L’anesthésie équine : recours aux injectables ou aux agents volatils ? - Pratique Vétérinaire Equine n° 168 du 01/10/2010
Pratique Vétérinaire Equine n° 168 du 01/10/2010

Article de synthèse

Auteur(s) : Olivier L. Levionnois*, Christophe Desbois**

Fonctions :
*DMV, IPSAVEq, Dipl. ECVAA
Section d’anesthésiologie, département des sciences cliniques vétérinaires,
Faculté Vetsuisse de l’université de Berne,
boîte postale 8466, 3001 Bern, Suisse
**DMV, MSc, Dr. Sc
MC anesthésie-réanimation, Unité de Reproduction
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle
94700 Maisons-Alfort

Entre anesthésie injectable et anesthésie volatile, le choix dépend principalement de l’intervention et des conditions pratiques de réalisation. En plus des objectifs de perte de conscience, de relaxation musculaire et d’analgésie, la sécurité dépend de la bonne surveillance des paramètres vitaux et de la prise en charge rapide des complications.

Deux techniques sont fréquemment décrites, comparées, voire opposées en anesthésie générale : l’anesthésie injectable et l’anesthésie volatile. La première est présentée comme simple, ne nécessitant que peu de matériel, et la seconde comme complexe et demandant un environnement plus conséquent. Un raccourci permettrait ainsi de séparer une anesthésie “rurale” aux injectables et une anesthésie “clinique” aux agents volatils.

Cette dichotomie est excessive car toutes les anesthésies équines débutent par l’administration intraveineuse d’agents injectables. Ces deux techniques sont donc complémentaires et diffèrent par le choix de la méthode de maintien de l’anesthésie.

En pratique, c’est surtout la durée de la procédure qui influe sur cette décision. En dessous d’une heure, c’est l’anesthésie injectable qui prévaut (souvent réalisée en dehors d’une clinique), pour des procédures de plus d’une heure, l’anesthésie volatile est préférée (dans les infrastructures d’une salle d’opération).

La connaissance des médicaments utilisés pour ces deux formes d’anesthésie générale permet d’affiner ce choix. Néanmoins, des études conduisent à s’interroger sur l’opportunité d’une introduction plus fréquente de l’anesthésie intraveineuse dans les salles d’opération.

Quelle est la technique d’anesthésie la moins risquée ?

Anesthésie injectable ou volatile ?

Une étude rétrospective internationale a récemment analysé les complications liées aux anesthésies générales équines. Le taux de morbidité et de mortalité rapporté est, par rapport à d’autres espèces, particulièrement élevé (1,6 %). Deux causes principales ont été identifiées : des collapsus cardiovasculaires peropératoires et des incidents comme des fractures ou des myopathies apparaissant pendant la phase de réveil [3].

Ces complications surviennent le plus souvent lors de recours à une anesthésie volatile et une corrélation peut être établie avec la dépression cardiovasculaire induite par ces anesthésiques. La présence d’un matériel abondant et d’un personnel spécialisé explique probablement pourquoi les complications sont moins fréquentes dans les structures hospitalières universitaires que dans les cliniques privées de petite taille.

Le taux de complications le plus faible est associé aux anesthésies uniquement intraveineuses (total intravenous anesthesia, TIVA). Cette observation est surprenante car ce type d’anesthésie est généralement mis en œuvre avec de faibles moyens de surveillance ou de réanimation : pas de supplémentation en oxygène, peu de perfusions liquidiennes, surveillance instrumentale réduite, absence globale de mesures de sécurité, etc. Il s’avère néanmoins prudent de pondérer ces données car les anesthésies intraveineuses incluses dans cette étude ont été réalisées de manière quasi exclusive chez des animaux jeunes, sains, et pour des procédures courtes. Cela n’a pas été le cas des anesthésies employant des agents volatils.

Ainsi, par manque d’homogénéité, comparer le taux de complications liées aux anesthésies générales intraveineuses et gazeuses est difficile.

Quelle technique et pour quelle durée ?

L’absence de matériel de surveillance et la durée d’anesthésie ont également été identifiées comme des facteurs de risque par la même étude.

