Affections tumorales des premières voies respiratoires - Pratique Vétérinaire Equine n° 143 du 01/07/2004
Pratique Vétérinaire Equine n° 143 du 01/07/2004

Auteur(s) : J.-L. Cadoré

Fonctions : Médecine interne
Département Hippique
École Nationale Vétérinaire
de Lyon
1, ave Bourgelat
69280 Marcy-L'Étoile

Une déformation faciale, une épistaxis ou un cornage peuvent faire suspecter une tumeur des premières voies respiratoires. Un diagnostic du siège et de la nature de la lésion et un bilan d'extension permettent de définir un traitement.

Malgré leur faible incidence, comme en témoigne le nombre limité de publications d'études rétrospectives, les affections tumorales des premières voies respiratoires sont parfois déroutantes pour le clinicien et doivent en toute hypothèse être envisagées, notamment dans le diagnostic différentiel du jetage, des épistaxis, des déformations du massif facial ou encore des troubles obstructifs [2]. Par ailleurs, le pronostic d'une majorité d'entre elles est relativement réservé, d'autant plus que le diagnostic est tardif. Dans une étude menée sur neuf ans auprès de treize centres universitaires, la prévalence des tumeurs des sinus et des cavités nasales était de vingt-six pour dix mille. Une autre effectuée dans un seul centre donne un chiffre d'incidence de 0,25 % [13]. Dans une étude sur la mortalité de 41 450 chevaux menée en France [10], une prévalence de 0,1 ‰ est notée pour les tumeurs malignes de l'appareil respiratoire, 0,16 ‰ pour les tumeurs bénignes de l'appareil respiratoire et 0,13 ‰ pour l'hématome progressif de l'éthmoïde. Dans une étude de Boulton portant sur 8 023 cas sur huit ans, seize cas de néoplasies des cavités nasales et sinusales ont été relevés sur quatre-vingt-cinq cas d'affections nasosinusales [7]. D'autres études citées par les mêmes auteurs (Mason, Pascoe, Uberreiter) corroborent la faible incidence de ces tumeurs chez le cheval.

Quelles tumeurs suspecter lors de déformations faciales et quelle conduite à tenir ?

Les affections nasosinusales peuvent être responsables de déformations, notamment en regard de la projection des cavités sinusales maxillaires (photo ) et même, mais plus rarement, frontales ou orbitaires. L'évolution est longue et l'histoire clinique révèle le plus souvent l'existence intermittente de jetage, plus ou moins abondant, parfois mêlé de sang [12] (photo ). Les investigations complémentaires doivent donc être mises en œuvre assez tôt, comme l'examen radiographique (dont l'interprétation nécessite, outre les vues orthogonales classiques et obliques, une grande habitude) [8]. L'examen sinusoscopique trouve ici toute son indication, mais l'examen scintigraphique pourrait, à l'instar de ce que l'on connaît maintenant en pathologie dentaire, être une alternative intéressante. Dans une étude rétrospective portant sur 277 cas d'affections nasosinusales, dans laquelle les tumeurs malignes représentent 7,9 % des cas, il est clairement démontré que si l'examen endoscopique des premières voies respiratoires est régulièrement anormal (dans 91 % des cas), comme l'examen radiographique (81 % des cas), il n'est en revanche diagnostique que dans 20 % des cas (36 % pour l'examen radiographique), alors que l'examen sinusoscopique présente une pertinence diagnostique dans 70 % des cas [17]. Aucune étude rétrospective sur un nombre de cas important ne permet actuellement de juger de la pertinence de l'examen scintigraphique ou tomodensitométrique, encore moins de l'examen en résonance de magnétique, mais les observations cliniques et la comparaison avec la médecine humaine laissent supposer le grand bénéfice à recourir à ces techniques de pointe pour un diagnostic précoce et précis de la localisation du phénomène pathologique. Plus simplement, les prélèvements obtenus par sinusocentèse et/ou par cytoponction du nœud lymphatique satellite lors d'adénomégalie peuvent faire l'objet d'analyse cytologique. La réalisation de biopsies est nécessaire pour l'établissement du diagnostic définitif ; elles peuvent être réalisées dans la première étape du diagnostic, incluant un éventuel bilan d'extension, mais le sont souvent à la faveur d'une chirurgie exploratrice qui est une chirurgie d'exérèse dont le bien-fondé mérite discussion selon les cas. L'examen endoscopique des premières voies respiratoires (photo ) permet le plus souvent d'observer des signes indirects de la présence d'une tumeur, en particulier l'obstruction mécanique engendrée par son développement. Les carcinomes épidermoïdes, les adénocarcinomes, les ostéomes, angiosarcomes ou fibrosarcomes [4, 7, 15], ainsi que les hématomes progressifs de l'éthmoïde au stade terminal (bien qu'il ne s'agisse pas d'une tumeur stricto sensu) doivent être évoqués. Le diagnostic différentiel sera fait des masses kystiques d'origine inflammatoire, des formations polypeuses envahissantes [9]. Dans une étude concernant vingt-huit cas de tumeurs nasosinusales chez les équidés [4], cinq adénocarcinomes, sept carcinomes épidermoïdes et trois carcinomes indifférenciés sont rapportés ; le jetage (photo ) et la déformation de la face sont observés dans 80 % des cas, de l'épistaxis dans 23 % des cas, des métastases sont retrouvées dans les nœuds lymphatiques mandibulaires dans seulement trois cas. Les adénocarcinomes sont plutôt localisés dans la cavité nasale ou en région éthmoïdale, les carcinomes dans les sinus maxillaires.

