séjour 83
1410 Waterloo
Belgique

Chez les jeunes poulains, des affections congénitales peuvent être détectées. Une auscultation attentive du cœur et une échocardiographie permettent d’établir le diagnostic et définir le pronostic.

Les souffles cardiaques sont très fréquents chez les poulains. Si une grande partie d’entre eux sont physiologiques, c’est aussi la tranche d’âge où la majorité des affections congénitales est observée, certaines pouvant être graves. Comment faire la différence entre un souffle bénin et un souffle susceptible de mettre en jeu le pronostic vital ou sportif du poulain ?

Adaptation à la vie néonatale

La transition de la vie foetale à la vie extra-utérine provoque des modifications importantes de la circulation sanguine chez le poulain nouveau-né. Afin de comprendre l’origine des souffles et leur moment d’apparition, une bonne compréhension de ce phénomène est primordiale. En effet, la circulation du foetus est adaptée pour faire circuler du sang oxygéné du placenta vers les autres organes, en court-circuitant les poumons non insufflés (figure). La veine cave achemine le sang oxygéné du placenta vers l’oreillette droite où une partie passe dans le cœur gauche via une communication entre les deux oreillettes appelée foramen ovale. Cette fraction de sang passe donc de l’oreillette droite vers l’oreillette gauche, puis dans le ventricule gauche, et est ensuite éjectée vers la circulation systémique via l’aorte. Le reste du sang dans l’oreillette droite suit le cours normal, passe dans le ventricule droit et est ensuite éjecté dans l’artère pulmonaire, où il doit court-circuiter les poumons non insufflés, en circulant dans le canal artériel pour arriver directement dans l’aorte et ainsi pourvoir le corps en oxygène.

Lors de la naissance et de la première inspiration, les poumons se gonflent d’air, ce qui diminue considérablement la résistance vasculaire pulmonaire. Le canal artériel se ferme progressivement, en réponse à une augmentation de la pression partielle en oxygène du sang artériel. Le passage du sang dans le canal artériel étroit crée un souffle en “bruit de machine” à la base du cœur à gauche, qui doit disparaître durant les premiers jours de vie. Le foramen ovale, entre les deux oreillettes, se ferme fonctionnellement à la suite de l’augmentation de la pression dans l’oreillette gauche, puis de façon définitive en réponse à la réduction des prostaglandines circulantes, dans les premières semaines de vie [2].

Évaluation clinique du système cardiaque chez le poulain

Chez de nombreux poulains, un souffle continu à la base du cœur à gauche est audible immédiatement après la naissance et devrait disparaître dans les 3 premiers jours de vie (fermeture du canal artériel). Des souffles physiologiques liés à l’éjection ventriculaire sont présents chez les poulains comme chez les adultes et sont typiquement des souffles systoliques au niveau de la base du cœur à gauche (encadré 1). Un caractère pathologique doit être suspecté lorsque le souffle est fort (≥ grade 3/6) et surtout associé à des signes cliniques (encadré 2). Dans une revue des maladies cardiaques congénitales chez 18 poulains, les symptômes les plus fréquents étaient un souffle supérieur ou égal à 3/6, une tachycardie, une tachypnée et des muqueuses cyanosées [1].

Maladies cardiaques congénitales

Les maladies cardiaques congénitales sont peu fréquentes chez le cheval, avec une prévalence rapportée entre 0,7 et 0,8 %. Dans l’étude de Hall et coll., les anomalies les plus fréquentes étaient la communication interventriculaire (CIV), la tétralogie de Fallot (TDF) et l’atrésie tricuspide [1].

Communication interventriculaire

La CIV est la maladie cardiaque congénitale la plus fréquente chez le cheval [1].

Souffle

Le souffle classique d’une CIV est pansystolique (couvrant B1 et B2), rauque en forme de plateau à droite et associé à un souffle systolique crescendo-decrescendo au niveau de la valve pulmonaire à gauche (sténose pulmonaire relative).