Une surveillance instrumentale met en évidence les dysfonctionnements de manière précoce et favorise une prise en charge rapide et adaptée. En son absence, l’anesthésie intraveineuse, qui semble induire moins de dépression cardiovasculaire, devrait être préférée. Concernant la durée d’anesthésie, tant la longueur d’exposition aux anesthésiques que les effets rémanents plaident en faveur d’une bonne surveillance et pour le recours aux agents volatils.

Est-il néanmoins possible de dire que, en l’absence d’appareillage de surveillance comme la mesure de la capnométrie et de la pression artérielle, l’anesthésie intraveineuse se montre plus sûre que l’anesthésie volatile ? À cette question, aucune réponse adaptée aux situations cliniques courantes n’a encore été formulée, à notre connaissance.

Contrôler facilement la profondeur d’anesthésie : une donnée pertinente ?

Une anesthésie générale vise à maintenir l’inconscience de l’animal, avec une immobilisation, une amnésie et l’abolition (ou la large dépression) des sensations douloureuses. Elle doit permettre la réalisation d’une intervention chirurgicale (ou simplement d’un examen diagnostique) dans les meilleures conditions possibles, tant pour l’animal que pour la qualité de la procédure.

En pratique, une dose adaptée d’anesthésique doit être employée et maintenue dans le système nerveux central. La variabilité de cette dose d’un cheval à un autre étant assez faible, des doses standard sont utilisées. Les effets secondaires cardiovasculaires et respiratoires, le plus souvent proportionnels à la quantité d’anesthésique administrée, imposent de travailler avec la dose la plus faible possible et de moduler celle-ci en fonction de la réponse de l’animal (photo 1).

Lors d’anesthésie volatile, la modification de cette profondeur d’anesthésie est aisée et rapide. Trois éléments l’expliquent :

– l’administration de l’agent anesthésique dans les gaz respiratoires est continue, ce qui permet de modifier ce que l’animal absorbe en quelques respirations ;

– l’équilibre entre la concentration d’isoflurane dans les alvéoles pulmonaires et la concentration cérébrale est rapide. Une corrélation quasi immédiate entre l’isoflurane présent dans les alvéoles et la profondeur d’anesthésie en résulte ;

– l’isoflurane possède un profil de distribution simple. Le métabolisme est presque inexistant, l’accumulation dans les tissus assez lente et continue, et l’élimination exclusivement pulmonaire. Dans ces conditions, une modification du pourcentage d’isoflurane inspiré entraîne une augmentation et une diminution très rapide de la dose anesthésique. Le praticien peut donc adapter facilement la profondeur d’anesthésie, et limiter l’intensité des effets secondaires cardiovasculaires et respiratoires. Cette profondeur d’anesthésie peut même être estimée assez précisément et suivie en continu en mesurant la concentration en isoflurane dans l’air alvéolaire expiré, proche de la quantité restant dans le sang. Cette concentration diffère de la simple lecture du pourcentage délivré par l’évaporateur, qui indique la concentration en anesthésique des gaz injectés dans le circuit. Ces derniers vont encore se mélanger avec les gaz recyclés dans le circuit, avant d’être inspirés par l’animal et, ensuite, de s’équilibrer avec les valeurs sanguines.

Dans le cas d’une anesthésie intraveineuse, la concentration dans le système nerveux central découle d’une distribution plus complexe du produit dans les différents organes, d’un métabolisme (principalement hépatique et pulmonaire) et de l’élimination hépatique ou rénale des métabolites (eux-mêmes actifs ou non). Le facteur limitant de ces étapes influence donc particulièrement l’effet anesthésique. Les concentrations plasmatiques ne pouvant être mesurées en situation clinique, elles ne sont qu’évaluées indirectement, via la profondeur d’anesthésie observée, et s’appuient sur l’expérience clinique. L’approfondissement de l’anesthésie par réinjection de produit est ainsi aisé, mais l’allégement beaucoup plus lent et aléatoire. Concrètement, cette situation crée une imprécision et un délai de réactivité qui augmentent encore largement avec la durée d’anesthésie.

L’avantage principal de l’anesthésie gazeuse repose donc sur l’adaptation facile et rapide de la dose d’anesthésique. Sa profondeur peut être adaptée en temps réel et de manière quasi indépendante de sa durée. En revanche, les produits adoptés affectent largement les statuts cardiovasculaire et respiratoire, ce qui nécessite une surveillance accrue des paramètres vitaux et la mise en place de moyens de réanimation peropératoires adaptés (padding, perfusions, inotropes, etc.).

