NUTRITION
Cahier scientifique
Cas clinique
Auteur(s) : Concetta Amato*, Yassime Mallem**
Fonctions :
*Unité de nutrition et d’endocrinologie, Oniris,
École nationale vétérinaire agroalimentaire
et de l’alimentation, Nantes Atlantique, La Chantrerie,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3
Lors de lacération de la langue, une gestion de l’alimentation rapide et adaptée permet le bon maintien de l’état corporel et de l’état général du cheval.
La langue est à la fois un organe sensoriel, avec des nerfs pour détecter la douleur, la chaleur, la pression et le goût, et un muscle puissant qui participe à la prise, à la mastication et à la déglutition des aliments. Elle joue un rôle dans la stabilité des voies aériennes supérieures. La partie libre, très mobile, travaille de concert avec les dents et les lèvres pour sélectionner, ramasser et broyer la nourriture. Les lacérations de la langue chez les chevaux sont communes et impliquent généralement cette portion [1, 2, 4, 6, 8, 9, 14-16].
Une attention particulière doit être portée à la capacité de manger et de boire du cheval. Dans certains cas, des régimes à base d’aliments avec une consistance pâteuse et de fourrage de bonne qualité nutritionnelle sont nécessaires pour maintenir un apport alimentaire quotidien équilibré [1, 2, 4, 6, 8, 9, 14-16].
Cet article présente le suivi nutritionnel d’un cheval qui a perdu la partie libre de sa langue.
Un hongre cruzado portugais âgé de 6 ans, d’un poids de 504 kg et avec une note d’état corporel (NEC) de 3 sur 5 selon l’échelle de 1 à 5 de la méthode de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), à l’entraînement pour dressage de haute école, a subi une amputation traumatique de la partie rostrale de la langue, par morsure d’un autre cheval (photo 1) [12]. Les propriétaires ont remarqué que le cheval présentait une hypersalivation, des difficultés à manger et du sang autour de la bouche et sur les membres. L’examen oral révèle une lacération transversale complète de la langue, avec perte de la partie rostrale jusqu’au frein. L’animal présente un bon état général, mis à part une légère tachycardie. Il est à jour de ses vaccinations et de ses vermifugations. Le traitement médical comprend de la benzylpénicilline à 14 mg/kg de poids vif, de la flunixine à 1 mg/kg de poids vif, pendant 5 jours, et des lavements de bouche avec une solution de povidone iodée à 10 % diluée dans l’eau (1 cuillère à soupe de solution par litre d’eau tiède), quatre fois par jour, jusqu’à cicatrisation complète.
Après l’accident, du foin à volonté est proposé au cheval, mais il en mange et avec beaucoup de difficultés.
Avant l’accident, il était nourri avec une ration adaptée à son poids, à sa NEC et à son activité (entraînement pour dressage de haute école, travail léger et prolongé) (tableau 1) [11]. Les cinq repas journaliers étaient composés chacun de 7 kg de foin de pré, de 3 kg d’aliment floconné pour chevaux adultes à l’exercice et d’une mesure de 1 l de barbotage de son (150 g de son gros sec) avec 40 g de sel fin (tableaux 2 et 3, photos 2a et 2b).
Pour prévenir toute perturbation de l’écosystème digestif et un éventuel refus, et pour mettre en place rapidement le nouveau régime alimentaire, une ration constituée des mêmes aliments est préférée. Pour améliorer la prise alimentaire et limiter l’effet abrasif dans la bouche, celle-ci est humidifiée. L’apport énergétique du repas est réévalué car le cheval est au repos, avec seulement 30 minutes de pas au rond de longe automatique par jour [11]. Le nouveau régime est composé de 7 kg du même type de foin de pré mouillé (trempé pendant les 2 heures qui précèdent le repas dans un grand bac rempli d’eau), distribué en deux fois, de 2 kg de l’aliment floconné habituel, plus deux mesures (2 l) de barbotage de son (300 g de son gros sec), à répartir en quatre repas. L’aliment floconné est d’abord mélangé avec le barbotage de son, et 1 à 2 l d’eau sont ensuite ajoutés pour obtenir une consistance pâteuse.
