DENTISTERIE
Cahier scientifique
Article de synthèse
Auteur(s) : Knut Nottrott*, Tilman Simon**, Lieven Vlaminck***
Fonctions :
*VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon,
Département hippique, 69280 Marcy-l’Étoile
**Tierärztliche Gemeinschaftspraxis Dres.
Herold und Simon, Bürg 27, 83627 Warngau,
Allemagne
***Vakgroep Heelkunde en Anesthesie
van de Huisdieren, Faculteit diergeneeskunde,
Universiteit Gent, Salisburylaan 133,
B-9820 Merelbeke
Les arcades dentaires sont un ensemble harmonieux et fonctionnel. Plusieurs procédures endodontiques adaptées à la dentition du cheval permettent de préserver cet équilibre.
Afin de prévenir les extractions dentaires et les complications associées à l’exodontie (qui peuvent être assez sévères), des techniques dentaires conservatrices ont été développées chez le cheval. Cette idée n’est pas nouvelle et les premiers plombages dentaires chez le cheval avec de l’amalgame ont été réalisés dès le début du xxe siècle, sans pour autant que les procédures se développent suffisamment à cette époque [3].
Les techniques utilisées de nos jours sont similaires à celles qui sont employées chez l’homme, mais elles ont été adaptées à la dentition équine et subissent des améliorations continues concernant les procédures et les instruments spécialisés disponibles (encadré 1) [2, 13, 14, 17, 24].
Les procédures endodontiques et de l’infundibulum nécessitent l’établissement d’un diagnostic précis, ainsi que du matériel spécifique. Les examens d’endoscopie buccale, de radiographie et de tomodensitométrie sont notamment très utiles.
Les techniques dentaires conservatrices peuvent être réalisées sur cheval debout, si son caractère et sa réponse à la contention physique (équipement) et chimique (sédation et anesthésies locales et locorégionales) le permettent. Dans certains cas, cependant, une anesthésie générale est requise.
Les atteintes des tissus endodontiques ont des origines diverses : la voie hématogène (anachorésis), les fissures ou fractures des matières dentaires dures, les atteintes iatrogènes (des râpages excessifs), les caries et la voie parodontale [6, 15, 16, 20, 28].
Les infections apicales et les pulpites cavitaires, infectieuses ou non, provoquent souvent une nécrose des tissus pulpaires, entraînant une perte de fonctionnalité des défenses immunitaires et l’arrêt de dépôt de dentine secondaire dans les ramifications pulpaires coronales. L’attrition quotidienne liée à la mastication, que les dents hypsodontes des équidés subissent, ouvre la cavité dentaire sans réponse des odontoblastes qui déposent normalement de la dentine sur la pulpe coronale [20, 29]. Dès l’exposition des cornes pulpaires, les matières alimentaires et les bactéries peuvent entrer et entretenir une infection dentaire (photo 1). L’appareil de suspension de la dent (gencive et ligament parodontal) peut rester sain. Pour éliminer l’infection et combler l’espace mort de la cavité pulpaire, des techniques rétrogrades et orthogrades ont été établies (encadré 2).
Pour accéder à l’apex d’une dent, une trépanation ou un volet osseux est réalisé sous guidage radiographique [19, 21]. Le débridement et le retrait des tissus périapicaux sont effectués, puis l’apex dentaire (racine clinique) est réséqué avec des fraises dentaires (par exemple une fraise aux boules diamantées) ou des ostéotomes pour enlever les matières dentaires infectées et exposer la cavité pulpaire (figure 1). Une fois les canaux pulpaires atteints, ils sont vidés de la pulpe avec des tire-nerfs. Ensuite, les résidus tissulaires et le débris générés sont évacués avec des limes particulières, par exemple “Kerr” et “Hedström” (photo 3). Le débridement des surfaces ivoires sert aussi à l’élargissement du canal et est suivi d’irrigations répétées avec des désinfectants (par exemple des solutions d’hypochlorite de sodium à 2,5 % ou de peroxyde d’hydrogène à 3 %). La surface interne est préparée avec du gel de mordançage acide (35 à 40 % de gel d’acide phosphorique) pour créer une surface canalaire irrégulière et ainsi augmenter l’adhérence du matériau obturatif. Après un dernier rinçage stérile, les canaux désinfectés sont séchés avec de l’air sous pression et des pointes de papier stérile. Les ciments dentaires sont la matière obturative de choix. Il existe de nombreux ciments dentaires avec des propriétés spécifiques d’élasticité, de dureté, de contraction et d’adhésion. Ils sont tout d’abord de consistance semi-fluide et peuvent ainsi être comprimés plus facilement dans les canaux pulpaires en utilisant des bourre-pâtes (“lentulo” ou “à ressort”). En fonction de leur matière, les pâtes oblitératrices durcissent dans la cavité pulpaire simplement avec le temps ou alors à l’aide de lumière de polymérisation (longueur d’ondes de 400 à 500 nm) (photo 4).
