Un cas de mammite gangreneuse chez une jument trotteur - Pratique Vétérinaire Equine n° 147 du 01/07/2005
Pratique Vétérinaire Equine n° 147 du 01/07/2005

Auteur(s) : Sophie Mercier*, Christian Bussy**, Adélaïde Ardoin Saint-Amand***

Fonctions :
*Clinique vétérinaire,
Le Grand Renaud, 72650 Saint-Saturnin
**Clinique vétérinaire,
Le Grand Renaud, 72650 Saint-Saturnin
***Clinique vétérinaire,
Le Grand Renaud, 72650 Saint-Saturnin

La mammite est une affection que le praticien équin rencontre rarement et l’évolution en est généralement favorable. Cependant, certains cas peuvent nécessiter un parage chirurgical et une analyse bactériologique.

Nous avons choisi de présenter un cas clinique original pour lequel une intervention chirurgicale a été nécessaire pour débrider l’abcès mammaire.

Cas clinique

Consultation initiale

Une poulinière trotteur français âgée de onze ans est présentée en consultation pour un œdème unilatéral de la mamelle.

Le poulain de la jument est sevré depuis quelques jours. Celle-ci est abattue et sa température rectale est de 41 °C. Le quartier droit de la mamelle est œdématié et douloureux à la palpation. Une sécrétion jaunâtre et épaisse est recueillie en trayant la mamelle. Une mammite est suspectée, mais, pour des raisons économiques, le propriétaire de l’animal refuse que le prélèvement de lait soit analysé. Le traitement fait appel à une administration de ceftiofur (Excenel®), à la dose de 1 g/500 kg, par voie intraveineuse (hors AMM), matin et soir, de gentamicine (G4®), à la dose de 6,6 mg/kg, par voie intraveineuse, une fois par jour, de flunixine méglumine (Finadyne®), à la dose de 1,1 mg/kg, par voie intraveineuse, une fois par jour, à une hydrothérapie [6, 8, 9] et à l’application locale d’une crème mammaire (Mammyl®) une fois par jour pendant une semaine. Cette antibiothérapie initiale couvre un large spectre. En raison de la douleur de l’animal, le traitement local est délicat à réaliser et la traite biquotidienne difficile à envisager. Par ailleurs, le propriétaire ayant refusé l’antibiogramme, une antibiothérapie systémique de couverture nous a semblé justifiée chez une jument qui présente de la fièvre. Le propriétaire décide ensuite de mettre en place lui-même un traitement de dix jours à base de pénicilline procaïne, à la dose de 22 000 UI/kg, par voie intramusculaire, deux fois par jour (Dépocilline®).

Consultation préopératoire

Un mois après la première consultation, la jument est revue pour un écoulement purulent marqué et le quartier droit est nécrosé (). L’état général de l’animal est bon. Un prélèvement bactériologique et un antibiogramme sont réalisés.

Devant l’étendue des lésions, une intervention chirurgicale est proposée.

Les étapes chirurgicales

La préparation pour l’intervention comprend une mise à la diète hydrique pendant douze heures, la mise en place stérile d’un cathéter 14 G dans la veine jugulaire droite, l’administration d’antibiotiques (ceftiofur, Excenel®, à la dose de 1 g/500 kg, par voie intraveineuse, hors AMM, matin et soir) et d’anti-inflammatoires (flunixine méglumine, Finadyne®, à la dose de 1,1 mg/kg, par voie intraveineuse). La jument est brossée et sa bouche est rincée.

Elle est tranquillisée avec de la romifidine (Sedivet®, à la dose de 0,9 ml/100 kg, par voie intraveineuse). L’induction est réalisée avec du diazépam (Valium®, à la dose de 0,1 mg/kg, par voie intraveineuse) et de la kétamine (Imalgène®, à la dose de 2,1 mg/kg, par voie intraveineuse). Une fois à terre, la jument est intubée. Elle est ensuite placée en décubitus dorsal et le relais gazeux est assuré avec un mélange d’Halothane® et d’oxygène.

Le site chirurgical est tondu et désinfecté. Un écoulement purulent crémeux et blanchâtre est observé en regard de la mamelle droite. Les tissus infectés les plus superficiels sont retirés lors de la désinfection (, , et ).

