Maladies infectieuses du poulain
Dossier
Consensus de l’ACVIM en médecine respiratoire
Auteur(s) : Pierre-Hugues Pitel*, Valérie Picandet**, Karine Maillard***, Éric Richard****
Fonctions :
*Normandie Université,
Unicaen, SF 4206 Icore/
LABÉO Frank Duncombe,
1, route de Rosel,
14053 Caen Cedex 4
**Centre hospitalier
vétérinaire équin de Livet,
cour Samson,
14140 Saint-Michel-de-Livet
***Normandie Université,
Unicaen, SF 4206 Icore/
LABÉO Frank Duncombe,
1, route de Rosel,
14053 Caen Cedex 4
****Normandie Université,
Unicaen, SF 4206 Icore/
LABÉO Frank Duncombe,
1, route de Rosel,
14053 Caen Cedex 4
Les concentrations en Rhodococcus equi dans l’air ambiant sont significativement corrélées à l’incidence observée des pneumonies cliniques chez les poulains.
L’infection à Rhodococcus equi est une cause importante de bronchopneumonie chez les poulains, dont les premiers signes cliniques surviennent généralement dans les 3 à 24 premières semaines qui suivent la naissance [23]. L’incidence cumulative (de la naissance au sevrage) de cette infection est d’environ 10 à 20 % dans les zones endémiques, ce qui en fait un trouble sanitaire majeur pour la filière équine. R. equi représente également un axe stratégique de recherche, pouvant, par exemple, s’illustrer par le nombre de publications scientifiques à son sujet. Ainsi, sur la base des seuls mots clés “Rhodococcus equi”, plus de 56 articles scientifiques ont été référencés sur PubMed(1) entre le 1er janvier 2015 et le 1er mai 2016.
Les investigations cliniques portant sur les interactions entre l’hôte (cheval), l’agent pathogène (R. equi) et l’environnement permettront in fine au praticien de prévenir et de lutter efficacement contre cette maladie. À ce titre, cet article de synthèse vise à complémenter le dossier sur la rhodococcose précédemment publié dans cette revue [52-54]. Il s’appuie sur les récentes conclusions du cinquième Havemeyer R. equi Workshop et les recommandations du consensus du Collège américain de médecine interne vétérinaire (ACVIM) [9, 22].
La manifestation clinique la plus commune lors d’infection à R. equi est une bronchopneumonie granulomateuse, caractérisée par des abcès parfois largement dispersés dans le poumon (photo). Les symptômes sont variables, et dépendent du stade et de la sévérité des lésions. Les éléments les plus fréquemment observés sont une toux, de la fièvre, une léthargie et un effort respiratoire augmenté. Dans les premiers temps de l’évolution de la maladie, la condition physique est généralement normale, alors qu’une perte de poids ou un retard de croissance peuvent être notés chez les poulains qui présentent des troubles chroniques [23].
Le diagnostic définitif de bronchopneumonie à R. equi devrait être établi sur la base d’une culture bactériologique ou de l’amplification du gène vap A par PCR (polymerase chain reaction) à partir d’un lavage trachéal (LT) chez un poulain présentant des signes cliniques de troubles respiratoires profonds et/ou des éléments cytologiques en faveur d’une inflammation respiratoire septique et/ou des images radiographiques ou échographiques de bronchopneumonie [22].
La culture bactériologique ou l’amplification génique par PCR représentent les gold standards pour la détection de R. equi. Comparativement à la culture, la PCR ciblée sur le gène vap A permet d’établir un diagnostic rapide, précis et même plus sensible lors de pneumonie à R. equi [43]. Cette méthodologie ne permet pas l’identification d’autres bactéries pathogènes potentiellement présentes dans le LT, ni la réalisation d’un antibiogramme in vitro [22]. Ainsi, R. equi a été isolé “en culture pure” pour seulement 43 % (67/155) des LT analysés dans une étude. Cependant, la présence simultanée d’autres bactéries ou levures n’impacte pas négativement le pronostic chez ces poulains [24].
