ORTHOPÉDIE
Cahier scientifique
Etude
Auteur(s) : Sébastien Caure*, Denis Leveillard**, Diane Havard***, Patrick Dofemont****, Bruno Baup*****, Romane Warlop******, Luc Leroy*******
Fonctions :
*Centre hospitalier vétérinaire équin de Livet, cour Samson, 14140 Saint-Michel-de-Livet
** 6, rue des Dolmens-Changé, 28130 Saint-Piat
***Oniris, École nationale vétérinaire, 102, route de Gachet, 44300 Nantes
****Institut de la maréchalerie, 82, rue de l’Hôtel-de-Ville, 75180 Paris Cedex 04
*****Centre hospitalier vétérinaire La Clinique du cheval, 3910, route de Launac, 31330 Grenade
******École nationale vétérinaire, 23, chemin des Capelles, 31300 Toulouse
*******6, rue des Dolmens-Changé, 28130 Saint-Piat
Pour optimiser la collaboration entre les professionnels de la locomotion du cheval et les échanges avec les utilisateurs, des outils de communication, notamment pour évaluer la santé du pied du cheval, sont utiles.
Le modèle du pied idéal ne tient pas compte de la génétique, de la race, de l’âge, de la conformation, de l’influence de l’environnement et de la discipline du cheval, ces facteurs étant pourtant primordiaux (encadré 1) [42]. La notion de pied sain peut, en revanche, s’appliquer à n’importe quel type de pied. Par définition, le pied sain garde un rapport structure/fonction équilibré, quel que soit l’aplomb ou la conformation. Un pied qui s’éloigne du modèle du pied idéal n’est donc pas pour autant un pied non sain. Certes, les écarts au modèle idéal peuvent prédisposer le pied à des affections, mais également être la conséquence d’une adaptation physiologique du pied à une situation telle qu’un défaut de conformation ou une modification de l’environnement, et au contraire limiter l’apparition de phénomènes pathologiques [2, 41, 52, 57].
Le spectrum de K.C. La Pierre a inspiré le début de notre réflexion (figure 1) [35]. K.C. La Pierre, fondateur de l’Institute of Applied Equine Podiatry, est le premier auteur à proposer une grille d’évaluation du pied du cheval aussi détaillée, le “Spectrum of usability”. Les critères choisis pour cette grille sont au nombre de sept : la fourchette, la sole, les talons, les barres, les quartiers, la pince et les cartilages/coussinet digital. Il ajoute à son évaluation du sabot l’évaluation du pouls digité et le test de la pince à sonder. Une note de 1 (mauvais) à 9 (excellent) est donnée à chaque partie du pied. Cela permet un suivi quantitatif de l’évolution bonne ou mauvaise du pied. L’apprentissage d’une notation sur une telle échelle est cependant difficile.
Pour étudier les pieds des chevaux sauvages ou domestiqués, les parties observées, et généralement comparées au pied idéal, sont la bande coronaire, la paroi, la sole et la ligne blanche, la fourchette, les barres, les lignes de pousse et l’angularité [7, 8, 20, 28, 29, 40, 45, 58].
Pour élaborer cette grille d’évaluation du pied sain, nous avons repris ces critères, sauf l’angularité, trop liée à la notion de beau pied et discutée plus loin.
Les objectifs de notre étude sont de :
- donner une définition répondant à des critères de santé, et non pas à des critères morphométriques du cheval (type angle du pied, longueur de pince, etc.) ;
- tester la pertinence de ces définitions avec des apprenants en maréchalerie et en médecine vétérinaire par des mesures de reproductibilité et de répétabilité ;
- faire évoluer les définitions à la suite des ressentis des apprenants et des dépouillements successifs des résultats.
Notre hypothèse de travail est que notre grille d’évaluation présente une reproductibilité et une répétabilité acceptables et comparables aux études cliniques préalablement publiées [11, 18, 24-26, 39, 47, 50].
Huit critères ont été retenus (photos 1a, 1b et figure 2). Une définition, correspondant à celle du pied sain, a été élaborée par critère, à la suite d’échanges entre Denis Leveillard, maréchal expérimenté, et Sébastien Caure, docteur vétérinaire. Puis ces définitions ont été échangées, testées et discutées au sein du groupe et ont servi de base à la notation. Ces définitions sont donc le fruit des connaissances, de l’observation et de l’expérience des maréchaux et des vétérinaires du groupe de travail (encadré 2).
