Un cas de folliculite des paturons traité par le ceftiofur - Pratique Vétérinaire Equine n° 146 du 01/04/2005
Pratique Vétérinaire Equine n° 146 du 01/04/2005

Auteur(s) : Emmanuel Bensignor*, Thomas Launois**

Fonctions :
*Cliniques vétérinaires
6, rue Mare-Pavée - 35510 Cesson-Sévigné
et 17, bd des Filles-du-Calvaire - 75003 Paris
**Clinique vétérinaire équine
18, rue des Champs - La Brosse
78470 Saint-Lambert-des-Bois

Les céphalosporines de troisième génération peuvent faire partie de la stratégie thérapeutique lors de folliculite bactérienne chronique chez le cheval.

Les folliculites des paturons sont encore sous-diagnostiquées en médecine équine. Néanmoins, elles correspondent à une entité clinique connue, bien définie et donnant lieu à des publications [1]. Cet article expose le cas d'un cheval traité de façon originale et insiste sur les éléments du diagnostic de cette affection, qui fait partie de l'ancien complexe de la “gale de boue”.

Cas clinique

Motif de la consultation

Un cheval hongre anglo-arabe, âgé de quatorze ans, est présenté à la consultation pour une boiterie associée à un engorgement d'un membre antérieur.

Anamnèse

Les lésions sont apparues plusieurs mois auparavant. Le propriétaire de l'animal a initialement remarqué un épaississement de la peau et des croûtes localisées au niveau du boulet, qui ne l'ont pas alerté. Après plusieurs semaines d'évolution, les lésions se sont étendues et un engorgement associé à une boiterie est apparu. Le cheval a été traité par voie locale avec une association de néomycine et de prednisolone (Predniderm®), sans résultat. Un traitement antibiotique d'une durée de cinq jours, utilisant une association de sulfamides et de triméthoprime par voie orale (Amphimix®), n'a pas fait régresser la dermatose. Un corticoïde, la dexaméthasone (0,05 mg/kg/j), a alors été administré en injections quotidiennes pendant trois jours, ce qui a permis une diminution de l'œdème et de la boiterie, mais sans réelle efficacité sur les lésions cutanées.

À l'arrêt du traitement le gonflement est réapparu. Enfin, un traitement de quinze jours à base d'enrofloxacine par voie orale (Baytril®) a été mis en place. Une régression modérée des troubles a été notée, mais les lésions n'ont pas disparu complètement.

Examen clinique

• L'examen général est normal, hormis une boiterie marquée au niveau du membre antérieur droit.

• L'examen dermatologique montre des lésions exclusivement localisées au membre antérieur droit. Il s'agit d'un gonflement, entre le genou et le pied, associé à des lésions cutanées sévères. Des lésions primaires (érythème, quelques papulo-pustules) et des lésions secondaires (état kératoséborrhéique, lichénification et croûtes) sont observées (). Des lésions croûteuses sont également notées au niveau des couronnes. Aucun prurit n'est rapporté.

Un score clinique est réalisé en prenant en compte deux lésions primaires (érythème et pustules), deux lésions secondaires (collerettes épidermiques et lichénification) et l'alopécie comme marqueur de la chronicité.

Chaque critère est coté de 0 à 3 :

0 - absence ; 1 - présence faible ; 2 - présence modérée ; 3 - présence importante.

Les différents critères observés sur les quatre zones du paturon (faces médiale, antérieure, postérieure et latérale) sont cotés. Pour le cas présenté dans cet article, ce score est de 45 (pour une note maximale possible de 60) lors de cette évaluation “initiale” (inclusion de l'animal dans un nouveau protocole thérapeutique).

Hypothèses diagnostiques

Les hypothèses diagnostiques envisagées devant ces lésions squamo-croûteuses de l'extrémité d'un membre sont une ectoparasitose (gale chorioptique), une dermatophytose, une infection bactérienne (dermatophilose ou folliculite), une dermatite de contact ou un pemphigus foliacé (en raison de l'atteinte de la couronne).

Les hypothèses de vascularite ou de photosensibilisation sont improbables à cause de l'atteinte de zones cutanées pigmentées.

Examens complémentaires

Différents examens complémentaires sont alors réalisés. Des raclages cutanés ne montrent pas de parasites. L'examen direct des poils et des croûtes ne révèle pas d'envahissement par des hyphes fongiques. Une culture fongique est ensemencée et s'avère négative. Un examen cytologique par test à la cellophane adhésive montre de nombreux cornéocytes, des polynucléaires dégénérés et des images de phagocytose de cocci. Une culture bactériologique permet la pousse de nombreuses colonies de Staphylococcus sp. coagulase-négatives. Les résultats de l'antibiogramme montrent une sensibilité à la plupart des antibiotiques utilisables, notamment aux sulfamides potentialisés, aux fluoroquinolones et au ceftiofur.

