Approche de la pathologie locomotrice chez l'âne - Pratique Vétérinaire Equine n° 149 du 01/01/2006
Pratique Vétérinaire Equine n° 149 du 01/01/2006

Auteur(s) : Samir Rifai*, Michael Crane**

Fonctions :
*Spana/Maroc, 41, Résidence Zohra-Haroura,
Témara 12000, Maroc

Les informations sur la locomotion de l'âne sont encore parcellaires. Néanmoins, cet animal présente des caractéristiques qui lui sont propres.

La boiterie est un motif de consultation très fréquent en pratique équine courante et les vétérinaires ont tendance à considérer l'âne comme un petit cheval, alors qu'il a ses propres particularités génétiques, physiologiques et anatomiques [3, 12].

Particularités anatomiques

En ce qui concerne les membres, il convient de noter chez l'âne l'absence de bride tarsienne et un pied plus petit et plus vertical que celui du cheval, avec une forme oblongue. La muraille du sabot semble être plus flexible et déformable que celle du cheval. En outre et contrairement au cheval [9, 10], l'épaisseur de la paroi ne diminue pas vers les talons, mais reste constante sur tout le pourtour du pied. Le processus de l'extenseur de la phalange distale peut être au-dessous de la limite supérieure de la capsule du sabot dans un pied normal ; par conséquent, l'interprétation radiologique doit être ajustée [3]. La sole (, et ) est plus épaisse et la corne possède une structure tubulaire particulière. En effet, la microstructure de la corne du sabot montre un complexe tubulaire curvé dont la densité diminue de façon graduelle de l'extérieur vers l'intérieur (chez le cheval, la diminution de densité se fait en escalier) [13]. Cette conformation confère au pied de l'âne des propriétés mécaniques particulières. En effet, il est plus déformable que celui du cheval, et la kératine est plus solide. Cette solidité est liée également au gradient hydrique qu'elle contient. La quantité d'eau diminue de l'intérieur vers l'extérieur, mais reste en équilibre et le comportement du pied varie en fonction du milieu de vie de l'animal (pays chaud à climat sec ou pays froid à climat humide) [4, 9]. Dans les pays à climat humide, le pied devient plus souple et plus fragile que dans un climat chaud.

Ces variations de conformation et de structure du pied entre le cheval et l'âne engendrent donc des contraintes et des propriétés du mouvement différentes entre ces deux équidés. Malheureusement, peu d'études ont été réalisées sur ce sujet.

Particularités de l'examen

Comme pour le cheval, l'anamnèse consiste à recueillir les différentes informations relatives à l'animal : type d'utilisation, date des ferrures ou encore régime alimentaire. Les antécédents médicaux et l'état général de l'animal doivent également être connus.

La boiterie chez l'âne n'est généralement observée qu'à un stade avancé. Les ânes qui présentent une boiterie perdent souvent l'appétit et s'exposent ainsi plus à l'hyperlipémie. Un examen clinique complet est dès lors conseillé, comprenant au minimum une inspection visuelle du sérum/plasma d'un prélèvement sanguin (). Les ânes hospitalisés, particulièrement ceux qui reçoivent un régime fibreux sec, sont prédisposés aux obstructions intestinales [9]. Ils doivent être surveillés de près, surtout s'ils sont traités avec des AINS qui peuvent masquer les signes de coliques.

Examen statique

• Il convient d'effectuer un examen attentif et rigoureux du corps entier, et plus particulièrement des membres et du dos (, et ), d'où l'intérêt d'une bonne connaissance de la morphologie normale chez l'âne.

• La pince exploratrice n'est pas très révélatrice chez l'âne. L'absence de réponse n'écarte pas la présence d'un abcès. Toutefois, pendant cette exploration, il convient de faire attention car les ânes ne se laissent pas facilement faire. La pression/palpation au niveau de la bande coronaire donne de meilleures informations et est davantage indicative d'un abcès distal du pied [4].

• Les autres examens tels que la percussion du pied, la pression/palpation des membres, la mobilisation passive et l'examen du dos, sont semblables comparativement au cheval.

Examen dynamique

Les ânes sont des animaux relativement stoïques et il convient de ne pas conclure rapidement à une ataxie : très peu d'ânes vont trotter en main pour un examen de boiterie standard et il est impossible de les examiner à la longe. Il est plus adéquat de les observer libres, dans un espace fermé. Cependant, cet examen est contre-indiqué lors de boiterie importante au pas, avec une instabilité articulaire, lors de suspicion de fracture, de fêlure ou d'arthrite septique.

Les mouvements de la tête et de la croupe, la répartition des charges et des phases doivent être observés, ainsi que les éventuelles asymétries, la trajectoire des pieds, des membres et du corps.

Les tests de mobilisation dynamiques permettent d'évaluer la tolérance au mouvement imposé, l'amplitude du mouvement, les bruits articulaires et les modifications de l'allure. Ces mouvements concernent toutes les articulations et vont se faire de la même manière que chez le cheval. Toutes les articulations sont examinées, étage par étage après le test de flexion globale. Cela va permettre de détecter une éventuelle douleur.

L'anesthésie régionale peut être utilisée avec succès chez l'âne ; des volumes de 3 à 4 ml de lidocaïne sont nécessaires. L'étroitesse de certaines articulations peut limiter l'utilisation de l'anesthésie intra-articulaire.

Examens complémentaires

• Chez l'âne, l'anesthésie locorégionale et l'anesthésie intra-articulaire correspondent généralement aux règles suivies chez le cheval. Seule la différence de taille des articulations doit être considérée.

• L'examen radiologique permet d'évaluer la nature et l'étendue des changements au niveau des membres. Des radiographies de l'âne ayant un pied normal () ont été comparées à celles du cheval et d'un âne fourbus [3]. Cette comparaison suggère que l'interprétation des radiographies du cheval/poney doit être révisée pour l'âne. Bien que l'axe du paturon soit relativement droit, la trajectoire de la bande coronaire suggère que la face dorsale de PIII n'est pas parallèle à l'axe du sabot. Un cliché de profil confirme ce parallélisme habituel. La littérature rapporte plusieurs techniques de mesure pour ce type de clichés (mesure d'angles ou de distance). Une distance mérite d'être soulignée entre le sommet du processus extensorus et le top de la corne du sabot “founder distance”, qui est très indicative pour le pronostic des fourbures chez le cheval, alors que chez l'âne ce n'est pas le cas. La distance et le parallélisme entre la face solaire de PIII et la sole sont très utiles dans le diagnostic et le pronostic des cas de fourbure [6].

• Pour l'échographie et l'analyse de la synovie : aucune donnée bibliographique n'est disponible pour l'âne.

• Comme chez le cheval, la palpation transrectale permet d'évaluer l'état du bassin [7, 8, 14].

Éléments de pathologie locomotrice

L'attitude diagnostique chez l'âne diffère de celle chez le cheval, d'une part à cause des divergences anatomiques et physiologiques et d'autre part en raison de leur mode d'utilisation différent. Ainsi, il convient de ne pas s'attarder à rechercher certaines affections chez l'âne, comme la fracture de la troisième phalange ou encore un syndrome naviculaire. En revanche, les maladies courantes, notamment les abcès du pied et la fourbure, sont à rechercher.

Un manque de publications sur l'examen locomoteur et la pathologie de cet appareil chez l'âne est évident. Certaines informations avancées dans cet article proviennent de l'expérience de praticiens de la Spana et de l'association caritative Donkey Sanctuary, qui abrite un troupeau de 3 000 ânes au pâturage durant les périodes estivales et dans des écuries communes en hiver. De ces expériences, une incidence importante d'arthrites et d'ostéo-arthrites est constatée, toutes les articulations étant concernées, mais plus particulièrement celles de l'épaule et de la hanche (, et ), alors que la littérature rapporte ces affections uniquement dans la partie distale des membres (pied). Cela est probablement dû au mode d'utilisation de cet animal dans les pays développés d'où est issue la majorité de la littérature sur l'âne. Il convient, en effet, de différencier les ânes des pays développés de ceux provenant des pays en voie de développement. Les premiers sont principalement des animaux de compagnie ou de randonnée, alors que les seconds sont des animaux de travail. Les contraintes sur le système locomoteur sont donc différentes.

Abcès du pied

L'abcès du pied est l'origine la plus commune de boiterie aiguë. Sur une centaine de boiteries examinées au centre de la Spana de Nouakchott (Mauritanie), les abcès du pied sont en cause dans environ 36 % des cas. Au Maroc, des études devraient être effectuées dans les années à venir. Les abcès se situent fréquemment à la jonction de la ligne blanche et, la surface de support pouvant se rompre au niveau de la bande coronaire () [4], il convient de parer le pied jusqu'à une longueur et une conformation normales et de mettre en évidence une surface de support propre (). Celle-ci doit être entièrement explorée en faisant particulièrement attention à la région de la ligne blanche. “Les taches noires”, en particulier celles associées axialement à la sole, doivent être fortement suspectées.

Des lésions plus profondes peuvent impliquer la phalange distale ou induire une nécrose étendue du corium laminaire. De tels cas exigent une exploration et un curetage sous anesthésie générale.

Fourbure

La fourbure est un trouble assez commun chez l'âne qui est souvent mal identifié par le propriétaire. Les épisodes aigus et silencieux pourront ainsi se reproduire fréquemment sans être remarqués. Ils causent pourtant des dégâts structurels sérieux au niveau du sabot [2, 10].

Les causes de la fourbure sont semblables à celles décrites chez les autres chevaux tels un pâturage riche en carbohydrate, une surcharge alimentaire, l'obésité, un ferrage non approprié, des pieds trop longs, un report de poids (ancienne boiterie/ plaie dans le membre controlatéral), une maladie systémique (syndrome de Cushing, toxémie associée aux infections).

Les cas de fourbure méritent d'être traités comme une urgence et exigent un examen clinique complet. Les symptômes typiques chez l'âne sont :

- un refus de déplacement, un décubitus ;

- une bande coronaire douloureuse ;

- un pouls digité marqué ;

- un port de poids sur les talons ;

- une augmentation des fréquences cardiaque et respiratoire induites par la douleur.

Si un pied est affecté, les trois autres doivent aussi être évalués, car généralement les quatre pieds sont atteints.

Les “sabots en babouches”

La croissance de la corne du sabot est continue et sa taille demeure stable grâce à l'érosion de celle-ci lors des parcours sur les sols durs. Quelquefois, chez des ânes au repos pour lesquels des parages réguliers ne sont pas effectués, la corne continue de pousser et prend une forme de “babouche” (voir la ). Il est alors nécessaire de bien maîtriser l'anatomie du pied pour ne pas léser les structures vivantes lors du parage drastique qui est réalisé. Un cliché radiographie est conseillé pour identifier l'emplacement de la troisième phalange et son éventuelle bascule. Il est utile de prescrire un AINS pendant trois ou quatre jours après le parage.

Pathologie chronique du pied chez l'âne

Parmi ces affections sont retrouvées, entre autres, l'atteinte de la ligne blanche, l'onychomycose, la maladie du sabot creux et la fourbure chronique, et d'autres troubles chroniques. Sur le terrain, le diagnostic différentiel est souvent difficile à établir et l'expérience suggère qu'elles sont souvent liées.

L'atteinte de la ligne blanche est due généralement à une corne de mauvaise qualité qui facilite l'entrée des moisissures et des bactéries [2, 4]. De telles lésions peuvent s'étendre sur plusieurs centimètres vers la bande coronaire et affecter toute la circonférence du sabot. Le sabot peut paraître creux à la percussion à cause de la dégénérescence des tissus sous-jacents. Ces lésions prédisposent aux abcès qui entraînent parfois une boiterie aiguë.

Les facteurs qui prédisposent au développement de ces lésions comprennent :

- une litière sale et humide ;

- un paddock boueux ;

- une contamination fécale et urinaire ;

- une alimentation pauvre ;

- une maladie laminaire récurrente/ chronique ;

- un ferrage retardé ;

- un âge avancé.

Les signes d'une atteinte laminaire chronique peuvent être révélés par un examen précis de la capsule du sabot. Une dépression évidente dans le tissu mou au milieu de la bande coronaire, une sole souvent plate ou convexe et sensiblement mince et molle, et des anneaux anormaux au niveau du mur du sabot (lorsque ces anneaux sont présents, ils sont équidistants. Si la distance augmente postérieurement, c'est pathologique) sont généralement observés. Le pouls digité est très perceptible. La démarche dans des cas avancés peut alors être anormale avec des épaules poussées en avant. Des abcès solaires périodiques peuvent alors apparaître et les tendons fléchisseurs peuvent s'épaissir.

Kératome

Le kératome est assez fréquent chez l'âne, qui y semble prédisposé. Le diagnostic et le traitement sont similaires à ceux du cheval [4].

L'âne a connu un véritable engouement ces dernières années et est devenu un animal de compagnie à part entière. Les informations sur l'appareil locomoteur chez cette espèce restent relativement rares et ne permettent pas d'établir un profil précis des attitudes diagnostique et thérapeutique.

Éléments à retenir

> L'âne n'est pas un petit cheval, il possède ses propres particularités anatomiques et pathologiques.

> Il convient de prendre le temps de bien observer l'âne pour un examen locomoteur.

> Il convient d'examiner un abcès de pied via la bande coronaire surtout et de ne pas se fier à la pince exploratrice, et attention aux tâches noires sur la sole.

> Lediagnosticdefourbure est délicat chez l'âne.

> Il convient de réajuster les doses de médicaments utilisés.

Commentaires sur les traitements du pied chez l'âne

> Les interventions mineures peuvent être réalisées sous sédation et anesthésies nerveuses tronculaires.

> Les ânes sont de bons patients pour une anesthésie générale.

> Les abcès chroniques avec nécrose, ostéomyélite et les lésions de type kératomateuses sont des indications communes.

> La thérapeutique anti-inflammatoire doit être adaptée.

Références

  • 1 - Cheng ZM. Pharmacokinetics and pharmacodynamics of phenylbutazone and oxyphenbutazone in the donkey. J. Vet. Pharmacol. Therap. 1995 ; 19 : 149-151.
  • 2 - Collins SN, Reilly JD. Irregularities in structure of the Stratum medium of laminitic donkey hoof horn. Equine Vet. J. (Soumis pour publication).
  • 3 - Collins SN, Reilly JD. Radiographic anatomy of the normal and laminitic donkey foot. Equine Vet. J. (Soumis pour publication).
  • 4 - Crane M. Foot problems in the Donkey. In : Veterinary and Farriery Practice : the Common Ground, Proceedings of the 5th Biannual Seminar BEVA and NAFB&AE 2003. Conference, Stoneleigh, 21st October : 12-14.
  • 5 - Eley JL, French JM. Chronic founder in the Donkey. Proceedings of BEVA Congress. 1993.
  • 6 - Eustace RA. Explaining Laminitis and its Prevention. REFS Equine Series. 1992.
  • 7 - French J. Reference values for physiological, haematological and biochemical parameters in domestic donkey. Equine Vet. Educ. 1995 ; 7(1) : 33-35.
  • 8 - Jordana J. Clinical biochemical parameters of the endangered catalonian donkey breed : normal values and influence of sex, age, and management practices effect. Res. in Vete. Sci. 1998 ; 64 : 7-10.
  • 9 - MBE, DEDS. The professional handbook of the donkey. London, Whittet book. 1997.
  • 10 - Newlyn HA et coll. Donkey Hoof Horn : A natural Composite ? J. Mater. Sci. (Soumis pour publication).
  • 11 - Oukessou MB. Pharmacokinetics of ketoprofen in the donkey. Vet. Med. 1995 ; 43 : 423-426.
  • 12 - Pollitt CC. The anatomy and physiology of the hoof wall. Equine Vet. Educ. 1998 ; 10(6) : 318-325.
  • 13 - Reilly JD et coll. Tubule density of Donkey Hoof Horn and comparison with Pony and Horse Hoof Horn. Vet. Rec. (Soumis pour publication).
  • 14 - Zinkl J. Reference ranges and the influence of age and sex on haematological and serum biochemical values in donkeys. Am. J. Vet. Res. 51, 1990 ; 3 : 408.
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