Étude rétrospective de 143 cas d'ostéo­chondrose du tibia distal chez le trotteur français - Pratique Vétérinaire Equine n° 149 du 01/01/2006
Pratique Vétérinaire Equine n° 149 du 01/01/2006

Auteur(s) : Jean-Marc Betsch*, Nicolas Albert**, Diane Lienasson***

Fonctions :
*Clinique équine de Méheudin,
61150 Écouché

L'ostéochondrose de la crête intermédiaire du tibia distal est un site fréquent chez le trotteur. Une étuderétrospective de chirurgies d'arthroscopie de chevaux atteints évalue le pronostic de l'intervention pour la carrière sportive.

L'ostéochondrose est une affection ostéoarticulaire juvénile dont la prévalence radiologique est élevée chez le trotteur français (42 % en France [4]). Parmi les sites les plus fréquemment touchés, le tenon intermédiaire distal du tibia est le deuxième (10,6 %), après le compartiment plantaire du boulet (12,9 % [4]). Les individus jeunes sont plus fréquemment exposés en raison de la précocité et de l'intensité de l'activité sportive liées à la carrière de course. L'héritabilité des lésions d'ostéochondrose du jarret varie chez le trotteur de 0,24 à 0,52 [9]. La gestion de l'ostéochondrose peut être médicale ou chirurgicale selon plusieurs facteurs tels que le site lésionnel, la nature des lésions, les signes cliniques, l'âge de l'individu, son niveau d'activité, son aptitude à la course, son potentiel et le coût des interventions. Lors de lésions d'ostéochondrose du tibia distal, la chirurgie est souvent pratiquée soit préventivement, à la suite d'un bilan radiologique de dépistage, soit pour le traitement de signes cliniques persistants (vessigon tibio-tarsien, gêne postérieur au travail, test de flexion du jarret positif). Cette intervention chirurgicale est souvent réalisée chez de jeunes individus (18 mois à 2 ans) dont l'aptitude à la course est mal appréciée.

En France, environ 10 500 trotteurs naissent par an. En 2005, sur les 4 500 poulains de deux ans présentés à la qualification, 2 098 se sont qualifiés (soit 44 %) et sur les 5 598 inscrits, 1 708 ont été reçus aux épreuves de qualification à 3ans (soit 30 % de qualifications). Au total, environ 33 % d'une génération se qualifient tous les ans.

Matériel et méthodes

Objectifs de l'étude

L'étude porte sur les résultats de chirurgie d'arthroscopie d'ostéochondrose de la crête intermédiaire du tibia distal chez le trotteur français et sur les résultats obtenus en course a posteriori. Elle vise également à vérifier s'il y a une différence selon que le cheval est opéré avant ou après l'épreuve de qualification et s'il existe une divergence de résultat si un autre site lésionnel, en plus de la crête intermédiaire, est présent dans l'articulation. Toutes les chirurgies ont été réalisées sous anesthésie générale gazeuse, le cheval en décubitus dorsal et par le même chirurgien.

Chevaux

Il s'agit de trotteurs français (TF) de course, de tous âges, opérés sous arthroscopie à la clinique équine de Méheudin (1993-2005) et séparés en trois populations.

• Le groupe A est celui des lésions uniques de la crête intermédiaire du tibia distal opérées avant qualification ;

• Le groupe B est formé des lésions uniques de la crête intermédiaire du tibia distal opérées après qualification ;

• Le groupe C est constitué des lésions de la crête intermédiaire plus un autre site (malléole médiale, lèvres du talus).

( à ).

Résultats

• Succès : cheval qualifié et ayant couru à un niveau égal ou supérieur à celui avant l'intervention chirurgicale.

• Réformé : cheval non qualifié ou n'ayant pas couru correctement, mais sans que cela soit lié aux articulations opérées (tempérament, autre gêne, blessure, tendinite, etc.).

• Échec : cheval non qualifié ou n'ayant pas couru correctement à cause des articulations opérées.