Le diagnostic est donc celui de folliculite sévère d'un paturon.

Traitement

Un traitement à base de ceftiofur sodique (Excenel®) est mis en œuvre par le propriétaire selon le protocole de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) validé dans l'espèce équine (mais pas pour cette indication de folliculite), soit une injection quotidienne de 2 ml/50 kg de la solution par voie intramusculaire stricte sur la face latérale du cou pendant vingt et un jours. Aucun autre traitement n'est réalisé (en particulier, aucun soin local), afin d'évaluer l'intérêt du ceftiofur seul dans la gestion de ce cas.

Suivi du cas

Des visites de contrôle sont mises en place après sept, quatorze et vingt et un jours. À chaque visite, un score clinique est réalisé comme lors de l'inclusion, afin d'apprécier l'évolution des lésions en surface et en intensité. Après une semaine, une diminution du score de plus de 50 % est notée. L'amélioration se poursuit, avec plus de 85 % de baisse du score lésionnel à deux semaines et une disparition complète des lésions à trois semaines (). Aucun effet indésirable n'est rapporté par le propriétaire.

Aucune rechute n'est notée après un an de suivi.

Discussion

Les pyodermites bactériennes sont une des composantes majeures de la dermatologie chez le chien. De nombreuses publications font état de l'existence chez le cheval d'une entité encore sous-diagnostiquée, la folliculite des paturons [1, 2, 5, a].

Cette pyodermite bactérienne fait partie du complexe anciennement dénommé “gale de boue”, terme impropre qui regroupe de nombreuses maladies localisées au niveau des extrémités des membres (gale chorioptique, dermatophilose, infection bactérienne, dermatophytose, vasculite, trouble de la kératinisation, photosensibilisation, pemphigus foliacé) [4, 6].

Il est recommandé de faire un diagnostic différentiel complet en cas d'atteinte des paturons chez le cheval. Des raclages cutanés, un examen cytologique et une culture fongique sont indiqués a minima. En effet, bien que désormais rare en France chez les chevaux bien entretenus, la gale chorioptique et les dermatophytoses restent d'actualité [1]. En cas de doute, des biopsies peuvent être pratiquées pour confirmer ou infirmer les hypothèses de pemphigus foliacé, de vascularite ou de photosensibilisation [6]. Enfin, il convient d'interroger le propriétaire avec précision sur l'environnement du cheval, à la recherche d'une cause traumatique, d'une humidité excessive ou, éventuellement, d'une dermatite de contact [1, 2, 4, 6].

Dans notre expérience, les folliculites des paturons représentent une entité fréquente de la dermatologie chez le cheval. Elles peuvent évoluer seules (“pyodermites primitives”) ou secondairement à une dermatose sous-jacente dont elles compliquent alors le tableau clinique. Dans cette région, différentes maladies cutanées sont susceptibles de s'infecter dans un second temps. Elles sont détaillées dans le “Principales affections pouvant être responsables secondairement d'une folliculite bactérienne au niveau du pied chez le cheval”.

Le diagnostic de folliculite bactérienne du paturon est essentiellement clinique : apparition de lésions squamo-croûteuses, de collerettes épidermiques, plus ou moins prurigineuses, localisées initialement dans le creux du paturon, ayant ensuite tendance à s'étendre. Souvent, les membres postérieurs sont touchés, de façon plus ou moins bilatérale [2]. Cette entité peut se retrouver sur les membres antérieurs, comme pour le cas rapporté ici. L'œdème est fréquent lors de folliculite chronique, responsable d'un engorgement et d'une boiterie. L'examen cytologique permet de mettre en évidence les bactéries, phagocytées par des polynucléaires neutrophiles (images d'invasion bactérienne), ce qui confirme le caractère bactérien de la dermatose. L'examen bactériologique est rarement intéressant, mais il permet de réaliser un antibiogramme, qui orientera la thérapeutique.

Les infections bactériennes sont difficiles à traiter chez le cheval, car le nombre d'antibiotiques indiqués selon leur AMM dans cette espèce est restreint, et encore plus dans cette affection. Au quotidien, la prescription du praticien équin est souvent limitée aux sulfamides potentialisés par le triméthoprime. Fréquemment utilisée pour d'autres maladies bactériennes chez le cheval, la pénicilline G n'est pas appropriée en dermatologie équine en raison de la fréquence élevée des bactéries pathogènes (staphylocoques) sécrétrices de bêta-lactamases [6].