Le défi de l’approche rétrograde pour l’obturation dentaire est de contrôler le saignement des tissus périapicaux et d’obtenir une bonne visualisation du site [2, 19, 22]. La ramification pulpaire abondante rend l’obturation complète difficile et des infections résiduelles peuvent survenir [1, 9, 18]. Une perte d’étanchéité de l’obturation entraîne une (re) contamination de la cavité dentaire et la désintégration de la dent [18, 21]. Le taux de réussite est d’environ 60 % [15, 18]. Une bonne sélection des cas et l’application de méthodes avancées et de matériaux performants peuvent fortement augmenter l’efficacité [8].
La difficulté de visualiser et d’approcher les racines dentaires encastrées dans leur alvéole est probablement une des raisons pour lesquelles les résultats obtenus par l’obturation pulpaire sont parfois médiocres. De là est née l’idée d’extraire la dent pour réaliser une résection apicale et le traitement obturatif de la cavité dentaire avec “la dent sur la table”, puis de la réimplanter immédiatement (photos 5 à 7). Cette technique est connue en dentisterie humaine et employée à la suite d’une perte dentaire en raison d’un traumatisme, ou pour la réalisation de traitements extrabuccaux sur des dents difficilement accessibles [4, 12, 27].
Le ligament parodontal doit être rompu pour extraire la dent, mais il possède une capacité inhérente de régénération qui lui permet de cicatriser et de consentir une éruption physiologique de la dent hypsodonte après sa réimplantation. La dent est alors emballée dans des compresses stériles mouillées de solution de Ringer lactate pour la protection du ligament parodontal [26]. La condition préalable à la réalisation de cette méthode consiste en l’absence d’atteintes parodontales associées. Cette technique est proposée chez les chevaux jeunes possédant encore des dents avec une longue couronne de réserve. Les résultats en dentisterie équine semblent convaincants, et des taux de réussite de 73 à 96 % sont rapportés pour la réimplantation dentaire en dentisterie humaine [1, 12, 26]. Cependant, des études à long terme conduites sur un plus grand nombre de chevaux sont nécessaires pour mieux en évaluer l’efficacité.
Les fractures transverses traumatiques des incisives sont assez fréquentes chez les chevaux. Très souvent, elles exposent les cornes pulpaires, en raison de leur position labiale (photo 8).
De même, une ouverture occlusale ou un traumatisme thermique des incisives ou des dents jugales par un râpage excessif peut endommager la pulpe de façon irréversible (photo 9) [5, 8, 11, 16]. Une irrigation permanente ou des rinçages intermittents pendant le râpage électrique réduisent fortement le risque de dommage pulpaire thermique. Afin de prévenir des expositions pulpaires dues à des fissures et à des fractures coronelles, il est strictement recommandé de ne pas utiliser de pinces coupantes à molaire ni des ouvre-bouches à “Schoupé”. Face à une ouverture iatrogène, une application immédiate d’hydroxyde de calcium sur la pulpe saignante peut prévenir les infections pulpaires en attendant un traitement endodontique.
Les pulpites des dents jugales (même leurs infections apicales) peuvent être traitées par voie orthograde sur cheval debout et tranquillisé. Cette approche occlusale des mâchelières demande des interventions répétitives et son efficacité n’est pas encore constatée.
Selon l’ancienneté de l’infection pulpaire, deux méthodes endodontiques s’offrent au praticien spécialisé.
À la suite d’une fracture récente sans infection profonde de la pulpe, une éviction coronale ou partielle de la pulpe en préservant sa partie profonde peut être envisagée (figure 2).
