Comment optimiser le matériel disponible sur le terrain - Pratique Vétérinaire Equine n° 195 du 01/07/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 195 du 01/07/2017

STRATÉGIES DE SOINS

Cahier pratique

Fiche pratique

Auteur(s) : Gigi Kay

Fonctions : Fondouk américain
1, route De Taza,
Fès 30000,
Maroc

Nous avons travaillé dans des hôpitaux d’équidés de travail pendant plus de 18 ans dans de nombreux pays, dont l’Égypte, le Maroc, le Mali, le Qatar et le Burkina Faso.

Même si les affections diffèrent légèrement d’une région à l’autre, les principales frustrations liées aux moyens, au financement et à l’isolement géographique sont partout les mêmes. Apprendre à faire au mieux dans l’instant et selon le contexte, avec le matériel à disposition, est important non seulement pour le résultat clinique, mais aussi pour notre moral et le goût du travail bien fait. Grâce aux techniques de “pensée latérale” et avec un peu de courage, des résultats satisfaisants peuvent être obtenus, même en l’absence des moyens thérapeutiques qui constitueraient la prise en charge adéquate.

Dans cet article, quelques stratégies utilisées afin de réduire les coûts (les hôpitaux de charité manquent généralement de financement) ou pour se sortir d’une situation sans l’essentiel sont décrites. Certaines d’entre elles sont applicables dans les cliniques ambulatoires d’Europe en présence de contraintes économiques. D’autres sont une illustration de ce qui peut être pratiqué lorsqu’aucune autre option n’est envisageable.

Connaissances spécialisées

La ressource la plus importante, et souvent insuffisante dans des endroits isolés, est la présence de spécialistes équins. Il n’existe pas de chirurgiens spécialisés ou de centres de référence capables d’apporter des soins à un âne en colique à Tombouctou, par exemple. Ou encore, il est difficile d’obtenir une analyse histopathologique ou une culture bactériologique à Louxor. Lorsqu’un clinicien atteint les limites de son expérience, de son évaluation ou de son équipement, il peut se sentir un peu seul.

Pour faire face à cette situation, notre clinique, le Fondouk américain à Fès, au Maroc, fait appel largement à la télémédecine et à un réseau de spécialistes qui nous soutiennent. Le Fondouk américain prend l’avis, presque chaque semaine, de confrères spécialistes en Europe et aux États-Unis. Par la télémédecine, nous sommes en mesure d’impliquer les experts en temps réel dans le diagnostic et la gestion de nos cas les plus difficiles. Grâce à ce type de réseau de soutien, il nous est possible d’assurer le meilleur travail envisageable dans les conditions qui sont les nôtres. La création de bonnes relations avec des spécialistes est une stratégie clé pour les cliniciens travaillant seuls sur le terrain.

Fluidothérapie

Un des facteurs qui limitent la qualité de nos soins est le coût. Dans une certaine mesure, c’est aussi vrai à Paris qu’au Burkina Faso. Cependant, dans les pays en voie de développement, un coût approprié et une intervention médicale adaptée sont des questions qui doivent être considérées pour chaque cas.

Un des principaux coûts de la médecine équine concerne la gestion de la fluidothérapie chez des chevaux hypovolémiques ou déshydratés. Il n’est pas rare que la prise en charge d’équidés atteints d’entérite ou de colique exige des volumes massifs de solutions réhydratantes (60 l/j ou plus et pendant plusieurs jours). Les coûts des fluides stériles à administration intraveineuse au Maroc sont d’environ 3 €/l. L’approvisionnement de tels volumes à ces prix serait prohibitif pour une clinique de charité et, même en Europe, les cliniciens sont souvent confrontés à des propriétaires qui ne peuvent pas se permettre de tels tarifs. Pour cette raison, nous fabriquons nos propres fluides grâce à un système de distillation et de filtration sur charbon actif.

Récemment, notre distillateur étant devenu obsolète, nous avons recouru à l’eau du robinet avec du chlorure de sodium (NaCl) supplémentaire. Des échantillons de cette eau sont envoyés régulièrement pour culture bactériologique afin d’assurer la sécurité du système de fluidothérapie employé.