En raison de sa composition, l’aliment floconné suffit à assurer les besoins en minéraux et en vitamines.
Avec ce type d’alimentation, l’ingestion alimentaire s’est améliorée et, à partir du cinquième jour, le cheval mâche et avale de façon efficace, même s’il continue à manger lentement. Après 2 semaines, la langue est parfaitement guérie par seconde intention. Le cheval est nourri avec cette ration humide pendant 3 mois.
Ensuite, le foin (7 kg) et la demi-portion (1 kg) de l’aliment floconné sont distribués secs. Le cheval reçoit seulement un repas humidifié (1 kg d’aliment floconné + 1 l de barbotage de son + 40 g de sel fin). Cette quantité journalière est distribuée en quatre repas.
Tout de suite après l’accident, le sel fin a été suspendu volontairement, pour prévenir d’éventuelles sensations de picotement et un refus de l’aliment pour cette raison. Le sel est réintroduit après 3 mois, à la dose de 40 g/j. Cette quantité couvre les apports recommandés pour un travail très léger à léger.
Globalement, les deux rations (avant et après l’accident) respectent les apports en nutriments recommandés pour un travail léger et repos/travail très léger, donc aucun autre complément alimentaire n’est ajouté.
Le cheval a repris progressivement le travail 1 mois après, en utilisant un mors avec le canon revêtu de mousse.
Lors de la visite de contrôle 8 mois après l’accident, l’état général du cheval est bon, sa langue parfaitement guérie. Il n’a jamais présenté aucune difficulté pour manger et pour boire, et a gardé un comportement normal (photo 3). Son poids et son état corporel restent stables (poids 509 kg, NEC 3/5). Le temps d’ingestion alimentaire est augmenté car le cheval mange plus lentement (plus de 3 heures pour consommer 3,5 kg de foin). La perte de salive s’est atténuée. Cependant, il n’est plus capable de lécher la salive sortant de sa bouche et s’essuie sur ses membres. Au travail, les propriétaires ne remarquent pas de comportements particuliers et le niveau de l’animal progresse normalement.
Les quantités de la ration journalière (foin et aliments concentrés) sont ajustées mensuellement en fonction de l’état général et de la charge de travail du cheval.
Les anomalies concernant la langue incluent les lésions traumatiques, les glossites, les néoplasies et la paralysie [1, 8, 9, 14-17]. Les lacérations de la langue chez les chevaux sont communes et impliquent généralement la partie mobile. La majorité est d’orientation transversale [6, 8]. Les lacérations peuvent être dues à des corps étrangers pointus comme un morceau de fil de fer ou les barbes des graminées présentes dans le foin, à l’utilisation inappropriée du mors ou à un traumatisme. Les mors sont la source la plus fréquente de blessures de la langue chez les chevaux [1, 2, 6, 8, 9, 15, 16]. Certains d’entre eux sont plus sévères et plus susceptibles de provoquer des blessures, qu’elles soient accidentelles ou dues à une manipulation brutale. Les morsures sont rares, mais parfois un cheval se fait trancher la langue par un congénère [1, 9, 15, 16].
La symptomatologie et le traitement dépendent de la gravité et de l’emplacement de la lésion. Les signes cliniques comprennent des saignements, un ptyalisme, une inappétence, une anorexie, une dysphagie, une perte de poids, une halitose, une ptôse de la langue, une pyrexie, une prostration ou une résistance à la manipulation [8]. Le traitement médical comporte un anti-inflammatoire non stéroïdien, des antibiotiques et des lavages de la bouche avec une solution antiseptique [1, 8, 9, 14-16]. Des lacérations mineures et superficielles peuvent guérir efficacement en deuxième intention, en 2 semaines, sans laisser de cicatrices notables. La glossectomie partielle est réservée aux cas où le tissu de la partie libre de la langue est dévitalisé et l’attachement entre la section coupée et le corps est minimal. Une perte involontaire de salive peut être observée à la suite de l’amputation de cette partie.
