ORTHOPÉDIE
Cahier scientifique
Cas clinique
Auteur(s) : Gabriel Cuevas Ramos*, Beatrice Mateo de la María**, Fanny Simon***
Fonctions :
*Clinique équine
Université de Toulouse INP-ENVT
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse
Atteinte d’une fourbure aux quatre pieds, une jument de trait a recouvré sa locomotion et sa qualité de vie. L’association d’une maréchalerie corrective, d’une ténotomie sur les membres antérieurs et d’une équipe soignante efficace est essentielle.
Une jument de trait âgée de 6 ans, pesant 770 kg, présente une sévère myosite après une compétition d’attelage et des signes de fourbure apparaissent 48 heures après l’effort. Elle est référée à la clinique équine de l’École nationale vétérinaire de Toulouse pour une fourbure évoluant depuis 15 jours, lorsqu’un écoulement coronaire est apparu sur le pied du membre antérieur gauche.
À l’admission, la jument est fourbue des quatre pieds (présence de chaleur, pouls digité augmenté, sensibilité relevée à la pince exploratrice, prostration), avec un indice d’Obel de grade 4 (encadré 1).
La jument a été confinée dans un box avec une litière en copeaux très épaisse. L’eau et la nourriture ont été placées à ses côtés pour qu’elle puisse y accéder même en décubitus. Les paramètres biologiques (hémogramme et protéines plasmatiques) et la prise d’eau ont été évalués. Des examens cliniques ont été réalisés de façon quotidienne. Le traitement anti-inflammatoire et analgésique a été assuré par de la phénylbutazone (2,2 mg/kg per os) deux fois par jour pendant 5 jours, puis une fois par jour pendant 2 semaines. Ensuite la jument a reçu une demi-dose (1,1 mg/kg per os) au maximum deux fois par jour, selon son confort, évalué par son appétit et les paramètres cliniques (fréquence cardiaque principalement). Pour prévenir une ostéite septique, une antibiothérapie a été mise en place avec du triméthoprime-sulfaméthoxypyridazine (15 mg/kg per os deux fois par jour) et elle a été maintenue pendant 6 semaines, jusqu’à ce que l’écoulement des pieds s’arrête et que le tissu lamellaire exposé se soit kératinisé (figure).
En raison du poids important de la jument et de son incapacité à se soutenir, l’évaluation radiographique initiale a été effectuée en même temps que la maréchalerie, avec l’animal partiellement suspendu dans un harnais à l’aide d’un palan. Les images ainsi obtenues ont révélé :
– une rotation de la troisième phalange (P3) de 15° sur le pied antérieur gauche, de 12° sur le pied antérieur droit et de 8° sur les deux pieds postérieurs ;
– une descente de P3 de 0,5 cm sur les deux pieds antérieurs ;
– des zones radio-transparentes entre la paroi du sabot et P3, signe de la dégradation de l’appareil lamellaire (AL), observables sur les quatre pieds, mais plus significatives sur les membres antérieurs (encadré 2).
Des examens radiographiques ont été réalisés à un intervalle de 6 semaines, en même temps que la maréchalerie (parage et referrage), afin de rendre l’organisation et la mise en place de la correction progressive de l’alignement plus efficaces (photos 1a à 1i).