Les résultats ont été obtenus grâce aux données du SIRE (indice de performance trotteur, ou ITR) et à une enquête téléphonique directe lors de doute. Le test χ2 a été utilisé pour comparer les différents résultats des différents groupes (A contre B, A + B contre C).

Résultats

Type d'articulations et localisation des lésions

Les jarrets représentent près de la moitié (48 %) des articulations opérées, ce qui constitue 304 des 643 arthroscopies, bien avant les boulets postérieurs (128) et antérieurs (98). Les lésions de la crête intermédiaire du tibia sont bilatérales dans 56 % des cas (voir les “Type d'articulations opérées” et (“ Localisation des lésions de la crête intermédiaire du tibia”).

Données selon le sexe

Les différences observées entre les sexes ne sont pas significatives car l'intervalle de confiance pour les femelles englobe les valeurs des mâles (voir le “Données selon le sexe”). Chez les femelles, un taux d'échecs plus élevé que chez les mâles est remarqué, ce qui ne peut être interprété que comme une tendance à un moindre succès des femelles.

Comparaison des populations

Les résultats obtenus sont significativement différents à 5 % (p 0,05 = 3,7 %) entre les populations A et B (voir le ( “Comparaison des populations”).

Un trotteur ayant déjà couru a plus de chance de succès qu'un jeune non qualifié.

La comparaison entre les populations A + B et C montre qu'il n'y a pas de différence de résultats entre une lésion seule de la crête intermédiaire du tibia et une seconde lésion associée.

Dans le groupe A, 56 % (37/66) des chevaux se qualifient pour la première fois après l'intervention chirurgicale, tandis que sur le plan national seulement 37 % des trotteurs d'une même génération se qualifient à l'âge de deux ou trois ans. La différence du pourcentage de chevaux qualifiés entre la population A de cette étude et la population générale est significative (p  < 1%).

Données selon l'âge

Les effectifs sont trop réduits pour être analysés, mais aucun échec n'est constaté après l'âge de trois ans (voir le “Données selon l'âge”). L'âge moyen de la population est de deux ans, l'âge médian est de 2,2 ans.

Données selon le nombre d'articulations atteintes

Il n'y a pas de différence significative de résultats entre les chevaux opérés d'une ou de deux articulations (voir le intitulé “Données selon le nombre d'articulations atteintes”).

Discussion

En moyenne, 37 % des trotteurs présentés se qualifient à l'âge de deux ou trois ans (de 3 277 qualifiés en 2001 à 4 009 en 2005). Cette qualification est essentielle car elle permet au cheval d'entamer une carrière sportive, mais elle ne la garantit pas. L'étude fait apparaître que 56 % des chevaux opérés avant qualification sont qualifiés et commencent leur carrière sportive. Les auteurs n'ont pas tenu compte des gains ou de l'ITR, mais considéré que le fait d'être qualifié puis de courir pouvait être assimilé à un succès, même si l'analyse précise des gains, le nombre de départs et la longévité de la carrière sont des données plus pertinentes. Un cheval opéré avant qualification a donc environ 19 % de chances supplémentaires d'entamer une carrière de course par rapport à la population générale. Il est vraisemblable que cette différence soit due à la sélection d'une population de trotteurs de plus grande valeur et de bonnes origines, donc peut-être plus aptes à l'effort que la population générale. Il est également possible que les poulains présentant une lésion d'ostéochondrose aient une aptitude à la course supérieure ; il aurait fallu comparer le taux de qualifications chez des poulains de même origine. La relation entre l'aptitude sportive et l'ostéochondrose reste controversée selon les critères de sélection des effectifs et les sites lésionnels.

Torre [11] et Alvarado [1] observent de meilleures performances sportives chez de jeunes trotteurs qui présentent des lésions radiologiques d'ostéochondrose par rapport à une population saine, mais Storgaard et coll. [10], et Brehm et Staecher [3] n'ont pas constaté de différences entre les deux populations. À l'inverse, Grondahl et Engeland [5] observent de moindres performances lors d'ostéochondrose des boulets, de même que Laws [7] et Beard [2] lors de lésions tibio-tarsiennes.