Signes cliniques

La plupart des poulains avec une CIV simple sont asymptomatiques. Si cette communication est importante, les animaux peuvent présenter une insuffisance cardiaque congestive. La CIV peut aussi faire partie d’une anomalie cardiaque plus complexe, auquel cas les symptômes cardiaques sont plus fréquents.

Échocardiographie

L’échocardiographie permet de déterminer la taille de la CIV, la vitesse du shunt, la présence d’autres régurgitations sévères (aortique ou pulmonaire) et d’autres anomalies congénitales éventuelles (tétralogie de Fallot, atrésie tricuspide, etc.). Tous ces éléments, quand ils sont présents, affectent négativement les pronostics vital et sportif.

La localisation classique de la CIV est la partie membraneuse du septum, juste en dessous de la valve aortique. L’évaluation Doppler couleur identifie un shunt de gauche à droite, le ventricule gauche présentant normalement une pression plus grande que le ventricule droit (photos 1a à 1c).

Pronostic

Les pronostics vital et sportif sont bons si :

- c’est une simple CIV (en l’absence d’une autre affection congénitale) ;

- la CIV est petite (< 2,5 cm) ;

- le rapport entre la taille de la CIV et le diamètre de l’aorte est inférieur à 0,31 ;

- la vitesse du shunt est élevée (> 4 m/s) ;

- aucune régurgitation valvulaire significative n’est associée [5, 6].

La carrière sportive de ces chevaux peut être normale dans des sports dont l’intensité est faible à moyenne (dressage, obstacle). Certains d’entre eux obtiennent aussi de bonnes performances dans les courses et le complet, mais la plupart ne sont pas performants dans un sport à haute intensité [5]. Les pronostics vital et sportif sont réservés si :

- d’autres anomalies congénitales sont présentes ;

- la CIV est de grande taille et le shunt de faible vitesse ;

- une régurgitation aortique significative est observée.

Tétralogie de Fallot

Souffle

Le souffle classique associé à la TDF est un souffle systolique de forte intensité, audible à gauche au niveau de la valve pulmonaire.

Signes cliniques

Il est possible d’observer un retard de croissance, une cyanose, une tachycardie et une intolérance à l’effort.

Échocardiographie

La TDF comporte une large CIV, une sténose pulmonaire, une dextroposition de l’aorte qui est à cheval sur le septum interventriculaire et une hypertrophie du ventricule droit. Une pentalogie de Fallot, qui est une tétralogie avec une communication interauriculaire, est aussi présente.

L’évaluation par le Doppler couleur identifie un shunt de droite à gauche. En effet, la pression dans le ventricule droit est augmentée par la sténose pulmonaire et dépasse celle du ventricule gauche.

Pronostic

Le pronostic vital est engagé, même si, dans de rares cas, les chevaux peuvent vivre plusieurs années [2].

Dysplasie et atrésie valvulaires

Souffle

La dysplasie consiste en une malformation de la valve, qui résulte le plus souvent en une insuffisance valvulaire, avec un souffle classique associé.

Par exemple, la dysplasie tricuspide donne lieu à un souffle systolique à droite, mais il existe aussi des dysplasies mitrale, pulmonaire ou aortique, seules ou associées à d’autres maladies congénitales. Dans de rares cas, la dysplasie peut donner lieu à une sténose de la valve. Par exemple, lors d’une sténose pulmonaire ou aortique, le souffle est systolique [4].

L’atrésie consiste en l’absence de la valve (absence de communication), les atrésies tricuspide et pulmonaire étant les plus fréquentes [1, 2]. Les poulains présentent des souffles forts des deux côtés du thorax pour l’atrésie pulmonaire ou à droite pour l’atrésie tricuspide. De forts souffles peuvent aussi être entendus à l’auscultation à gauche en raison d’autres maladies congénitales associées, comme une CIV.