Quelle que soit la méthodologie employée, une évaluation microbiologique de LT doit toujours être interprétée à la lumière des données cliniques et cytologiques concomitantes. En effet, la détection de R. equi chez un poulain sans symptôme respiratoire, ni éléments cytologiques d’inflammation respiratoire, ni signes échographiques de lésions pulmonaires est probablement une constatation fortuite [17]. Dans des foyers endémiques, des souches virulentes de R. equi ont ainsi été retrouvées dans des cultures d’air expiré par des poulains indemnes de signes cliniques [33]. De même, la détection et le dénombrement de R. equi dans l’air inhalé ne présentent aucune valeur prédictive de pneumonie chez des poulains jusqu’à l’âge de 2 mois [11].
Dans l’objectif de valoriser des prélèvements moins invasifs, la détection de R. equi par culture ou PCR a été étudiée dans les écouvillons nasopharyngés, sans se révéler utile pour établir le diagnostic [37]. À l’opposé, la PCR quantitative (qPCR) sur les matières fécales est apparue comme une bonne solution alternative au LT pour le diagnostic d’infection à R. equi chez des poulains qui présentent des signes cliniques de pneumonie dans un ranch de type endémique pour cette maladie [44]. Cependant, la qPCR ciblant R. equi sur les matières fécales n’a pas atteint un degré de précision suffisant lorsqu’elle a été effectuée de façon répétée (à 3, à 5 et à 7 semaines) dans un objectif de dépistage [30]. Il a également été récemment montré que la composition et la diversité du microbiome fécal ne présentaient pas d’intérêt prédictif concernant l’occurrence de pneumonies à R. equi chez les poulains [56].
L’hématologie fait partie des tests non spécifiques permettant d’augmenter le degré de suspicion qu’une pneumonie soit due à R. equi chez un poulain donné (leucocytose). Ainsi, les valeurs seuils de 15 x 109/l et de 20 x 109/l présentent une bonne spécificité et une bonne sensibilité pour les cas respectivement les plus précoces et les plus avancés [20, 28]. Le dosage sérique de différents marqueurs inflammatoires est relativement peu sensible pour mettre en évidence une infection par R. equi plutôt que par un autre micro-organisme [12, 20]. De plus, le dosage du sérum amyloïde A (SAA) de façon hebdomadaire ne représente pas un biomarqueur fiable pour le dépistage d’une infection à R. equi [35]. Cependant, l’investigation combinée du SAA, du fibrinogène et d’une leucocytose reste l’examen systémique de choix pour une confirmation précoce de pneumonie à R. equi et pour le suivi du poulain en cours de traitement [27, 28, 35].
L’examen échographique est un test non spécifique qui présente cependant l’avantage d’être rapide, immédiatement interprétable et spécifique du système respiratoire. Bien que les lésions potentiellement observées ne soient pas pathognomoniques, la présence d’abcès pulmonaires augmente le degré de suspicion que la pneumonie d’un poulain donné soit due à R. equi. Pour autant, la détection d’abcès pulmonaires, couramment utilisée en dépistage, n’est pas un test diagnostique définitif. L’échographie thoracique reste fort utile pour déterminer la sévérité de la pneumonie et évaluer la réponse aux traitements [22]. Cependant, seules les lésions en périphérie du poumon peuvent être détectées, limitant ainsi la sensibilité du test lors d’abcès localisés dans le parenchyme profond ou la surface médiastinale [38]. Le dépistage par échographie est classiquement employé en pratique dès l’âge de 3 à 6 semaines. Les infections à R. equi se rencontrent ainsi fréquemment sous une forme subclinique, chez des poulains qui présentent des consolidations ou des abcédations pulmonaires sans aucune manifestation clinique [50]. La faible spécificité du dépistage échographique pourrait également contribuer à un usage plus extensif des antibiotiques, ce qui a été associé au développement de résistances aux macrolides [7].
Une problématique émergente, pouvant résulter de la systématisation du dépistage échographique, serait de déterminer si le traitement de tous les poulains affectés de façon subclinique est approprié ou non [22, 34]. En effet, plusieurs études récentes sur des poulains présentant des lésions pulmonaires subcliniques ont montré la fréquence élevée de guérisons spontanées, et également que le traitement à base d’azithromycine et de rifampicine n’accélère pas la guérison, comparé à un placebo [50, 51].
La réaction inflammatoire pyogranulomateuse et les abcédations pulmonaires présentes lors de pneumonie à R. equi, ainsi que la nature intracellulaire de cette bactérie limitent le praticien dans la sélection d’un antibiotique efficace pour traiter cette maladie [54]. L’association d’un macrolide et de rifampicine reste actuellement le traitement de choix pour cette infection, comme cela est confirmé par les données d’activité in vitro, les études pharmacocinétiques et rétrospectives [22]. La rifampicine et les différents macrolides sont uniquement bactériostatiques. Leur utilisation combinée est de plus synergique in vivo et permet de réduire la probabilité de résistances à ces deux médicaments [4].
