Comment aborder les allergies alimentaires chez le cheval - Pratique Vétérinaire Equine n° 193 du 01/01/2017
Pratique Vétérinaire Equine n° 193 du 01/01/2017

ALIMENTATION

Cahier pratique

Fiche pratique

Auteur(s) : Agathe Martin*, Samy Julliand**

Fonctions :
*Lab To Field,
26, boulevard du Docteur-Petitjean,
21000 Dijon

Les allergies alimentaires correspondent au type d’allergie pour lequel les connaissances sont les moins développées [8]. Les causes et la pathogenèse de ces allergies n’ont fait l’objet que de peu de publications scientifiques [18, 25].

Cet article propose un état des lieux des acquis de la science sur la prévalence, la cause et le diagnostic des allergies d’origine alimentaire chez le cheval, avant de conclure sur quelques recommandations nutritionnelles pour les équidés atteints.

Physiopathologie

Les connaissances sur la physiopathologie des allergies d’origine alimentaire chez le cheval sont peu développées. Elles s’appuient surtout sur ce qui est démontré chez l’homme, et en particulier chez l’enfant [15].

Lorsqu’un antigène franchit la barrière de la muqueuse intestinale, il entre en contact avec le système immunitaire. Dans une situation normale, il est toléré, mais, chez l’individu allergique, l’antigène (alors appelé allergène) provoque une réponse anormale (encadré 1). Après la phase initiale de sensibilisation, le système immunitaire de l’individu produit des anticorps (immunoglobulines [Ig]) à chaque nouveau contact avec l’allergène afin de détruire les molécules allergéniques (encadré 2). Ce phénomène est accompagné d’une libération de médiateurs inflammatoires, comme l’histamine, et de la synthèse de leucotriènes, de prostaglandines et de cytokinines qui vont induire les réactions inflammatoires [24]. La raison pour laquelle la réponse du système immunitaire est inadaptée n’est pas connue [15].

Prévalence et signes cliniques

À notre connaissance, il n’existe pas d’études épidémiologiques portant sur la prévalence des allergies alimentaires chez les équidés. Cependant, les auteurs qui ont travaillé sur le sujet semblent s’accorder pour dire que les allergies alimentaires sont « rares » chez les chevaux, voire « extrêmement rares » et « à confirmer » [2, 6, 13, 15, 22]. Cela est en accord avec les données recueillies sur le terrain lors d’une enquête réalisée en France en 2013. Sur les 51 praticiens interrogés, aucun n’a cité les allergies alimentaires comme une des trois premières causes possibles de dermatose chez le cheval [2].

Dans l’espèce humaine, les allergies sont plus courantes chez les enfants (2 à 8 %) que chez les adultes (moins de 2 %), alors qu’aucune relation entre l’âge et la prévalence des allergies n’a été démontrée chez le cheval. De plus, il ne semble pas exister de prédisposition liée à la race ou au sexe [3, 11].

Les œufs de poule, le lait de vache, les poissons, les crustacés, l’arachide, le soja et la noisette contiennent les allergènes alimentaires responsables de plus de 90 % des allergies chez l’homme [4]. Pour le cheval, les allergènes alimentaires les plus fréquents n’ont pas été recensés. La luzerne, l’orge, la pulpe de betterave, le son, le sarrasin, la chicorée, le trèfle, le malt, l’avoine, les pommes de terre, le millepertuis, le blé et des additifs et suppléments alimentaires ont été cités comme des causes possibles de réactions alimentaires indésirables [15]. Toutefois, la nature de la réaction (immunitaire ou non) n’est pas connue.

Aucun signe pathognomonique n’est associé aux allergies alimentaires. Les manifestations seraient principalement cutanées (démangeaisons, urticaire, papules, croûtes), bien que la relation entre dermatose et allergie alimentaire soit peu étayée chez le cheval (photo 1) [22]. Ainsi, une allergie alimentaire peut être confondue avec une dermite estivale (allergie aux piqûres d’insectes), réaction allergique cutanée la plus courante chez les équidés [20]. Les allergies alimentaires pourraient aussi entraîner des désordres gastro-intestinaux [22]. Les données publiées sur ce sujet sont cependant très limitées.

Diagnostic des allergies alimentaires

Pour confirmer une allergie et rechercher l’allergène en cause, la démarche commence en général par un recueil d’informations sur le cheval, son historique et son environnement, afin d’éviter certaines erreurs de diagnostic [22].

Trois types de tests peuvent être proposés : cutanés, sanguins et par élimination et provocation (photo 2). Les deux premiers tests sont actuellement contestés car ils sont à l’origine de nombreux résultats faux positifs et faux négatifs (encadré 3) [6].

Le test par élimination puis provocation reste le plus fiable, mais il est plus long et plus contraignant sur le plan logistique. Chez l’homme, le chien et le chat, il est considéré comme le gold standard [7, 25]. Ce test se déroule en deux phases : une phase d’élimination et une phase de provocation [15, 26]. Pendant la première phase, le cheval est placé dans un environnement nouveau pendant 6 semaines afin d’écarter l’hypothèse d’une allergie due à un facteur environnemental. Si les symptômes persistent à la fin de cette période, la ration de l’animal est alors réduite à un seul aliment, le plus souvent l’herbe ou le foin. Dans le cas où les symptômes disparaissent, l’allergie d’origine alimentaire est supposée. La phase de provocation a pour objectif de la confirmer et d’identifier l’allergène. Pendant cette seconde période, les aliments de la ration sont réintroduits un par un à 1 semaine d’intervalle. Si les symptômes allergiques réapparaissent, le dernier aliment ajouté à la ration est suspecté. L’allergie est validée en cas de disparition des symptômes avec le nouveau retrait de cet aliment.

Recommandations nutritionnelles

La première recommandation à suivre une fois l’allergène identifié est de le retirer de l’alimentation du cheval afin d’éviter tout contact avec celui-ci. Une adaptation de la gestion de l’écurie peut également être nécessaire : isolement de l’animal au moment des repas, rigueur dans le stockage des aliments pour prévenir les contaminations croisées, conduite sur un paddock spécifique, etc. De plus, la nouvelle ration calculée doit permettre de couvrir les besoins nutritionnels du cheval malgré le retrait de l’aliment en cause.

En parallèle, il a été démontré qu’une augmentation de la perméabilité de la paroi intestinale chez l’homme est un facteur de risque pour les allergies, en facilitant la mise en contact des allergènes et du système immunitaire [10]. Chez le cheval, une baisse du pH intestinal entraîne une hausse de la perméabilité de la paroi [19]. Pour limiter les subacidoses ou acidoses du gros intestin, il est recommandé de ne pas dépasser 200 g d’amidon/100 kg de poids vif par repas et de favoriser les rations riches en fourrage. La supplémentation avec des levures Saccharomyces cerevisiae vivantes est une stratégie complémentaire de lutte contre les acidoses intestinales [16]. Toutefois, la relation directe entre acidose intestinale et augmentation du risque d’allergies d’origine alimentaire dans l’espèce équine n’a pas été étudiée.

Enfin, l’étude des facteurs de risque et de protection contre les allergies alimentaires chez l’homme est un sujet d’actualité, en raison notamment de l’augmentation des prévalences dans les populations infantiles des pays développés. Parmi les facteurs alimentaires étudiés, les supplémentations avec des omégas 3 et 6 ou avec de la vitamine D constituent des pistes d’étude [1, 23]. Des données complémentaires sont nécessaires pour déterminer quelles sources et quelles doses seraient bénéfiques chez le cheval.

  • 1. Ahmed N, Barrow C, Suphioglu C. Exploring the effects of omega-3 and omega-6 fatty acids on allergy using a HEK-blue cell line. Int. J. Mol. Sci. 2016;17:220.
  • 2. Alario F. Enquête épidémiologique descriptive en dermatologie équine auprès des praticiens exerçant en France. Thèse vétérinaire, ENV d’Alfort. 2013:139p.
  • 3. Bertholdy T. Étude de l’atopie chez les équidés: étude comparative de son traitement chez l’homme et chez le cheval. Thèse vétérinaire, ENV de Lyon. 2005:108p.
  • 4. Bousquet J, Björkstén B, Bruijnzeel-Koomen CAFM et coll. Scientific criteria and the selection of allergenic foods for product labelling. Allergy. 1998;53:3-21.
  • 5. Coombs RRA, Gell PGH. The classification of allergic reactions underlying disease. In: Gell PGH, Comombs RRA (eds). Clinical aspects of immunology. Blackwell Science, Oxford, UK. 1963:313-317.
  • 6. De Spiegeleer A, Lefère L, van Doorn DA, Hesta M. Serum IgE levels and feed allergy provocation tests in healthy Shetland ponies. Poster presented at the 6th Edition European Equine Health & Nutrition Congress, Ghent, Belgium. 2013.
  • 7. Dupont S, De Spiegeleer A, Liu DJX et coll. A commercially available immunoglobulin E-based test for food allergy gives inconsistent results in healthy ponies. Equine Vet. J. 2014;48:109-113.
  • 8. Fadok VA. Update on equine allergies. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2013;29:541-550.
  • 9. Ghaffar A. Hypersensitivity reactions. In: Microbiology and immunology on-line. Hunt RC, ed. 2016: http://www.microbiologybook.org/ghaffar/hyper00.htm.
  • 10. Heyman M. Gut barrier dysfunction in food allergy. Eur. J. Gastroenterol. Hepatol. 2005;17 (12):1279-1285.
  • 11. Jaffuel D, Demoly P, Bousquel J. Les allergies alimentaires. Rev. Fr. Allergol. Immunol. Clin. 2001;41:169-186.
  • 12. Jose-Cunilleras E, Kohn CW, Hillier A et coll. Intradermal testing in healthy horses and horses with chronic obstructive pulmonary disease, recurrent urticaria, or allergic dermatitis. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2001;219:1115-1121.
  • 13. Kentucky Equine Research. Food allergy testing in horses. Equinews. 2014. http://www.equinews.com/article/food-allergy-testing-horses.
  • 14. Lebis C, Bourdeau P, Marzin-Keller F. Intradermal skin tests in equine dermatology: a study of 83 horses. Equine Vet. J. 2002;34:666-672.
  • 15. Logas D. Food allergy in the horse: a dermatologist’s view. In: Advances in equine nutrition IV. Kentucky Equine Research, Versailles, USA. 2009:379-383.
  • 16. Medina B, Girard ID, Jacotot E, Julliand V. Effect of a preparation of Saccharomyces cerevisiae on microbial profiles and fermentation patterns in the large intestine of horses fed a high fiber or a high starch diet. J. Anim. Sci. 2002;80:2600-2609.
  • 17. Ménard S, Cerf-Bensussan N, Heyman M. Multiple facets of intestinal permeability and epithelial handling of dietary antigens. Mucosal Immunol. 2010;3:247-259.
  • 18. Noli C, Foster AP, Rosenkrantz W. Veterinary allergy. John Wiley & Sons, Ltd, Chichester. 2014:472p.
  • 19. Norris KG. Diet affects gastrointestinal permeability in yearling Quarter Horses. Thèse en sciences animales, The Pennsylvania State University. 2013:151p.
  • 20. Pilsworth RC, Knottenbelt DC. Equine insect hypersensitivity. Equine Vet. Educ. 2004;16:324-325.
  • 21. Uzzaman A, Cho SH. Classification of hypersensitivity reactions. Allergy Asthma Proc. 2012;33:96-99.
  • 22. Van der Kolk JH, Hesta M, Goddeeris BM et coll. Food allergy in horses: what do we know? Presented at the 6th Edition European Equine Health & Nutrition Congress, Ghent, Belgium. 2013:130-134.
  • 23. Vuillermin PJ, Ponsonby AL, Kemp AS, Allen KJ. Potential links between the emerging risk factors for food allergy and vitamin D status. Clin. Exp. Allergy. 2013;43 (6):599-607.
  • 24. Wagner B, Miller WH, Morgan EE et coll. IgE and IgG antibodies in skin allergy of the horse. Vet. Res. 2006;37:813-825.
  • 25. Wagner R, Knottenbelt DC, Hunsinger B. Food-allergy in horses. Presented at the Applied Equine Nutrition and Training, Equine Nutrition Conference (ENUCO). 2007:155-160.
  • 26. Yu AA. Treatment of equine allergies. Presented at the Annual Convention of the AAEP, San Antonio, Texas. 2006:469-474.

CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

ENCADRÉ 1 : RÉACTIONS ALIMENTAIRES INDÉSIRABLES

Une allergie alimentaire implique une réaction immunitaire à une substance ingérée, le plus souvent une protéine [7, 15]. Après la phase de sensibilisation, elle survient à chaque nouvelle présentation du produit et ne dépend pas de la dose ingérée [7]. Les allergies alimentaires sont parfois confondues avec les intolérances et les intoxications alimentaires, qui peuvent provoquer les mêmes symptômes et répondre aux mêmes traitements, mais dont l’origine n’est pas immunitaire. Ces trois formes de perturbations sont regroupées sous l’appellation de “réactions alimentaires indésirables” (figure) [22].

ENCADRÉ 2 : CLASSIFICATION DE GELL ET COOMBS DES RÉACTIONS D’HYPERSENSIBILITÉ

Le système immunitaire peut réagir de différentes manières à l’allergène. En 1963, Coombs et Gell ont proposé une classification de référence des réactions d’hypersensibilité selon quatre types (tableau). Cette classification a été complétée par deux sous-catégories pour les réactions de type II et par quatre sous-catégories pour les réactions de type IV [20]. Comme chez l’homme, les réactions de types I, III et IV ont été observées chez des chevaux allergiques, mais les informations sur la pathogenèse de chaque type de réaction sont encore insuffisantes [15].

ENCADRÉ 3 : LIMITES DES TESTS CUTANÉS ET SANGUINS

• Tests cutanés

Lors des tests cutanés, des allergènes sont injectés dans la peau de l’animal et la réaction à cette injection est observée. Si une papule apparaît, le cheval est déclaré allergique à cet allergène [14].

Cependant, ces tests sont à utiliser avec précaution, car leur interprétation reste difficile [6]. Une étude réalisée sur 86 chevaux a montré que la réaction à un allergène ne doit pas être utilisée pour déclarer qu’un cheval est atteint d’une hypersensibilité [12]. De plus, un autre essai sur 83 chevaux a remis en cause la répétabilité de ces examens [14].

• Tests sanguins

Les tests sanguins sont fondés sur la proportion d’anticorps immunoglobulines E chez les chevaux qui ont développé une allergie d’origine alimentaire.

Toutefois, aucune étude scientifique n’a permis de démontrer leur fiabilité [22]. Récemment, un essai réalisé sur 17 poneys a révélé que deux échantillons prélevés chez un même individu ne donnent pas toujours des résultats similaires [7]. De plus, bien que des échantillons aient signalé une hypersensibilité chez certains poneys, aucun de ces animaux n’a développé de symptômes lorsque les aliments présumés allergisants leur ont été distribués.

FIGURE : ORIGINE DES DIFFÉRENTES RÉACTIONS ALIMENTAIRES INDÉSIRABLES 01. Exemple de signe d’allergie alimentaire : prurit facial.Clichés : Ch. Lebis 02. Test cutané par injection intradermique d’allergène.Clichés : Ch. Lebis TABLEAU : CARACTÉRISTIQUES DES DIFFÉRENTS TYPES D’HYPERSENSIBILITÉ
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