Le taux de succès chez les trotteurs opérés après qualification est de 95 % (19 chevaux sur 20), ce qui est significativement supérieur au taux de succès de la population A. Il semble donc qu'un trotteur qui possède une aptitude à la course ait plus de chance de courir à nouveau qu'un jeune trotteur non qualifié.

Le taux de chevaux réformés après chirurgie est identique dans les deux groupes (23 %). Il peut s'agir soit de chevaux non performants pour d'autres raisons, soit de cas de chirurgies d'exérèse préventive de fragments, soit de problèmes multiples non résolus, soit d'erreurs de diagnostic lors de chirurgie thérapeutique (autre cause non identifiée d'une gêne locomotrice). Les échecs sont significativement plus fréquents dans la population A. Leur cause n'a pas été codifiée ni recherchée car la sévérité des lésions de la crête intermédiaire du tibia et les lésions cartilagineuses associées n'ont pas été gradées. Ces lésions associées telles que des fissures, des érosions ou des éburnations restaient rares car la population opérée est jeune (âge moyen de deux ans). Les lésions de la crête intermédiaire tendent à être globalement plus sévères chez les poulains qui présentent une symptomatologie plus marquée (épanchement synovial et gêne locomotrice). Entre les jeunes poulains et la population opérée après qualification, une partie des trotteurs a été opérée après la découverte de lésions radiologiques sans incidence clinique. Il est possible alors de parler de chirurgie préventive, c'est-à-dire consistant à retirer des fragments d'ostéochondrose susceptibles d'occasionner une gêne locomotrice, mais dont l'incidence sur la locomotion du jeune est inconnue au moment de la décision opératoire.

Chez les 143 trotteurs ayant subi une arthroscopie des articulations tibio-tarsiennes, les lésions étaient bilatérales dans 56 % des cas. Ce taux est très supérieur à la fréquence des lésions bilatérales de l'étude d'Anne Couroucé [4] (seulement 28 % des bilans radiologiques de 92 chevaux non sélectionnés présentaient des lésions tibio-tarsiennes bilatérales, données non publiées, 2003). L'étude présentée ici est celle d'une population sélectionnée en partie pour une gêne locomotrice ou un épanchement synovial. Cela peut expliquer la différence du taux de lésions bilatérales par rapport à une population non sélectionnée et présentant des lésions radiologiques d'incidence clinique inconnue.

Les résultats entre les populations A + B et la population C ne diffèrent pas. L'étude semble donc montrer qu'une lésion de la crête intermédiaire du tibia n'a pas nécessairement un moins bon pronostic si elle est associée à une autre lésion de l'articulation tibio-tarsienne (malléole médiale ou lèvres du talus).

Le taux de succès global postchirurgical pour cette série d'ostéochondrose de la crête intermédiaire du tibia est de 78 %. Ce résultat est comparable à ceux de McIlwraith [8] et Laws [7], respectivement de 72 % et 74 %, mais supérieur au taux de réussite de 43 % de l'étude de Beard [2]. Le taux de succès demeure ici identique lorsqu'une ou deux articulations sont opérées, tout comme dans les étudesde McIlwraith [8] et de Beard [2].

Le taux d'échec tend à être supérieur chez les femelles. Celles-ci sont peut-être plus rapidement mises à la reproduction si la reprise en compétition n'est pas immédiatement satisfaisante ou si un épanchement tibio-tarsien persiste. Lors de vessigon non inflammatoire persistant après la chirurgie, les observations ont montré que le pronostic n'est pas nécessairement amoindri. L'épanchement postchirurgical est souvent d'autant plus fréquent qu'il est présent plusieurs mois avant l'arthroscopie et ne répond souvent que transitoirement aux vidanges et infiltrations tibio-tarsiennes.