Les tissus nécrosés sont débridés. Les tissus contaminés sont retirés, un plexus vasculaire est suturé à sa base et retiré. Un lavage stérile est réalisé, puis des compresses imbibées de Lotagen® sont incorporées dans le trou laissé dans la mamelle avec de l’Ethilon® déc.5. Des points simples avec le même fil sont placés pour rapprocher les bords de la plaie ( et ).

Le suivi postopératoire

Le traitement antibiotique est prolongé à l’aide d’oxytétracycline (Oxytétracycline®, à la dose de 50 ml, par voie intraveineuse, une fois par jour). Le traitement initial à base de ceftiofur et de gentamicine, puis de pénicilline seule n’ayant donné aucune amélioration, notre choix s’est porté sur l’oxytétracycline, dont le coût est modéré et qui présente peu de résistances. Le lendemain de l’intervention chirurgicale, les compresses sont retirées et la mamelle est douchée. La jument est rendue à son propriétaire le jour même.

L’analyse du prélèvement effectué avant l’intervention chirurgicale a mis en évidence quelques colonies d’Escherichia coli et de Streptococcus equi equi. Les deux germes sont sensibles aux tétracyclines et le traitement antibiotique n’est donc pas modifié.

Trois semaines après l’intervention chirurgicale, la jument se porte bien et sa mamelle est propre.

Discussion

Épidémiologie

Selon toutes les publications, la mammite est une affection moins fréquente chez la jument que chez la vache. Elle se traduit par une inflammation de la glande mammaire et s’accompagne le plus souvent de la présence de germes. Seul un cas de migration ectopique parasitaire a été rapporté [4].

L’entrée des germes vers la mamelle se fait soit par la voie hématogène, soit par la voie percutanée, ou, enfin, par les canaux du trayon.

Cette affection se rencontre dans de rares cas chez une pouliche et plus souvent chez une jument, en lactation ou non. La mammite est néanmoins plus fréquente chez la jument peu de temps après le sevrage [6, 9].

Aspect clinique et diagnostic

Les principaux signes cliniques sont une augmentation de la taille de la mamelle, une sécrétion anormale qui peut prendre différents aspects (purulent, séreux ou sanguinolent), une chaleur et une douleur à la palpation. De manière moins systématique, un œdème apparaît entre les membres postérieurs et sous le ventre, et le membre du côté atteint peut développer un œdème et une circumduction. Enfin, le poulain peut refuser de téter. Les signes généraux (fièvre, anorexie, abattement, tachycardie) sont rares.

Le diagnostic est essentiellement clinique. Des prélèvements cytologique et bactériologique sont recommandés après une préparation aseptique de la mamelle. Lors de mammite, la cytologie met en évidence un grand nombre de neutrophiles et des débris nécrotiques [6]. La bactériologie met plus souvent en évidence des germes à Gram positif que des germes à Gram négatif. Les germes les plus souvent identifiés sont Streptococcus zooepidemicus, Staphylococcus, Actinobacillus, Pseudomonas, Enterobacter et Pasteurella. Une analyse hématologique met parfois en évidence une leucocytose, une neutrophilie et une augmentation du fibrinogène [8, 10].

Des tumeurs de la mamelle surviennent dans de rares cas [5]. En pratique, lorsqu’une augmentation du volume mammaire est observée, que l’analyse bactériologique est négative et que la réponse thérapeutique (associant antibiotiques, anti-inflammatoires et fluidothérapie) est partielle à nulle, il convient de suspecter un processus néoplasique ou une hyperplasie, c'est-à-dire une augmentation de taille des tissus mammaires sans modifications de la structure même des tissus. L’examen complémentaire de choix est alors une analyse histologique, et les tumeurs répertoriées dans la littérature sont des adénocarcinomes, des carcinomes, des mastocytomes ou des mélanomes [3, 4, 7]. Cliniquement, les signes locaux s’accompagnent parfois de signes généraux dans les stades métastatiques [3].

Traitement

Le traitement de la mammite gangreneuse associe plusieurs éléments :

- une fluidothérapie [6, 8, 9] ;

- un traitement local à base de crèmes mammaires externes antophlogistiques (crème Mammyl®) ou de préparations intramammaires antibiotiques utilisées en pratique bovine. Cependant, l’instillation d’une préparation dans la mamelle peut entraîner des lésions du trayon. L’anatomie de la mamelle chez la jument est en effet différente de celle chez la vache (abouchement des canaux galactophores directement à l’extérieur du trayon chez la jument) et l’emploi des préparations pour bovins risque d’endommager le trayon ;

- un traitement général, à mettre en place selon la sévérité du cas [8].

