Traitement par laparoscopie du déplacement dorsal du gros côlon à gauche - Pratique Vétérinaire Equine n° 174 du 01/04/2012
Pratique Vétérinaire Equine n° 174 du 01/04/2012

Article original

Auteur(s) : Juan Muñoz*, Christian Bussy**

Fonctions :
*Dipl. ECVS
Clinique vétérinaire du Grand-Renaud,
72650 Saint-Saturnin

L’objectif de cette étude est de rapporter l’expérience des auteurs en ce qui concerne le traitement du déplacement dorsal du gros côlon à gauche chez le cheval debout par laparoscopie assistée de la main et fermeture de l’espace néphrosplénique dans un unique temps opératoire.

Le déplacement dorsal du gros côlon à gauche (DDGCG) est une affection fréquente qui se traduit cliniquement par des coliques d’intensités modérées à fortes. Lors du DDGCG, la partie gauche du gros côlon passe entre la rate et la paroi abdominale gauche. À ce point, le déplacement peut évoluer jusqu’à l’accrochement du gros côlon dans l’espace néphrosplénique (ENS) (encadré).

Matériel et méthode

Les chevaux traités avec cette technique à la Clinique vétérinaire du Grand-Renaud ont été répertoriés et un suivi de l’évolution postopératoire, par contact téléphonique, a été réalisé.

Description de la technique

Préparation

Le flanc gauche du cheval est tondu largement, si possible avant la tranquillisation. Une prémédication est administrée, qui comporte :

– de la pénicilline à la dose de 22 000 UI/kg ;

– de la gentamicine à 6,6 mg/kg ;

– de la flunixine-méglumine à 1,1 mg/kg.

La tranquillisation débute avec un bolus de détomidine (7 mg par voie intraveineuse) et du butorphanol (4 mg par voie intraveineuse). Puis elle est poursuivie avec une perfusion à base de détomidine (0,3 µg/kg/min par voie intraveineuse).

Une infiltration du site de laparotomie (creux du flanc gauche) et de la voie d’entrée du laparoscope (dernier espace intercostal, en regard du tiers moyen de la tubérosité coxale) est pratiquée avec de la lidocaïne à 2 %.

Technique chirurgicale

• Une petite laparotomie en grille (4 à 5 cm), démarrant dorsalement au bord dorsal du muscle oblique interne, est réalisée. L’abdomen est exploré aux doigts, avant l’introduction du laparoscope par la petite laparotomie en grille. Une fois le laparoscope introduit, une exploration de l’abdomen est réalisée, permettant de visualiser l’exacte position du côlon par rapport à la rate et d’observer d’éventuelles anomalies annexes (photos 2a et 2b). Sous visualisation directe, l’introduction de la canule du laparoscope est effectuée en regard du dernier espace intercostal, puis le laparosocope est retiré de la première incision et introduit dans la seconde.

• Postérieurement, la laparotomie en grille est élargie pour l’introduction du bras droit de l’opérateur, ce qui permet une palpation directe des structures abdominales (photo 3). Une partie du côlon gauche est extériorisée, si possible, et dégonflée à l’aiguille. Si la distension est trop importante, un long cathéter est introduit à travers le flanc gauche et le côlon est décompressé, sous visualisation par le laparoscope (photo 4). Ensuite, le côlon gauche est décroché manuellement de l’ENS et repoussé ventralement. La rate (normalement déplacée ventralement et médialement par le poids du côlon) peut être refoulée plus médialement pour faciliter le passage du côlon gauche. Une fois le gros côlon replacé en position anatomique (médialement à la rate), la rate est repoussée dorsalement et latéralement sur le flanc gauche, ce qui permet de réaliser ensuite la fermeture de l’ENS dans les meilleures conditions. Le dégazage du côlon doit être répété dans certains cas, lors de ces différentes manipulations.

• Le repositionnement du côlon médialement à la rate est visualisé et confirmé par voie laparoscopique et/ou par palpation directe. Puis la canule ovale pour la fermeture de l’ENS est introduite par l’incision de laparotomie, et la suture est pratiquée sous contrôle endoscopique et par visualisation directe dans la canule (photo 5). La suture est réalisée en direction cranio-caudale avec du Polysorb® n° 2, 240 cm de long (fils de suture utilisé par l’auteur). Le premier passage de l’aiguille se situe entre le fascia périrénal (le plus cranialement possible) et la capsule dorso-médiale de la rate (photo 6). La suture en surjet continu à points passés (préférence de l’auteur) commence par le passage extracorporel de l’aiguille dans une petite boucle réalisée à l’extrémité du matériel de suture et continuée caudalement en direction dorso-ventrale (fascia périrénal) et ventro-dorsale (capsule de la rate). La suture est tenue en tension grâce à un tour de fil sur la poignée de la canule (photo 7). Des nœuds extracorporels (préférence de l’auteur) sont effectués à la fin du surjet.