L’azithromycine et la clarithromycine présentent, comparativement à l’érythromycine, une biodisponibilité considérablement augmentée et induisent des concentrations largement supérieures dans les voies respiratoires profondes, permettant ainsi de diminuer les concentrations utilisées et d’augmenter les intervalles d’administration [22]. Une étude chez des poulains en bonne santé a récemment mis en évidence que l’administration concomitante de rifampicine et de clarithromycine résulte en une plus faible biodisponibilité de cette dernière, par rapport à une administration consécutive [5]. La tulathromycine est un macrolide injectable enregistré pour les bovins et les porcins, et dont l’administration ne peut être recommandée chez le poulain atteint de pneumonie à R. equi. Son efficacité est controversée lors d’administration par voie intramusculaire chez des poulains atteints d’une pneumonie subclinique, en comparaison à l’association azithromycine-rifampicine [49, 52]. La tulathromycine est en effet peu active in vitro contre R. equi, et la concentration minimale inhibitrice de cette molécule est beaucoup plus élevée que celle qui peut être obtenue dans les macrophages alvéolaires des poulains après une injection intramusculaire aux doses recommandées [8, 42]. L’injection de gamithromycine par voie intramusculaire permet d’atteindre la concentration minimale inhibitrice contre R. equi pendant 9 jours dans le lavage broncho-alvéolaire [3]. Il a également été montré que l’efficacité de cette molécule n’est pas inférieure à celle de l’association azithromycine-rifampicine pour le traitement du poulain atteint d’une bronchopneumonie clinique, cette voie d’administration étant cependant associée à de plus fréquents effets secondaires [26].
Bien que la prévalence de R. equi résistant à la rifampicine ou à l’érythromycine reste relativement faible, plusieurs souches conjointement résistantes à la rifampicine et aux macrolides ont à nouveau été récemment identifiées [7, 21, 34]. L’isolement de telles souches est associé à un pronostic plus sombre chez les poulains qui présentent une pneumonie à R. equi [21]. De plus, bien que l’ensemble des mécanismes ne soient pas définitivement déterminés, le développement de nouveaux macrolides n’entravera pas l’ampleur de la résistance aux antibiotiques [2]. En effet, les souches isolées de R. equi résistantes à l’érythromycine l’étaient presque invariablement pour la clarithromycine ou l’azithromycine [21].
Dans le cadre d’une infection expérimentale, l’administration par voie intraveineuse de gentamicine liposomale s’est récemment révélée efficace, comparée à l’association clarithromycine-rifampicine. La néphrotoxicité observée requiert néanmoins la mise au point d’une voie d’administration alternative [19]. La non-infériorité du maltolate de gallium, par rapport à l’association clarithromycine-rifampicine, a également été prouvée dans le cadre d’une étude prospective sur des poulains atteints d’une pneumonie subclinique (lésions échographiques) dans des écuries avec un historique d’infections à R. equi [18].
En pâture, le risque de développer une pneumonie à R. equi semble être lié au nombre de juments et de poulains par hectare [13]. De plus, les poulains sont davantage susceptibles d’être exposés à de fortes concentrations en souches virulentes de R. equi lorsqu’ils sont stationnés en box plutôt que dans un paddock [14, 31]. Les concentrations en R. equi dans l’air sont corrélées à l’incidence observée des pneumonies chez les poulains [32]. En effet, les jeunes poulains (âgés de moins de 2 semaines) stationnés dans des box à fortes concentrations en R. equi virulent dans l’air sont significativement plus susceptibles de développer une pneumonie [15]. Le fait de placer de jeunes poulains dans un environnement récemment utilisé pour des poulains plus âgés pourrait accroître le risque d’exposition à des souches virulentes de R. equi [9]. Il apparaît, en effet, que l’ensemble des poulains, et notamment ceux qui sont affectés, représentent une plus grande source de contamination de l’environnement que les adultes (poulinières notamment) [47]. Actuellement, cependant, il n’existe aucune preuve scientifique que l’infection à R. equi est contagieuse entre les poulains ou que ceux atteints d’une pneumonie à R. equi doivent être isolés, l’exposition à des souches virulentes semblant être généralisée dans l’environnement [22, 32]. Une haute fréquence de transfert du plasmide Vap A de R. equi virulent vers des souches non virulentes a été démontrée in vitro à partir d’échantillons de terrain [45, 48]. De façon similaire, le gène de résistance aux macrolides erm (46) a récemment été identifié et son transfert entre souches de R. equi démontré [2]. Des souches virulentes de R. equi provenant de chevaux infectés de façon subclinique pourraient ainsi propager le phénotype virulent au sein d’une potentielle flore résidente non virulente présente dans l’environnement [9].
