Pneumonie interstitielle idiopathique chronique chez un cheval de 11 ans - Pratique Vétérinaire Equine n° 159 du 01/07/2008
Pratique Vétérinaire Equine n° 159 du 01/07/2008

Auteur(s) : Anne-Sophie Bobet*, Camille Tourmente**, Isabelle Raymond-Letron***, Maxence Delverdier****, Youssef Tamzali*****

Fonctions :
*Clinique équine
École vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex
**Clinique équine
École vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex
***Service d'anatomopathologie
École vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex
****Service d'anatomopathologie
École vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex
*****Clinique équine
École vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex

Le diagnostic ante-mortem de la pneumonie interstitielle idiopathique chronique est difficile et repose sur la biopsie pulmonaire.

Un hongre selle français de 11 ans, utilisé en concours de saut d'obstacles (CSO) et traité depuis trois semaines pour une affection respiratoire obstructive (recurrent airway disease, RAO), est présenté en urgence en consultation pour une dyspnée sévère et une hyperthermie marquée (40 °C).

Cas clinique

Motif de consultation et commémoratifs

Le cheval est correctement vacciné (grippe) et vermifugé.

Depuis plusieurs années, il présente une hémiplégie laryngée gauche de grade 3 sur 4, compatible avec de bonnes performances de CSO. En octobre 2006, le cheval est vu une première fois en consultation à la suite de l'apparition de symptômes postexercice : épistaxis unilatérale, récupération lente, toux et fatigabilité inhabituelle. L'examen clinique général et respiratoire est normal. L'auscultation cardiaque et l'électrocardiogramme (ECG) permettent d'écarter l'hypothèse d'une arythmie. Ainsi, la fibrillation atriale, souvent associée à une baisse de performance et/ou à une hémorragie pulmonaire induite à l'exercice, peut être exclue [15]. L'endoscopie respiratoire montre un œdème de la carène, ainsi qu'une accumulation modérée de mucus dans la trachée. L'analyse cytologique du liquide de lavage broncho-alvéolaire (LBA) révèle la présence de 30 % de neutrophiles et des images d'érythrophagocytose. À la suite de l'ensemble de ces examens complémentaires, une obstruction récurrente des voies respiratoires (RAO) associée à une hémorragie pulmonaire induite à l'exercice est fortement suspectée. Une corticothérapie est instituée à dose dégressive pendant un mois et semble apporter une amélioration pendant les trois premières semaines.

La dégradation de l'état clinique survient pendant la dernière semaine de corticothérapie. Un jetage purulent bilatéral initial, suivi d'une hyperthermie et d'une dyspnée modérées, ainsi qu'une perte d'état sont notés. Les autres chevaux de l'écurie ne présentent aucun de ces signes cliniques.

Une antibiothérapie à large spectre (cefquinome, Cobactan®, 1 mg/kg, par voie intraveineuse) est mise en place par le vétérinaire traitant pendant cinq jours avec peu d'amélioration. Dans les jours suivants, la dégradation s'accentue (dyspnée et polypnée très sévères, hyperthermie à 40 °C), la propriétaire conduit alors son cheval en urgence à la clinique équine de l'École vétérinaire de Toulouse.

Examen clinique initial

À l'admission, le cheval présente :

- un abattement et un amaigrissement marqué (perte de 50 kg environ), mais un appétit conservé ;

- des muqueuses pâles, un temps de remplissage capillaire (TRC) inférieur à deux secondes ;

- une tachycardie (60 bpm), sans souffle ni arythmie ;

- une hyperthermie à 40 °C.

L'examen de l'appareil respiratoire révèle :

- un jetage muqueux bilatéral ;

- une polypnée à 70 mouvements par minute ;

- une toux forte, sèche et quinteuse ;

- une dyspnée inspiratoire très marquée exprimée par un tirage nasal et costal ;

- une forte dyspnée expiratoire avec un tirage abdominal notable ;

- une percussion pulmonaire normale ;

- une auscultation pulmonaire modifiée. Les bruits inspiratoires et expiratoires sont augmentés, des bruits inspiratoires surajoutés (crépitements) sont entendus dans les lobes craniaux ventraux.

Hypothèses diagnostiques

À ce stade, plusieurs hypothèses diagnostiques sont émises :

- pneumonie ou bronchopneumonie d'origine bactérienne (le plus souvent infection polymicrobienne mixte) pouvant évoluer en pleuropneumonie ;

- pneumonie d'origine fongique (rare) : primaire (Blastomyces dermatitis, Cryptococcus neoformans, etc.) pouvant évoluer en pleuropneumonie ou secondaire à une immunosuppression (Aspergillus sp., Pneumocystis carinii).