Le ceftiofur s.f. sodique est la seule céphalosporine indiquée selon l'AMM dans l'espèce équine, pour le traitement des infections respiratoires à germes sensibles. Il s'agit d'un antibiotique à large spectre actif contre les bactéries à Gram positif et à Gram négatif, y compris contre les souches productrices de bêta-lactamases. Cette molécule présente théoriquement un intérêt dans le traitement des infections cutanées bactériennes (à titre d'exemple, les céphalosporines restent une classe thérapeutique de choix dans l'espèce canine pour le traitement des pyodermites superficielles et profondes). En effet, les céphalosporines sont actives contre les staphylocoques, qui sont les agents primitifs les plus souvent responsables des infections cutanées chez le cheval (Staphylococcus intermedius, S. aureus, S. hyicus) [2]. Cette famille d'antibiotiques est également théoriquement active sur les streptocoques (Streptococcus equi, S. equisimilis et S. zooepidemicus) qui sont également souvent en cause [2].

Les études de sécurité montrent que le ceftiofur est bien toléré à la dose de 2,2 mg/kg/j pendant un mois chez le cheval [3]. Aucune description n'a cependant été réalisée à notre connaissance pour confirmer l'utilité de cette molécule pour le traitement des folliculites des paturons chez le cheval. Cette molécule a été utilisée dans ce cas en raison de l'apparente absence d'efficacité des antibiotiques administrés antérieurement. En outre, la bactérie isolée est sensible in vitro vis-à-vis de cette molécule, ce qui justifie son emploi potentiel. Le traitement administré au long cours a été bien supporté, ce qui corrobore nos observations : les folliculites nécessitent entre quinze et trente jours de traitement.

Nous n'avons pas prescrit de traitement local pour évaluer objectivement l'intérêt du ceftiofur. En pratique, les soins locaux, notamment sous forme de shampooing antiseptique et/ou d'antibiotiques topiques, éventuellement après une tonte délicate de la zone lésée, permettent de diminuer le temps nécessaire à la guérison de la dermatose.

Aucune forme locale ou générale de corticoïde n'a été utilisée ici. De manière générale, l'emploi de ces médicaments dans la thérapeutique des infections bactériennes cutanées est à proscrire : ils améliorent passagèrement les symptômes, mais sont responsables le plus souvent d'un passage à la chronicité et/ou d'une récidive de l'infection.

Le diagnostic différentiel des dermatoses des paturons inclut les folliculites bactériennes. Ce cas de folliculite chronique illustre la difficulté du traitement des infections cutanées bactériennes du cheval.

Notes :

  • (1) Médaciment utilisé chez le cheval, en conformité avec le résumé des caractéristiques du produit (RCP).

  • (2) Médicament utilisé chez le cheval hors RCP.

Éléments à retenir

> Les folliculites des paturons sont fréquentes en pratique équine.

> L'étiologie de cette affection est multiple, ce qui nécessite de réaliser des examens complémentaires appropriés.

> Le traitement des infections bactériennes chez le cheval comme dans d'autres espèces fait appel à une antibiothérapie adaptée, parfois au long cours.

Références

  • 1 - Bensignor E, Lebis C, Groux D. Dermatologie du cheval. Ed. Vigot Maloine. Paris. 2004 : 100 pages.
  • 2 - Lloyd DH, Littlewood JD, Craig JM et coll. Practical Equine Dermatology. Ed. Blackwell. Oxford. 2003 : 136 pages.
  • 3 - Marht CR. Safety of ceftiofur sodium administrered intramuscurlarly in horses. Am. J. Vet. Res. 1992 ; 53 : 2201-2206.
  • 4 - Pascoe RR, Knottenbelt DC. Manual of Equine Dermatology. Ed. WB Saunders. London. 1999 : 290 pages.
  • 5 - Pin D, Carlotti DN. Cas de pyodermite du paturon chez un cheval. Pratique Vétérinaire Équine. 2001 ; 33(131) : 45-49.
  • 6 - Scott DW, Miller WH. Equine Dermatology. Ed. WB Saunders. Philadelphia. 2003 : 823 pages.

Congrès

  • a - Bourdeau P. Éléments de thérapeutique en dermatologie des équidés. Proceeding Avef 1997.
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