Après une glossectomie, une réduction, voire une perte de la mobilité linguale sont observables. Une altération de la mastication, du contrôle et de la propulsion du bol alimentaire vers le pharynx et, par conséquent, des stases alimentaires apparaissent alors au niveau buccal, ainsi que des troubles de la sensibilité en regard de la zone de section et de la suture [5]. Cette altération de la sensibilité et la présence de stases alimentaires vont favoriser les fausses routes lors de la déglutition [5, 6, 9, 16].
Chez le cheval, ces complications sont possibles, mais elles ne sont généralement pas significatives. Bien que la contamination soit inévitable, l’infection est rare [1, 9]. Un gonflement de la langue et une déhiscence de la suture peuvent être observés, mais le traitement médical (antibiotiques, anti-inflammatoires et lavages antiseptiques après chaque repas) et une alimentation de consistance pâteuse à liquide diminuent leur incidence. Une incontinence salivaire et alimentaire peut aussi être notée, après l’amputation d’une grande portion de la partie mobile de la langue [1, 6, 8, 9, 15, 16]. Après une glossectomie partielle, la plupart des chevaux sont capables de manger et de boire efficacement. Une certaine difficulté est parfois présente au début, mais les animaux s’adaptent rapidement et sans conséquences, comme cela a été observé dans ce cas et dans les données publiées [1, 6, 8, 9, 14-16].
Une étude chez l’homme a prouvé l’existence d’une significative corrélation inverse entre le volume de nourriture avalé par seconde et la taille de la partie de langue manquante. Elle a démontré que la déglutition reste normale si la perte est inférieure à 1/6e de l’ensemble de cet organe. Le cheval de ce cas a perdu la partie libre de la langue, ce qui représente probablement plus que 1/6e de sa longueur totale. Dans ce cas, le cheval ingère et mâche la nourriture plus lentement, mais ne présente pas de difficulté de déglutition par rapport à l’homme [5].
Afin d’établir une ration adaptée, il convient de prendre en compte plusieurs paramètres liés directement au cheval (race, poids, NEC, âge, sexe, activité et état clinique) et aux divers aliments qui doivent la composer. Les apports nutritionnels journaliers correspondent à la quantité d’aliments nécessaires pour couvrir les besoins quotidiens : en énergie exprimée en unité fourragère cheval (UFC), en protéines exprimées en grammes de matière azotée digestible cheval (MADC), en minéraux, en oligoéléments et en vitamines [7, 11, 12]. La ration ainsi constituée doit couvrir les dépenses d’entretien et éventuellement de travail, et maintenir les animaux en bonne santé.
L’aliment floconné pour chevaux à l’exercice, humidifié par le barbotage de son et l’eau, a été plus facilement consommé par le cheval de ce cas, car moins abrasif et moins dur que l’aliment sec. Il nécessitait moins de temps de mastication, était plus facile à avaler et avait une meilleure valeur nutritionnelle que le foin [1, 3, 6, 8, 9, 15, 16]. Toutefois, afin de préserver le bon fonctionnement du système digestif et l’équilibre comportemental du cheval, une partie de la ration journalière doit être composée de fourrages (> 20 %). Le foin peut être bien toléré, mais doit être de bonne qualité. En général, plus le foin est mature, plus il est rigide (sec) et plus sa digestibilité est compromise [7, 12].
Les chevaux atteints d’une maladie parodontale modérée, avec une capacité réduite à mastiquer, ne sont souvent pas en mesure de satisfaire leurs besoins nutritifs quotidiens, en mangeant de la paille et du foin à brins longs uniquement. Le régime alimentaire doit donc être adapté, en remplaçant une partie de ce type de fourrage par du fourrage haché. Du foin en cubes peut être utilisé comme aliment unique, car il contient un mélange de fibres longues, foin de luzerne, céréales, soja, pulpe de betterave, mélasse de canne, etc. [10].
