Pathologie respiratoire à l’exercice
Dossier
Consensus de l’ACVIM en médecine respiratoire
Auteur(s) : Laurent Couetil*, Éric Richard**
Fonctions :
*Department of Veterinary
Clinical Sciences,
College of Veterinary
Medicine,
Purdue University,
1248 Lynn Hall,
West Lafayette IN, USA
**Normandie Université,
Unicaen, SF 4206 Icore/
LABÉO Frank Duncombe,
1, route de Rosel,
14053 Caen Cedex 4
L’hémorragie pulmonaire induite par l’exercice sévère, dont l’épistaxis, a un impact négatif sur la santé, le bien-être et les performances du cheval athlète.
Cet article de synthèse résume une déclaration de consensus du Collège américain de médecine interne vétérinaire (ACVIM) sur l’hémorragie pulmonaire induite par l’exercice (HPIE) chez le cheval. Le travail a été présenté en juin 2014 au forum de l’ACVIM et le projet d’article déposé sur le site Web de l’ACVIM pour solliciter les commentaires des membres de l’ACVIM et du Collège européen de médecine interne équine (ECEIM). Par la suite, le manuscrit a été évalué par des pairs et publié dans le Journal of Veterinary Internal Medicine (J. Vet. Inter. Med.) [12].
La définition de l’HPIE correspond à la preuve d’un saignement en provenance des poumons pendant l’exercice. Cette maladie est typiquement détectée sous la forme de sang macroscopiquement visible à l’endoscopie des voies respiratoires après l’effort ou par un examen cytologique des sécrétions respiratoires. Les objectifs de cette déclaration de consensus étaient d’évaluer les publications revues par des pairs et de résumer les conclusions et les recommandations sur l’HPIE en ce qui concerne quatre grands domaines : la santé et le bien-être des chevaux, l’impact de la maladie sur les performances, la prophylaxie, l’effet du furosémide sur les performances.
Une revue systématique des données scientifiques a été réalisée. La force des preuves fournies par les articles publiés a été évaluée et des recommandations ont été proposées, sur la base de la méthodologie “GRADE” (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation) [7]. Les essais individuels ont d’abord été résumés dans des tableaux, et les niveaux de preuve classés de “très faible” à “élevé”, à partir de la conception (design) de l’étude. Par la suite, les résultats des études ont été regroupés par thèmes et niveaux de preuve, puis classés de “très faibles” à “élevés” sur la base de la qualité et de la taille de l’échantillon, ainsi que de l’effet du traitement ou de l’intervention. Pour finir, une recommandation (faible/forte) a été faite en faveur ou contre le traitement ou l’intervention.
Les signes cliniques présumés associés à l’HPIE sont la présence de sang dans les voies respiratoires (révélée par une épistaxis, une endoscopie ou un examen cytologique des sécrétions respiratoires), une contre-performance, une toux, une augmentation de la fréquence respiratoire, une détresse respiratoire ou un comportement anormal, et des images anormales du thorax (radiographie, échographie). À l’exception de la présence de sang dans les naseaux ou les voies respiratoires, la preuve que l’HPIE est associée aux manifestations cliniques est très faible, voire absente.
La détection de sang dans les voies respiratoires par endoscopie est le “gold standard” pour établir le diagnostic d’HPIE et en grader la sévérité (tableau, photo 1) [8].
L’épistaxis après l’exercice est fortement évocatrice d’HPIE (qualité modérée de la preuve). Cependant, les autres signes cliniques ne sont pas fiables pour l’HPIE et la preuve de leur association avec la maladie est de très faible qualité. Une épistaxis se produit rarement chez les galopeurs (0,15 % des départs en course), comparativement à l’HPIE détectée par un examen endoscopique des voies respiratoires chez 55 à 75 % des trotteurs et des galopeurs [8, 20]. Si l’endoscopie est renouvelée après une autre course, environ 95 % des chevaux ont des scores de saignement supérieurs à 1 lors d’au moins un des examens. Si les chevaux sont examinés après trois courses au moins, tous présentent au moins une fois des preuves de saignement [1].
Dans une étude bien conçue et effectuée dans un pays où le furosémide n’est pas autorisé, environ 55 % des galopeurs (n = 744) ont saigné, sur la base d’un examen endoscopique de la trachée 1 heure après effort. Parmi eux, 37 % étaient atteints d’une HPIE de grade 1, 14 % d’une HPIE de grade 2 et seulement 6 présentaient une épistaxis (0,8 % ; avec une HPIE de grade 4 pour 5 d’entre eux et une HPIE de grade 2 pour le sixième) [8].
Les études sur tapis roulant ont montré des échanges gazeux altérés et des concentrations en lactates sanguins augmentées pendant l’exercice chez des chevaux avec une HPIE, mais la qualité de preuve est très faible.
En imagerie thoracique, la radiographie a une faible sensibilité pour la détection de l’HPIE (qualité de preuve modérée). L’échographie a une forte sensibilité (86 %), mais une faible spécificité (26 %) pour le diagnostic de cette maladie (qualité de preuve très faible) [4].
Une mort subite survient rarement chez les chevaux de course (0,08 à 0,29 cheval pour 1 000 départs). Dans une série de cas de galopeurs, 35 % des morts subites survenues dans l’heure suivant une course ou un entraînement et dont la cause est connue ont été attribuées à une hémorragie pulmonaire (faible qualité de preuve) [14]. Cependant, celle-ci peut être la cause primaire de la mort ou bien résulter d’une autre affection létale (par exemple une insuffisance cardiaque). De plus, aucune preuve n’existe que l’HPIE augmente le risque de mort subite.
L’HPIE sévère (grade 4 ou épistaxis) est associée à une plus courte carrière sportive en course, alors que l’HPIE légère à modérée ne l’est pas (qualité de preuve modérée) [19].
Des études ont suggéré que l’HPIE est une affection progressive, liée à la durée de la carrière (nombre de départs) et à l’intensité des courses, plutôt qu’à l’âge du cheval [11].
Les preuves en défaveur d’un lien entre une HPIE et l’inflammation respiratoire sont plus nombreuses que celles en faveur d’un lien.
Les lésions associées à l’HPIE sont bilatérales et plus prévalentes en région dorso-caudale que dans les autres zones du poumon [3]. Les lésions macroscopiques retrouvées à l’autopsie sont une décoloration de la plèvre et du septum pulmonaire, ainsi qu’une angiogenèse [3, 15].
Les lésions pulmonaires microscopiques sont dominées par un remodelage veineux caractérisé par un épaississement des parois vasculaires dû à une déposition de collagène, une hyperplasie des muscles lisses, un dépôt tissulaire d’hémosidérine et une fibrose tissulaire, ces altérations se situant toutes dans la région dorso-caudale du poumon (haute qualité de preuve) [23]. La distribution des lésions suit le flux sanguin pulmonaire.
Selon la théorie la plus courante, bien que non prouvée, l’HPIE résulte d’une rupture des capillaires pulmonaires due à une pression sanguine élevée dans la circulation pulmonaire (cause physiologique) et à une maladie veino-occlusive progressive secondaire à un remodelage veineux pulmonaire (cause pathologique) [23].
Plusieurs études ont suggéré que l’épistaxis est héréditaire. Cependant, la preuve est de très faible qualité en raison de l’imprécision de la définition des cas et de la conception de ces travaux [22]. Aucune étude ne concerne l’héritabilité de l’HPIE.
Chez les chevaux de course, la performance est difficile à mesurer car il existe de nombreux facteurs liés au cheval (sexe, âge, niveau de forme physique, qualité de l’animal, etc.) et des facteurs externes (jockey, type de piste, distance, conditions environnementales, etc.) qui peuvent influencer le résultat de l’épreuve. Il est important que les études tentent de contrôler ces facteurs dans les analyses de données, afin de comparer les performances des chevaux.
Les essais effectués chez les galopeurs en course ont montré que les chevaux atteints d’une HPIE (grade > 1) sont moins bien classés (position inférieure et plus loin derrière le gagnant) et gagnent moins de gains (qualité de preuve modérée) [2, 9]. Des études de moins bonne qualité ont échoué à démontrer un effet de l’HPIE sur les performances.
Il existe une relation “dose-dépendante” entre l’HPIE et les performances, une HPIE plus sévère étant associée à de plus faibles performances (faible qualité de preuve) [1, 2, 9].
Aucune étude n’a été publiée sur l’impact de traitements visant à diminuer la sévérité de l’HPIE ou la progression des lésions pulmonaires sur les courses ultérieures. Il n’existe pas non plus de travaux qui ont examiné si des traitements ou des interventions au cours de l’entraînement sont en mesure de soulager l’HPIE pendant les courses ultérieures. Des études ont rapporté l’administration de médicaments avant l’exercice pour prévenir l’HPIE (effet prophylactique).
Le paramètre d’intérêt (HPIE) a été mesuré soit par visualisation endoscopique de sang dans les voies respiratoires (oui/non ou grade), soit par quantification des érythrocytes dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire après un exercice intense.
Les preuves selon lesquelles l’administration de furosémide (0,5 à 1 mg/kg par voie intraveineuse) 4 heures avant l’exercice diminue la sévérité et l’incidence de l’HPIE (haute qualité de preuve) sont prépondérantes. La plus forte preuve provient d’études qui ont quantifié l’HPIE par grade de saignement dans la trachée à l’endoscopie 1 heure après une course sur piste (2 essais, 422 chevaux) [10, 16]. Les équidés qui ont reçu du furosémide avant la course présentent une diminution du score endoscopique d’un grade en moyenne.
Plusieurs études ont quantifié les saignements en comptant les érythrocytes dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire collecté 1 heure après l’effort, mais le niveau de preuve est faible en raison du petit nombre d’échantillons (4 essais, n = 46) et de potentiels biais de recherche [5, 13, 17, 21].
Beaucoup d’autres médicaments ont été étudiés pour la prophylaxie de l’HPIE, mais toutes les études ont fourni une très faible qualité de preuve en raison du petit nombre d’échantillons, de l’exercice effectué sur tapis roulant ou de la non-évaluation de la sévérité de la maladie (juste oui/non pour la visualisation de sang à l’endoscopie trachéale) (photo 2). De plus, aucun de ces essais n’a démontré un effet atténuant des spécialités étudiées sur l’HPIE.
Quatre études sur tapis roulant ont montré que les bandes nasales diminuent le nombre d’érythrocytes dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire collecté 1 heure après l’effort. Cependant, la qualité de preuve est faible [5, 13, 17, 21]. De plus, l’effet est moins prononcé qu’avec le furosémide, et l’association des bandes nasales et de l’administration de furosémide n’est pas plus efficace que le furosémide seul [5, 13].
La plupart des études effectuées sur les champs de course ont évalué la performance en mesurant le temps de course ajusté pour parcourir une distance donnée. Les essais sur tapis roulant ont utilisé une distance parcourue ou le temps écoulé jusqu’à la fatigue.
Les preuves sont prépondérantes selon lesquelles le furosémide administré par voie intraveineuse 4 heures avant la course améliore les performances à la fois chez les trotteurs et les galopeurs (qualité de preuve modérée), la magnitude des effets correspondant à un temps de 0,12 à 1,2 seconde plus rapide pour parcourir un mile par rapport aux chevaux non traités avec cette molécule [6, 18]. Cela équivaut à un avantage de 0,6 à 5,5 longueurs pour les équidés recevant du furosémide, avec le plus grand effet détecté chez les mâles [6].
Les qualités de preuves sont bonnes selon lesquelles les chevaux sujets à l’épistaxis ou à des épisodes répétés d’HPIE présentent des lésions pulmonaires. En conséquence, l’HPIE devrait être considérée comme une maladie, et non comme la conséquence physiologique d’un exercice intense. Cependant, l’HPIE ne semble pas affecter la santé ou le bien-être de l’animal, à l’exception des chevaux les plus sévèrement atteints (épistaxis ou HPIE de grade 4) dont les carrières sportives sont plus courtes [19]. Il existe des preuves de qualité modérée qu’une HPIE modérée à sévère est associée à une contre-performance en course. Le furosémide est un élément prophylactique efficace contre l’HPIE. Son usage en course n’est cependant autorisé que dans quelques juridictions, notamment aux États-Unis et au Brésil. Ce médicament est également associé à de meilleures performances en course chez le trotteur et le galopeur. Par conséquent, la question de l’autorisation d’utiliser le furosémide le jour d’une course est toujours largement débattue par les parties prenantes. Des approches non médicamenteuses telles que les bandes nasales aident à diminuer la sévérité de l’HPIE, mais pas dans les mêmes proportions que le furosémide. Aucune autre thérapie proposée n’a démontré son efficacité, mais la plupart de ces études étaient limitées par un manque de puissance statistique dû à un faible nombre d’échantillons et également par le fait que les résultats issus des essais sur tapis roulant pourraient ne pas répliquer de manière adéquate les conditions en course.
CONFLIT D’INTÉRÊTS : AUCUN
• L’hémorragie pulmonaire induite par l’exercice (HPIE) est définie comme un saignement provenant des poumons lors de l’effort.
• L’HPIE est détectée par la présence de sang visible à l’endoscopie respiratoire après l’effort ou par un examen cytologique du liquide de lavage broncho-alvéolaire.
• La performance des chevaux de course est négativement affectée par la sévérité de l’HPIE.
• L’HPIE devrait être considérée comme une maladie, et non comme une conséquence physiologique d’un exercice intense.
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