En raison de l’extrême inconfort de son état, l’animal a été légèrement tranquillisé et suspendu à l’aide d’un palan et d’un harnais. Une ténotomie a été effectuée sur les tendons fléchisseurs profonds du doigt des membres antérieurs sous anesthésie locale, en regard du tiers moyen du métacarpe. Un parage correctif de la sole et de la paroi du sabot a ensuite été réalisé, et une ablation en pince de cette dernière a été pratiquée sur les quatre pieds à l’aide d’une pince à parer. Cette opération a été effectuée jusqu’à ce qu’un important drainage soit obtenu. Aucun des quatre pieds n’a fait l’objet d’une hémorragie, signe de la perte de fonction de l’AL. L’objectif de cette ablation était de créer une fenêtre artificielle au point le plus déclive du sabot pour permettre l’évacuation des exsudats et des transsudats, afin de réduire la pression dans la région du bourrelet coronal. Pour protéger la pince, éviter qu’elle ne supporte toute la charge et répartir le poids sur l’ensemble de la surface solaire, un fer à l’envers a été mis en place et la sole a été recouverte d’une résine amortissante (photos 2a à 2e). La partie restée exposée en pince a été recouverte de compresses imprégnées avec une solution iodée à 1 % et maintenues en place à l’aide d’un bandage adhérent. Durant les semaines suivantes, le cheval est resté prostré en décubitus. Les sabots ont été nettoyés tous les jours et les pansements changés une fois par jour. Les soins ont été renouvelés jusqu’à ce que le drainage s’arrête et que les tissus exposés se soient kératinisés. Six et douze semaines après les premières interventions correctives, le cheval a été de nouveau suspendu à l’aide d’un palan et d’un harnais sous légère sédation, afin d’effectuer un parage sur la paroi néoformée du sabot et de repositionner le fer et la résine [7]. Dans la mesure où la rotation de P3 et sa descente ont modifié l’alignement de la paroi du sabot en croissance, une attention toute particulière lui a été portée lors des parages et des ferrures, afin d’obtenir un réalignement des structures en accord avec le nouvel angle de croissance du sabot et d’équilibrer l’orientation du mieux possible. Dix-huit semaines après son admission, le cheval est capable de se tenir debout et supporte les parages sans le soutien d’un palan. Progressivement, en suivant le même angle de la surface solaire de P3 que celui observé à la radiographie, le bord dorsal de P3 a été réaligné à celui de la nouvelle paroi dorsale du sabot. Une apparence normale du sabot et des images radiographiques a été obtenue 42 semaines après la consultation en référé de la jument. La nouvelle paroi a totalement remplacé l’ancienne et aucune zone radio-transparente n’est visible à la radiographie (photos 3a à 3c).
Tant que la jument est incapable de se lever, elle est régulièrement changée de côté, pour prévenir des complications liées à une compression prolongée.
Pendant les 6 à 12 premières semaines, elle perd 80 kg, bien que les prises alimentaire et hydrique restent normales. La douleur est stabilisée durant cette période et la jument devient de plus en plus confortable. L’animal est hospitalisé pendant 6 mois, puis est ramené toutes les 6 semaines pour les soins de maréchalerie pour les 6 mois suivants, jusqu’au remplacement complet de la paroi du sabot. La jument est confinée dans un box pendant l’hospitalisation, à la suite de laquelle elle a accès à un petit paddock de sable (16 m2). Une fois que l’alignement entre P3 et la paroi du sabot est redevenu normal, elle a accès à un paddock d’herbe et est mise progressivement en liberté. Selon le propriétaire, la jument a mis une année supplémentaire à recouvrer une locomotion normale, même si elle n’a présenté aucun autre épisode de fourbure. Six années plus tard, elle se porte très bien, avec des sabots dont la conformation est normale.
Une fourbure peut être déclenchée par de nombreux facteurs : un excès de glucides dans la ration alimentaire, une endotoxémie ou une surcharge pondérale. Face à cette affection aiguë, la maréchalerie se concentre essentiellement sur la préservation de l’AL et la prévention d’une perte de sa fonction. L’AL maintient le bon parallélisme entre la paroi dorsale du sabot et P3. Par conséquent, prévenir la dégradation de ces lamelles permet de limiter la rotation de la phalange, sa descente, la séparation et la descente du bourrelet coronal, prévenant ainsi la dégénération du chorion coronal et une perforation de la sole. Si l’épisode de fourbure aiguë ne peut être contrôlé, un processus préjudiciable à long terme s’initialise et la fourbure chronique s’installe. La douleur persiste, une ischémie affecte l’AL, des hémorragies et des œdèmes se répandent dans le sabot, et une descente et/ou une rotation de P3 apparaît. À ce stade, la maladie interrompt l’activité sportive du cheval et, dans les cas graves, une euthanasie peut être envisagée.
Les quatre pieds de la jument ont pu être la cible de mécanismes toxiques, métaboliques et enzymatiques déclenchés à la suite d’un épisode de myosite, par une activation excessive des métalloprotéinases de la matrice extracellulaire [5]. Ce mécanisme conduit à une dissolution incontrôlée des composants fondamentaux de l’AL et provoque la séparation de structures lamellaires [2, 4]. Les dommages tissulaires, comme la nécrose cellulaire, amplifient la réponse inflammatoire et peuvent être responsables de la poursuite de la destruction des tissus même après la résolution de l’affection initiatrice des troubles (photos 4a à 4d) [1].
À son admission, la jument présente une fourbure sévère avec une rotation marquée des troisièmes phalanges, plus importante sur les membres antérieurs, ainsi qu’une descente de celles-ci et des bourrelets coronaux. L’une des conséquences principales du désengrènement et de la dégradation de l’AL est la perte d’alignement de P3 avec la paroi dorsale du pied, ce qui se traduit par une croissance anormale de la muraille (anneaux divergents, déformation de la corne, sole aplatie ou convexe, élargissement de la ligne blanche) [6]. Afin de prévenir ces complications et de préserver l’intégrité du chorion coronal, essentiel à la croissance de la paroi, une ténotomie du tendon fléchisseur profond du doigt a été réalisée sur les deux pieds antérieurs, suivie d’une ablation en pince de la paroi sur les quatre pieds. La ténotomie aide à réduire la tension sur P3 et limite son basculement, tandis que l’ablation en pince permet le drainage des sécrétions (sérum, transsudat) pour éviter qu’elles ne s’accumulent et ne drainent au niveau coronal. Bien que la jument appartienne à une race lourde, la ténotomie n’a pas eu d’effets secondaires négatifs sur ses aplombs antérieurs, ni sur sa locomotion après rétablissement.
Le parage thérapeutique est essentiel au réalignement normal, oriente favorablement la croissance de la paroi et permet ainsi la reconstruction vasculaire [3]. La réalisation d’une ablation de la pince permet au pied de garder une meilleure stabilité par rapport à une résection totale de la paroi dorsale du sabot. Cet aspect est particulièrement important lorsque l’AL n’est plus fonctionnel, comme dans le cas décrit.
Le pied du cheval est un organe complexe. L’équilibre entre toutes ses structures internes est remarquable. Tout dysfonctionnement a des conséquences. La fourbure est une affection extrêmement débilitante aussi bien en phase aiguë qu’en phase chronique. La mise en place des traitements dépend de l’expérience des praticiens et des résultats des études publiées. Ainsi actuellement, l’intérêt de la cryothérapie et de la vénographie est indéniable et démontrée, alors que 8 ans auparavant, quand cette jument a été référée, elles n’étaient pas envisagées. Cependant, la guérison de cette jument a été complète, grâce à un traitement rapide, à des soins réguliers et au tempérament et à la coopération de l’animal.
• Grade 1 : le cheval reporte son poids d’un pied sur l’autre et montre des signes d’inconfort. Aucune boiterie n’est présente.
• Grade 2 : le cheval peut marcher au pas, mais sa démarche est caractéristique : foulées raccourcies, poser du pied anticipé.
• Grade 3 : le cheval marche très difficilement et il est difficile de lui prendre un pied.
• Grade 4 : le cheval refuse de se déplacer et peut rester couché. Il est impossible de lui prendre un pied.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
• Lors d’une fourbure, il convient de mettre en place un traitement hygiénique adéquat, de faciliter l’accès à l’eau et à la nourriture, d’aménager une litière épaisse et de limiter les déplacements du cheval.
• Le traitement doit préserver l’intégrité du chorion coronal et solaire.
• Si la création d’une zone de drainage est nécessaire, l’ablation en pince doit être de grande taille.
• Le réalignement des structures du pied doit être progressif.
La troisième phalange est maintenue en place dans l’étui corné grâce à un système d’engrènement dermo-épidermal complexe constitué des lames épidermales du tissu kéraphylleux. L’examen microscopique des structures à l’intérieur du sabot montre que la surface lamellaire est étendue par des lamelles secondaires sur chaque lamelle primaire. Environ 150 à 200 lamelles secondaires existent sur toute la longueur des 550 à 600 lamelles primaires. Les lamelles épidermiques forment le kéraphylle et sont engrenées avec les lamelles du derme ou podophylle. L’extrémité de chaque lamelle pointe vers la phalange distale, témoignant de la direction de la tension à laquelle elles sont soumises. La fonction de ces structures consiste à maintenir la phalange distale alignée à la paroi et stable dans le sabot.
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