Pour les chevaux dont la capacité de mastication est fortement réduite, il est recommandé d’utiliser du fourrage en granulés trempés pour faciliter l’ingestion et la mastication. Chez les individus âgés avec des anomalies dentaires graves et/ou de nombreuses dents manquantes, des modifications diététiques à long terme peuvent être nécessaires. Dans ce cas, une alimentation à base d’aliments complets (granules ou floconnés), avec une teneur de 15 à 20 % de cellulose brute (indispensable au bon fonctionnement du tube digestif), est une bonne solution alternative [10].
Dans certains cas de blessures de la bouche ou de la langue, qui s’accompagnent d’une difficulté à manger et d’une consommation journalière réduite, une huile végétale peut être ajoutée, de manière à augmenter la valeur énergétique de la ration (foin + aliment concentré). Pour prévenir un refus et/ou une diarrhée, l’apport doit être progressif (60 à 120 ml par jour jusqu’à 500 à 600 ml pour un cheval de 500 kg). L’huile ne doit pas être ajoutée chez les animaux hyperlipidémiques [3, 5].
Lors de plaies graves et étendues, une alimentation par sonde nasogastrique est parfois nécessaire [3]. Des régimes alimentaires appropriés peuvent être formulés en utilisant des aliments complets en granulés pour chevaux adultes, disponibles dans le commerce. Les aliments granulés sont d’abord broyés et humidifiés, jusqu’à obtenir une consistance liquide, pour favoriser le passage par la sonde. Un mélange de 1 kg d’aliment granulé et de 4 l d’eau environ est recommandé. Une fois que cette eau a été absorbée, 2 l d’eau supplémentaires sont ajoutés pour former une bouillie qui peut être administrée par la sonde. Quand une alimentation par voie entérale est mise en place, en particulier en cas d’anorexie prolongée, il est préférable de commencer graduellement et d’augmenter la quantité d’aliment sur plusieurs jours. Tout changement brutal de ces conditions, quantitatif ou qualitatif, entraîne de nombreuses perturbations, qui peuvent se traduire par des diarrhées et/ou des coliques, une fourbure, des surcharges hépatiques par auto-intoxication ou des entérotoxémies, ou, dans les cas extrêmes, des septicémies [12]. De petites quantités de foin doivent toujours rester à disposition du cheval pour favoriser la prise alimentaire volontaire [13].
L’objectif d’une ration alimentaire est de satisfaire l’ensemble des besoins nutritionnels grâce à des apports équilibrés, en respectant les caractéristiques digestives du cheval [7, 12]. L’écosystème digestif est un milieu en équilibre sur les plans structurel (composition de la microflore) et fonctionnel (activités des enzymes sécrétées par la paroi digestive et les microorganismes) correspondant à des conditions d’environnement données, notamment la nature et la quantité d’aliments distribués.
La malnutrition, comme conséquence de la maladie, provoque la dépression du système immunitaire, la diminution de la synthèse de protéines, l’atrophie des villosités intestinales et la réduction de l’activité des enzymes digestives. Elle va donc retarder la guérison et entraîner une faiblesse et une léthargie [3].
Ce cas démontre que les chevaux peuvent reprendre le travail après une glossectomie partielle. Cependant, une bonne connaissance par le propriétaire de l’action des mors, des brides et des accessoires est nécessaire pour qu’il choisisse les plus adaptés. Les chevaux peuvent présenter une sensibilité accrue à l’action du mors à cause de la douleur provoquée sur le tissu cicatrisé et/ou déformé [2, 9].
Le cheval peut s’adapter en cas de déficit de la mobilité linguale à la suite d’une glossectomie partielle. Une prise en charge nutritionnelle rapide et adaptée, avec du barbotage, du mash ou des aliments granulés/floconnés bien hydratés, donne à l’animal la possibilité de s’alimenter rapidement, sans conséquence sur son état corporel et son état général.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
• La langue intervient dans la préhension, la mastication et la déglutition des aliments, la vocalisation et le toilettage.
• Les tissus mous de la cavité buccale sont exposés aux lésions traumatiques, mais ils ont une bonne capacité de réparation.
• En cas de blessure, une alimentation semi-solide (mash, barbotage, aliments concentrés humidifiés) peut être nécessaire pour faciliter la mastication et la déglutition.
• La reprise d’un travail normal est possible après amputation partielle de la langue.
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