Au cours de notre étude, quelques modifications ont été apportées à la suite des deux premiers tests d’évaluation. Des définitions ont été améliorées (évasement, lignes de pousse et de contrainte), et le critère couronne a été ajouté pour le dernier test d’évaluation.
Le système de notation est établi de la façon suivante :
- N : normal ou sain ;
-AN : anormal ou en souffrance. Dans ce cas, les caractéristiques du pied ne répondent pas à la définition du pied sain, et sont l’expression d’un déséquilibre structure/fonction et/ou d’une maladie sous-jacente ;
- D : douteux, à signaler et/ou à surveiller.
Des tests ont été réalisés successivement par trois groupes d’apprenants :
- test 1 avec huit étudiants en deuxième année de BTM (brevet technique des métiers) maréchalerie à Gourdan-Polignan (Haute-Garonne) ;
- test 2 avec sept étudiants de quatrième et de cinquième année de l’École nationale vétérinaire de Toulouse ;
- test 3 avec deux internes et trois stagiaires vétérinaires du Centre hospitalier vétérinaire équin de Livet (Calvados).
Chacun des tests débute par un temps pédagogique théorique de 90 minutes au cours duquel sont présentés la technique d’examen du pied, les critères choisis, les définitions du pied sain, des exemples de maladies et le système de notation.
Le public s’exerce ensuite à noter les différents critères sur 40 photos, ce qui permet de vérifier la bonne compréhension des apprenants. Ces derniers s’expriment, puis les auteurs corrigent et commentent les photos.
Les tests 1 et 2 ont été réalisés en salle, en utilisant comme support un diaporama permettant, en fonction des vues utilisées (latérales, palmaires ou plantaires, et solaires), que chaque critère soit évalué 10 fois par chaque apprenant sur 10 photos différentes.
Le test 3 est effectué sur les quatre pieds de 3 chevaux donneurs de sang appartenant au Centre hospitalier vétérinaire équin de Livet (âgés de 5 à 12 ans, avec une hauteur au garrot de 157 à 170 cm, dont 2 trotteurs français et 1 pur-sang arabe, 2 hongres et 1 femelle).
Pour évaluer la répétabilité de ce système d’évaluation, les apprenants ont renouvelé les notations, à 4 heures d’intervalle pour le test 1 et à 10 jours d’intervalle pour les tests 2 et 3, pour des raisons pratiques.
L’ensemble des données ont été analysées par un test de kappa de Cohen. Ce test calcule l’indice kappa, noté K, qui chiffre l’intensité de l’accord réel entre des jugements qualitatifs [30, 53]. Il permet de donner une interprétation du niveau d’accord à partir d’un résultat chiffré (tableau 1).
Pour chacun des trois tests, les résultats de chaque apprenant ont été comparés entre la première série et la deuxième série de mesures. Cela permet de calculer les valeurs de kappa pour chaque apprenant et par critère, et ensuite d’en faire une moyenne par critère.
Pour la première série de mesures, au sein de chaque groupe test, les apprenants ont été comparés deux à deux, par critère, grâce à un test de kappa. Ensuite, par groupe test, une moyenne des valeurs de kappa est calculée pour chaque critère.
La répétabilité est modérée pour les différents groupes et critères sauf :
- pour le test 1, avec l’évaluation de la fourchette avec un bon accord ;
- pour le test 2, avec l’évaluation des lignes de pousse et de contrainte, et des cartilages, avec un bon accord ;
- pour le test 3, avec l’évaluation des cartilages et de la fourchette, avec un bon accord, et l’évaluation de la sole et de la ligne blanche, avec un accord excellent ;
- pour le test 3, avec l’évaluation de la couronne, avec un accord médiocre (tableau 2).
Les mesures de reproductibilité sont issues de la comparaison deux à deux par groupe test et par critère. Seules les moyennes par critère et par groupe test sont présentées (tableau 3).
Les accords sont mauvais à médiocres pour les trois tests, sauf pour l’évaluation de la sole et de la ligne blanche pour le test 3 où l’accord est bon.
Pour la reproductibilité et la répétabilité, les valeurs de kappa sont meilleures pour les tests sur chevaux que pour les tests sur photos.