Après un débridement et un rinçage de la cavité pulpaire exposée, au moins 2 mm de la pulpe sont amputés à l’aide d’un foret en forme de bouton de rose diamanté stérile pour prévenir toute intrusion de bactéries. Cela permet d’obtenir une cavité suffisamment profonde pour un coiffage de la pulpe vitale. Le saignement de la pulpe est ensuite contrôlé à l’aide d’un tampon de gaze stérile imbibé d’adrénaline. Tout coagulat est évacué de la cavité par rinçage et la pulpe exposée est couverte d’une mince couche de poudre ou de pâte d’hydroxyde de calcium. L’alcalinité de cette poudre favorise la formation rapide d’une couche de dentine réparatrice, tout en étant défavorable à la survie de bactéries. Afin d’isoler la pulpe du milieu extérieur et de la protéger des pressions masticatoires, une couche intermédiaire d’environ 2 mm de verre ionomère est appliquée. Le reste de la cavité est ensuite obturé avec un matériau composite : mordançage, adhérence (bonding), obturation et polissage avec éventuellement un re-bonding de la surface masticatoire pour améliorer l’étanchéité du plombage.
Une inflammation de la pulpe peut entraîner un œdème avec une strangulation de la pulpe entière qui subit une nécrose [18, 20]. Une fracture ancienne ou une infection profonde ont le même effet nécrosant. Ces affections nécessitent une éviction de la totalité de la pulpe dentaire (figure 3).
L’entrée de la cavité dentaire est ouverte et élargie à l’aide des fraises dentaires ou turbines afin d’accéder facilement au canal pulpaire (photo 10). Un tire-nerf est alors prudemment inséré dans la cavité pulpaire et les résidus de la pulpe sont enlevés en effectuant des mouvements de rotation avec l’instrument. À l’aide d’une lime de Hedström, les parois de la cavité pulpaire sont ensuite râpées pour enlever toute trace de tissu infecté (photos 11 à 14). La cavité est alors rincée avec des solutions antiseptiques (hypochlorite, eau oxygénée et chlorhexidine, par exemple, en alternance avec une solution stérile NaCl), puis séchée par aspiration du liquide restant et par application d’air comprimé et de pointes de papier (photo 15). L’application d’air comprimé s’effectue avec vigilance en évitant la formation d’embolies gazeuses. Pour une obturation complète du canal pulpaire, la dentine doit être sèche. Les parties profondes du canal pulpaire sont remplies avec une émulsion d’hydroxyde de calcium (photo 16). L’utilisation d’un bourre-pâte comprime l’émulsion d’hydroxyde de calcium et le surnageant liquidien est retiré. La propriété alkaline de l’hydroxyde de calcium provoque une nécrose et une désorganisation des tissus infectés restants. Ensuite, les 15 à 20 mm situés du côté coronal du canal pulpaire sont occlus en deux couches avec des ciments dentaires. Si un bon nettoyage de tout l’espace pulpaire risque de ne pas pouvoir être réalisé en une seule fois, des ciments de faible résistance mécanique et de faible pouvoir d’adhérence sont préconisés pour faciliter une réintervention éventuelle environ 1 mois plus tard [14]. Une fois la cavité dentaire desinfectée et propre, un ciment, de préférence qui n’adhère pas à la surface de la dentine, est appliqué à la place de l’hydroxyde de calcium. La non-adhérence du ciment prévient le stress mécanique sur la dentine. La partie occlusale est obturée avec un ciment qui adhère à la dentine et qui possède la même résistance contre l’attrition [14, 25]. Des contrôles radiographiques sont recommandés à chaque intervention et un suivi clinique est nécessaire tous les 6 mois.
Le taux de réussite d’environ 80 % sur un grand nombre de dents jugales semble convaincant, mais les paramètres précis analysés n’ont pas encore été publiés [10, 14]. À notre connaissance, aucun chiffre n’a été publié concernant la pulpectomie des dents incisives, mais les résultats sont en général meilleurs que pour les mâchelières.
La formation de l’infundibulum dentaire pendant la phase embryologique présente une particularité anatomique chez le cheval, et les dents sont appelées hypsodontes et lophodontes (dents longues et avec des plis d’émail) [24]. Au sens strict, il est incorrect de parler d’endodontie, étant donné qu’il ne s’agit pas de la cavité vitale de la dent. Néanmoins, l’obturation se déroule de la même manière.