Nous utilisons cette méthode depuis plus de 2 ans, et un grand nombre de chevaux hypovolémiques ou déshydratés en ont bénéficié. Nous avons observé une augmentation significative du risque de thrombophlébite (souvent après 48 heures d’administration de fluides), mais, à notre connaissance, aucun animal n’est mort, ni n’a présenté de réactions inexpliquées à la suite de ce traitement.

Ces solutions sont décantées dans des sacs spécifiques Hyclone de 30 l qui sont réutilisés plusieurs fois. L’équipement est simple et relativement peu coûteux à se procurer, et fournit des fluides “propres”, mais non stériles, de NaCl à 0,9 %.

Les perfuseurs pour grands animaux coûtent environ 25 € pièce. Pour compenser ces coûts importants, notre protocole prévoit de les réutiliser. Ils sont rincés à l’aide d’une solution saline stérile, et les connecteurs protégés dans des gants stériles et stockés dans le congélateur.

Ce système n’est pas dépourvu de risques, mais, hormis les thrombophlébites, aucune autre complication n’a été observée. Cette méthode peut représenter une option pour les cliniciens lorsque les budgets des propriétaires sont serrés et que les équidés nécessitent une fluidothérapie de gros volumes sur une courte période.

D’autres éléments, simples et rapides à mettre en œuvre, sont à retenir lors du traitement d’animaux déshydratés ou malades :

– du sang doit être prélevé et placé dans un tube EDTA pour évaluer le risque d’hyperlipémie chez les ânes ou les poneys ;

– il est pratique de disposer d’un réfractomètre dans sa voiture. Cet instrument peu coûteux donne des informations utiles sur l’état de déshydratation des chevaux ;

– il convient de garder une corde et un mousqueton à disposition afin de pouvoir suspendre les sacs de fluides quelles que soient les conditions de terrain (écuries ou enclos).

Systèmes de lavage sous-palpébral

Les systèmes de lavage sous-palpébral sont indisponibles dans la plupart des pays en voie de développement. Cependant, il est possible de les remplacer de manière satisfaisante et à bon prix en faisant fondre l’extrémité d’un tube fin en silicone et en perçant la plate-forme créée avec une aiguille de 18 G. La mise en place d’un tel dispositif requiert le passage d’une aiguille de 14 G à travers la paupière de l’extérieur vers l’intérieur. Une forte sédation et la réalisation de blocs nerveux atténuent le risque de blessure à la cornée, mais cette méthode n’est pas aussi sûre qu’un système prêt à l’emploi.

La césarienne debout

La croissance du fœtus équin dépend de la taille de la jument, le surdimensionnement fœtal étant inhabituel chez les chevaux malgré la possibilité que l’étalon soit beaucoup plus grand que la jument [2]. La même chose ne semble pas se vérifier pour les ânesses qui portent des poulains bardot, chez lesquels l’incidence de la dystocie, souvent due au surdimensionnement fœtal, est significative. La plupart de ces cas de dystocie dans les pays en voie de développement sont présentés tardivement en clinique, jusqu’à 24 à 72 heures après le début du travail. De nombreuses dystocies nécessiteraient une césarienne, mais l’état d’endotoxémie et de choc des animaux en fait de mauvais candidats pour une anesthésie générale. Au cours d’une période de 2 ans au Maroc, plus de 50 % des ânesses qui ont subi une césarienne sous anesthésie générale dans notre clinique sont mortes en phase péri-opératoire ou postopératoire. Afin d’augmenter ce taux de survie, nous avons évalué l’efficacité de la réalisation d’une intervention chirurgicale chez l’animal debout via une approche du flanc latéral gauche sous anesthésie locale et sédation si nécessaire (photos 1 et 2).

Une amélioration significative du taux de survie, comparativement aux actes pratiqués chez les animaux couchés, a été observée et la césarienne debout par le flanc gauche est devenue la procédure de choix dans de tels cas. De plus, cette approche est moins chère pour la clinique, ce qui constitue un avantage supplémentaire.

Lorsque le poulain est mort, une fœtotomie pourrait être une option. Cependant, le manque d’équipements rend cet acte inapplicable et la petite taille de l’appareil reproducteur de l’ânesse entraîne des difficultés additionnelles.

Il est probable qu’une procédure de césarienne debout puisse être envisagée au moins chez les poneys qui présentent une dystocie, lorsque l’intervention sous anesthésie générale est contre-indiquée ou non réalisable.