La réflexion sur l’évaluation du pied est menée de longue date au sein de notre groupe de travail [3, 15]. La rencontre avec Xavier Méal et la découverte du spectrum de K.C. La Pierre nous ont permis de mieux structurer notre approche du pied [35]. Des premiers essais de reproductibilité et répétabilité par les coauteurs, sur un spectrum modifié de K.C. La Pierre (notes de 1 à 5, plutôt que de 1 à 9, données sur les pieds bruts, soit non parés, de 5 chevaux (1)) ont montré que, sur l’observation réalisée à la suite d’un exposé de 2 heures par Xavier Méal, les maréchaux-ferrants avaient une meilleure répétabilité (kappa moyen = 0,27) que celle des vétérinaires (kappa moyen = 0,13).
La plus grande facilité constatée des maréchaux résulte de leur formation et de leur pratique quotidienne d’évaluer les pieds, parés ou non.
A contrario, les vétérinaires sont plus rompus aux descriptions anatomiques et radiographiques plus ou moins sophistiquées, mais présentent moins de compétence pour l’évaluation des pieds, ne serait-ce que pour juger une fourchette [12, 58].
Cependant, dans les deux cas, la répétabilité de ce test sur spectrum simplifié de K.C. La Pierre n’était pas satisfaisante.
C’est donc à la suite de cette première expérience que nous avons décidé d’élaborer des définitions du pied sain par critère retenu, en s’affranchissant le plus possible du pied idéal, dans l’objectif d’harmoniser l’approche du pied par nos deux professions. Ainsi, un maréchal du groupe, Denis Leveillard, assisté d’un vétérinaire du groupe, Sébastien Caure, ont élaboré une première définition, par zones du pied, de ce qu’ils considéraient comme sain. Ensuite, les définitions ont été testées par chacun des auteurs, et des modifications ont été proposées, jusqu’à ce que tous les auteurs soient d’accord. Enfin, les retours d’expérience avec les apprenants nous ont permis de peaufiner nos définitions.
Ces définitions sont donc le fruit des données publiées, mais surtout de l’observation et de l’expérience des maréchaux et des vétérinaires du groupe.
Dans les publications, le fait que la couronne doit tenir dans un plan n’est pas décrit aussi expressément que dans notre définition du pied sain. O’Grady décrit la forme d’une couronne saine comme dessinant une courbe régulière, qui descend progressivement de la pince vers les talons [43]. Dyson et coll. montrent une association entre une couronne concave ou convexe, soit non rectiligne, et l’ancienneté de la boiterie [16]. Les déformations de la couronne sont toutes reconnues comme indicatrices d’affections ou de contraintes anormales [6, 21, 46, 57, 58]. En cas de surcharge chronique, le déplacement d’une section de la couronne associé au changement d’angulation du bourrelet coronaire peut être constaté. L’ensemble de la boîte cornée est alors incliné [43].
Nous pouvons donc considérer que notre définition de la couronne du pied sain est conforme aux données actuelles de la science.
Pour le pied idéal, la forme générale de la boîte cornée est symétrique vue de face par rapport au plan sagittal, et les hauteurs des parois latérales et médiales sont égales. Cependant, la paroi médiale est généralement légèrement plus haute et plus verticale [46]. L’axe phalangien peut être dévié vers l’extérieur (pied panard) ou vers l’intérieur (pied cagneux), auquel cas une moitié du sabot est plus élevée et plus évasée que l’autre [43]. Ce critère de forme de la boîte cornée ne peut donc pas être retenu dans le cadre d’un système d’évaluation du pied sain car il est trop difficile à définir et à appréhender, et surtout, car il fait encore une fois référence au pied idéal. Des techniques de photographie en trois dimensions permettent d’évaluer le volume de la boîte cornée de manière répétable et reproductible, mais la précision n’est pas suffisante pour évaluer l’influence du parage [34].
L’angle de la couronne peut être utilisé pour estimer la position de la troisième phalange à l’intérieur de la boîte cornée [54, 57]. L’angle normal moyen pour un membre antérieur est d’environ 25°, cependant il existe naturellement des variations raciales et disciplinaires importantes dont il convient de tenir compte [19].