Le choix de l’antibiotique doit être fait, si possible, selon les résultats de l’antibiogramme. Si ces derniers ne sont pas disponibles, il convient d’utiliser une association soit de pénicilline et de gentamicine, soit de triméthoprime et de sulfamides par voie orale. Ces antibiotiques, recommandés par la littérature, représentent un bon compromis entre efficacité, facilité d’administration et maîtrise des effets secondaires chez la jument. Les macrolides, qui présentent en théorie une meilleure diffusion mammaire, sont peu employés en médecine équine. Un des seuls macrolides utilisables chez la jument, mais sans autorisation de mise sur le marché, est l’érythromycine, dont la prescription présente plusieurs limites : risque non négligeable de diarrhée, coût élevé et administration contraignante (voie orale, plusieurs fois par jour).

Deux études au moins montrent que l’érythromycine peut provoquer de graves diarrhées à Clostridium difficile parfois mortelles [1, 2].

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent être utilisés en cas de fièvre, de douleur et d’œdème marqués. L’administration de furosémide a également été rapportée [8].

La réponse au traitement est généralement rapide, et une amélioration est observée dès le troisième jour. Néanmoins, il est recommandé de le poursuivre pendant sept jours.

La prévention d’une mammite passe par l’inspection et la palpation de la mamelle de façon régulière, et, en particulier, à des moments clés (par exemple, le sevrage) ou lors d’affections néonatales (par exemple, lorsqu’un poulain ne tète pas correctement ou en cas de mort subite du poulain).

Le cas présenté est original par l’évolution clinique et le germe isolé. La mammite est une affection rare chez la jument et son évolution vers la gangrène l’est encore plus. Le genre Streptococcus est fréquemment rapporté dans la littérature, mais c’est, à notre connaissance, la première fois que l’espèce equi equi est signalée. Il est intéressant de noter qu’aucun antécédent de gourme caractéristique n’avait été décrit dans l’élevage considéré.

Les mammites sont rares chez la jument et, en général, elles évoluent favorablement, avec un traitement qui associe antibiotiques, anti-inflammatoires et hydrothérapie. Le cas présenté ici montre une évolution originale. Le traitement chirurgical a dû être agressif, mais son résultat est positif.

Note :

  • (1) Molécule à usage humain.

Éléments à retenir

> Le développement d’une mammite gangreneuse est une pathologie rare chez la jument.

> Une mammite survient le plus souvent après le sevrage.

> La bactériologie et l’antibiogramme sont les examens complémentaires les plus intéressants lors de mammite.

  • 1 - Baverud V. Clostridium difficile diarrhea : infection control in horse. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 2004 ; 20(3) : 615-630.
  • 2 - Baverud V. Clostridium difficile infections in animals with special reference to the horse. A review. Vet. Q. 2002 ; 24(4) : 203-219.
  • 3 - Foerman JK, Weidner JP, Parry BW et coll. Pleural effusion secondary to thoracic metastatic mammary adenocarcinoma in a mare. J. Vet. Am. Med. Assoc. 1990 ; 197(9) : 1193-1195.
  • 4 - Greiner EC, Mays MB, Smart GC Jr et coll. Verminous mastitis in a mare caused by a free-living nematode. J. Parasitol. 1991 ; 77(2) : 320-322.
  • 5 - Hirayama K, Honda Y, Sako T et coll. Invasive ductal carcinoma of the mammary gland in a mare. Vet. Pathol. 2003 ; 40(1) : 86-91.
  • 6 - McCue PM, Wilson WD. Equine mastitis-a review of 28 cases. Equine Vet. J. 1989 ; 21(5) : 351-353.
  • 7 - McEachern KE, McKay JS, Hewicker-Trautwein M. Malignant mammary melanoma in a young mature Thoroughbred mare. Equine Vet. Educ. 2001 ; 3(2) : 94-98.
  • 8 - McGladdery AJ. Differential diagnosis and treatment of diseases of the equine mammary gland. Equine Vet. Educ. 1998 ; 10(5) : 266-268.
  • 9 - Perkins NR, Threlfall WR. Mastitis in the mare. Equine Vet. Educ. 1993 ; 5(3) : 192-195.
  • 10 - Roberts MC. Pseudomonas aeruginosa mastitis in a dry non-pregnant pony mare. Equine Vet. J. 1986 ; 18(2) : 146-147.
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