En comparaison, l’anesthésie intraveineuse suit généralement des protocoles préétablis qui garantissent la plupart du temps une profondeur d’anesthésie suffisante. La principale adaptation à réaliser est relative au poids approximatif de l’animal. Le risque d’effets secondaires délétères est plus faible, mais augmente probablement rapidement avec la durée de l’anesthésie. À noter qu’il convient de toujours adapter la dose administrée à l’animal et à l’effet escompté, sous peine de sur- ou sous-dosages néfastes pour l’animal ou la procédure.

Les deux techniques ont-elles des points faibles ?

La durée de la procédure pose le plus souvent problème lors d’anesthésie intraveineuse. L’accumulation des produits constitue le facteur limitant le plus visible. Elle induit une perte du contrôle de l’intensité et surtout de la durée de l’effet anesthésique. Les réveils sont souvent très longs et très difficiles. Le coût peut être un autre élément limitant : la durée d’administration est associée à une quantité de produit augmentant (très) vite, d’autant que le poids d’un cheval est important.

En revanche, bien dosée, l’anesthésie intraveineuse provoque moins d’effets cardiopulmonaires indésirables et réduit le taux de complications. Cela permet de tolérer un niveau de surveillance assez faible et des moyens de réanimation peu développés. Le matériel nécessaire est nettement moins lourd, moins encombrant et moins coûteux. Ni mutagène ni polluante pour le personnel, cette anesthésie s’adapte à de nombreuses indications thérapeutiques. De plus, les protocoles d’anesthésie intraveineuse mettent en œuvre plusieurs produits proposant, par leur association, une anesthésie assez équilibrée. Les propriétés de relaxation musculaire sont associées avec des effets antinociceptifs (traitement de la douleur) marqués. Une bonne stabilité de la fonction cardiovasculaire en découle, associée à une (relative) absence de toxicité spécifique sur les organes.

À l’opposé, les agents d’inhalation induisent des effets secondaires bien identifiés. Ils entraînent tous une forte baisse de la vasomotricité et de la contractilité cardiaque, ce qui fait des affections cardiovasculaires péri-anesthésiques la principale cause de mortalité en anesthésie générale équine. Ces agents dépriment également la fonction respiratoire. Un simple enrichissement de l’air inspiré en oxygène pallie ce défaut, mais l’installation d’une ventilation artificielle s’impose parfois. L’anesthésie volatile ne peut donc pas être dissociée d’une surveillance performante et de la mise en œuvre de mesures de soutien, voire de réanimation, peropératoires adaptées.

Sur le plan anesthésique pur, les agents volatils n’apportent pas une anesthésie équilibrée. Une perte de conscience profonde et l’inhibition de l’intégration des sensations douloureuses peuvent être obtenues, mais, même à fortes doses, l’analgésie reste faible. Le praticien se trouve souvent confronté à une instabilité cardiovasculaire durant les interventions chirurgicales : le système cardiovasculaire oscille entre des stimulations d’origine chirurgicale ponctuelles et des dépressions d’origine anesthésique permanentes. Ces stimulations nociceptives répétées peuvent contribuer au développement d’une hyperalgésie postopératoire et dégrader la qualité du réveil. Les agents volatils impliquent également de prendre en charge la protection des personnes présentes dans l’environnement du bloc opératoire. La ventilation des locaux et l’évacuation du trop-plein de la machine d’anesthésie permettent de limiter la pollution de l’air dans les salles de travail.

En conclusion, l’anesthésie intraveineuse présente beaucoup d’avantages, mais son utilisation se restreint actuellement à une procédure de moins d’une heure. L’anesthésie employant des agents volatils est plus complexe, et requiert une surveillance instrumentale et un soutien physiologique peropératoire. Elle est rarement adoptée en dehors des structures hospitalières, et devient problématique lors d’interventions très courtes ou très douloureuses. Pour développer une méthode d’anesthésie plus sûre et mieux adaptée, les protocoles des deux méthodes doivent être améliorés.