L’angle de la paroi dorsale par rapport au sol est variable et lié à la conformation du doigt. Il est considéré comme normal entre 45 et 50° pour les membres antérieurs et entre 50 et 55° pour les membres postérieurs. Si l’aplomb du doigt est droit jointé, l’angle de la paroi dorsale est à plus de 50° pour les membres antérieurs et à plus de 55° pour les membres postérieurs, si l’aplomb est court jointé, l’angle est à moins de 45° et 50° respectivement [1, 4, 14, 21, 38]. L’angle de la paroi au niveau du talon doit correspondre à environ celui de la paroi dorsale du sabot, voire être légèrement plus faible. Si l’angle est beaucoup plus aigu en talon qu’en pince, les talons sont fuyants, ce qui a des conséquences souvent néfastes pour la biomécanique du pied [43, 46]. L’utilisation de repères externes pour parer le pied selon la théorie géométrique de Duckett, reprise par de nombreux maréchaux outre-Manche, ne permet pas d’obtenir un équilibre du pied identique quelle que soit sa conformation. Le parage ne peut donc être réalisé selon un modèle idéal, mais doit être adapté à chaque cas [9, 42]. La technique radiologique sur le parallélisme des bords distaux de la première et de la deuxième phalange sur la vue de face à l’appui, rapportée par Caudron et coll., est difficile à transposer à tout type de pied, car elle est également fondée sur un pied idéal [10]. Le parage modifie beaucoup les paramètres radiologiques [32, 33]. En raison des variations importantes constatées dans les données publiées avec peu ou pas de référence aux critères de santé, nous n’avons pas repris le critère d’angle. Notre objectif est d’apprendre à regarder, et de préciser ce qui se rapproche ou non du pied sain en dépit des différences de race et de culture [54]. Au final, quel que soit le cheval, un pied correctement vascularisé, avec une paroi lisse et régulière, et une fourchette bien proportionnée, stabilisée par des barres bien orientées, répond aux critères du pied sain. Ainsi, un talon haut et droit d’un cheval allemand peut être sain, au même titre que celui plus oblique et bas d’un cheval de selle français.
Sur un pied sain, des lignes de pousse homogènes, parallèles entre elles et à la couronne, avec une épaisseur régulière sont observées [42]. La régularité des lignes de pousse témoigne de la santé du bourrelet coronaire. La présence de lignes de plus faible épaisseur correspond à une altération antérieure de la perfusion de la zone de synthèse de corne (surcharge mécanique, changement alimentaire, exercice intense, maladie systémique, lésion de la couronne) [43, 56]. Des lignes de pousse divergentes sont associées à l’ancienneté de la boiterie [16].
Une contrainte latéro-médiale asymétrique entraîne une verticalisation de la paroi en association avec des lignes de pousse resserrées, côté contrainte excessive, et un évasement avec des lignes de pousse élargies à l’opposé [43]. Le pied-bot et le pied fourbu présentent également des lignes de pousse non parallèles dans l’axe sagittal [43].
Notre définition du pied sain concernant les lignes de pousse est donc cohérente avec les données publiées.
La surface de la paroi doit être lisse et régulière. La présence de seimes, d’une fourmilière (décollement de la couche moyenne et interne de la paroi), d’une fracture horizontale ou d’une perte de paroi est pathologique. Chez les chevaux déferrés, le bord distal de la paroi est souvent irrégulier et peut présenter des seimes distales non étendues. Ces seimes sont liées directement au processus physiologique du parage naturel. Elles ne sont donc pas considérées comme pathologiques [27, 55].
Notre définition de la corne de la paroi est donc conforme aux dernières données de la science.
La largeur du pied au niveau des talons est physiologiquement égale à 40 à 50 % de la largeur maximale du pied [56]. Les talons d’un pied sain sont symétriques, larges et développés. En cas de surcharge chronique asymétrique, un talon peut être écrasé et sa paroi s’enrouler et migrer verticalement. Les talons ne doivent pas être trop serrés ni se chevaucher. Le rétrécissement des talons favorise la pourriture de la fourchette et le creusement excessif de la lacune médiane [36]. Le critère talons n’a pas été repris, car l’élaboration d’une définition simple de talons sains n’a pas été possible et n’a pas recueilli de consensus. De plus, les premiers essais de répétabilité sur le spectrum modifié de K.C. La Pierre donnaient des résultats insuffisants (kappa moyen de répétabilité = 0,18) et nous avons préféré nous intéresser à la partie postérieure du pied à travers l’évaluation des cartilages ungulaires et de la fourchette.