- pneumonie d'origine parasitaire (Dictyocaulus arnefieldi), lors de contact avec les ânes. Dans ce cas, le cheval était correctement vermifugé et n'était pas en contact avec des ânes ;

- crise suraiguë de RAO (antécédent d'allergie) plus ou moins surinfectée ;

- pneumopathie d'origine tumorale : tumeur primaire (myoblastome ou tumeur des cellules granulaires équine, carcinome, chondrosarcome, etc.) plus rare que les métastases pulmonaires (adénocarcinome, hémangiosarcome, lymphome) [1, 15]. Ces pneumopathies peuvent évoluer en pleuropneumonie ;

- pneumopathie interstitielle chronique conduisant à une fibrose pulmonaire.

Examens complémentaires

En première intention, une numération et une formule sanguines, une analyse biochimique, un lavage trachéal (LT), un lavage broncho-alvéolaire (LBA), des clichés radiographiques du thorax et une échographie pulmonaire sont réalisés.

Une hyperfibrinogénémie (6,8 g/l) avec augmentation des protéines totales est mise en évidence, signant la présence d'un processus inflammatoire. Des monocytes réactionnels, quelques band cells et polynucléaires neutrophiles toxiques sont observés, ce qui confirme la réaction de l'organisme face à un foyer infectieux.

La cytologie du LBA est peu riche en cellules ; des macrophages et des polynucléaires neutrophiles plus ou moins dégénérés sont cependant observés, ce qui est compatible avec une inflammation pulmonaire de type neutrophilique, sous réserve de la représentativité de l'échantillon.

Le lavage trachéal révèle, après 48 heures d'attente, la présence d'une seule bactérie : Actinobacillus lignieresi, sensible à tous les antibiotiques. Il aurait été intéressant de réaliser un examen cytologique du LT pour rechercher des cellules tumorales, ainsi que pour le comparer avec le LBA et conclure ou non à un sepsis pulmonaire.

Les clichés radiologiques montrent une densification diffuse de type interstitielle et bronchique du poumon (). Aucun épanchement pleural n'est observé. Ces images sont compatibles avec une consolidation pulmonaire.

L'échographie pulmonaire ne révèle pas d'épanchement pleural, mais une surface pulmonaire hyperéchogène et irrégulière, ainsi que des signes de queue de comète compatibles avec l'existence d'une inflammation pulmonaire. Cet examen complémentaire reste toutefois limité, car il ne permet pas de voir les structures profondes du poumon.

L'échocardiographie met en évidence une cardiomégalie droite et un septum paradoxal, signant l'adaptation à une hypertension pulmonaire.

Enfin, le dosage du calcium total plasmatique, qui peut augmenter dans certains processus tumoraux, est dans les limites des valeurs usuelles (2,92 mmol/l). L'analyse des gaz sanguins, intéressante pour juger de la capacité fonctionnelle du poumon, n'a pu être réalisée en raison de la mort rapide et brutale du cheval.

Bilan diagnostique initial

À l'issue de ces premiers examens, un diagnostic différentiel des différentes causes de dyspnée sévère avec hyperthermie s'impose (voir le “Diagnostic différentiel n° 1”).

Le diagnostic est orienté vers une pneumonie très sévère d'origine bactérienne (Actinobacillus lignieresi). Actinobacillus est fréquent dans les pneumonies bactériennes. Le pronostic est réservé.

Traitement

Un traitement antibiotique à large spectre est instauré en première intention en attendant les résultats de l'examen bactériologique (cefquinome, Cobactan®, 1 mg/kg, deux fois par jour, par voie intraveineuse). L'administration deux fois par jour d'un bronchodilatateur (clenbutérol, Ventipulmin®, 0,8 μg/kg, par voie intraveineuse) a pour objectif d'améliorer la ventilation et le confort de l'animal. L'administration d'un anti-inflammatoire non stéroïdien (flunixine-méglumine, Fynadine®, 1,1 mg/kg, une fois par jour, par voie intraveineuse) permet de gérer l'hyperthermie. Étant donné notre hypothèse infectieuse, aucune corticothérapie n'est envisagée.