Vers une anesthésie gazeuse plus complète…

La quasi-totalité des protocoles impliquant les agents volatils se décomposent en quatre étapes : une prémédication avec une forte dose de sédatifs, une induction aux injectables, un relais volatil après intubation trachéale, puis de nouveau une sédation en début de la phase de réveil pour un lever dans le calme.

La prémédication comprend classiquement l’association d’un sédatif (romifidine, détomidine, xylazine) à un opioïde (butorphanol, morphine). L’administration préopératoire d’un anti-inflammatoire est souvent ajoutée. Pour l’induction, la kétamine constitue la molécule la plus utilisée, associée à un relaxant musculaire (diazépam, midazolam ou guaïfénésine). L’agent employé pour le maintien est l’isoflurane véhiculé dans de l’oxygène (l’halothane, très proche de l’isoflurane dans ses effets, avec des réveils plus longs, est évité aujourd’hui car il est trop toxique pour le personnel). Le sévoflurane est assez comparable à l’isoflurane, mais il fournit un réveil plus rapide et peut conduire, par manque d’expérience, à des complications spécifiques. Il est particulièrement intéressant pour les jeunes poulains, par exemple, même si son prix élevé (évaporateur et produit) freine ce choix.

Ce protocole de maintien, carencé en analgésie, expose à une anesthésie instable lors d’interventions douloureuses (réflexes de défense, mouvements, réponses cardiovasculaires, respiratoires, etc.). L’amélioration la plus simple revient à y associer des anesthésies locorégionales. Une simple infiltration de lidocaïne ou un bloc nerveux avec la même molécule isole la zone douloureuse du reste de l’organisme et améliore radicalement l’analgésie. En dehors des cas où aucune technique n’est réalisable, ce sont souvent des craintes concernant le relever de l’animal et sa capacité de proprioception pendant la phase de réveil qui freinent certains cliniciens dans cette approche.

L’ajout à l’anesthésie volatile des agents injectables analgésiques peut fournir une amélioration de la composante analgésique du protocole (tableau). La maniabilité de l’anesthésie volatile, et les atouts antalgiques et cardiovasculaires des protocoles injectables sont ainsi combinés. L’association autorise également une réduction de la concentration alvéolaire minimale (MAC), c’est-à-dire une réduction des doses d’halogénés, donc des effets indésirables. Les doses d’injectables étant faibles, le problème de l’accumulation se pose plus rarement dans ce contexte. Une anesthésie équilibrée est ainsi définie comme une anesthésie générale qui associe perte de conscience (narcose maintenue par les anesthésiques), relaxation musculaire, inhibition de la nociception (analgésies pré-, péri- et postopératoires) et sécurité de l’animal (c’est le travail de l’anesthésiste par la surveillance, la reconnaissance et le traitement des complications). Tout d’abord dans le cas d’interventions courtes (45 minutes) et peu douloureuses, une prémédication analgésique à forte dose (α2-agoniste, opioïde et anti-inflammatoire) peut suffire pour accompagner l’anesthésie volatile. Mais l’ajout d’analgésiques péri-opératoires complète mieux l’anesthésie gazeuse et la stabilise, la sécurise et améliore l’analgésie postopératoire. En opposition au terme “TIVA”, l’ajout d’analgésiques intraveineux en supplément d’une anesthésie gazeuse est nommé PIVA, partial intravenous analgesia.

De la lidocaïne peut, par exemple, être prescrite. Le protocole usuel associe une dose de charge (de 1,5 à 2 mg/kg en 5 à 10 minutes par voie intraveineuse) suivie d’une administration continue (de 2 à 3 mg/kg/h) [5, 10]. L’administration intraveineuse à débit continu (constant rate infusion, CRI) est facilitée par l’utilisation d’un pousse-seringue ou d’une pompe à perfusion (photos 2a et 2b). Plus simple encore, la lidocaïne peut être ajoutée dans une outre de perfusion (une dose de 5 l de lactate de Ringer) et administrée au compte-gouttes. Les principaux effets obtenus sont une réduction d’environ 20 % de la consommation d’isoflurane, une augmentation de la relaxation musculaire, et une amélioration de la composante antalgique du protocole et de la sédation au réveil. La stabilité de l’anesthésie est améliorée, les doses d’anesthésiques injectables de secours sont diminuées et le recours aux inotropes (dobutamine) est moins fréquent. Lors de laparotomies d’urgence (coliques), d’autres propriétés pharmacologiques de la lidocaïne sont recherchées : effets anti-inflammatoires, amélioration de la perfusion périphérique, action prokinétique sur la motilité intestinale [1].