Les cartilages doivent dépasser de la boîte cornée d’au moins 15 mm, et le cas contraire signale une migration proximale de la boîte cornée, synonyme d’un pied surchargé, en souffrance [41]. Nous n’avons pas repris cette mesure de 15 mm, car elle correspond à un pied idéal. Qu’en est-il des poneys, des pieds plats sains ? C’est pour cette raison que nous proposons le ratio de 50 % minimum entre la hauteur des cartilages ungulaires et la hauteur des talons.
Les cartilages ungulaires peuvent être délimités avec le doigt au-dessus du bord coronaire pour évaluer leur emplacement par rapport à la boîte cornée [21]. Une palpation ferme permet ensuite de les mobiliser et d’évaluer leur épaisseur, leur densité et leur souplesse. Des cartilages rigides sont souvent associés à un pied haut tandis que les cartilages fragiles sont généralement présents sur un pied avec des talons effondrés. La largeur entre les deux cartilages en région palmaire est d’environ trois à quatre doigts. Cette largeur correspond à la taille du coussinet digital [21, 55]. Nous avons abandonné l’estimation de la dureté et de la qualité des cartilages ungulaires à la suite de notre premier test sur le spectrum modifié de K.C. La Pierre, car les résultats de répétabilité étaient trop mauvais (kappa moyen de répétabilité = 0,20).
Une mauvaise répartition latéro-médiale des charges sur le pied peut conduire à l’apparition de talons asymétriques, conséquence du déplacement d’un des cartilages ungulaires par rapport à l’autre [41]. La diminution d’efficacité des organes d’amortissement fragilise considérablement le pied. Les charges appliquées finissent par dépasser la capacité de déformation de la boîte cornée, et les cartilages s’écrasent et migrent distalement, entraînant le déplacement proximal de la paroi et la compression de la couronne et des structures situées entre la couronne et la phalange proximale [41]. Pour évaluer la santé du pied, il est donc important de s’intéresser à la symétrie des cartilages ungulaires, comme le propose notre système d’évaluation.
Le coussinet digital peut être palpé entre le pouce placé entre les cartilages et les doigts positionnés sur la base de la fourchette [56]. Sa largeur doit être égale environ à celle de trois doigts et son épaisseur à celle de deux pouces. Sa consistance est comparable à celle d’une balle de tennis, et doit écraser la chair du pouce. De faibles coussinets digitaux prédisposent à l’encastelure et aux talons fuyants [56]. Ces descriptions théoriques et subjectives correspondent à un pied idéal, et l’évaluation est très difficile à réaliser et à enseigner, comme l’ont montré nos premiers résultats de reproductibilité et de répétabilité sur le spectrum modifié de K.C. La Pierre. Nous ne pouvions donc pas reprendre ce critère.
La largeur de la sole doit être à peu près égale à sa longueur et sa largeur maximale est située environ à mi-chemin entre la pince et le talon. Le pied doit être approximativement symétrique par rapport à l’axe de la fourchette, le côté latéral étant souvent plus large que le côté médial [43, 46, 52, 56]. Un pied plus étroit est souvent associé à une conformation pince longue, talons bas. Dans ce cas, la distance pince-apex de la fourchette augmente [23]. Encore une fois, les références publiées sur les longueurs et les répartitions de surface correspondent à un pied idéal et ne peuvent être considérées pour la définition du pied sain. Reprendre toutes ces notions rendrait notre système d’évaluation inutilisable car trop complexe.
La concavité de la sole est variable selon les races. Elle peut être très concave à plate, mais ne doit en aucun cas être convexe [1, 5, 46, 56]. Un bombement de la sole est toujours pathologique. La surface de la sole ne doit présenter ni seime, ni bleime (hématome de la corne), ni abcès. La ligne blanche, zone de jonction entre la paroi et la sole, constitue une région de fragilité du sabot. Elle doit être compacte, solide et non friable. Son épaisseur est maximale en pince et diminue progressivement vers les quartiers [1]. La qualité et l’épaisseur de corne de la sole s’évaluent en pressant fermement la face palmaire du pied avec les pouces. Une surface dépressible indique un manque d’épaisseur de sole ou une corne trop molle. La pression exercée permet également de mettre en évidence des zones sensibles souvent compatibles avec un abcès ou d’autres lésions du pied [22]. Ces critères de santé du pied concernant la sole et la ligne blanche sont synthétisés dans la définition du pied sain proposé dans notre travail.