Signes cliniques

Selon la gravité de la dysplasie et la présence éventuelle d’autres affections congénitales, un défaut de croissance, un œdème pulmonaire, une cyanose, une tachycardie et une intolérance à l’effort peuvent être observés. Les poulains atteints d’atrésie sont généralement symptomatiques.

Pronostic

Le pronostic vital est engagé lors d’atrésie. Pour les dysplasies, il dépend du degré de modification des valves et des anomalies cardiaques associées [2].

Persistance du canal artériel

Souffle

Le canal artériel ne se ferme pas immédiatement après la naissance et un souffle continu en machinerie peut être audible à gauche à la base du cœur chez des poulains normaux pendant les premiers jours de vie. Une persistance du canal artériel (PCA) est rare, mais peut survenir avec d’autres maladies congénitales. Parfois, le souffle est uniquement systolique, en raison de l’absence de flux pendant la diastole, à la suite de l’hypertension pulmonaire.

Signes cliniques

Une simple PCA n’entraîne généralement pas de symptômes dans les premiers mois de vie, mais, si la communication entre l’aorte et l’artère pulmonaire est de grande taille, des signes d’insuffisance cardiaque gauche peuvent apparaître.

Échocardiographie

Chez de jeunes poulains, le canal artériel est accessible à l’échographie, et le Doppler couleur permet d’identifier le flux de sang de l’aorte vers l’artère pulmonaire. Chez des chevaux adultes, le canal artériel n’est pas visible en raison des limitations techniques. Dans de tels cas, une PCA est suspectée en présence d’une dilatation du cœur gauche et d’un flux turbulent (Doppler) dans l’artère pulmonaire.

Pronostic

Lorsque la PCA est associée à d’autres affections congénitales, le pronostic est mauvais. Un risque de rupture de l’artère pulmonaire et de mort subite est présent. Quelques animaux présentant une PCA restreinte et simple ont survécu jusqu’à l’âge adulte [2].

Arythmies

De nombreuses arythmies ont été décrites chez le poulain dans les 15 premières minutes de vie, incluant des complexes prématurés atriaux ou ventriculaires, des blocs atrioventriculaires du second degré, de la fibrillation atriale et même des tachycardies ventriculaires [8]. Chez un poulain normal, ces arythmies disparaissent rapidement. Les fibrillations atriales et les tachycardies ventriculaires sont rares chez le poulain [3]. Un électrocardiogramme est indiqué pour établir le diagnostic et la marche à suivre est la même que pour un cheval adulte.

À la suite d’une dystocie, le poulain peut développer une bradycardie susceptible de dégénérer en asystolie. Le traitement d’urgence consiste en l’administration d’épinéphrine (0,005 à 0,01 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) ou d’atropine (0,005 à 0,01 mg/kg IV), et l’animal doit être référé en urgence pour une prise en charge en soins intensifs.

Autres affections cardiaques

Le poulain peut être sujet à des affections cardiaques infectieuses, comme des péricardites ou des endocardites, ou traumatiques, à la suite de fractures costales.

Les maladies infectieuses peuvent être secondaires à une septicémie, bien que le cœur soit atteint moins fréquemment que l’ombilic, les articulations ou encore les systèmes pulmonaire ou digestif. Le pronostic est réservé [3].

Les fractures de côtes peuvent survenir lors de la naissance (souvent en cas de dystocie) et rester sans conséquences cliniques. Les côtes se fracturent le plus souvent à la jonction chondrocostale ou à proximité de celle-ci. Si la fracture est déplacée médialement, elle peut générer des contusions pulmonaires, un hémothorax, un pneumothorax, des hernies diaphragmatiques ou une atteinte du péricarde ou du myocarde [7]. Si ce dernier subit des lacérations, le pronostic est très mauvais [7].