• Après avoir vérifié la bonne réalisation du surjet, les incisions sont fermées classiquement par des points simples, ou un surjet, sur les plans musculaires jusqu’au plan sous-cutané, des agrafes sont placées sur la peau et un pansement collé est appliqué sur le site chirurgical.

Gestion postopératoire

En période postopératoire, une réalimentation progressive est réalisée. Le traitement antibiotique et anti-inflammatoire est poursuivi pendant 3 à 4 jours. Le repos au box est préconisé pendant 15 à 20 jours après l’intervention chirurgicale, suivi de la marche en main pendant 1 mois. Puis une reprise progressive de l’activité est recommandée. La fermeture de l’ENS doit être vérifiée 2 à 3 mois après l’opération par palpation transrectale ou par une laparoscopie de contrôle.

Résultats

Dix chevaux sont inclus dans l’étude : 6 hongres, 1 mâle et 3 juments, âgés de 5 à 14 ans (8 chevaux de selle et 2 trotteurs). La technique a été employée chez 4 chevaux pour des questions financières et en raison de l’échec du traitement médical pour les 6 autres. Sur les 10 chevaux, 5 ont présenté au moins une fois un épisode du DDGCG avant l’intervention chirurgicale. La procédure a été réalisée avec succès dans tous les cas et aucune anomalie importante de cicatrisation des plaies n’a été constatée. Un léger œdème transitoire a été noté chez 5 chevaux, en regard de la plaie de laparotomie, et a disparu en quelques jours. Un animal a présenté, depuis l’intervention chirurgicale, une zone de sudation en région ventrale à la plaie de laparotomie. Chez 4 chevaux, l’administration d’huile de paraffine a été répétée en période postopératoire car une légère surcharge intestinale a été observée pendant la chirurgie.

Les informations sur la convalescence ont été recueillies par conversation téléphonique avec les propriétaires (7 animaux) entre 3 et 20 mois après l’opération. Un cheval a présenté des signes modérés de coliques 4 mois après l’intervention chirurgicale avec une palpation transrectale (pratiquée par le vétérinaire référent) évocatrice de DDGCG. Il a été traité médicalement avec succès par le vétérinaire référent. Sur les 10 cas, nous avons pu en contrôler nous-mêmes 4 par palpation transrectale et 2 par une nouvelle laparoscopie (propriétaires conciliants et motivés). Dans les 6 cas, une bonne fermeture de l’ENS a été constatée.

Discussion

Le traitement du DDGCG par laparoscopie assistée de la main permet un repositionnement du côlon médialement à la rate et une fermeture de l’ENS lors d’une seule et même intervention chirurgicale réalisée chez le cheval debout, sous tranquillisation. Les risques de l’anesthésie générale, du réveil difficile et de complications potentielles d’une laparotomie par la ligne blanche sont supprimés. Les coûts de l’opération sont également considérablement réduits.

La fermeture de l’ENS est normalement conseillée lors de récidive de DDGCG, ce qui peut représenter jusqu’à 21 % des cas dans les études rétrospectives [11]. Les propriétaires sont de plus en plus demandeurs d’une fermeture de l’ENS dès le premier épisode de DDGCG. Avec cette technique, et en raison du repositionnement rapide du côlon, la fermeture de l’ENS peut être réalisée dans le même temps. Le chirurgien doit être familiarisé avec les procédures de laparoscopie avant d’envisager cette méthode combinée.

Lors de DDGCG, l’insertion du trocart de laparoscopie augmente le risque de ponction intestinale. Pour réduire celui-ci, une technique ouverte d’insertion (mini-laparotomie) ou un optical trocar (qui permet une visualisation des couches tissulaires de la paroi abdominale pendant l’insertion) peuvent être utilisés [5]. Lors de distension gazeuse importante du gros côlon, l’introduction des trocarts doit être parfaitement maîtrisée par l’opérateur sous peine de ponctionner les viscères.

La technique de fermeture de l’ENS par laparoscopie décrite dans cet article présente deux différences par rapport aux méthodes déjà rapportées [10, 11]. Une seconde voie d’accès instrumentale, classiquement employée, n’est pas réalisée et la dilatation de l’abdomen au CO2 non plus. En l’absence de cette distension, la récupération des animaux nous semble plus rapide. Quelques chevaux ont présenté une inflammation du péritoine en phase postopératoire, qui semble provoquée par l’insufflation au CO2.

La réalisation d’une laparotomie en grille (dissection des plans musculaires dans le sens des fibres) est intéressante car la suture des plans musculaires est alors plus facile, et le risque de lacération des artères épigastriques caudales ou iliaques circonflexes localisées sur le flanc est moins important.

Dans les cas publiés de correction du DDGCG par laparoscopie, le côlon est resté latéralement à la rate et l’ENS n’a pas été fermée [1]. Sur les 10 cas rapportés dans cet article, la résolution du DDGCG par une technique purement laparoscopique aurait été difficile car, chez tous les chevaux, le côlon présentait un tympanisme et une surcharge alimentaire.

L’utilisation de phényléphrine en phase peropératoire lors de la fermeture de l’ENS est évoquée par des auteurs, afin de réduire la taille de la rate et de faciliter son rapprochement du fascia périrénal [11]. Dans notre expérience et celle d’autres auteurs, l’administration de phényléphrine n’est pas essentielle pour effectuer une bonne fermeture de l’ENS [3]. Un article récent sur trois centres hospitaliers rapporte la mort par hémorragie sévère (hémothorax et/ou hémo-abdomen) de 5 chevaux âgés de plus de 17 ans après une administration de phényléphrine, avec une prévalence de 4 % dans un des centres [4]. Ce que nous n’avons jamais constaté pour les cas que nous avons traités à la phényléphrine depuis 15 ans.

Conclusion

La technique décrite dans cet article a permis la résolution du DDGCG et la fermeture de l’ENS en une seule étape et sans complication notoire. L’expérience du chirurgien et une bonne sélection des cas sont deux points importants pour obtenir de bons résultats. Si l’association d’un DDGCG à un trouble intestinal plus grave, tel qu’un volvulus, un tympanisme ou une surcharge importante du gros côlon, est suspectée, il convient d’envisager une laparotomie sous anesthésie générale.

Références

  • 1 – Busshers E, Southwood L, Parente E. Laparoscopic diagnosis and correction of a nephrosplenic entrapment of large colon in a horse. Equine Vet. Educ. 2007;19(2):60-63.
  • 2 – Deen T. Correcting left dorsal displacement of the large colon by hoisting and rolling. Vet. Med. 1990;85:284-288.
  • 3 – Farstvedt E, Hendrickson D. Laparoscopic closure of the nephrosplenic space for prevention of recurrent entrapment of the ascending colon. Vet. Surg. 2005;34:642-645.
  • 4 – Frederick J, Giguère S, Butterworth K, Pellegrini-Masini A, Casas-Dolz R, Turpin MM. Severe phenylephrine associated hemorrhage in 5 aged horses. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2010;237(7):830-834.
  • 5 – Freeman AT, Gallagher LA. Disposable endoscopic instruments. In: Equine Diagnosis and surgical Laparoscopy. 1st ed. Ed. Fischer Jr. WB Saunders, Philadelphia. 2002:54-56.
  • 6 – Hachett RP. Nonstrangulated colonic displacement in horses. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1983;182:235-240.
  • 7 – Hanson RR. Diseases of the large colon that can result in colic. In: Manual of Equine Gastroenterology. Eds. Mair T, Divers T, Ducharme N. Saunders, Philadelphia. 2002:279-298.
  • 8 – Hardy J, Minton M, Robertson JT, Beard WL, Beard LA. Nephrosplenic entrapment in the horse: a restrospective study of 147 cases. Equine Vet. J. Suppl. 2000 ;32:95-97.
  • 9 – Huskamp B, Kopf N. Die Verlagerung des Colon ascendens in den Milz-Nieren-Raum beim Pferd (1). Tierarztl Prax. 1980;8:327-339.
  • 10 – Mariën T, Adriaenssen A, von Hoeck F et coll. Laparoscopic closure of the renosplenic space in standing horses. Vet. Surg. 2001;30:559-563.
  • 11 – Rochen M, Scubert C, Mosel G, Litzke L. Indications, surgical technique and long-term experience with laparoscopic closure of the nephrosplenic space in standing horses. Vet. Surg. 2005;34:637-641.
  • 12 – Santschi EM, Slone DE, Frank WM. Use of ultrasound in horses for diagnosis of left dorsal displacement of the large colon and monitoring its non surgical correction. Vet. Surg. 1993;22:281-284.
  • 13 – Van Harreveld PD, Cox J, Billier DS. Phenylephryne HCl as a treatment of nephrosplenic entrapment in a horse. Equine Vet. Educ. 1999;11:282-284.
  • 14 – White NA. Epidemiology und Etiologic of colic. In: The Equine Acute Abdomen. Ed. White NA. PA, Lea & Febiger, Philadelphia. 1990:54p.