La longueur de la fourchette est constante et son axe est aligné avec le plan médian du pied, mais sa largeur est variable. La largeur d’une fourchette saine est égale à environ 55 à 67 %, selon les auteurs, de sa longueur [4, 19, 49, 51, 56, 58]. Une largeur inférieure est anormale et nuit à son effet biomécanique expansif et amortissant du pied. Ce cas est généralement associé à une contracture des talons et prédispose aux pourritures de la fourchette [37]. Une fourchette saine présente une corne homogène et une lacune médiane visible, large, mais de profondeur inférieure à 1 cm [1, 5, 43, 46, 56]. Le développement de la surface d’appui de la fourchette est un élément favorable dans le développement et le fonctionnement du pied [13].
Nous avons repris le critère de santé pour la lacune médiane, mais le ratio largeur sur longueur est très dépendant du type de pied, et nous préférons retenir le ratio largeur maximale de la fourchette sur largeur maximale du pied. Cela nous semble cohérent, même si le ratio proposé d’un tiers est le seul résultat de l’observation et de l’expérience des maréchaux et des vétérinaires du groupe. Ce ratio a le mérite d’être simple à évaluer.
La déformation du sabot découle de la fragilisation de sa structure et de la perturbation de sa croissance. Les signes visibles lors d’une augmentation de charge sont un ralentissement de pousse de la corne, une verticalisation et une déviation de la paroi vers l’intérieur du pied, voire un déplacement proximal de la paroi [52]. La diminution de la charge sur la paroi entraîne les effets inverses (évasement de la paroi, croissance accélérée). Le phénomène de déformation est rapidement amplifié.
L’inclinaison des tubules cornés est parallèle au bord dorsal de la paroi. Elle est décrite dans l’idéal comme étant la même en pince et en talon, mais présente le plus souvent un angle plus fermé en talon [48].
Au vu de ces éléments, il est donc cohérent de définir le pied sain comme présentant des tubules rectilignes ou légèrement convexes, donc sans évasement.
Peu d’auteurs s’attardent sur les barres dans la description du pied sain. Pour O’Grady et coll., le pied sain présente des barres intactes, et le pied pathologique des barres quasi inexistantes à cause des talons fuyants, par exemple [42, 44]. Clayton et coll. interprètent le développement des barres et de la sole comme une évolution positive sur l’observation au long cours de chevaux vivant pieds nus et parés de manière adaptée [13]. Ovnicek et coll. considèrent des barres rectilignes et formant un angle avec la sole comme un critère de pied fonctionnel [45]. Notre définition des barres du pied sain est donc cohérente avec les données publiées.
Les systèmes de notation de 1 à 9 du spectrum de K.C. La Pierre, puis de 1 à 5 de notre spectrum simplifié ont été abandonnés car ils sont très peu répétables, avec un temps d’apprentissage court, et en raison de la référence au pied idéal [35].
Nous avons opté pour une notation plus pragmatique sur trois critères.
La note AN n’a pas posé de difficultés. En revanche la différence normal/douteux a suscité la polémique :
- d’une part en sémantique, ce qui est douteux ou suspect pour les uns ne l’est pas pour les autres (les lignes de pousse et de contrainte, par exemple). C’est la raison pour laquelle nous avons complété le douteux par “à signaler, à surveiller”. En effet, il est important de signaler au lecteur de la fiche la présence d’une zone modifiée susceptible d’évoluer, donc “à surveiller”. La notion de suivi prend alors tout son sens ;
- d’autre part selon l’expérience, car l’expert tend à relativiser des modifications mineures. Cela le pousse à noter N, mais qu’en est-t-il de l’apprenant ? Là encore, l’adjonction de “à surveiller, à signaler” permet de trouver un plus large consensus.