Sur les dents incisives et mâchelières supérieures se trouvent des invaginations complètes en forme de gobelet très profond et parfois courbé. Cette invagination d’émail de la surface orale est censée être remplie avec du cément dentaire produit par des cémentoblastes provenant de la gencive fœtale et qui sont irrigués par un vaisseau gingival. Quand la dent sort de la gencive, ce vaisseau s’oblitère, parfois avant que le dépôt complet du cément dans l’infundibulum ne soit terminé. L’infundibulum peut subir une hypoplasie ou une nécrose, ce qui prédispose à une dégradation cariotique et à une impaction avec des fibres alimentaires et des bactéries, en particulier de Streptococcus devriesei (photos 17 et 18) [15]. Une désintégration dentaire par l’infundibulum atteint peut s’ensuivre et provoquer des infections périapicales, voire des fractures dentaires. Dans des cas exceptionnels ou pathologiques, l’infundibulum peut aussi rester ouvert au niveau de l’apex dentaire et induire des infections apicales directement sans désintégration majeure de la dent [17, 24].
Pour prévenir une dégénération et une désintégration progressive et sévère de la dent ainsi que le traitement d’une infection périapicale provenant d’un infundibulum perforé, une méthode de nettoyage et de remplissage peut être réalisée par voie orale [17].
Les étapes, les instruments et les matériaux pour le “plombage” de l’infundibulum sont semblables à ceux utilisés pour l’obturation des cavités pulpaires [17, 23]. Les matières alimentaires et les tissus dentaires atteints sont extraits avec une fraise et des limes de Hedström. La cavité est désinfectée et préparée pour supporter l’adhésion et l’espace, rempli avec le matériau choisi (photos 19 à 22).
Les innovations en endodontie équine gagnent du terrain dans la pratique du vétérinaire dentiste spécialisé. Bien que la preuve scientifique des méthodes utilisées reste faible, la demande de préserver les arcades dentaires pour une dentition saine du cheval augmente au sein de la clientèle. Actuellement, le coût d’une intervention avec préservation d’une dent la rend souvent tout aussi envisageable qu’une exodontie. Aussi le choix de la technique utilisée dépend-il du cas et des préférences du praticien et du propriétaire. L’endodontie fait partie intégrante des interventions conservatrices dentaires du cheval et elle est d’ores et déjà légitimée.
Au Dr Marine Truffet qui a contribué à la rédaction de ce travail en aidant à adapter le manuscrit en français.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
La préservation des dents est indispensable à la santé bucco-dentaire et à l’état général du cheval. L’arcade dentaire, bien que composée de six dents, forme une seule unité fonctionnelle. L´angulation des mâchelières implique que toutes les prémolaires et molaires de l’arcade dentaire sont comprimées les unes contre les autres. La perte d’une dent signifie la perte de l’intégrité de l’arcade. Lorsqu’une dent est manquante, la dent antagoniste, dans l’arcade opposée, atteint une longueur excessive en raison du manque d’abrasion.
La perte d’une dent entraîne la déviation de toutes les autres dans l’axe de l’arcade, ce qui crée des espaces interdentaires pouvant être à l’origine de parodontites par impactions alimentaires dans ces diastèmes [29]. Les diastèmes altèrent donc sévèrement le fonctionnement physiologique de la mastication et provoquent souvent une douleur importante gênant considérablement la mastication [7-9, 30]. Il convient de préserver les arcades dentaires comme un ensemble équilibré et fonctionnel.
• Les traitements endodontiques chez le cheval peuvent s’appliquer avec succès sur les dents des arcades, si les cas sont bien choisis.
• Il existe une variété de techniques pour obturer la cavité dentaire et rendre la dent fonctionnelle.
• Des techniques rétrogrades et orthogrades sont possibles selon les cas.
• L’endodontie est une discipline à part entière en dentisterie équine.
• Les infections pulpaires et apicales des incisives et des mâchelières (prémolaires et molaires) peuvent être traitées par des méthodes endodontiques rétrogrades ou orthogrades, c’est-à-dire par une approche du côté apical ou occlusal respectivement [14, 19, 21, 26]. La carie d’infundibulum représente une particularité pathologique des dents des équidés liée à leur anatomie et requiert également l’attention du vétérinaire dentiste. Elle peut être traitée par une obturation de l’infundibulum [17].
• L’éruption des dents d’environ 3 à 4 mm en moyenne chaque année et leur abrasion consécutive rendent l’utilisation de cônes de gutta percha, employés en médecine dentaire humaine et en médecine pour petits animaux (brachydontie) pour l’obturation du canal pulpaire, peu utile. Après quelques années, la coiffe de résine médicale serait abrasée et les cônes mous de gutta percha se trouveraient exposés, rendant la cavité pulpaire de la dent beaucoup plus sensible aux contaminations par des micro-organismes et des débris alimentaires. Il convient d’oblitérer la cavité pulpaire avec des produits résistant à l’abrasion continue des dents des équidés (photo 2).
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