Les déformations de la région gutturale, si elles appellent l'évocation d'un empyème ou d'une adénomégalie rétropharyngienne, dans un contexte infectiologique particulier de gourme, ne manqueront pas non plus lors d'évolution chronique insidieuse, accompagnée ou non de saignement, de faire suspecter une éventuelle, mais rarissime infiltration tumorale (adénocarcinome, hématome, fibrome) ; cette situation et moins rare pour le mélanome [5]. La confirmation diagnostique sera apportée par l'examen radiographique et mieux encore par l'endoscopie à la faveur de laquelle des biopsies seront réalisées. Le traitement d'exérèse peut être envisagé, quoique l'infiltration mélanique pariétale n'en constitue pas une indication.

Quelles tumeurs suspecter lors d'épistaxis et quelles conduites tenir ?

L'hématome progressif de l'éthmoïde [3, 6], les mycoses des poches gutturales, des cavités nasales ou sinusales demeurent le diagnostic d'exclusion de première intention ainsi que l'hémoptysie de toute nature (qui peut dans de rares cas être d'origine tumorale). Les tumeurs citées dans le paragraphe précédent peuvent être responsables, à un moment quelconque de leur évolution, de saignements dont les caractères peuvent être extrêmement variables. La démarche rejoint donc celle précédemment décrite.

Autres tumeurs et/ou autres expressions cliniques

Toutes les tumeurs précitées pourront, au moins au début de leur évolution, ne se traduire que par des bruits respiratoires, ce qui impose au clinicien de les évoquer lors de consultation pour cornage. Une mention particulière doit être faite des masses lymphomateuses [13] qui ne se traduiront que par ce signe pendant la quasi-totalité de leur évolution, par rapport aux autres qui souvent déformeront la face et/ou saigneront. L'existence d'une masse tumorale devra aussi être évoquée (en particulier un adénocarcinome naso- ou oro-pharyngé, mais aussi laryngé) lors de dysphagie associée à des malpositions du voile du palais ou à un cornage laryngé. L'examen radiographique, mais aussi l'examen endoscopique par voie buccale dans des conditions adéquates seront souvent déterminants pour l'établissement du diagnostic, l'exérèse chirurgicale étant souvent difficile.