Pour les tests sur photos (tests 1 et 2), les résultats des étudiants vétérinaires et en maréchalerie sont similaires avec une moyenne générale de kappa de 0,52 dans les deux groupes, mais avec une variabilité plus importante (moyenne des écarts-types de kappa), multipliée par deux chez les étudiants vétérinaires. L’explication la plus probable est la répétition des tests à 4 heures pour les BTM et à 10 jours pour les étudiants vétérinaires. Il est classiquement recommandé de répéter les mesures avec un intervalle de 2 à 3 semaines [11, 25, 34, 40]. Les possibilités de regroupement des apprenants ne nous ont pas permis de tels intervalles de mesure.
Les résultats des indices kappa, qui sont proches entre les apprenants vétérinaires et en maréchalerie, montrent l’intérêt de nos définitions et de notre notation pour rapprocher nos deux professions, et harmoniser leurs évaluations des pieds.
La manipulation sur “pieds vivants” s’est révélée plus efficace car elle utilise le toucher, l’odorat et la vision en trois dimensions, alors que le test sur photos projetées ne fait appel qu’à la vision en deux dimensions. Preuve en est la répétabilité de l’évaluation de la sole qui est excellente pour l’évaluation sur chevaux et seulement modérée pour les tests sur photos. Le test 3 est le dernier test réalisé, et il a profité des améliorations pédagogiques apportées à la suite du retour d’expérience des premiers tests.
En comparant la répétabilité des différents critères, c’est l’évaluation de la couronne, seulement étudiée lors du dernier test, qui semble poser le plus de difficulté aux apprenants vétérinaires. Des efforts sont donc à faire pour améliorer la définition et plus de temps est sans doute nécessaire pour appréhender les notions mises en avant.
Nos résultats de répétabilité sont similaires à ceux des études de répétabilité de l’évaluation radiologique et scanner d’experts vétérinaires en radiologie équine, de la gradation de lésions articulaires par arthroscopie, de l’auscultation abdominale de chevaux en coliques ou de la gradation de boiterie [11, 18, 25, 26, 39]. En revanche, nos résultats sont inférieurs aux mesures de répétabilité sur le relevé des maréchaux-ferrants expérimentés, des types de fer sous les pieds de pur-sang lors de courses hippiques ou bien de la gradation de l’hémiplégie laryngée sous endoscopie [24, 47]. Les différences de résultats sont dues vraisemblablement à la grande différence de difficulté des tâches à réaliser.
L’utilisation de plus de chevaux et un plus grand nombre d’apprenants permettraient d’améliorer la valeur statistique de nos tests.
Nos résultats pour les tests sur photos sont inférieurs à ceux des études citées précédemment. Le temps pédagogique, consacré aux critères de notation, était très court pour nos tests : 90 minutes d’exposé. Il n’est en rien comparable aux longues années d’étude des experts vétérinaires en orthopédie, en médecine interne et à la longue expérience des maréchaux-ferrants pour l’étude de relevé des fers de pur-sang aux courses [11, 18, 24-26, 39, 47, 50].
La reproductibilité est cependant supérieure pour le test sur chevaux par rapport aux tests sur photos. Nos résultats se rapprochent alors de ceux de l’auscultation abdominale de chevaux en coliques, de la gradation des boiteries, de la gradation des lésions articulaires sous arthroscopie ou encore des lectures radiologiques et scanner [18, 25, 26, 39]. Encore une fois, l’évaluation de la sole présente des résultats bien meilleurs pour les tests sur chevaux (kappa = 0,74) et équivalents aux meilleurs résultats d’études antérieures, ce qui montre l’importance du toucher et de la vision en trois dimensions pour évaluer correctement ce critère [24, 47, 50].
Cette reproductibilité à améliorer met en évidence tout l’intérêt de notre démarche, qui consiste à éduquer et à informer les professionnels et à communiquer avec les propriétaires de chevaux. Cette amélioration sera plus rapide chez les experts, et plus lente chez les apprenants et les praticiens, moins impliqués dans le monde du cheval.
L’objectif de cette grille d’évaluation n’est pas de noter en détail les points forts et les points faibles des pieds, mais d’avoir une approche harmonieuse de ceux-ci. Ainsi, les professionnels du cheval, spécialistes ou non des pieds, pourront reconnaître des pieds fonctionnels et sains, qui ne seront peut-être pas idéalement conformés comme cela est souvent décrit.