Évolution

Des phases d'amélioration de l'état général suivies de fortes dégradations s'enchaînent pendant près d'une semaine et demie. Cependant, pendant toute la durée de l'hospitalisation, l'appétit du cheval est conservé.

À l'auscultation pulmonaire, les bruits surajoutés s'intensifient et s'étendent à toute la surface pulmonaire.

Plusieurs examens échographiques et radiographiques sont réalisés pour suivre l'évolution de cette pneumopathie. Aucune modification n'est notée par rapport aux images initiales.

Des numérations et des formules sanguines sont pratiquées toutes les 48 heures, et montrent une hyperfibrinogénémie toujours très marquée (8 g/l), ainsi que l'apparition d'une leucocytose neutrophilique (22 000 leucocytes/mm3), traduisant l'existence d'un processus infectieux ou néoplasique.

Un LBA et un LT sont réitérés pour vérifier nos résultats étant donné le peu d'amélioration. L'analyse bactériologique du LT met en évidence une flore polymorphe (Bordetella bronchiseptica et Enterococcus spp.).

L'analyse cytologique du LBA montre un frottis hétérogène, caractérisé par des nappes de mucus plus ou moins nécrotiques et un infiltrat inflammatoire prédominé par des polynucléaires neutrophiles dégénérés, mais également par des macrophages spumeux. À côté de ces nappes, le LBA est peu modifié, avec une prédominance de macrophages activés et la présence d'environ 30 % de neutrophiles peu modifiés. L'analyse cytologique est en faveur d'une inflammation chronique non spécifique, avec des nécroses.

Une analyse cytologique est également réalisée sur le LT. Un fond muco-nécrotique très abondant, pauvre en cellules, avec des spirales de Curshman de toutes tailles en nombre assez important, associé à un infiltrat inflammatoire mixte de macrophages phagocytaires et de polynucléaires neutro­philiques dégénérés est observé. La conclusion de l'analyse cytologique du LT est identique à celle du LBA précédent. Une cause tumorale doit être envisagée.

En raison du peu d'amélioration après cinq jours de traitement antibiotique, celui-ci est modifié en tenant compte d'une possible résistance microbienne. L'hypothèse tumorale, soulevée par les résultats cytologiques, est réenvisagée.

De la gentamycine (G4®, 6,6 mg/kg, une fois par jour, par voie intraveineuse) est associée à la cefquinome. Du métronidazole est également administré (Flagyl, 15 mg/kg, trois fois par jour, par voie orale), pour élargir le spectre d'action à toutes les bactéries anaérobies (la céphalosporine n'était active que sur une partie des anaérobies) car celles-ci sont très difficiles à isoler et donc à diagnostiquer.

Une biopsie pulmonaire sur un seul site (entre le sixième et le septième espace intercostal droit) est réalisée. L'analyse histopathologique révèle l'absence d'image tumorale, mais l'existence d'une fibrose interstitielle sévère et d'un infiltrat inflammatoire (neutrophiles) alvéolaire.

La biopsie pulmonaire conclut à une pneumopathie interstitielle chronique. Cependant, en raison de sa limite de représentativité, cet unique prélèvement biopsique ne permet pas d'exclure totalement l'hypothèse tumorale (voir le “Diagnostic différentiel n° 2”).

À la suite du diagnostic de pneumopathie interstitielle, une corticothérapie est initiée à base de dexaméthasone (Dexadreson®, 0,1 mg/kg, une fois par jour, par voie intraveineuse) pour son puissant effet anti-inflammatoire pulmonaire.

Ce changement de traitement n'apporte cependant pas d'amélioration notable. Seule l'oxygénothérapie administrée plusieurs fois par jour (10 l/min pendant 20 minutes) stabilise le cheval en faisant régresser nettement la dyspnée et la polypnée, ce qui illustre la perte de la capacité fonctionnelle du poumon.

Par choix, l'oxygénothérapie est fractionnée car la ventilation continue d'un cheval atteint d'une affection pulmonaire pourrait avoir des effets néfastes (alvéolite aiguë) à long terme (plusieurs jours). De plus, la présence d'une personne en continu pour surveiller l'oxygénothérapie n'était pas possible.

Le cheval meurt spontanément dix jours après l'admission.

Résultats d'autopsie

Les lésions macroscopiques majeures sont localisées sur le cœur et le poumon ( et ).

Une hypertrophie excentrique du cœur gauche et du cœur droit (dilatation des ventricules et épaississement des parois et du septum) est notée. La cardiomégalie excentrique est nettement plus marquée pour le cœur droit. Une opacité de l'endocarde, qui objective généralement une dilatation chronique de ces cavités et qui correspond à une fibrose sous-endocardique, est observée.

Les poumons sont lourds, de consistance ferme et non affaissés. Ils présentent à leur surface quelques plages rose pâle correspondant à des zones indurées. Une hétérogénéité importante du parenchyme pulmonaire à la coupe est observée. Une fibrose et un comblement généralisé, sévère et chronique du parenchyme pulmonaire sont mis en évidence. Les bronches ne présentent aucune modification.

En ce qui concerne l'analyse microscopique des poumons, les lésions sont hétérogènes, extensives et coalescentes avec des zones :

- plus périphériques où les espaces alvéolaires et le parenchyme pulmonaire sont presque normaux, donc potentiellement fonctionnels (). Ces zones sous-pleurales saines expliquent que les échographies ne soient pas concluantes ;

- plus profondes avec des alvéoles moins nombreux et modifiés (). En effet, une épithélialisation des alvéoles (nécrose des pneumocytes de type I et prolifération des pneumocytes II), ainsi que des lumières alvéolaires rétrécies sont notées ( et ). Ces modifications de structure alvéolaire génèrent des échanges gazeux beaucoup moins efficaces. Dans l'interstitium, un infiltrat inflammatoire mononucléé d'origine lymphoplasmocytaire et une fibrose mature sévère répartie de façon hétérogène sont observés. Quelques pigments d'hémosidérine sont mis en évidence dans le parenchyme pulmonaire, ainsi que des images d'érythrophagocytose dans les lumières alvéolaires. L'épithélium bronchique n'est pas atteint.

L'ensemble de ces lésions macroscopiques et microscopiques confirme le diagnostic de pneumonie interstitielle chronique fibrosante, extensive et sévère, mis en évidence ante-mortem par la biopsie pulmonaire.

Discussion

Les maladies pulmonaires interstitielles chroniques sont rares et font l'objet de peu de rapports chez des individus vivants [4, 18]. Cependant, de nombreuses études post-mortem révèlent que près de 12 à 15 % des chevaux euthanasiés pour diverses raisons présentent des lésions pulmonaires interstitielles chroniques [12, 17]. En effet, de nombreuses maladies peuvent engendrer une fibrose interstitielle, dont l'étendue et la sévérité sont variables. La description de ce cas clinique illustre la sévérité de ces affections de l'appareil respiratoire profond caractérisées par la chronicité et l'évolution insidieuse vers la fibrose pulmonaire, processus irréversible faisant suite à des lésions inflammatoires primaires.

Les pneumonies interstitielles font partie des maladies pulmonaires restrictives dans lesquelles, à l'inverse des maladies pulmonaires obstructives, l'expansion pulmonaire est contrariée par une consolidation du poumon (lésions parenchymateuses de fibrose) [3, 10]. Le nombre d'alvéoles fonctionnels est alors réduit, ce qui entraîne une insuffisance respiratoire (mauvaise ventilation-perfusion du poumon) qui se traduit cliniquement par une dyspnée très marquée [4].

Les causes des pneumonies interstitielles sont nombreuses [4, 5, 6, 16] :

- virale (la plus fréquente) : orthomyxovirus de la grippe équine et herpèsvirus de la rhinopneumonie ;

- bactérienne : Rhodococcus equi, Salmonella spp., Klebsiella pneumoniae, etc., bien qu'il soit hasardeux d'affirmer si ces agents jouent un rôle primaire ou secondaire ;

- mycosique : Aspergillus, Cryptococcus, etc. Une pneumonie interstitielle mycosique survient généralement chez des chevaux immunodéprimés, ce qui n'était pas le cas pour ce cheval (bonne réponse leucocytaire aux infections pulmonaires) ;

- protozoaire : Pneumocystis carinii (rare mais a déjà été rapporté chez des individus immunocompétents) ;

- toxique (peu fréquente) : par ingestion de perilla ketone (pneumotoxine), alcaloïde pyrolizidine, paraquat (herbicide), ou par inhalation de fumée ou de cristaux de dioxyde de silicose ;

- réaction d'hypersensibilité (rare) qui correspond en médecine humaine à la maladie du poumon du fermier ;

- inhalation d'une grande quantité d'oxygène pendant plusieurs jours, ce qui n'a pas le cas pour ce cheval ;

- parasitaire (Dictyocaulus arnefieldi) lors de contact avec des ânes ;

- idiopathiquele plus souvent car il est rare d'en identifier l'origine [2, 3, 4, 6, 11].

Le cas présent peut donc à l'évidence être qualifié de pneumonie interstitielle idiopathique chronique en l'absence de cause déterminée (vaccins et vermifuges à jour, pas de plante toxique ni d'âne à proximité, pas d'autre cheval atteint dans l'effectif, écurie bien tenue, etc.).

Récemment, il a été montré que l'hémorragie pulmonaire induite à l'exercice pouvait entraîner une inflammation et une fibrose pulmonaire [7, 8, 13]. Les protéinases de coagulation contribueraient à l'inflammation et à la fibrose pulmonaire via un mécanisme complexe encore mal expliqué faisant intervenir des récepteurs activateurs de protéinase [7, 8]. L'hémorragie pulmonaire induite à l'exercice, fortement suspectée chez ce cheval, pourrait donc contribuer à la fibrose pulmonaire. Cependant, nous ne pouvons exclure une maladie cardiaque et/ou une hypertension pulmonaire comme origine de l'épistaxis et du saignement pulmonaire initial.

L'ensemble des signes cliniques (amaigrissement, dyspnée, toux, bruits pulmonaires surajoutés, hyperthermie), les résultats hématologiques (hyperfibrinogénémie), ainsi que les images radiologiques (augmentation diffuse de l'opacité pulmonaire) sont compatibles avec une phase aiguë de pneumonie interstitielle, mais ne sont pas pathognomoniques. En effet, on peut retrouver toutes ces données cliniques dans diverses affections pulmonaires, ce qui rend le diagnostic ante-mortem très difficile. Nous avons rapidement éliminé l'hypothèse de la crise de pousse et de la pneumonie parasitaire, contrairement aux autres hypothèses qui étaient compatibles avec les tableaux clinique et biologique.

Cependant, en se fondant sur les examens hématologiques (leucocytose neutrophilique et hyperfibrinogénémie) et bactériologiques (lavages trachéaux) mettant en évidence la présence de bactéries souvent impliquées dans les pneumonies bactériennes (Actinobacillus lignieresii/Bordetella bronchiseptica), nous suspections une pneumonie sévère d'origine bactérienne. En l'absence de réponse aux antibiotiques, un phénomène fongique ou tumoral était à envisager. Seule la biopsie pulmonaire nous a orientés vers une pneumopathie interstitielle chronique qui a été confirmée post-mortem.

Les bactéries cultivées à partir du liquide de lavage trachéal étaient donc fort probablement opportunistes, comme cela peut être décrit dans certains cas de pneumopathie interstitielle chronique [6, 13]. En effet, tous les mécanismes de défense mucociliaire étant dépassés, le milieu pulmonaire devient favorable à la prolifération d'agents bactériens issus de l'environnement.

Le diagnostic d'une pneumonie interstitielle nécessite plusieurs examens complémentaires (voir le “Examens complémentaires pour le diagnostic d'une pneumonie interstitielle chronique”), réalisés dans ce cas [2, 4, 5, 10, 11, 13, 14, 17, 18].

Les traitements mis en œuvre (antibiothérapie, corticothérapie, oxygénothérapie, bronchodilatateur et AINS), ont couvert l'ensemble des possibilités thérapeutiques du poumon sans amélioration durable. Cette grande variabilité de l'état général lors de pneumonie interstitielle chronique est retrouvée dans certaines publications, mais est très difficile à expliquer [10, 11, 13, 16, 17, 18].

Le seul traitement recommandé lors de pneumonie interstitielle est la corticothérapie précoce, afin de ralentir la progression de la fibrose, associée à une antibiothérapie pour les infections secondaires [4, 11]. Dans quelques cas, le traitement induit une amélioration définitive (avec plus ou moins de séquelles de fibrose pulmonaire), mais, la plupart du temps, celle-ci n'est que temporaire (quelques semaines) et conduit le plus souvent à une euthanasie [11, 13, 14, 16, 17, 18]. Au bilan, le pronostic de cette affection interstitielle est sombre.

Dans ce cas, le traitement n'a induit aucune amélioration. La fibrose était certainement déjà très étendue quand la thérapie a été initiée.

En effet, cette pneumonie interstitielle était probablement déjà en phase de chronicité car :

- la propriétaire rapporte une récupération lente après l'effort depuis quelques temps déjà ;

- le cœur droit a subi des modifications anatomiques avec une hypertrophie excentrique du myocarde (mécanisme d'adaptation sur le long terme, compensatoire de la fibrose pulmonaire et de la mauvaise ventilation-perfusion du poumon). L'hypertension pulmonaire, possible séquelle des pneumopathies interstitielles, peut entraîner de telles modifications cardiaques [2, 4]. Ces répercussions cardiaques sont également retrouvées chez les petits animaux. En effet, dans une étude concernant des chiens atteints de fibrose pulmonaire idiopathique, une cardiomégalie droite associée à une hypertension pulmonaire a été mise en évidence chez la moitié des cas [9].

Cependant, il est difficile dans ce cas d'être certain de l'origine primaire du trouble. L'hypertension pulmonaire peut être secondaire à une maladie pulmonaire, à une hypoxie alvéolaire, mais aussi à une maladie du cœur gauche. Dans ce cas, les lésions de fibrose pulmonaire étaient matures et très étendues.

Cette phase de chronicité correspond au dernier stade dans la progression des pneumonies interstitielles [3, 4, 6, 13, 15] :

- phase aiguë exsudative. Les lésions initiales de la barrière alvéolo-capillaire (notamment des pneumocytes de type I) se traduisent par une exsudation de protéines plasmatiques dans la lumière alvéolaire (membrane hyaline). Un épaississement des parois alvéolaires par de l'œdème et une infiltration leucocytaire interstitielle sont observés ;

- phase proliférative. Elle est caractérisée par une hyperplasie des pneumocytes de type II (épithélialisation alvéolaire). Cette lésion microscopique était déjà bien établie dans ce cas ;

- phase de chronicité. Une fibrose septale irréversible, une accumulation de cellules mononucléées dans l'interstitium qui s'épaissit et une persistance de l'hyperplasie des pneumocytes II sont notées. La description de cette phase coïncide avec nos observations microscopiques (fibrose parenchymateuse étendue, infiltrat lymphoplasmocytaire et épithélialisation des alvéoles par les pneumocytes II), ce qui renforce notre suspicion de chronicité des lésions pulmonaires.

La prévention de telles pneumonies n'est que spéculation, compte tenu du peu de cas dans lesquels la cause précise a pu être déterminée. Elle reste donc limitée au bon sens de la prophylaxie respiratoire générale : vaccination contre les infections virales respiratoires, vermifugation, nutrition adéquate, écuries bien ventilées et aires d'exercice exemptes de poussière et/ou de silice.

Ce cas clinique rend compte de la difficulté du diagnostic ante-mortem des pneumonies interstitielles chroniques. Les signes cliniques peu évocateurs sont en effet communs à de nombreuses pneumopathies (pneumonies bactérienne, tumorale, mycosique, parasitaire, obstruction récurrente des voies respiratoires ou crise de pousse, pneumonie interstitielle), et il est très difficile, au départ, de s'orienter vers l'une ou l'autre. Le seul diagnostic de certitude des pneumonies interstitielles chroniques est la biopsie pulmonaire, qui n'est pas un examen complémentaire utilisé en routine.

De plus, celle-ci ne fournit pas forcément de renseignements sur la cause primaire. Le diagnostic peut être alors retardé de plusieurs jours, voire des semaines, retardant d'autant la mise en place d'une thérapeutique adaptée. Cette dernière se doit d'être précoce et agressive, même si elle n'apporte guère d'amélioration dans la majorité des cas de pneumonie interstitielle chronique.

Note :

  • (1) Médicament humain.

Éléments à retenir

> Le diagnostic ante-mortem des pneumonies interstitielles chroniques est très difficile car les signes cliniques sont peu évocateurs et communs à de nombreuses pneumopathies.

> Les causes de pneumonie interstitielle sont nombreuses et variées (infectieuse, toxique, immunitaire, idiopathique).

> La biopsie pulmonaire corrélée à la clinique permet d'établir le diagnostic de certitude.

> Le seul traitement des pneumonies interstitielles repose sur une corticothérapie précoce, mais le pronostic reste sombre.

Références

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  • 17 - Venner M, Deegen E. Quatre cas de pneumonie interstitielle chronique chez le cheval : aspects cliniques, endoscopiques, cytologiques, radiologiques, échographiques et histologiques. Avef – Sessions voies respiratoires profondes, longues conférences. 2002.
  • 18 - Winder C, Ehrensperger F, Hermann M et coll. Interstitial pneumonia in the horse : two unusual cases. Equine Vet. J. 1988 ; 20(4) : 298-301.
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