Conclusion

Ainsi l'étiologie tumorale des affections des premières voies respiratoires est multiple, même si les situations cliniques sont rares. Elle mérite d'être néanmoins évoquée le plus tôt possible au cours de l'évolution des affections qu'elle engendre afin que les propositions thérapeutiques et/ou le pronostic puissent être le plus favorables. Dans tous les cas, le diagnostic devra s'appuyer sur une démarche rigoureuse, en satisfaisant les règles élémentaires de la consultation de cancérologie en général, et surtout sur l'interprétation des résultats des examens histo/cytologiques pratiqués sur les multiples prélèvements réalisés. Si la chimiothérapie est peu souvent envisagée, la chirurgie d'exérèse mérite d'être raisonnée en fonction du contexte clinique donné. Dans l'étude de Dixon et Head [4], l'exérèse chirurgicale assure une survie médiane de six mois lors de tumeurs malignes versus quatre ans lors de tumeurs bénignes. L'exérèse chirurgicale dans l'étude de Tremaine et Dixon [16] est couronnée d'un succès franc en ce qui concerne les kystes (82 % de survie médiane à vingt-quatre mois). Le pourcentage diminue fortement pour les tumeurs nasosinusales (12 %) ; il est de 33 % pour l'hématome progressif de l'éthmoïde. Pour cette dernière affection, l'alternative d'un traitement local sous contrôle endoscopique consistant en des injections de formol à 4 % (une à dix-huit injections, à des intervalles de quatre jours à six mois en fonction de l'évolution [en moyenne deux à quatre semaines], d'un volume de 1 à 100 ml) [11, 14] associées à des administrations par voie générale d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, semble intéressante.

Dans tous les cas, c'est donc l'instauration d'un traitement précoce qui semble la règle d'or à appliquer sur la base d'un diagnostic précis de l'affection.

Éléments à retenir

• Les affections tumorales des premières voies respiratoires sont à envisager notamment dans le diagnostic différentiel du jetage, des épistaxis, des désssformations du massif facial ou encore des troubles obstructifs.

• La majorité ont un pronostic réservé. Elles méritent d'être évoquées le plus tôt possible afin que les propositions thérapeutiques et/ou le pronostic puissent être les plus favorables.

• Le diagnostic s'appuie sur les règles de la consultation en cancérologie et l'interprétation des résultats des examens histo-cytologiques.

• La chirurgie d'exérèse est raisonnée en fonction du contexte clinique donné.

Références

  • 1. Baker, G.J., Equine nasal and paranasal tumours. Vet J, 1999. 157(3) : p. 220-1.
  • 2. Boles, C., Abnormalities of the upper respiratory tract. Vet Clin North Am Large Anim Pract, 1979. 1(1) : p. 89-111.
  • 3. Colbourne, C.M., et al., Surgical treatment of progressive ethmoidal hematoma aided by computed tomography in a foal. J Am Vet Med Assoc, 1997. 211(3) : p. 335-8.
  • 4. Dixon, P.M. and K.W. Head, Equine nasal and paranasal sinus tumours : part 2 : a contribution of 28 case reports. Vet J, 1999. 157(3) : p. 279-94.
  • 5. Grabner, A., [Diagnosis and therapy of guttural pouch diseases in horses]. Tierarztl Prax, 1984. 12(3) : p. 329-41.
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  • 8. Lane, J.G., et al., Radiographic examination of the facial, nasal and paranasal sinus regions of the horse : I. Indications and procedures in 235 cases. Equine Vet J, 1987. 19(5) : p. 466-73.
  • 9. Lane, J.G., J.A. Longstaffe, and C. Gibbs, Equine paranasal sinus cysts : a report of 15 cases. Equine Vet J, 1987. 19(6) : p. 537-44.
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  • 16. Tremaine, W.H. and P.M. Dixon, A long-term study of 277 cases of equine sinonasal disease. Part 2 : treatments and results of treatments. Equine Vet J, 2001. 33(3) : p. 283-9.
  • 17. Tremaine, W.H. and P.M. Dixon, A long-term study of 277 cases of equine sinonasal disease. Part 1 : details of horses, historical, clinical and ancillary diagnostic findings. Equine Vet J, 2001. 33(3) : p. 274-82.
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