Un α2-agoniste peut également être administré en perfusion continue après l’induction de l’anesthésie. À nouveau, la relaxation, l’immobilisation et la sédation permettent une anesthésie plus stable et un réveil plus calme. Les α2-agonistes peuvent provoquer une bradycardie et le dosage doit être adapté si une répercussion sur la perfusion périphérique est observée (hypotension). Malgré l’absence de données expérimentales, la romifidine (à la dose de 0,02 à 0,04 mg/kg/h) est souvent recommandée par les cliniciens pour cette utilisation. En revanche, la médétomidine, plus récente et plus spécifique dans son mécanisme d’action, fait l’objet de nombreux essais cliniques prometteurs (à des doses oscillant entre 3 à 8 mg/kg/h), et ce bien que la molécule ne soit pas accessible sur le marché pour l’espèce équine [5]. L’emploi d’un α2-agoniste par perfusion continue en complément de l’anesthésie volatile est plutôt conseillé pour les animaux au système cardiovasculaire non compromis (chirurgies électives, ASA I-III) et peut éventuellement être antagonisé (atipamézole) en cas d’arythmies marquées.

La kétamine peut aussi être administrée tout au long de l’anesthésie générale. Juste après l’induction, une perfusion continue est posée (à la dose de 1,8 mg/kg/h) [7]. La kétamine dégrade la qualité du réveil (ataxie, tremblements). Elle est donc administrée en association avec de la lidocaïne (à la dose de 1 g de chaque molécule par litre de solution de Ringer), avec de la romifidine (à la dose de 3 g de kétamine et de 40 mg de romifidine par litre de solution de Ringer) ou bien avec de la guaïfénésine (à la dose de 3 g de kétamine par litre de guaïfénésine 7 %) [2, 6]. Plus rarement décrits mais également utilisables : le propofol, le midazolam ou le climazolam et la détomidine. Les produits peuvent être administrés pendant l’anesthésie à l’isoflurane, en association par deux (double drip) ou par trois (triple drip) [11, 12].

Les règles établies pour limiter l’accumulation d’un produit intraveineux restent à observer. Pour la kétamine surtout et aussi la lidocaïne, l’arrêt de l’administration par perfusion continue est recommandé 15 à 20 minutes avant la fin de l’anesthésie pour modérer l’ataxie au réveil [6, 9]. Si le dosage doit être augmenté, il convient d’interrompre la perfusion plus tôt encore. L’administration de bolus pendant la perfusion continue doit être évitée. La diminution du débit d’administration est même recommandée après les premières 50 minutes.

Et vers une meilleure anesthésie intraveineuse ?

En plus de l’aspect financier, la principale limite en anesthésie injectable concerne l’accumulation des produits injectés et leurs effets rémanents. Ce point rencontre ici le domaine de la pharmacocinétique, l’étude de la distribution, du métabolisme et de l’élimination des médicaments dans le corps après leur administration.

Des études réalisées sur des chevaux sains apportent des éléments précis, comme les temps de demi-vie, les clairances et les volumes de distribution des produits employés. Ces données guident le choix des molécules et leurs protocoles d’administration.

À titre d’exemple, en anesthésie, la pharmacocinétique a montré que toute perfusion continue doit être précédée d’un bolus initial. Cette dose de charge, cliniquement indispensable, conduit à une montée rapide de la concentration sanguine jusqu’à la concentration efficace. L’injection continue qui suit vise à maintenir cette concentration constante. Idéalement, la vitesse d’administration devrait décroître graduellement au fur et à mesure que le produit s’accumule.

Un produit intraveineux idéal se répartit rapidement pour obtenir un effet rapide et contrôlé. Son accumulation est faible pour mener à un réveil rapide et simplifier l’administration (perfusion à une vitesse constante).

Les spécialités énumérées précédemment ne correspondent pas vraiment à cette définition. Les protocoles simples adoptés en clinique (dose de charge, puis injection continue) fonctionnent, mais la variabilité observée prouve qu’il est difficile de garantir le maintien d’une concentration sanguine constante.

L’amélioration du protocole supposerait une utilisation plus fine des données pharmacocinétiques, en adaptant régulièrement la vitesse de l’injection continue. Si un contrôle manuel se révèle complexe et difficile, en revanche, des pousse-seringues dirigés par ordinateurs peuvent aujourd’hui être d’un précieux secours. Cette situation réclame de disposer d’un modèle pharmacocinétique informatisé et valide (logiciel, produit et espèce), d’indiquer dans le programme les données variables (poids de l’animal, concentration dans la seringue, taux sanguin souhaité) et de demander le contrôle du pousse-seringue. Le modèle permet alors de calculer la dose et l’injecte via le pousse-seringue connecté. L’injection continue est calculée de la même manière et adaptée en mode quasi continu (toutes les 30 secondes, par exemple). Le temps avant le réveil peut même être affiché. Les premiers essais chez le cheval datent d’il y a plus de 15 ans. Ces techniques sont employées quotidiennement chez l’homme et sont en partie valides chez les petits animaux [4]. Cependant, force est de constater que, pour le moment, elles ne sont toujours pas accessibles à la médecine vétérinaire de terrain et qu’elles manquent de précision chez le cheval. Le développement de tels appareils en format portable et facile d’utilisation s’annonce prometteur pour le futur de l’anesthésie intraveineuse. Un contrôle fin, proche de l’anesthésie gazeuse, de meilleures stabilité anesthésique et anticipation de la durée de réveil, mais aussi une réduction des coûts par économie de produits anesthésiques peuvent en être attendus, le tout dans un environnement assez simple.

Des produits plus adaptés devraient être développés. En médecine humaine, l’anesthésie intraveineuse utilisant l’association propofol et rémifentanil remplace à plusieurs endroits l’anesthésie gazeuse. Une très bonne qualité d’anesthésie est ciblée, avec une accumulation réduite et un réveil très rapide. En anesthésie équine, de tels produits restent peu étudiés et trop coûteux, mais est-ce réellement irréaliste ?

Dans l’attente de tels progrès, l’expérience avec les protocoles classiques d’anesthésie intraveineuse se développe. Des anesthésies durant jusqu’à 2 heures, quelquefois plus, sont réalisées avec succès, en adaptant la vitesse d’administration du triple drip classique (kétamine, α2-agoniste, guaïfénésine) à la profondeur de l’anesthésie. Le réveil est certes un peu prolongé et un peu ataxique. En situation de terrain, l’administration d’oxygène à l’aide d’une intubation endotrachéale peut limiter les risques de complications (photo 3). Le remplacement de la guaïfénésine par une benzodiazépine (midazolam, climazolam) autorise, en fin d’anesthésie générale, l’antagonisation du relaxant musculaire (par le flumazénil ou le sarmazénil) [12]. Cela permettrait éventuellement la réalisation d’interventions plus longues sans trop perturber la phase de réveil. Autre progrès : le développement d’α2-agonistes toujours plus spécifiques comme la médétomidine, également mieux antagonisable. Enfin, une réduction de l’administration de la kétamine compensée par une perfusion continue associée de propofol a également été étudiée et validée pour augmenter la qualité d’un protocole d’anesthésie intraveineuse [8]. Toutes ces propositions impliquent une expérience clinique dans l’administration de ces produits… et une analyse des coûts.

Les critères de choix entre anesthésie intraveineuse et anesthésie volatile n’ont pas tellement changé depuis 20 à 30 ans. En revanche, les carences des différents protocoles ont été mises en évidence. Alors que les techniques médicales et chirurgicales évoluent, les objectifs changent et les techniques anesthésiques doivent s’y adapter.

Les protocoles injectables usuels répondent bien aux besoins des interventions courtes et électives en extérieur, malgré des améliorations possibles. L’anesthésie intraveineuse dispose d’un futur prometteur, mais demeure pour l’instant réservée aux spécialistes possédant une grande expérience des produits et des techniques.

En revanche, l’anesthésie gazeuse semble évoluer rapidement. Elle est devenue “multimodale” et équilibrée, associant l’anesthésique volatil à l’administration continue de produits intraveineux anesthésiques et antalgiques. Elle représente une évolution simple et facile, même pour les moins expérimentés, vers une anesthésie générale mieux contrôlée et plus équilibrée. Une diminution des complications cardiovasculaires et respiratoires, et des accidents de réveil en sont attendus.

Il est cependant important de rappeler qu’un bon protocole anesthésique n’est pas que pharmacologique. Les objectifs de perte de conscience, de relaxation musculaire et d’analgésie existent certes, mais la sécurité dépend étroitement de la surveillance des paramètres vitaux et du traitement précoce des complications. Une recherche de qualité ou de confort en anesthésie implique d’associer étroitement ces deux aspects.

  • (1) Voir l’article “Risques professionnels liés à la pratique de l’anesthésie” du même auteur, dans ce numéro.

Références

  • 1. Brianceau P, Chevalier H, Karas A et coll. Intravenous lidocaine and small-intestinal size, abdominal fluid, and outcome after colic surgery in horses. J. Vet. Intern. Med. 2002;16:736-741.
  • 2. Enderle AK, Levionnois OL, Kuhn M et coll. Clinical evaluation of ketamine and lidocaine intravenous infusions to reduce isoflurane requirements in horses under general anaesthesia. Vet. Anaesth. Analg. 2008;35:297-305.
  • 3. Johnston G, Eastment J, Wood J et coll. The confidential enquiry into perioperative equine fatalities (CEPEF): mortality results of phases 1 and 2. Vet. Anaesth. Analg. 2002;29:159-170.
  • 4. Muir WW, 3rd, Sams R. Effects of ketamine infusion on halothane minimal alveolar concentration in horses. Am. J. Vet. Res. 1992;53:1802-1806.
  • 5. Ringer SK, Kalchofner K, Boller J et coll. A clinical comparison of two anaesthetic protocols using lidocaine or medetomidine in horses. Vet. Anaesth. Analg. 2007;34:257-268.
  • 6. Spadavecchia C, Stucki F, Moens Y et coll. Anaesthesia in horses using halothane and intravenous ketamine-guaiphenesin: a clinical study. Vet. Anaesth. Analg. 2002;29:20-28.
  • 7. Spadavecchia C, Stucki F, Schatzmann U. Ketamine-guaiphenesin infusion to supplement halothane anaesthesia in horses. Vet. Anaesth. Analg. 2000;27:54-62.
  • 8. Umar MA, Yamashita K, Kushiro T et coll. Evaluation of cardiovascular effects of total intravenous anesthesia with propofol or a combination of ketamine-medetomidine-propofol in horses. Am. J. Vet. Res. 2007;68:121-127.
  • 9. Valverde A, Gunkel C, Doherty TJ et coll. Effect of a constant rate infusion of lidocaine on the quality of recovery from sevoflurane or isoflurane general anaesthesia in horses. Equine Vet. J. 2005;37:559-564.
  • 10. Valverde A, Rickey E, Sinclair M et coll. Comparison of cardiovascular function and quality of recovery in isoflurane-anaesthetised horses administered a constant rate infusion of lidocaine or lidocaine and medetomidine during elective surgery. Equine Vet. J. 2010;42:192-199.
  • 11. Yamashita K, Muir WW, Tsubakishita S et coll. Infusion of guaifenesin, ketamine, and medetomidine in combination with inhalation of sevoflurane versus inhalation of sevoflurane alone for anesthesia of horses. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2002;221:1150-1155.
  • 12. Yamashita K, Wijayathilaka TP, Kushiro T et coll. Anesthetic and cardiopulmonary effects of total intravenous anesthesia using a midazolam, ketamine and medetomidine drug combination in horses. J. Vet. Med. Sci. 2007;69:7-13.

Éléments à retenir

→ L’anesthésie intraveineuse déprime moins les fonctions cardiovasculaire et respiratoire que l’anesthésie gazeuse.

→ L’anesthésie gazeuse permet un bien meilleur contrôle de la profondeur d’anesthésie et ne s’accumule pas, quelle que soit la durée de la procédure. Elle assure des réveils rapides.

→ L’anesthésie gazeuse manque d’analgésie et de stabilité. Elle implique l’administration parentérale d’antalgiques en perfusion continue.

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