L’administration de plasma contenant des anticorps contre R. equi ne peut être recommandée que pour l’aide à la prévention des pneumonies dans les zones endémiques, et non à titre curatif chez des poulains cliniquement atteints. Cette transfusion de plasma hyperimmun n’exclut pas la nécessité d’un bon dépistage ou d’une surveillance attentive des poulains à risque [22]. En effet, une étude récente a montré une grande variabilité dans les concentrations en immunoglobulines (Ig) G spécifiques de Vap A entre lots produits pour le plasma hyperimmun, ainsi que dans le sérum de poulains ayant reçu le même produit [40]. De même, une efficacité préventive modérée du plasma hyperimmun a été observée dans le cadre d’une infection expérimentale ultérieure par R. equi [41]. De plus, les transfusions de plasma hyperimmun, comme pour tout autre dérivé sanguin, présentent des risques pour l’individu receveur, pouvant entraîner notamment un choc anaphylactique, le développement d’une hépatite associée à la transfusion ou une infection par Pegivirus ou Hepacivirus, récemment découverts chez le cheval [1, 36, 39].
Il n’existe pas de vaccin efficace et commercialisé [25]. Plusieurs produits susceptibles de stimuler la réponse immune innée chez les poulains ont été étudiés, notamment le Parapoxvirus ovis inactivé (iPPVO) et un cytosine-phosphate guanine oligodéoxynucléotide (CpG-ODN) de synthèse. Il a été montré que ce dernier améliore la réponse innée et adaptative (comparativement à un placebo) lors d’une stimulation par R. equi de neutrophiles sanguins respectivement effectuée in vitro et ex vivo [6, 16]. À l’opposé, l’administration d’iPPVO par voie intramusculaire à des poulains dans les 10 premiers jours de vie n’a pas significativement influencé la proportion de pneumonies ultérieurement développées, par rapport à un placébo [46]. Bien que les autovaccins soient couramment utilisés, notamment en France, aucune étude n’a démontré leur efficacité dans la prévention des pneumonies à R. equi chez le poulain.
La chimioprophylaxie avec des macrolides ou autres antibiotiques ne peut être recommandée, en raison des données contradictoires concernant leur efficacité et du risque de promouvoir les résistances aux différents antibiotiques [22]. Bien que récemment étudié comme une solution alternative potentielle aux macrolides dans le traitement des poulains atteints d’une pneumonie subclinique, l’usage du maltolate de gallium en chimioprophylaxie pendant les 14 premiers jours de vie n’a pas permis de réduire l’incidence des pneumonies à R. equi dans une large étude contre placebo [10, 18].
Les pneumonies à R. equi représentent une cause importante de maladie et de mortalité chez le poulain. À l’avenir, un premier élément d’importance pour le praticien serait de mettre au point des outils diagnostiques plus spécifiques, sans pour autant perdre de la sensibilité par rapport aux méthodes actuelles.
D’importants défis existent également en termes de traitement, de contrôle et de prévention, incluant notamment l’émergence des résistances aux macrolides, l’absence de traitements alternatifs appropriés et celle de moyens de prévention efficaces.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
• Les signes cliniques initiaux de pneumonie à R. equi se manifestent généralement dans les 3 à 24 premières semaines qui suivent la naissance.
• En pâture, le risque de développer une pneumonie à R. equi semble être lié au nombre de juments et de poulains par hectare.
• Le diagnostic définitif de pneumonie à R. equi est fondé sur l’identification bactérienne et la présence d’anomalies cliniques, cytologiques et/ou échographiques.
• L’administration d’un macrolide (azithromycine ou clarithromycine) en association avec de la rifampicine est actuellement le traitement de choix des pneumonies à R. equi.
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