L’examen échographique est le moyen le plus sensible pour détecter les fractures et permet d’évaluer en même temps les conséquences sur les tissus mous avoisinants. En l’absence d’atteinte cardiaque, un traitement médical conservateur est le plus souvent suffisant. En revanche, une stabilisation des côtes est indiquée lors d’atteinte cardiaque [3].

Conclusion

Chez les jeunes poulains, il convient de réaliser une auscultation attentive et éventuellement une échocardiographie pour différencier les souffles physiologiques des souffles pathologiques. En effet, ces derniers sont souvent dus à des maladies congénitales rares qui peuvent engager des pronostics vital et/ou sportif sombres.

  • 1. Hall TL, Magdesian KG, Kittleson MD. Congenital cardiac defects in neonatal foals: 18 cases (1992-2007). J. Vet. Intern. Med. 2010;24:206-212.
  • 2. Marr CM. Cardiac murmurs: congenital heart disease. In: Equine cardiology. Elsevier. 2010:193-205.
  • 3. Marr CM. The equine neonatal cardiovascular system in health and disease. Vet. Clin. N. Am. Equine Pract. 2015;31:545-565.
  • 4. McGurring MK, Physick-Sheard PW, Southorn E. Parachute lest atrioventricular valve causing stenosis and regurgitation in a Thoroughbred foal. J. Vet. Intern. Med. 2003;17:579-582.
  • 5. Reef VB. Evaluation of ventricular septal defects in horses using two-dimensional and Doppler echocardiography. Equine Vet. J. Suppl. 1995;19:86-95.
  • 6. Reef VB, Bonagura J, Buhl R et coll. Recommendations for management of equine athletes with cardiovascular abnormalities. J. Vet. Intern. Med. 2014;28:749-761.
  • 7. Sprayberry KA, Bain FT, Seahorn TL et coll. 56 cases of rib fractures in neonatal foals hospitalized in a referral center intensive care unit from 1997-2001. AAEP Proceedings. 2004;43:395-399.
  • 8. Yamamoto K, Yasuda J, Too K. Arrhythmias in newborn thoroughbred foals. Equine Vet. J. 1992;23:169-173.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ 1 : SOUFFLES PHYSIOLOGIQUES CHEZ LE POULAIN

Deux types de souffles physiologiques peuvent être entendus à l’auscultation chez le poulain :

→ un souffle continu en machinerie à gauche, correspondant au passage de sang dans le canal artériel. Il doit disparaître dans les 3 à 4 jours suivant la naissance ;

→ les souffles systoliques physiologiques :

→ liés au flux de sang dans le foramen ovale (disparition dans 2 à 3 semaines après la naissance) ;

- d’éjection, comme chez les chevaux adultes.

ENCADRÉ 2 : SUSPICION D’AFFECTION CARDIAQUE CHEZ LE POULAIN

Une maladie cardiaque doit être suspectée chez :

- un poulain asymptomatique qui présente un souffle fort (> grade 3) irradiant au-delà de la zone d’auscultation du cœur et/ou associé à un thrill ;

- un poulain symptomatique qui présente un abattement, une tachycardie persistante, une tachypnée, des muqueuses cyanosées, un œdème, une faiblesse générale ou un collapsus, une prise de poids ou une croissance inadéquate, un pouls jugulaire rétrograde, une distension des veines jugulaires, une ascite ou une effusion pleurale.

Dans de tels cas, une échocardiographie est recommandée. Les maladies congénitales les plus fréquentes sont la communication interventriculaire, la tétralogie de Fallot et l’atrésie de la valve tricuspide.

Éléments à retenir

→ Les souffles cardiaques sont fréquents chez les poulains et bon nombre sont physiologiques.

→ Dans la plupart des cas, une auscultation attentive permet de les distinguer d’un souffle pathologique dû à une maladie cardiaque congénitale.

→ En cas de doute, une échocardiographie permet de confirmer le diagnostic et de poser les pronostics vital et sportif du poulain.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN