Le lymphome équin : symptômes et diagnostic - Pratique Vétérinaire Equine n° 192 du 01/10/2016
Pratique Vétérinaire Equine n° 192 du 01/10/2016

Cancérologie

Dossier

Le lymphome équin

Auteur(s) : Alexandre Louis

Fonctions : vétérinaire remplaçant

Amaigrissement, anorexie et abattement : face à ces signes cliniques, un lymphome doit être envisagé. Cet article vous aide dans le diagnostic de cette affection au travers d’un cas clinique.

Le lymphome est un processus tumoral qui peut affecter tous les organes. Certains symptômes sont liés directement à la néoplasie, d’autres en représentent une conséquence. Cet article présente les différents signes cliniques, les examens complémentaires qu’il convient de réaliser lors de suspicion de lymphome et le diagnostic définitif (par analyse histologique) de cette affection, tout en illustrant cela d’un cas clinique (encadré).

Symptômes

Symptômes généraux

Lors de lymphome, les chevaux peuvent présenter une perte de poids, une anorexie, un abattement, un œdème ventral (associé ou non à une hypoprotéinémie), une hyperthermie, des muqueuses pâles (associées à une anémie) et une lymphadénopathie, même si l’hypertrophie des nœuds lymphatiques périphériques (palpables par voie externe) est relativement rare. Les œdèmes déclives semblent plus souvent liés à un défaut de drainage lymphatique par obstruction qu’à une faible pression osmotique. Une diarrhée et des signes de coliques peuvent aussi être observés, sans être restreints uniquement à la forme intestinale [2, 9, 17]. Des troubles respiratoires peuvent apparaître, mais ils semblent souvent associés à la présence d’une large masse thoracique et d’une effusion liquidienne [9]. Les masses thoraciques peuvent comprimer la veine cave craniale, le nerf laryngé gauche, le nerf vague, l’œsophage, la trachée, etc., induisant des symptômes associés à leur dysfonction (par exemple : une dilatation des veines jugulaires, un œdème de la tête, un bruit de cornage, ou une dysphagie) [6]. Lors d’atteinte hépatique, un ictère dû à une obstruction des voies biliaires peut être visible [10].

Les formes cutanées

La plupart des chevaux atteints d’un lymphome cutané ne présentent aucune affection systémique (non tumorale) concomitante. Une hypertrophie des nœuds lymphatiques est visible dans environ la moitié des cas. Les lésions se développent à des vitesses différentes, de façon aléatoire sur le corps, mais plus fréquemment sur le tronc et l’encolure, et peuvent être de consistance variable, ressemblant à une urticaire. La peau a le plus souvent un aspect externe normal, même si les organes internes peuvent déjà être atteints [6, 13].

Le lymphome cutané se manifeste par des plaques ou des nodules, cutanés ou sous-cutanés, multiples (rarement uniques), bien démarqués mais non encapsulés, de quelques millimètres (à un stade précoce) à plusieurs centimètres de diamètre. Il est en général de forme non épithéliotrope : les masses nodulaires sous-cutanées ne sont pas attachées fermement au derme situé au-dessus, mais peuvent infiltrer les tissus musculaires sous-jacents. La peau en regard est le plus souvent saine et non alopécique, mais peut révéler des ulcérations et des pertes de poils.

Lors de forme épithéliotrope, la peau est épaissie et lichénifiée de façon multifocale ou diffuse, associée à une congestion, à une alopécie, à des croûtes et à des ulcérations. Il existe trois stades d’évolution :

– le stade patch dans lequel les cellules tumorales sont dans l’épiderme (grappes de cellules pathognomoniques : “microabcès de Pautrier”) et l’épithélium du follicule pileux ;

– le stade plaque dans lequel les cellules tumorales sont aussi visibles dans le derme superficiel ;

– le stade tumoral dans lequel des nodules se forment dans le derme et le tissu sous-cutané, pouvant infiltrer les organes internes [6].

Le lymphome épithéliotrope, ou mycosis fungoïde, principalement originaire des lymphocytes T, cause des plages de desquamation et de croûtes étendues associées à une alopécie et parfois à des ulcérations. Le lymphome épithéliotrope, riche en histiocytes, se présente comme des nodules ou plaques cutanés fermes qui peuvent croître et décroître sur des mois ou des années à intervalles irréguliers (en général nodules de 5 à 50 mm de diamètre), pour finir par grossir et s’ulcérer. Des lésions peuvent être mises en évidence dans les cavités orale, nasale et pharyngée. Lorsque le diagnostic de lymphome épithéliotrope riche en histiocytes est établi chez une jument, il convient de vérifier l’absence d’une tumeur de la granulosa qui peut être la cause primaire de cette forme de lymphome.

Un des symptômes les plus communs du lymphome à grandes cellules B riche en cellules T est la présence de multiples nodules sous-cutanés, qui peuvent croître et décroître dans le temps. Ces fluctuations pourraient être dues à des variations hormonales sanguines, en particulier de la progestérone lors du cycle œstral [2].

Syndrôme paranéoplasique

Lors de processus tumoral, un (ou plusieurs) syndrome (s) paranéoplasique (s) peut (vent) apparaître. Le syndrome paranéoplasique est défini comme une combinaison de symptômes consécutifs à une tumeur dans l’organisme, mais non dérivés de la présence physique de cette tumeur. Ces symptômes peuvent être variés et variables. Ils sont classés en quatre catégories :

– les syndromes muco-cutanés ou cutanés, affectant la peau ou les jonctions cutanéo-muqueuses (exemple : le pemphigus paranéoplasique) ;

– les syndromes neurologiques, affectant le système nerveux central (et parfois le système nerveux périphérique) et surtout le système nerveux autonome ;

– les syndromes hématologiques, affectant le système sanguin (exemple : l’anémie) ;

– les syndromes endocriniens et métaboliques, menant à des productions anormales de médiateurs physiologiques actifs et d’hormones (exemple : l’hypercalcémie).

Ces symptômes paranéoplasiques peuvent être précoces dans le processus, et être détectés avant de déceler la tumeur primaire. Les plus fréquents chez le cheval sont, entre autres, l’anorexie, la diarrhée, la cachexie, l’hyperthermie, la vascularite, la dysrythmie cardiaque, le prurit, le pemphigus, et la coronite ulcérative (tableau). Ils peuvent être la cause d’une morbidité et d’une mortalité significatives, d’où la nécessité de les traiter, si possible, par ablation de la tumeur, ou indépendamment. Leur sévérité n’est pas toujours le reflet de la sévérité et de l’extension du processus tumoral [6].

La cachexie est liée à une perte de poids non réversible par des mesures nutritionnelles, une anorexie, du pica et un trouble d’absorption intestinale. Son étiopathogénie est encore discutée : une action physique directe d’une masse ou la sécrétion de cytokines à action catabolique par la tumeur ou par l’organisme en réaction à la tumeur sont suspectées. Lors d’anorexie, le métabolisme basal est diminué et l’énergie est d’abord prise dans le tissu adipeux puis dans les muscles. Mais lors de processus tumoral, le métabolisme basal est plus élevé, induisant des besoins caloriques plus importants et l’énergie est puisée simultanément et de façon à peu près égale dans les tissus adipeux et musculaire. La perte de poids est d’abord lente puis s’accélère avec le temps. La cachexie est associée à un mauvais pronostic vital [6].

L’hyperthermie serait présente dans 50 % des cas de lymphome et pourrait être causée par la nécrose d’une tumeur, des facteurs pyrogènes libérés lors de la croissance néoplasique, des infections secondaires ou une hémolyse intravasculaire [8]. Cette hyperthermie est persistante ou oscillante et récurrente [6].

D’autres symptômes paranéoplasiques peuvent être observés lors de lymphome, tels que l’ulcération des muqueuses, une inflammation des bourrelets périopliques (avec parfois des ulcérations), du prurit ou de l’alopécie, mais leur fréquence est indéterminée. Le prurit paranéoplasique peut être un indicateur précoce du développement tumoral. Il peut être accompagné d’une alopécie primaire ou secondaire (à la suite du grattage). Ce prurit peut être dû à une compression nerveuse, à une croissance tumorale ou à une cholestase. Il a été suggéré également qu’il était dû à la destruction de cellules T par des cytokines anormales produites par la tumeur. L’inflammation (et l’ulcération) des bourrelets coronaires, et parfois de la périphérie des ergots et des châtaignes, est fréquente lors de lymphome digestif. Elle est probablement à médiation immune et est caractérisée par une infiltration périvasculaire de lymphocytes et de quelques éosinophiles [6].

Examens complémentaires (non spécifiques)

Dans les cas de perte d’état ou d’anorexie, il convient d’abord de faire un examen buccal et éventuellement une coproscopie, selon l’historique de vermifugation, pour exclure une malassimilation et un parasitisme abdominal. Puis une numération et une formule sanguines et une analyse des paramètres biochimiques sont utiles, surtout en présence d’hyperthermie.

Numération et formule sanguines

Sur un échantillon de sang, une anémie est observée dans 30 à 50 % des lymphomes chez le cheval. Elle peut être due à un processus inflammatoire chronique (altérant le métabolisme du fer), à une perte de sang, à une anémie hémolytique ou à une anémie leuco-érythroblastique. Il serait possible aussi de constater une érythrocytose, liée à la sécrétion d’érythropoïétine par les cellules tumorales, mais cela est rare. Cette érythropoïétine serait sécrétée de façon intermittente, donc pas nécessairement détectable dans le sang [6, 8].

Dans de rares cas chez le cheval, il peut être observé une thrombocytopénie (TMI) et une anémie hémolytique à médiation immune (AHMI). Cette dernière est rarement primaire, mais plutôt secondaire à une infection bactérienne, à une tumeur, à un phénomène inflammatoire ou à un purpura hémorragique. Les phénomènes à médiation immune lors de néoplasie peuvent être expliqués par une activation inappropriée ou une inactivation des cellules T ou par la production d’anticorps par le processus tumoral lui-même. Le diagnostic d’AHMI peut être fondé sur l’évidence d’hémolyse et/ou par un test de Coombs positif. Mais 30 % de ces tests chez l’homme et le chien avec une AHMI sont des faux négatifs [6, 8].

Le plus souvent lors de lymphome, il est constaté une leucocytose neutrophilique, qui serait liée à l’inflammation secondaire à la nécrose tumorale [6].

Lors de leucémie lymphoïde secondaire à un lymphome, le plus souvent une anémie modérée à sévère (normo- ou macrocytaire) et une thrombocytopénie sont notées. Le taux de leucocytes circulants est souvent élevé, mais peut être normal ou bas, voire très bas. Les animaux atteints peuvent être aleucémiques (cellules néoplasiques dans la moelle osseuse mais pas circulantes), subleucémiques (cellules néoplasiques faiblement circulantes) ou leucémiques (fort nombre de cellules néoplasiques circulantes). Un immunophénotypage pourrait donc également orienter vers une leucémie myéloïde ou lymphoïde [9].

Lors de lymphome cutané chez le cheval, très peu d’anomalies hématologiques sont détectables en routine, mis à part une légère anémie et une hypercalcémie intermittente, plus marquées si le processus est en cours de généralisation [5]. Une étude de 2007, sur cinq cas de lymphomes cutanés non épithéliotropes, suggère que l’analyse par cytométrie de flux de la population lymphocytaire (avec diminution des lymphocytes) dans le sang périphérique ponctionné à l’aiguille fine pourrait être un élément important pour diagnostiquer rapidement un lymphome cutané non épithéliotrope [1].

Parfois, mais assez rarement chez le cheval, la moelle osseuse peut relarguer les hématies nucléées, qui se retrouvent dans la circulation périphérique. Le praticien doit alors bien distinguer le lymphome des affections myéloprolifératives, des troubles de fonction splénique et des maladies infiltratives de la moelle osseuse [8].

Chez le cheval, les réticulocytes ne se retrouvent pas dans la circulation. Ils ne permettent donc pas d’évaluer si une anémie est régénérative ou pas. En revanche, l’anisocytose des hématies peut être un critère [14].

Il est possible de retrouver des lymphoblastes (plus grands que les neutrophiles, et possédant un grand nombre de noyaux) dans le sang périphérique de chevaux atteints de lymphome, ce qui suggère le développement d’une leucémie secondaire [8, 9, 15]. L’immunophénotypage sur sang EDTA (éthylène diamine tétra-acétique) est un outil diagnostique supplémentaire. Il peut être toutefois normal lors de lymphome si le cheval n’est pas leucémique et que ses lymphocytes circulants n’expriment pas de protéines anormales [8].

Biochimie sanguine

Au niveau biochimique, les changements les plus courants sont une hyperfibrinogénémie, une hypoalbuminémie et une hyperglobulinémie [9]. La production d’interleukine-6 par la tumeur stimule la production de protéines de phase aiguë, dont le fibrinogène par les hépatocytes (et parfois la serum amyloid A). L’hypoalbuminémie pourrait être due à une perte intestinale (due à une entéropathie), à une production hépatique réduite (infiltration hépatique) ou en réponse compensatoire face à une hyperglobulinémie. Le ratio albumine/globulines est souvent réduit. L’hyperglobulinémie peut, mais dans de rares cas lors de lymphome, présenter une élévation uniquement des γ-globulines. Il est également possible (mais rare) de constater une hypo-g-globulinémie (associée à des concentrations sanguines en immunoglobuline M [IgM] faibles) lors de lymphome lié aux lymphocytes T suppresseurs, induisant des infections secondaires (comme une pneumonie) [6, 14]. Cette déficience en IgM peut être secondaire à un manque de production si les lymphocytes B sont fortement manquants, comme lors de lymphome de type T, ou à une incapacité des lymphocytes B à synthétiser les IgM, comme lors de lymphome de type B. Une étude de 2003 a montré qu’à une valeur limite de 23 mg/dl, la concentration sanguine en IgM a une mauvaise sensibilité (probabilité que le test soit positif lors de lymphome, 28 %) mais présente une bonne spécificité (probabilité que le test soit négatif en l’absence de lymphome, 88 %). Donc le dosage des IgM ne doit pas être utilisé pour faire un dépistage, mais plutôt pour montrer qu’aucun lymphome ne se développe [11].

Lors de lymphome, une hypercalcémie est souvent observée, même si une concentration calcique sanguine basse ou normale peut également être notée. L’hypercalcémie est souvent considérée, à tort, pathognomonique d’une infiltration tumorale osseuse. En effet, l’hypercalcémie peut être absente lors d’infiltration tumorale osseuse, même avec une ostéolyse. Elle est due à la sécrétion tumorale d’une protéine apparente à la parathormone, induisant une résorption osseuse et ainsi une hypercalcémie. L’hypocalcémie est assez fréquente lors de lymphome et serait la conséquence de l’hypoalbuminémie [6].

Une hyperlactatémie est parfois observée. Physiologiquement, elle peut être due à une hypoxie tissulaire à la suite d’une mauvaise perfusion, d’une augmentation du relargage de lactates par le tractus digestif ou lors d’anémie. Lors de lymphome, elle est souvent due à l’anémie plus ou moins sévère [8]. Il a aussi été démontré que la transformation d’une tumeur bénigne en maligne est associée à une augmentation des lactates intratumoraux. Chez l’homme, dans différents carcinomes, il existe une corrélation entre une forte concentration en lactates et l’apparition des métastases éloignées dans des stades précoces de l’affection [17].

Palpation abdominale transrectale

La palpation abdominale transrectale est un acte relativement simple mais qui peut apporter des informations intéressantes : présence de masses intra-abdominales, hypertrophie des nœuds lymphatiques mésentériques, épaississement de la paroi intestinale, épaississement ou déformation de la rate [16]. Lors de lymphome, l’élargissement des nœuds lymphatiques internes est plus fréquent que celui des nœuds lymphatiques externes [10].

Échographie

Lors de symptômes respiratoires (toux, polypnée, dyspnée, diminution des bruits respiratoires), une échographie thoracique est indiquée. Une seule large masse thoracique est souvent identifiée à l’examen échographique (15 à 36 cm de diamètre) dans le médiastin cranial (par le troisième espace intercostal droit), d’autant plus facilement que l’épanchement (hypoéchogène) est important [9, 12]. Cette masse, à échogénicité homogène ou hétérogène, occupe souvent la totalité du médiastin cranial, déplaçant le lobe pulmonaire apical droit dorsalement et le cœur caudalement. Des anomalies morphologiques cardiaques identifiables à l’examen échographique sont très rarement rapportées. En revanche, un hyperparathyroïdisme secondaire avec minéralisation du cœur et des gros vaisseaux peut être rencontré lors de lymphome et d’hypercalcémie, ce qui pourrait justifier une échocardiographie (et éventuellement un électrocardiogramme) [12].

De même, une échographie abdominale peut être indiquée lors de signes de coliques ou de diarrhée pour rechercher la présence d’un épanchement, d’épaississement de parois intestinales (signe d’une éventuelle infiltration) ou de masses. Les anomalies de la rate sont les plus fréquentes lors de néoplasies abdominales. Le lymphome est la tumeur la plus fréquente située au foie et à la rate, avec une atteinte de respectivement 41 % et 37 % des chevaux atteints de lymphome. Le foie se caractérise alors par une augmentation de l’échogénicité, une perte de l’architecture du parenchyme et une hépatomégalie avec des marges ventrales arrondies. Des masses intra-hépatiques sont rarement visibles. Lors de lymphome, la rate est caractérisée par un élargissement (rate visible dans le cadran abdominal ventro-cranial droit), un épaississement (normalement entre 5 et 8 cm, mais peut dépasser les 25 cm lors de lymphome), une surface irrégulière, une échogénicité hétérogène avec des zones anéchogènes et parfois des calcifications (visibles par des cônes d’ombre acoustique). Le plus souvent, la majorité de la rate est touchée. Au niveau des intestins, des masses ou des épaississements peuvent être constatés dans la paroi, même si ce repère n’est pas très spécifique. En ce qui concerne les reins, certaines masses parenchymateuses homogènes peuvent être légèrement moins échogènes ou aussi échogènes que le parenchyme normal, ce qui rend difficile leur mise en évidence. Peu fréquemment et sur des cas avancés, le rein semble d’échogénicité normale, mais de taille fortement augmentée [12].

Paracentèse abdominale et thoracocentèse

Lors de lymphome thoracique, une effusion pleurale importante (5 à 20 l) est présente dans plus de 60 % des cas, mettant en évidence un transsudat modifié ou un liquide séro-hémorragique contenant des lymphocytes tumoraux dans plus de 80 % des cas [3, 6]. La quantité de liquide est proportionnelle à l’infiltration des nœuds lymphatiques médiastinaux, donc à l’avancée du processus [6]. Le plus souvent, le liquide thoracique étant en grande quantité, il a une teneur faible en protéines et en cellules [12].

Des cellules tumorales sont peu fréquemment présentes dans le liquide abdominal, mais le profil du liquide est souvent nettement inflammatoire (augmentation de la concentration des cellules nucléées et des protéines). Pour augmenter alors les chances d’obtenir des cellules tumorales, il convient de pratiquer une ponction échoguidée (ou une biopsie par laparoscopie) des masses suspectées à l’échographie [10, 14].

Radiographie thoracique

Il est possible de faire une radiographie thoracique, mais c’est l’examen complémentaire le moins sensible, surtout face à l’échographie, d’autant plus que, contrairement à cette dernière, la radiographie n’aide pas à la ponction thoracique. La radiographie peut mettre en évidence la présence de nodules pulmonaires et/ou de liquide d’épanchement, une hypertrophie des nœuds lymphatiques thoraciques, des modifications de la densité pulmonaire, des modifications de l’architecture cardiaque et vasculaire péricardiaque.

Diagnostic : analyse histologique

Lors de lymphome digestif, les tumeurs sont isolées, segmentaires (et annulaires) ou diffuses, touchant la muqueuse (et sous-muqueuse) ou toute la paroi. La paroi intestinale est épaissie et la muqueuse a un aspect ondulé avec parfois des zones ulcérées et/ou nécrotiques. L’épaississement de la paroi induit une hypomotilité et une sténose. Dans l’intestin grêle, une atrophie marquée des villosités et une modification de l’architecture des glandes sont mises en évidence. Les cellules tumorales sont principalement centrées sur la muscularis mucosae et la sous-muqueuse, tandis que la musculeuse et la membrane séreuse sont souvent saines. Il est possible de diagnostiquer un lymphome intestinal par biopsie rectale, mais uniquement si ce segment est touché, donc le risque de faux négatifs est important [6].

Le diagnostic définitif, par examen histologique, s’effectue par une biopsie ou une ponction à l’aiguille. Le lymphome cutané est caractérisé par une infiltration diffuse du derme et sous-cutanée de lymphocytes malins, mais l’épithélium est rarement atteint [8, 9]. Il est souvent difficile de déterminer le site primaire du processus, puisque les chevaux sont présentés dans la plupart des cas à un stade avancé et que le processus métastase rapidement, y compris au niveau cutané [6].

La démarche face à une coupe histologique est de réaliser en première intention un examen morphologique (architecture tissulaire globale, proportions cellulaires, morphologie cellulaire) qui permet d’établir un diagnostic. Pour être plus précis, il est souvent nécessaire de réaliser en deuxième intention un immunophénotypage (par immunohistochimie, technique qui permet de distinguer des sous-types cellulaires au sein d’une population cellulaire hétérogène, grâce à des anticorps spécifiques) pour différencier les lymphocytes B des lymphocytes T sur la lame. Parfois les populations de lymphocytes B et T ne se distinguent pas en morphologie et en proportion, il est alors difficile de différencier un processus inflammatoire (avec présence de lymphocytes réactionnels) d’un processus néoplasique. Il convient de faire en troisième intention un test de clonalité. Dans le processus d’immunocompétence, les cellules B et T subissent des réarrangements de gènes codant pour les IgH et les récepteurs des cellules T pour obtenir différents clones de lymphocytes. Lors de l’oncogenèse, des anomalies chromosomiques apparaissent (précocement dans l’acquisition de l’immunocompétence), induisant une perte de variabilité au niveau des gènes codant pour ces IgH et ces récepteurs. Le test de clonalité met en évidence ce phénomène, permettant de différencier les phénomènes inflammatoires si une polyclonalité est observée et les processus néoplasiques si une monoclonalité est constatée(1).

Au niveau histopathologique, l’architecture tumorale est variable et bien différente selon les cas. Dans une étude de 2006, la majorité des tumeurs présentaient des zones de nécrose et/ou d’apoptose, ainsi que des cellules géantes plurinucléées où les noyaux étaient en périphérie [9].

En ce qui concerne l’immunohistochimie, les cellules T sont reconnues par des anticorps anti-CD3 et les cellules B par des anticorps anti-CD20, CD21 ou chaînes légères libres d’immunoglobulines κ et λ [1, 6]. Une étude de 1998 sur 31 cas de lymphomes montre que les anticorps monoclonaux contre la glycoprotéine de surface BLA-36 (humaine) et les domaines cytoplasmiques mb-1 et B29 (synthétiques) permettent de reconnaître les lymphomes à cellules B chez le cheval, alors que les anticorps polyclonaux anti-CD3 et monoclonaux CD3 et CD5 (synthétiques) permettent de reconnaître les lymphomes à cellules T chez le cheval [4]. La spécificité des anticorps anti-BLA-36 est remise en question puisque la protéine BLA-36 est située sur la membrane cytoplasmique et a induit la réaction d’autres cellules dans un tissu lymphoïde équin sain (cellules lymphoïdes et endothéliales) [4, 6]. Dans une étude de 2006, les cellules T sont reconnues par des anticorps anti-CD3 et les cellules B par des anticorps anti-CD79α. Les protéines CD79α (et CD79β) sont présentes sur toutes les cellules B (saines et tumorales), mais à des stades de différenciation tardifs [9].

Conclusion

Le lymphome chez le cheval est une affection relativement rare, mais probablement sous-diagnostiquée. Les symptômes peuvent être variés selon la localisation du processus et la cavité thoracique et/ou la cavité abdominale peuvent être touchées, présentant ainsi des symptômes respiratoires et/ou digestifs. Un amaigrissement, un abattement et une anorexie sont souvent rapportés. D’autres symptômes, liés au développement d’un syndrome paranéoplasique, peuvent apparaître. L’examen histologique reste indispensable pour diagnostiquer le lymphome et le caractériser, pour pouvoir ensuite donner un pronostic aux propriétaires de l’animal.

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CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN

Remerciements

Au Dr Royers d’avoir référé la jument, à la clinique vétérinaire du Cheval Rouge pour m’avoir autorisé à utiliser les données cliniques, au laboratoire Orbio(r) d’avoir fourni les images histologiques et au Dr Pouleur-Larrat d’avoir apporté son regard d’anatomopathologiste vétérinaire à cet article.

Éléments à retenir

• L’anamnèse est un élément important puisque le lymphome est un processus évolutif relativement lent et les symptômes cliniques sont souvent peu spécifiques.

• Les symptômes dépendent de la localisation du processus, mais la perte de poids, l’anorexie et l’abattement sont des motifs fréquents de consultation.

• Certains symptômes peuvent être liés au syndrome paranéoplasique consécutif à l’activité de la tumeur primaire.

• Le diagnostic de certitude est fondé sur l’analyse histologique ante- ou post-mortem.

• Le mycosis fongoïde est une forme assez rare de lymphome cutané à cellules T.

ENCADRÉ : CAS CLINIQUE

• Commémoratifs et anamnèse

Une jument grise, poney français de selle (25 % arabe), reproductrice de 15 ans, est référée à la clinique pour une perte d’état, un abattement et une inappétence depuis son rappel annuel de vaccination contre la grippe et le tétanos, 3 semaines auparavant. La jument a reçu le jour de sa vaccination un vermifuge à base de moxidectine. La jument n’a pas voyagé dans les 18 mois (au moins) qui ont précédé la consultation et n’a pas été en contact avec de nouveaux chevaux.

• Examen clinique

La jument présente un état d’embonpoint satisfaisant (2/5 selon [7]), des muqueuses ictériques, des nœuds lymphatiques mandibulaires légèrement hypertrophiés et peu sensibles à la palpation, une légère tachycardie (48 battements par minute), une légère polypnée (20 mouvements par minute) et une température rectale de 39,2 °C. Elle présente une déformation convexe des deux salières, plus marquée à gauche (photos 1 et 2). L’auscultation pulmonaire est normale ainsi que la percussion des sinus.

• Hypothèses diagnostiques

Les hypothèses diagnostiques sont :

– un processus infectieux bactérien (gourme, sinusite, infection dentaire, hépatite, septicémie) ;

– un processus infectieux respiratoire viral (rhino-pneumonie) ;

– une piroplasmose (babésiose thélériose) ;

– une anémie infectieuse ;

– une leptospirose ;

– une ehrlichiose ;

– une borréliose ;

– un processus tumoral.

• Examens complémentaires réalisés :

– une numération sanguine est tentée à la clinique, mais l’appareil donne des résultats très partiels donc d’interprétation douteuse. Une confirmation par un laboratoire d’analyses vétérinaires met bien en évidence une légère anémie (hématies : 5,92 M/µl [normes : 7 à 9 M/µl], hémoglobine : 9,9 g/dl [normes : 11,7 à 16], hématocrite de 32,2 % [normes : 32 à 50 %]) et une sévère leucocytose lymphocytaire (leucocytes : 118 400/µl, 5 % de neutrophiles, 1 % de basophiles, 90 % de lymphocytes) ;

– l’électrophorèse des protéines sanguines totales (82 g/l) met en évidence une hypoalbuminémie (21,2 g/l, soit 25.9 %, normes : 45 à 65 %), une élévation des β1-globulines (5,8 g/l, soit 7.1 %, normes : 1 à 4 %) et des α1-globulines (32,3 g/l, soit 39.4 %, normes : 6 à 13 %) ;

– l’examen dentaire et la palpation transrectale ne révèlent pas d’anomalie ;

– les sérologies à la recherche de la gourme, d’une anémie infectieuse équine (test de Coggins), d’une thélériose et d’une babésiose se révèlent négatives ;

– l’échographie abdominale ne met pas en évidence d’anomalie majeure (absence d’épanchement significatif) ;

– une biopsie réalisée sur ladéformation de la salière gauche révèle unlymphome cutané de type T, à moyennes et grandes cellules, compatible avec un mycosis fongoïde. De plus, il est noté la présence de quelques cellules à noyau cérébriforme (cellules de Sézary), compatible avec le développement d’une leucémie lymphoïde chronique secondaire, confirmée par la sévère leucocytoselymphocytaire (photos 3 à 6).

• Pronostic

Le lymphome cutané de type T évoluant vers une leucémie lymphoïde chronique (syndrome de Sézary) est de mauvais pronostic vital. La jument est euthanasiée en accord avec le propriétaire, mais l’absence de consentement de la part de ce dernier n’a pas permis la réalisation d’un examen post-mortem.

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