Au sein des coauteurs, la réflexion autour des définitions du pied sain a permis aux vétérinaires de profiter de l’expérience des maréchaux-ferrants et, ainsi, de mieux appréhender certaines parties du pied comme les cartilages, et de progresser dans leurs diagnostics et prescriptions. Pour les maréchaux-ferrants, ils ont été contraints d’utiliser des mots choisis et compréhensibles par tous pour décrire leur méthode d’observation des pieds. Savoir expliquer, c’est pouvoir communiquer, ce qui est primordial pour répondre aux exigences des temps modernes.
Notre travail a permis de créer une grille d’évaluation et de publier un carnet de santé du pied accessible à tous(2), reprenant la définition des critères avec des photos explicatives correspondant à des pieds sains, en souffrance ou encore douteux, à signaler ou à surveiller (figure 3 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr). Dans notre monde ultra-connecté, où le paraître et la démonstration ne riment pas toujours avec la connaissance et la compétence, il est primordial que les vétérinaires et les maréchaux-ferrants utilisent des moyens de communication consensuels, suffisamment fiables et évolutifs.
• Dès l’Antiquité, le pied idéal dit “beau pied” est décrit par Xénophon (V-IVe s. av. J.-C.) : « La corne des pieds sera dure, haute, concave, ronde et surmontée d’une couronne légèrement saillante. » Palladius (IVe s. apr. J.-C.) peut également être cité : « Un pied sec, ferme, chaussé très haut, la corne concave, le sabot rond, ferme et bien attaché » [22].
• Par la suite, le pied idéal a largement été décrit comme présentant un angle de 45 à 50° pour les membres antérieurs et de 50 à 55° pour les membres postérieurs entre la paroi en pince et la sole, un angle de 75° entre la paroi du quartier externe et la sole, une hauteur de la paroi en pince égale à trois fois celle des talons, une sole légèrement concave, un axe phalangien qui coupe la pince et le talon en leur milieu [1, 4, 21, 29, 31, 46, 59].
• Ainsi, de tout temps, l’hippologie décrit un cheval idéal associé à une conformation et des pieds idéaux, et s’applique à comparer les anomalies de tout type de cheval à ce modèle idéal [51]. Mais en pratique très peu de chevaux sont conformes à ce modèle unique [56].
AUCUN
• Le pied sain garde un rapport structure/fonction équilibré, quel que soit l’aplomb ou la conformation du cheval.
• Le carnet de santé du pied permet de reconnaître des pieds sains, en souffrance ou à surveiller, de façon objective.
• Un moyen consensuel de communication entre praticiens est primordial dans le suivi de la santé du pied du cheval.
• La grille d’évaluation du pied est utile pour tous les praticiens, vétérinaires et maréchaux-ferrants, et pour les utilisateurs des chevaux.
• La couronne est plane, légèrement bombée et sans déformation palpable en faisant le tour de la couronne au doigt (photo 2).
• La corne de la paroi est lisse, non abîmée sur sa partie basse sur plus d’un quart de sa hauteur totale, et indemne de seimes (photo 3).
• Les lignes de pousse et de contrainte sont régulières, peu profondes, et parallèles entre elles et à la couronne. Une surcharge localisée induit une ligne de contrainte qui ne fait pas le tour du pied. Un changement de l’état général du cheval modifie les lignes de pousse, sur les quatre pieds, et à la même hauteur de paroi (photo 4).
• Des tubules rectilignes ou légèrement convexes, donc sans évasement, sont notés (photo 5).
• Les cartilages ungulaires dépassent de la boîte cornée d’une hauteur au moins égale à la moitié de la hauteur des talons. Les cartilages internes et externes sont de même hauteur (photo 6).
• La ligne blanche est régulière et compacte, la sole non convexe et non déformable au pouce, et indemne de bleimes, de seimes et d’abcès (photo 7).
• Les barres du pied sain sont visibles, symétriques, relativement droites et forment une arête avec la sole (photo 8).
• La fourchette est saine, avec une largeur maximale supérieure au tiers de la largeur maximale du pied, et avec une lacune médiane de profondeur inférieure à 1 cm (ongle du pouce) (photo 9).
Aux apprenants en médecine vétérinaire et en maréchalerie, et aux internes qui ont participé à l’étude.
Au Dr Francis Desbrosse pour ses commentaires et conseils avisés.
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