Éléments à retenir

→ Le déplacement dorsal du gros côlon à gauche (DDGCG) est une maladie fréquente se traduisant cliniquement par des coliques d’intensités modérée à forte.

→ Le traitement chirurgical du DDGCG chez le cheval debout par laparotomie en regard du flanc gauche est conseillé pour les animaux chez lesquels une anesthésie générale est contre-indiquée ou pour des raisons économiques.

→ La réalisation de la laparotomie en grille est intéressante car la suture des plans musculaires est plus facile et le risque de lacération des artères localisées sur le flanc est moins important.

→ La technique décrite dans cet article a permis la résolution du DDGCG et la fermeture de l’espace néphrosplénique en une seule étape, chez le cheval debout et sans complication notoire.

Encadré : Rappels sur le déplacement dorsal du gros côlon à gauche

→ L’incidence rapportée du déplacement dorsal du gros côlon à gauche (DDGCG) est évaluée jusqu’à 6 %, avec un taux de récidives pouvant atteindre 21 % pour les chevaux présentant à nouveau des signes de colique [11]. La profondeur de l’ENS (en direction dorso-ventrale) et le statut de hongre semblent être des facteurs qui prédisposent au DDGCG [9-11, 14]. Le diagnostic de DDGCG est normalement établi par palpation transrectale et échographie transcutanée [9, 12]. Plusieurs traitements médicaux ont déjà été décrits, comme l’administration en perfusion de 2 à 8 µg/kg de phényléphrine, suivie d’un temps d’exercice (grand trot et galop pendant 15 min au rond de longe) [8, 13]. Des praticiens rapportent des succès avec l’administration de phényléphrine suivie d’une forte sédation. Dans tous les cas, une fluidothérapie, une décompression de l’estomac et l’administration de laxatifs (en présence d’une motilité intestinale et en l’absence d’un reflux) doivent être réalisées et, dans certains cas de tympanisme important, le cæcum peut être trocardé. Ces types de traitements sont parfois efficaces, d’après l’expérience des auteurs, quand le côlon n’est pas trop tympanique ni trop surchargé par la matière alimentaire. Des études rapportent plus de 80 % de succès avec l’administration de la phényléphrine, suivie d’un roulage [2, 6, 11]. Selon l’expérience des auteurs, pour aider au décrochement du côlon, sous anesthésie générale du cheval, il convient de secouer énergiquement le flanc gauche, avec les genoux ou même sauter à pieds joints sur la partie gauche de l’abdomen, lors de la rotation du cheval (photo 1). La sensation d’une persistance de l’accrochement à la palpation transrectale juste après le roulage n’implique pas un échec du traitement car le décrochement est normalement constaté entre 12 et 24 heures après le roulage. Lorsque le traitement médical échoue, si la distension gazeuse et la surcharge intestinale augmentent, ou si une dégradation de l’état général est notée, le traitement chirurgical s’impose immédiatement. Il est donc conseillé de réaliser ces techniques de roulage au sein d’une clinique qui permette, si la situation se dégrade, d’effectuer rapidement une laparotomie sous anesthésie générale.

→ Le traitement chirurgical du DDGCG chez le cheval debout par laparotomie en regard du flanc gauche a déjà été décrit et conseillé pour les animaux chez lesquels une anesthésie générale est contre-indiquée (poulinière en fin de gestation, chevaux de trait, cheval qui vient de subir une laparotomie) ou bien pour des raisons économiques [7]. Un cas de diagnostic et de traitement du DDGCG par laparoscopie est décrit dans la littérature. Dans ce cas, le côlon a été décroché de l’ENS et laissé latéralement à la rate [1].

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