Lacérations du tendon

Lors d’une lacération tendineuse et en l’absence d’une attelle de Kimsey, une planche peut être fixée au sabot, avec un fil passé dans un trou créé dans la pince, et incorporée dans un bandage de Robert-Jones qui maintient le boulet en flexion complète. Cette méthode peut être employée non seulement pour réaliser un support d’urgence, mais aussi dans la gestion à long terme des lacérations des tendons, lorsque le plâtre est contre-indiqué.

Tétanos et harnais de soutien

Le taux de mortalité dans notre population d’équidés atteints de tétanos est de 30 à 40 %. Cela dépend largement de leur état lors de la première consultation et ne semble lié ni à l’âge, ni à l’espèce. Une fois que l’animal ne peut plus se nourrir, ses chances de guérison diminuent rapidement. Le traitement repose principalement sur une antibiothérapie à base de métronidazole ou de pénicilline G (l’organisme étant sensible aux deux molécules) et sur l’utilisation de diazépam et d’acépromazine afin d’obtenir une relaxation musculaire. Une étude menée sur une cinquantaine de cas n’a pas montré d’effet positif notable de l’emploi de sérum antitétanique [1].

Notre clinique reçoit un nombre important de cas de tétanos, lesquels sont souvent gérés en plus par la fixation d’un harnais du commerce (photo 3). Cette méthode est utilisée chez les mulets ou les ânes qui ont des difficultés, voire une impossibilité, à se tenir debout. En l’absence d’un harnais du commerce, des sacs vides à grains et des cordes peuvent faire l’affaire, ces dernières éventuellement attachées à des arbres (photo 4).

Les équidés de petite taille peuvent également être soutenus par des ballots de foin sous l’abdomen. La coopération du propriétaire et de l’animal est une condition préalable essentielle car ces outils ne sont pas acceptés systématiquement par les animaux et une surveillance attentive est nécessaire.

Ruptures idiopathiques de la paroi abdominale

Chez les équidés de travail dans le monde en voie de développement, la rupture de la paroi abdominale est une affection très fréquente dont l’origine est inconnue. Cette complication est très rare en Europe. La plupart des cas font l’objet d’une fermeture chirurgicale (herniorraphie). Lorsque la plaie est trop étendue pour une fermeture simple, l’implantation d’une prothèse est indiquée. L’emploi de moustiquaires, stérilisées dans une solution de Dakin, s’est révélé efficace. La prothèse ainsi obtenue est placée entre la peau et les plans musculaires de la paroi abdominale, grâce à une dissection soigneuse pour prévenir son entrée dans le sac herniaire, et provoque une réaction fibreuse importante qui permet de maîtriser de grandes hernies. Une réaction à corps étranger et une infection sont possibles, mais gérables par retrait partiel de la prothèse (photo 5 et tableau).

Selon notre expérience, les ruptures abdominales récentes répondent également au traitement conservatoire, par l’enveloppement serré de l’abdomen avec une bande adhésive.

Conclusion

Plus de 90 % des chevaux, des ânes et des mulets vivent dans le monde en voie de développement et dépendent du bien-être économique de leurs propriétaires. La fourniture de soins vétérinaires à cette vaste population d’animaux représente à la fois une responsabilité et un privilège, mais, bien que ce travail soit très gratifiant, il est dans bien des cas assez frustrant. Trouver et entretenir du matériel est très compliqué, et accéder aux médicaments, quand beaucoup ne sont tout simplement pas disponibles, exige de la débrouillardise et de la persévérance. Établir un diagnostic chez des animaux sans les outils adaptés peut être déprimant, autant que mettre en place un traitement en l’absence de médicaments et de matériel. D’où la nécessité pour les praticiens d’être inventifs. Les Britanniques disent que « la nécessité est la mère de l’invention », et il semble souvent que cette maxime soit particulièrement adaptée aux vétérinaires équins qui font de leur mieux pour les animaux malades en plein désert africain.

  • 1. Kay G, Knottenbelt D. Tetanus in Equids. A report on 56 cases. Equine Vet. Educ. 2007;19 (2):107-111.
  • 2. LeBlanc MM. Diseases affecting multiple sites. In: Equine medicine and surgery. 5th ed, vol. 2. Mosby Inc., St. Louis, Missouri. 1999:1148-1156.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

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