Dosage de l’œstradiol-17β plasmatique pour le diagnostic expérimental de la gestation - Pratique Vétérinaire Equine n° 168 du 01/10/2010
Pratique Vétérinaire Equine n° 168 du 01/10/2010

Article original

Auteur(s) : Matthieu Cousty*, Daniel Tainturier**

Fonctions :
*Clinique équine de Livet,
Cour Samson,14140 Saint-Michel-de-Livet
**Service de pathologie de la reproduction, Oniris, Atlanpôle la Chantrerie, 44000 Nantes

Le dosage de l’œstradiol-17β plasmatique peut permettre d’établir un diagnostic de gestation chez la jument.

Chez la jument, la concentration plasmatique en œstrogènes varie au cours de la gestation. Entre J0 et J35, les niveaux sont similaires à ceux qui sont observés au cours du diœstrus. Une première augmentation est observée entre J35 et J40, qui correspond à une synthèse ovarienne par le corps jaune à la suite d’une stimulation par l’eCG (equine chorionic gonadotropin) [1, 2]. Une seconde hausse est observée entre J60 et J70, d’origine fœto-placentaire [3]. La concentration en œstrogènes atteint un pic entre J210 et J280, puis diminue à l’approche de la parturition [4, 5].

Pour certaines juments, le diagnostic de gestation par une échographie transrectale n’est pas toujours possible, par exemple, lorsqu’un échographe ou un travail de contention ne sont pas disponibles, ou que l’examen présente un danger pour l’opérateur. Les dosages hormonaux restent une solution alternative.

Le dosage des œstrogènes sanguins peut être utilisé pour établir un diagnostic de gestation, mais les résultats sont difficiles à interpréter en début de gestation. Le stade à partir duquel il est informatif n’est pas connu précisément et il est souvent nécessaire de lui associer le dosage d’un progestagène. En effet, une concentration élevée à la fois en progestagène et en œstradiol suggère une gestation en raison de la synthèse placentaire et fœto-placentaire de ces hormones dans les deux derniers tiers de la gestation.

L’objectif de l’étude est de déterminer à partir de quel stade de la gestation le dosage de l’œstradiol-17β plasmatique peut être utilisé pour le diagnostic expérimental de la gestation.

Matériel et méthodes

Animaux

Deux groupes d’animaux ont été inclus dans ce travail :

– un lot de juments gestantes (n = 7). Les juments sont de race selle français. L’âge moyen est de 10,6 +/– 4,2 ans (de 5 à 17 ans). Elles ont été inséminées à la station de monte de l’école vétérinaire de Nantes au cours de la saison 2004 ;

– un lot de juments en œstrus (n = 10). 8 sont de race selle français et 2 de race anglo-arabe. L’âge moyen est de 13 +/- 2,9 ans (de 9 à 17 ans). Elles ont été inséminées au cours de la saison de monte 2004.

Prélèvements

Juments gestantes

Des prélèvements sanguins sur tube hépariné sont réalisés chez les 7 juments le matin à J30, J58, J65, J72, J79, J86, J93, J100, J130, J180, J240, J270, J300 et J330, J0 étant le jour de l’ovulation. Les prélèvements hebdomadaires entre J58 et J100 visent à rechercher une éventuelle augmentation de la concentration plasmatique d’œstradiol à cette période. Les dates d’ovulation et de parturition sont notées et la durée de la gestation est calculée. Le nombre de gestations antérieures et le sexe du poulain sont notés.

Juments en œstrus

Les prélèvements sont réalisés chez les 10 juments quotidiennement le matin, 7 jours avant l’ovulation et jusqu’à 5 jours après. J0 est le jour de l’ovulation (déterminée lors du suivi échographique quotidien). Le diamètre moyen du follicule à chaque examen et le nombre de follicules ovulatoires (follicule de taille supérieure à 35 mm, avec des caractéristiques échographiques évoquant une ovulation imminente qui ont disparu lors du suivi quotidien) et la date de l’ovulation sont notés.

Les prélèvements sont réalisés à la veine jugulaire sur tube hépariné de 10 ml. Le tube est immédiatement centrifugé à 3 000 tours/min afin de pouvoir prélever le plasma. Celui-ci est placé dans des aliquots, puis congelé à – 18 °C jusqu’au dosage. Les aliquots sont identifiés avec le nom et le moment de l’ovulation ou le stade de gestation de la jument.

Dosage

Le procédé du dosage direct de l’œstradiol est fondé sur une technique radio-immunologique par compétition. Les échantillons et les étalons sont incubés avec un traceur (125I-œstradiol) et un sérum anti-œstradiol. Après une seconde incubation suivie d’une centrifugation, la séparation du traceur libre et du traceur lié à l’antisérum s’effectue au moyen d’un second anticorps. Après la centrifugation, les tubes sont décantés et les surnageants éliminés. Le précipité est compté dans un compteur gamma. Une courbe d’étalonnage est réalisée avec des étalons sériques dont les concentrations sont comprises entre 10 et 2 000 pg/ml. Les valeurs des échantillons à déterminer sont lues par extrapolation à partir de cette courbe d’étalonnage. La limite de détection est de 2 pg/ml. Le facteur de conversion de l’œstradiol est 1 pg/ml = 3,67 pmol/l (test réalisé au Laboratoire des dosages hormonaux de l’ENV de Nantes).

Un test de Student est utilisé pour la comparaison des concentrations aux différents moments et selon les groupes. L’influence de l’âge (juments de moins et de plus de 12 ans), du nombre de gestations antérieures (moins ou plus de deux gestations antérieures) et de la date de la parturition (moins ou plus de 340 jours) a été analysée. Le seuil de significativité est p est inférieur à 0,05.

Afin d’apprécier si le dosage de l’œstradiol est utilisable pour le diagnostic de gestation, la sensibilité (probabilité d’un test positif si la jument est gestante), la spécificité (probabilité d’un test négatif si elle n’est pas gestante), la valeur prédictive positive (probabilité que la jument soit gestante lorsque le test est positif) et la valeur prédictive négative (probabilité qu’elle ne soit pas gestante lorsque le test est positif) sont calculées aux différents stades de gestation. Le seuil considéré est la moyenne plus deux écarts types de la concentration maximale observée durant l’œstrus.

Résultats

Juments gestantes

Six juments sur 7 ont mené leur gestation à terme et l’une d’entre elles a avorté au bout du dizième mois de gestation. La date moyenne d’ovulation était le 20 avril +/– 25 jours (26 mars-1er juin) et la date moyenne de parturition, le 6 avril +/– 15 jours (22 mars-27 avril). La durée moyenne de la gestation a été de 347,5 +/– 14,2 jours (326-364 jours). 50 % (3/6) des poulains sont des mâles et 50 % (3/6), des femelles. La moyenne de la durée des gestations de fœtus femelles a été de 353,7 +/– 13,8 jours et celle de la durée des gestations de fœtus mâles, de 341,3 +/– 14,1 jours (tableau 1).

La concentration plasmatique d’œstradiol a été faible en début de gestation (de J30 à J100). Les valeurs observées sont proches de 30 pmol/l. Ensuite, la courbe prend une allure croissante pour atteindre une moyenne de 1 225,5 +/– 339,5 pmol/l à J240. Les valeurs sont stables de J240 à J300, avec des moyennes proches de 1 200 pmol/l. Le pic est observé à J300 pour une valeur moyenne de 1 249,5 +/– 412,6 pmol/l. Après J300, la courbe est décroissante jusqu’à la fin de la gestation (tableau 2 complémentaire sur www.WK-Vet.fr, figure 1).

Aucune différence significative n’a été remarquée selon l’âge de la jument (juments de moins et de plus de 12 ans), le nombre de gestations antérieures (moins ou plus de deux gestations antérieures), la date de la parturition (moins ou plus de 340 jours).

Juments en œstrus

Sur les ovulations constatées, 70 % (7/10) concernent un follicule, 20 % (2/10) deux follicules et 10 % (1/10) trois follicules, soit, en moyenne, 1,4 follicule par ovulation. La date moyenne d’ovulation est le 8 mai +/– 20 jours (19 mars-2 juin). Le diagnostic de gestation (présence d’une vésicule embryonnaire visible échographiquement à 14 jours) est négatif dans 70 % des cas (7/10), positif dans 20 % des cas (2/10). Aucune insémination n’a eu lieu dans 10 % des cas (1/10). Le diamètre folliculaire moyen est maximal à J – 3 (38,3 +/– 5,5 mm) (tableau 3).

La concentration plasmatique d’œstradiol a augmenté de J – 6 à J – 2, pour passer de 22 +/– 1 pmol/l à J – 6 à 44,8 +/– 13,8 pmol/l à J - 2. Ensuite, la concentration a diminué pour atteindre 18,0 +/– 2,8 à J3. La moyenne et l’écart type sont maximaux à J – 2, avec une concentration de 44,8 +/– 13,8 pmol/l. Les concentrations à J – 2 sont comprises entre 28 et 71 pmol/l (tableau 4 complémentaire sur www.WK-Vet.fr, figure 2).

Aucune différence statistique significative n’a été remarquée selon l’âge de la jument (animaux de moins et de plus de 12 ans), le diamètre folliculaire, le nombre de follicules ovulatoires (un, deux ou plus).

Utilisation du dosage de l’œstradiol pour établir le diagnostic de gestation

Le principe est de comparer les concentrations plasmatiques d’œstradiol au cours de la gestation aux concentrations maximales obtenues durant l’œstrus. La concentration maximale obtenue durant l’œstrus est observée à J - 2, avec 44,8 +/– 13,8 pmol/l (écart de 28 à 71 pmol/l).

Avant J130, la moyenne des concentrations n’est pas significativement différente de celle obtenue à J – 2 (p > 0,05). En revanche, après J130, elle est significativement divergente de celle obtenue à J – 2 (p < 0,05).

Le seuil considéré est la moyenne plus deux écarts types de la concentration maximale à J – 2, soit 72,4 pmol/l. Avec ce seuil, la sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive et la valeur prédictive négative sont de 100 % après J130 (tableau 5).

Discussion

• La concentration de la concentration plasmatique d’œstradiol chez des juments gestantes est semblable à ce qui a été décrit précédemment [3, 4]. Elle est proche des valeurs observées en œstrus jusqu’à J100 et ne dépasse pas 40 pmol/l. La concentration plasmatique reste stable de J240 à J300. Les moyennes sont alors proches de 1 200 pmol/l. Le pic est observé à J300 pour une valeur moyenne de 1 249,5 +/– 412,6 pmol/l. Nett et coll. rapportent un pic de 260 +/– 66 pmol/l (71 +/– 18 pg/ml) à J240 pour l’œstradiol-17α et l’œstradiol-17β (simultanément) [4]. Ces valeurs sont plus basses que celles qui sont observées dans cette étude. Cela dépend de la méthode de dosage et de la courbe étalon. Il existe donc une variabilité entre les laboratoires.

• L’allure de la courbe des juments en œstrus est identique à ce qui a été décrit précédemment [3, 6]. Le pic est observé à J – 2 pour 44,8 +/– 13,8 pmol/l. Daels et coll. ont rapporté un pic à J – 1 pour 73 +/– 11 pmol/l (20 +/– 3 pg/ml) [3].

• La réalisation de prélèvements au cours de la gestation et autour de l’ovulation permet de comparer les concentrations maximales avant l’ovulation aux concentrations observées sur la partie croissante de la courbe. La moyenne, l’écart type et la valeur maximale le jour du pic de l’ovulation sont des valeurs intéressantes pour déterminer le seuil à partir duquel la jument est considérée comme gestante. Réaliser des prises de sang chez une jument sur l’ensemble de sa gestation est difficile. Aussi a-t-il été impossible d’obtenir les dosages lors de l’œstrus et de la gestation chez les mêmes juments, ce qui limite la puissance statistique de la comparaison des moyennes.

• Avant J130, la moyenne des concentrations n’est pas significativement différente de celle qui est obtenue à J – 2. En revanche, après J130, elle est significativement divergente de celle qui est observée à J – 2. De plus, la sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive et la valeur prédictive négative sont nettement plus élevées après J130 qu’avant J130. Il est donc possible de réaliser le diagnostic de gestation par le dosage de l’œstradiol après J130. D’après le seuil établi, une concentration supérieure à 70 pmol/l est en faveur d’une gestation.

De plus, les prélèvements réalisés dans le cadre du diagnostic expérimental de gestation chez la jument sont effectués de façon ponctuelle. Si l’animal n’est pas gravide, il est peu probable de réaliser une prise de sang entre J – 3 et J – 1.

• Dans ce protocole, les prélèvements hebdomadaires entre J58 et J100 visaient à rechercher une éventuelle augmentation de la concentration plasmatique d’œstradiol à cette période, car il est couramment admis que cette technique permet de diagnostiquer la gestation après J100. D’après les résultats, la technique ne peut pas être utilisée aussi précocement ; elle est plus fiable après J130.

Les méthodes de dosage pouvant varier selon le matériel, il convient toutefois de souligner que les valeurs seuils du diagnostic de gestation le sont uniquement pour la méthode employée et le laboratoire concerné. Les valeurs de référence obtenues chez des juments proches de l’ovulation doivent donc être connues pour chaque technique et chaque laboratoire.

Il est possible d’établir le diagnostic de gestation par le dosage de l’œstradiol-17β après J130. Une concentration supérieure à 70 pmol/l est en faveur d’une gestation. En cas de valeur “douteuse” (concentration entre 50 et 70 pmol/l) et étant donné l’allure croissante de la concentration d’œstradiol durant la gestation, un second prélèvement peut être réalisé un mois plus tard pour confirmer ou infirmer le résultat.

Références

  • 1. Daels PF et coll. The corpus luteum : source of œstrogen during early pregnancy in the mare. J. Reprod. Fertil. 1991; 44(Suppl): 501-508.
  • 2. Daels PF et coll. Source of œstrogen in early pregnancy in the mare. J. Reprod. Fertil. 1990; 90(1): 55-61.
  • 3. Daels PF et coll. Urinary and plasma estrogen conjugates, estradiol and estrone concentrations in nonpregnant and early pregnant mares. Theriogenology. 1991; 35(5): 1001-1017.
  • 4. Nett TM, Holtan DW, Estergreen VL. Levels of LH, prolactin and œstrogens in the serum of post-partum mares. J. Reprod. Fertil. 1975; Suppl(23): 201-206.
  • 5. Nett TM, Holtan DW, Estergreen VL. Plasma estrogens in pregnant and postpartum mares. J. Anim. Sci. 1973; 37(4): 962-970.
  • 6. Noden PA, Oxender WD, Hafs HD. The cycle of œstrus, ovulation and plasma levels of hormones in the mare. J. Reprod. Fertil. 1975; Suppl(23): 189-192.

Éléments à retenir

→ Chez la jument, il est possible d’établir un diagnostic de gestation à l’aide du dosage de l’œstradiol-17β plasmatique.

→ Une concentration plasmatique en œstradiol-17β supérieure à 70 pmol/l est en faveur d’une gestation.

→ En cas de valeur “douteuse” (concentration comprise entre 50 et 70 pmol/l), un second prélèvement peut être réalisé un mois plus tard pour confirmer ou infirmer la gestation.

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