Le taux global de réussite de l'arthroscopie du jarret du jeune trotteur français pour ostéochondrose de la crête intermédiaire du tibia (uni ou bilatéral ou encore associée à un autre site lésionnel tibio-tarsien) est donc de 78 %. Lorsqu'il s'agit d'un jeune opéré avant qualification, le taux de réussite chirurgicale est de 72 % et ses chances de se qualifier puis de commencer une carrière sportive sont de 56 %. Si le trotteur est opéré après l'avoir entamée, le taux de réussite chirurgicale s'élève à 95 % et ses chances de la poursuivre sont de 73 %.

Éléments à retenir

> L'ostéochondrose de la crête intermédiaire du tibia distal est le deuxième site lésionnel le plus fréquent chez le trotteur français après les fragments plantaires des boulets postérieurs.

> Elle peut être la cause de boiterie, d'épanchement synovial, ou ne pas gêner la locomotion selon la nature de la lésion et l'association d'autres sites lésionnels.

> L'arthroscopie peut être un acte préventif ou thérapeutique qui touche une population de très jeunes athlètes, âgés d'un à trois ans, et souvent juste avant ou après l'épreuve de qualification.

> Cette étude rétrospective portant sur cent quarante-trois chirurgies d'arthroscopie de trotteurs atteints d'ostéochondrose de la crête intermédiaire du tibia montre que lorsqu'il s'agit d'un jeune opéré avant qualification, le taux de réussite chirurgical atteint 72 % et ses chances d'être qualifié puis de faire une carrière sportive sont de 56 %. Si le trotteur est opéré après avoir entamé une carrière sportive, le taux de réussite chirurgicale est de 95 % et ses chances de poursuivre sa carrière sont de 73 %.

Références

  • 1. Alvarado AF, Marcoux M, Breton L. The incidence of osteochondrosis in Standardbred breeding farm in Quebec. Proc 35th Ann.Conv. Am. Ass. Equine Pract. : 293-307.
  • 2. Beard W et coll. Postoperative racing performance in Standarbreds and Thoroughbreds with osteochondrosis of tarso-crural joint : 109 cases (1984-90). Journal of the Amer Med Assn. 1994 ; 10 : 204.
  • 3. Brehm W, Staecher W. Osteochondrosis in the tarsocrural joint of Standardbred trotters-correlation between radiographic findings and racing performance. Proc Am Assoc Equine Pract 1999, Albuquerque, 45 : 164-166.
  • 4. Couroucé A, Geffroy O, Valette JP. AOAJ chez le jeune trotteur français : prévalence, score radiographique et relation avec la performance Congrès AVEF, 2002, Le Touquet.
  • 5. Grondahl AM, Engeland A. Influence of radiographically detectable orthopedic changes on racing performance in standardbred trotters. J Amer Vet Med Assn. 1995 Apr 1 ; 206(7) : 1013-1017.
  • 6. Jorgensen HS, Proschowsky H, Falk-Ronne J et coll. The significance of routine radiographic findings with respect to subsequent racing performance and longevity in standardbred trotters. Equine Vet J. 1997 Jan ; 29(1) : 55-59.
  • 7. Laws E et coll. Racing performance of Standarbreds following conservative and surgical treatment for tarsocrural osteochondrosis. Equine Vet Journal. 1993, 25.
  • 8. McIlwraith CW. Osteochondritis dissecans of the tibiocrural joint : results of treatment with arthroscopic surgery. Equine Vet Journal, 1991, 23.
  • 9. Ricard A et coll. Héritabilité des AOAJ juvéniles. Congrès AVEF, 2002, Le Touquet.
  • 10. Storgaard JH et coll. The significance of routine radiographic findings with respect to subsequent racing performance and longevity in Standardbred trotters. Equine vet J, 1997, 29 (1) 55-59.
  • 11. Torre F. Osteochondrose et manque de performance : actualités et perspectives. Congrès AVEF-WEVA, Paris 1999, 143-145.
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